FICTION FRANCAISE — La faillite des formations
Retour sur les bancs de l’école
Par Jeff Gautier • 9 avril 2007

Et s’il fallait remonter plus loin dans la chaîne de création pour comprendre ce qui ne va pas dans la fiction française. Plus loin que l’écriture de scénario, que la proposition de projets même.
Et si l’on retournait à lécole, voir comment sont formés les créatifs de demain.

Petit tour d’horizon de ce qui est proposé lorsque l’on choisit d’embrasser une carrière dans l’audiovisuel...


La question de la qualité des fictions françaises a été déjà traitée à de nombreuses reprises. Il en ressort souvent que le poids des chaînes dans cette triste réalité est important. Chaînes qui ne font que suivre « le public » par l’intermédiaire de l’audimat. Mais un public a qui on n’offre pas vraiment le choix non plus. Bref, c’est le serpent qui se mort la queue.

On s’est aussi tourné du coté des créatifs (par opposition aux commerciaux qui dirigent les chaînes et les sociétés de production) et plus particulièrement vers les scénaristes. Qui ne se sont pas révélés exempts de tous reproches eux non plus. [1]

Nous allons ici remonter un peu plus loin sur cette voie pour nous intéresser au système de formation de ces créatifs.
D’où viennent-ils ? Quels enseignements ont-ils suivis ? Que propose-t-on en France aux personnes qui veulent faire du scénario leur gagne pain ?

NOTA :

J’essayerai au maximum de me concentrer sur l’aspect « scénario », qui est la base même de la fiction, élément sans lequel rien ne peut se faire.
Cependant, je ferai sans doutes quelques digressions sur les autres métiers audiovisuels qui, je l’espère, ne perturberont pas trop la lecture. En effet, les formations spécifiquement « scénario » sont rares ; il s’agit plus souvent d’un savoir intégré à une formation audiovisuelle.

Il m’arrivera aussi parfois de parler de films plutôt que de fictions au sens large. Cela n’a pas vraiment d’importance à mes yeux car un film, un téléfilm ou une série possèdent un mode de fonctionnement similaire et nécessitent le regroupement des mêmes compétences.

I. Et si on partait de rien ?

Après tout, pourquoi faire une formation ? Ne s’agit-il pas d’une perte de temps ? On entend toujours à la télé les gens dire qu’ils sont arrivés là un peu « par hasard », avec juste leur volonté comme bagage ou bien qu’on leur a donné leur chance à un moment où ils n’étaient personne

Dans l’ensemble, ce genre de discours est trompeur (qu’il vienne de la personne elle-même ou bien de quelqu’un qui dresse le portrait). Si on gratte un peu, on découvre bien vite que l’on a oublié de mentionner quelques petits détails « insignifiants » mais qui changent tout.
Prenons l’exemple de Christophe Barratier, le scénariste et réalisateur des « Choristes » [2]
Qui est Barratier ? Né en 1963 de parents comédiens, il intègre quelques années plus tard Galatée Films, la société de production de Jacques Perrin, qui n’est autre que son oncle. Il produira entre autres « Microcosmos », « Himalaya » ou « Le Peuple Migrateur » avant de se lancer sur « Les Choristes » en 2004. Barratier était donc à la base en bonne position pour arriver à la place où il se trouve aujourd’hui, car sa famille était du « Milieu » [3]. Et il ne faut pas s’y tromper : la plupart du temps, c’est ainsi que cela se passe, par l’intermédiaire de la famille ou de bonnes connaissances. Le temps est révolu où n’importe qui pouvait entrer dans l’univers du Cinéma comme ça, par hasard, ou en ayant jamais rien fait avant en rapport avec le secteur (mais j’y reviendrai).

S’insérer dans la branche est long, parfois pénible Je vais peut-être briser une image d’Epinal mais travailler dans l’audiovisuel est tout sauf une partie de plaisir. Oubliez les 35 heures et les horaires de bureau ! C’est votre vie de famille et sociale qui va en prendre un coup. Ce milieu demande beaucoup d’investissement personnel et offre peu en retour. Car si on entend parfois dire que l’audiovisuel est une grande famille, il faut quand même reconnaître que l’ambiance - querelles intestines, réputations rapides, nombreux faux-culs ou arrivistes - est, dans l’ensemble, assez pourrie.
Pour réussir, il vous faudra énormément de motivation, une grande capacité d’écoute et d’apprentissage, accepter de vivre précairement durant quelques temps (voire toute votre carrière) et surtout, vous faire un réseau de contacts.

