« Blackpool » [1] vous emmène dans une cité portuaire kitsch et bloquée dans les années 80 où le patron d’une salle d’arcade frappé de folie des grandeurs se retrouve accusé de meurtre.
Ripley Holden semble tout droit sorti du plus raccoleur des casino de Vegas, coupe à la Elvis, santiags, chemise ouverte sur un torse velu et regard bovin en prime. Il boit, fume, trompe sa femme, joue et possède le bagout d’un vendeur au porte à porte. Forcément, lorsque l’inspecteur Carlisle arrive en ville pour enquêter sur un cadavre retrouvé dans la salle de jeu que possède Ripley, il déteste d’emblée le propriétaire. Et nous aussi. Ripley nous est dépeint donc d’entrée comme l’homme à abattre, le fruit pourri dont il faut se débarrasser. Un homme qui étouffe femme et enfants, qui ne pense qu’à lui-même et qui possède des illusions de grandeur aussi ridicules qu’égomaniaques.
Evidemment, lorsque Carlisle arrive, on se prend d’entrée d’affection pour lui. Imaginez un Colombo jeune et avenant, une figure de justice prête à faire tomber ceux qui, si haut, se croient tout permis. C’est là la grande force de « Blackpool », ce face à face entre ces deux hommes, ce jeu de chat et de la souris, mais surtout cette façon sans manichéisme de monter en épingle leur affrontement. Carlisle pense que Ripley a assassiné le jeune homme retrouvé dans sa salle de jeu, un gamin agressif, violent, dont la mort n’intéresse personne. Sauf Carlisle.
Le coup de génie de « Blackpool », c’est de jouer au yo-yo entre les deux personnages, tantôt montrant les faiblesse de l’un, puis de l’autre, faisant douter le spectateur de manière permantente, passant du "Ripley a tué le gamin" à "Carlisle est aveuglé". Par moments, sans que la référence soit formelle ou absolue, on pense à « Affliction », film très noir de Paul Schrader avec Nick Nolte qui y campe un poilicier persuadé qu’un simple accident de chasse cache une conspiration. Sa quête pathétique ne le mènera à rien, si ce n’est à sacrifier son existence. Ici, « Blackpool » en reprend certains schémas, dans le sens ou Carlisle se borne à faire de Ripley Holden son seul et unique suspect, balayant d’un revers de main toute autre explication.
Le supplément de motivation à enfermer Ripley, Carlisle le trouve en la personne de Natalie, sa superbe femme, dont il tombe très rapidement amoureux. Parti pour la manipuler et lui extraire des informations (de façon très professionnelle mais en jouant sur le charme) alors qu’il s’attendait à tomber sur une femme du même accabit qu’Holden, il se retrouve en fait face à une personne sensible et touchante. Décontenancé, il va tomber sous son charme et séduire Natalie, sans lui avouer qu’il enquête sur son mari.
Danny et Shyanne sont les deux enfants de Ripley et Natalie. Le premier est introverti, discret, se fait de l’argent de poche en vendant de la drogue mais vit surtout dans l’ombre de son père, qu’il idolâtre alors que Ripley donne toute son attention à Shyanne, qui elle, fille modèle, sort avec un homme de l’âge de son père. Ce qui a le don de faire sortir Ripley de ses gonds.
Le 6e personnage, qui dégage presque autant de charisme que les êtres de chairs, c’est la ville de Blackpool, sorte d’appendice clinquant et cheap qui donne sur la mer. Ou comment fusiller une côte avec des devantures de magasins toutes plus pétantes de couleur les unes que les autres. Une cité brassée par les vents et qui abrite des salles de jeu d’un autre temps, des boites de nuits coincées dans les années 80. Si « Balckpool » arrive à faire quelque chose, c’est à ne motiver personne à s’y rendre.
« Blackpool », ne l’oublions pas, est une comédie musicale. Pas dans le sens où tout le monde chante tout le temps, avec des paroles du type "si je me faisais un café, la-la-la... ah ben non, y’en a plus, la-la, allons en acheter, boom". On se rapproche ici d’une comédie musicale à la « On connait la chanson », mais avec une variante. Si les morceaux sont diffusés tels quels, les acteurs chantent aussi, mais par-dessous. Si le procédé choque un peu, il donne à « Blackpool » ses meilleurs moments, ses morceaux de bravoure, comme le fantastique duo "These boots ara made for walking" entre Morrissey et Tennant, qui se mettent à danser tous les deux pour mieux illustrer leur face à face à venir. D’autres moments offrent des chorégraphies minimalistes mais souvent très drôles. C’est quand « Blackpool » se veut profond sur les moments musicaux qu’on a plus de mal. Il ne s’agit plus là d’appuyer un propos ou d’offrir une séquence purement gratuite et jubilatoire, mais de nous servir un clip illustratif, souvent dénué d’intérêt réel.
A part le premier épisode, qui accroche autant qu’il intrigue, et qui finit sur un réel morceau de bravoure, tous les autres ont un lot grandissants de défauts qui finissent par gâcher le bel ouvrage. Ripley Holden a un secret. Un secret qui, lorqu’il le révèle au fiancé de Shyanne, le laisse planté sur sa chaise pétrifié de peur. Annoncer un truc pareil, c’est se mettre en danger en tant qu’auteur si le secret n’est pas à la hauteur. Et ce n’est pas le cas. On a du mal à comprendre pourquoi le fiancé prend tant peur, surtout qu’il revient à la charge 2 épisodes plus tard, plus si terrifié que ça. Si les personnages sont globalement bien dépeints et très bien interprêtés, on regrettera peut-être le revirement total du personnage de Ripley à la fin. Pas tant dans les méthodes qu’il emploie pour s’en sortir, typique du joueur de poker qu’il est, mais plutôt dans le calme et la froideur dont il fait preuve, lui qui fût si sanguin les 5 épisodes précédents. Comme cité précédemment, les morceaux musicaux alternent le fabuleux et l’anecdotique, laissant une impression mitigée au sortir de la mini série.
Une impression mitigée que partagèrent les critiques, aussi dithyrambiques que véhémentes au moment de sa diffusion. En juin 2006, une suite, sans Tennant ni Parish, occupés ailleurs, « Viva Blackpool », sortira, contant comment Ripley, devenu pasteur, revient à Blackpool pour y organiser des mariages à thème. Toujours une fiction musicale. Les USA adaptèrent le projet. « Viva Laughlin » sortit en 2007 pour s’exposer 2 épisodes et se faire renvoyer dans les cordes. Les critiques tentent de s’accorder sur le fait qu’il s’agissait soit de la pire série de 2007, soit de tous les temps. Ils sont méchants, ces américains.
Trop d’épisodes pour une histoire plus adaptée au format long-métrage ? Pas assez pour développer les intrigues de manière plus subtile ? Reste que « Blackpool » est un bon moment de télévision. Juste bon, et c’est déjà bien.
2004
Production : BBC (Royaume-Uni)
Diffusion : BBC One (Royaume-Uni)
Créateur : Peter Bowker
Avec : David Morrissey (Ripley Holden), Sarah Parish (Natalie Holden), David Tennant (DI Carlisle), Georgia Taylor (Shyanne Holden), Thomas Morrison (Danny Holden), John Thomson (Terry Corlette), Steve Pemberton (Adrian Marr)
Dernière mise à jour
le 16 février 2011 à 22h14
[1] Crédits :
Scénario :
Peter Bowker (Episodes 1 à 6)
Réalisation :
Julie Anne Robinson (Episodes 1 à 3)
Coky Giedroyc (Episodes 4 à 6)