En conclusion de cette Première Partie, même si la formation sur le tas existe et existera toujours (la plupart des métiers nécessitent tout simplement de l’expérience), avoir une base est toujours utile. Tenter l’aventure comme ça, sur un coup de tête, a toutes les chances d’envoyer dans le mur.
Déjà qu’avec une bonne formation on galère un peu (voire beaucoup), il n’est pas difficile d’imaginer comment faire ses preuves quand on ne possède pour seul bagage que ce qu’on a pu lire dans Première, Mad Movies ou les Cahiers du Cinéma...

II. Les bancs de l’école

Où se former ?
C’est la question que tout un chacun se pose à partir du moment où il a décidé de faire de la fiction son métier.
Je dirais que cela dépend de ce que vous souhaitez faire. Suivant si vous êtes plutôt technique, plutôt artistique, différents établissements seront à même de vous accueillir. Et si comme 90% des gens qui se lancent dans le métier vous voulez être réalisateur, il faut savoir que hormis la FEMIS qui propose une section Réalisation (j’y reviendrai plus tard), ce métier ne s’enseigne pas vraiment, mais il s’apprend.

Pour l’aspect technique, pas besoin de chercher : matériel coûteux et très pointu implique une formation à dominante scientifique. Et donc apprentissage d’un savoir (avec organisation plutôt « scolaire »). Des connaissances de base en optique (pour l’image), électricité/électronique (pour tout le monde), acoustique (pour le son), chimie (pour la pellicule), voire en mathématiques, sont requises. Bac S très fortement conseillé donc (éventuellement STI).

Concernant la part artistique (scénario et réalisation, entre autres) on pourrait penser qu’il s’agit de quelque chose que l’on a en soit et que l’on va cultiver. Ce n’est qu’un des aspects du travail. Ecrire un scénario implique les respect de nombreuses règles et autres codes, qui ne se retiennent pas en un après-midi mais demandent des années d’expérience. De même, réaliser une fiction, c’est-à-dire assumer tout le poids d’une œuvre qui nécessite beaucoup d’argent et manager une équipe durant des semaines ou des mois, ça ne vient pas en claquant des doigts.
L’art, c’est comme tout : ça s’apprend. Les génies qui ont un don inné pour un art relèvent plus souvent de la légende de faits avérés. [4]

Voici, à titre d’exemple, une petite liste de « noms » sortis des Grandes Ecoles, pour vous faire une idée.
Vaugirard Louis Lumière [5] (aujourd’hui ENSLL) : Yves Angelo, Jean-Jacques Annaud, Philippe de Broca, François Groult, Pierre Lhomme, Philippe Rousselot, Michel Thomas (alias Michel Houellebecq), Claude Zidi.
IDHEC [6] (aujourd’hui FEMIS) : Alain Corneau, Josée Dayan, Claire Denis (1969), Arnaud Desplechin (1981), Christophe Gans (1980), Patrice Leconte (1967), Louis Malle, Claude Miller (1962), Dominik Moll (1984), Alain Resnais (1943), Claude Sautet, Théo Angelopoulos, Eric Rochant, Johan Van der Keuken (1956).

Ceci dit, il ne faut pas nier que beaucoup sont aussi arrivés dans le métier sur le tas.
Mais lorsque le cinéma a commencé à vraiment se développer après la guerre, sous l’impulsion des américains, le secteur a eu besoin de main d’œuvre. C’est ainsi que des charpentiers se sont retrouvés décorateurs, par exemple. Les gens débarquaient un peu, souvent par l’intermédiaire d’un ami déjà dans la place (chose qui n’a pas vraiment changé), se formaient sur le tas à divers métiers pour arriver aux postes où ils sont aujourd’hui. La multitude d’écoles et de formations, n’existait pas à l’époque.
Ensuite, il ne faut pas nier que tout est devenu de plus en plus technique, pointu, et surtout coûteux. On ne confie pas (ou plus) du matériel d’un dizaine ou d’une centaine de milliers d’euros à n’importe qui.
Enfin, le cinéma n’avait certainement pas l’attrait qu’il avait aujourd’hui. Le star system fonctionnait certes déjà, mais les autres métiers n’avaient pas l’aura qu’ils ont aujourd’hui, chose qui s’est également développé avec la presse spécialisée.

Quelques dates pour se situer :
1944 : création de l’hebdomadaire Le Film Français par Jean-Bernard Derosne et Jean-Placide Mauclaire
1946 : Création du Centre National de la Cinématographie (CNC)
1946 : Première édition du Festival de Cannes (créé en 1939, mais n’eut pas lieu à cause de la guerre)
1948 : instauration de la taxe sur les billets, afin d’aider l’industrie du cinéma
1951 : création des Cahiers du cinéma en mars par Jacques Doniol-Valcroze, André Bazin et Lo Duca.
1952 : création de Positif par Bernard Chardère.
1955 : création du Technicien du Film
1968 : création de L’Ecran Fantastique
1972 : création de Mad Movies par Jean-Pierre Putters
1976 : création de Première par Marc Esposito
1978 : création de CinémAction
1986 : création des Inrockuptibles par Christian Fevret et Arnaud Deverre (d’abord bimestriel, puis mensuel puis hebdomadaire)
1987 : création de Studio par une partie de l’ancienne équipe rédactionnelle de Première emmenée par Marc Esposito et Jean-Pierre Lavoignat.
1997 : création de Ciné Live, magazine accompagné d’un DVD

Après ce rapide aperçu, entrons dans le vif du sujet et passons en revue les différents centres d’enseignement qui existent en France.

1. Les Universités

Premier lieu où s’inscrire, peu de sélection, pas trop cher (surtout lorsqu’on bénéficie d’une bourse), dispatchées un peu partout et donc relativement faciles d’accès, connues de tous, etc... les universités sont le principal lieu d’enseignement supérieur en France. [7]
Après, les universités n’ont pas forcément bonnes réputations (laxisme de l’enseignement, manque de budget...) de prime abord, mais nous allons essayer de voir un peu plus en détail de quoi il en retourne au niveau de cette filière qui semble assez particulière.

a. Le contenu de la formation - La vision de la fiction

Les cours qui existent dans les universités apparaissent divers et variés, et pour tous les goûts. De plus chaque université possède plus ou moins une spécialité (fiction, documentaire, expérimental, recherche...) même si l’enseignement général se ressemble beaucoup, surtout durant les premières années. Les professeurs sont souvent aussi regroupés par leur conception du cinéma (par exemple, Paris 8 compte nombre d’anciens des Cahiers du Cinéma ; à l’inverse de Paris I, plus affiliée à Positif) ce qui fait que si un étudiant compte suivre un long cursus, il devra choisir son université ou en changer suivant son orientation.
Si j’ai dit que les cours apparaissaient variés, car tous traitant de thèmes ou de réalisateurs différents, il s’avère qu’en réalité les 3/4 des cours sont des analyses de films. Y compris certains cours de scénario. On regarde des films ou des extraits de films et on analyse ce que l’on voit. Analyse presque exclusivement psychologique (dite lacanienne) et très rarement technique, même dans le cas de cours de scénario.
On peut tout à fait trouver son bonheur dans ce type d’enseignement, même s’il apparaît un peu limité dans le sens où chacun est libre d’interpréter ce qu’il veut des images sans que personne ne trouve rien à redire, du moment que cela est correctement argumenté. Le problème est qu’il s’agit d’interprétation justement. On s’appuie assez peu sur les éléments réels (l’image, le son) pour s’attarder sur des ressentis ou des impressions. Et parfois, on en vient à conclure des énormités. [8]

Il s’avère aussi que beaucoup des enseignants de facs sont adeptes de la Nouvelle Vague (si Godard ou Truffaut vous filent la nausée, il vaudrait mieux passer votre chemin). Une université comme Paris III (Sorbonne-Nouvelle) considère même que le cinéma est mort passé les années 60.
Or, il s’agit là d’une conception du cinéma assez particulière et complètement en décalage avec notre époque. Ne pas s’intéresser au cinéma actuel alors que les étudiants sont sensés y travailler de nos jours, cela paraît un peu étrange.
Et à l’heure de l’industrialisation totale et du formatage des scénarii, en ces temps où Hollywood dicte sa loi à l’audiovisuel mondial, propager l’idée que chacun peut faire le film qu’il veut, comme il le veut, le distribuer et avoir du succès, relève de la pure utopie.
Mais ceci est un autre débat, je ne vais donc pas m’étendre.

Il ne faut cependant pas jeter le bébé avec l’eau du bain. On peut assister à des analyses intéressantes qui offrent un nouveau regard sur un film, tout comme à des divagations de comptoirs ne reposant sur rien. Cela dépend des thèmes et des enseignants.
Mais, comme on le verra ci-après, le principal danger consiste à s’enfermer dans cette vision réduite de l’analyse.

Hormis les cours d’analyse, le reste se compose de quelques cours d’économie du cinéma, de droit ou de production, quelques études techniques et enfin, ce que tout le monde recherche en fin de compte, des cours pratiques.
Et là, il y a comme un problème...

Petite tour rapide des universités possédant une filière « Cinéma ».
* Paris I - Sorbonne-Saint-Charles :
Branchée relativement expérimental, elle possède une assez haute opinion d’elle-même (du au prestige du nom). Cependant, il semble qu’à l’heure où j’écris ces lignes, elle soit la plus en pointe. Les élèves ont des réalisations à produire durant leur cursus (environ 1 film par an) et un investissement a été fait sur le matériel. Un Master « Réalisation Scénario Production » [9] a également été mis en place cette année, et il a l’air relativement intéressant sur le papier. A suivre.
* Paris III - Censier :
Ecole de la théorie par excellence. Vous pourrez y croiser Chion, Marie, Aumont, Bergala... La pratique est pour ainsi dire bannie et le cinéma considéré comme mort depuis de nombreuses années (depuis la fin de la Nouvelle Vague en gros). Le temple du 7e art pour ainsi dire.
* Paris VII - Jussieu :
Des efforts sont actuellement entrepris mais l’enseignement reste surtout thorique.
* Paris VIII - Saint-Denis :
Faculté qui possédait jusque récemment la meilleure réputation concernant cette filière, proposant des cours variés et un peu de pratique. Elle s’englue actuellement dans un conflit interne au niveau de la direction. De plus, et il s’agit d’un point non négligeable, P8 est un véritable cauchemar d’un point de vue administratif.
* Paris X - Nanterre :
Université plutôt axée documentaire, où Jean Rouch notamment donnait quelques cours [10] . L’enseignement est surtout théorique.

b. La pratique

Qu’elle soit du scénario ou du cadre ou de la prise de son ou de quelque activité permettant de produire une fiction, la pratique est quasi inexistante dans les universités. Cela peut sembler assez étrange pour un observateur extérieur mais c’est une réalité.
La pratique est pourtant quelque chose d’indispensable, car connaître les bases théoriques est nécessaire mais sans intérêt si on ne les applique pas pour acquérir de l’expérience. Pourtant, une université comme Paris III refuse toute pratique.
De fait, vous avez peu de chances qu’on vous apprenne à éclairer une scène (vous verrez des films où l’éclairage est bien fait, mais sans vous expliquer comment il est fait et on ne vous invitera pas à essayer de le reproduire). Le montage, vous l’apprendrez quand vous monterez vos propres films ou ceux réalisé en travaux pratiques (si TP il existe, bien entendu), plutôt qu’en cours de montage, avec 50 personnes sur un seul banc (alors qu’il n’y a rien de plus rébarbatif que le montage quand on ne fait qu’observer). Question son, déjà qu’il est souvent la 5e roue du carrosse au sein de la profession, ne compter pas en voir ne serait-ce que les prémisses à la fac. La déco, le maquillage, les costumes, tout ça, il vaut mieux l’oublier ; des écoles spécialisées sont là pour répondre à vos attentes.
Vous apprendrez toutes les ficelles du métier en faisant vous-mêmes des films. Et cela a une cause et une conséquence, que nous allons voir dans les parties suivantes.

Les Universités de ne possèdent de plus que très peu de matériel. Vu le nombre d’étudiant, on peut même dire qu’il n’y a rien. Je ne vais pas entrer dans les détails, je vous laisse vous renseigner par vous-même en consultant des étudiants de diverses facultés.

Tout ceci comporte bien entendu des exceptions. L’université Paris I semble à ce titre faire des efforts depuis quelques temps, et la faculté de Saint-Charles (annexe de Paris I dans le XVe) être actuellement l’endroit le plus proche d’un véritable enseignement cinématographique (locaux entièrement rénovés, matériel flambant neuf).
Mais en règle générale, les universités ne font pas de pratique.

c. L’Auteur à la Française

Même pour le profane, le terme a tout de suite une connotation péjorative. Normal : il est souvent employé en ce sens.
Un auteur est une personne qui réalise un film dont elle a écrit le scénario. Il en découle qu’elle est maîtresse de son film et qu’elle le fera comme elle le désire de bout en bout. Le film sera donc, en fin de comptes, la vision d’un auteur.
Quoi de mieux qu’une œuvre qui n’a pas été bridée et qui est la mise en image parfaite de la pensée de son créateur ?
Seulement voilà, cette vision du réalisateur (car l’auteur est toujours un réalisateur) est idéaliste et induit de nombreux problèmes.

Cette vision, on l’attribut souvent à la Nouvelle Vague, courant artistique des années 60s qui a clairement revendiqué ce statut d’auteur et son rejet du cinéma officiel, dit « de studios ». En vérité, elle remonte pratiquement aux origines du cinéma, au début du XXe siècle. Ce n’est pas le lieu pour entamer un débat sur l’histoire du cinéma, je vous laisse donc le soin d’effectuer vos propres recherches à ce sujet.
Ce statut d’auteur semble quelque chose de propre à la France, de profondément Français dans la façon de voir les choses, qu’on l’admire, qu’on le copie ou qu’on le rejette. Certains estiment qu’il s’agit d’une chance (et qu’il faut tout faire pour perpétuer cela), d’autres qu’il s’agit d’une lubie d’artistes (et qu’il faut l’abolir). La vérité, il me semble, se situe entre les deux.
En effet, il s’agit d’une arme à double tranchant. L’auteur a les pleins pouvoirs sur son film (ou presque). Il rédige le scénario ou le coécrit, choisit ses acteurs, choisit son équipe, sa mise en scène, le montage, la musique, etc... Cela nous semble normal à nous Français ; mais ce n’est pas comme cela partout et cela constitue même pour certains un rêve (cf. Hollywood, mais j’y reviendrai). La contrepartie à cela est souvent un manque de recul et/ou de remise en question. L’auteur a sa vision des choses et ne la partage pas, ou mal. Il est parfois obtus dans ses idées. Le classique de la conversation auteur / producteur est limpide à ce sujet.
Un Producteur rencontre son Réalisateur et l’interroge, tout en (feuilletant le scénario) : « Mais là, tu vois, on comprend pas bien ce qui se passe quand même. Tu veux pas revoir un peu ce passage ? ». Ce à quoi le Réalisateur rétorque, sûr de lui : « Nan, nan, c’est bon, t’inquiète. C’est juste sur le papier, là. Quand ce sera filmé et monté, on comprendra parfaitement, tu verras ».
Sauf que dans la majorité des cas, et l’expérience le prouve, quelque chose de flou dans le scénario le reste à l’écran. Et tout cela a conduit à une dérive, à des films dits « d’auteurs », des œuvres nombrilistes qui font fi de la réalité économique du marché.
Je ne vais pas vous faire tout un exposé sur la réalité de l’audiovisuel dans le monde, cela nécessiterait un article complet. Je vais donc aller au plus court et schématiser.
Faire un film coûte cher. Pour financer des films, il faut donc de l’argent, argent récolté grâce aux entrées des autres films. Pour faire des films, il faut donc générer de l’argent. Concevoir des films pour soit, sans jamais se remettre en question, et sans se préoccuper des goûts du public, constitue une aberration. Aberration qui fait qu’actuellement, les 3/4 des avances sur recettes du CNC le sont à perte ; et que c’est le cinéma américain qui finance la production française via le prélèvement de la taxe sur les entrées.

Cette façon de faire des films est diamétralement opposée aux USA où on ne cumule pas les postes. D’abord parce que chaque poste est dévolu à un spécialiste, qui fera de son mieux dans l’intérêt général sans empiéter sur le travail d’un autre, dont il saura qu’il est meilleur dans son domaine. Ensuite parce que les syndicats, puissants, n’aiment pas qu’une personne fasse le travail d’une autre. On pourra citer l’exemple de Michael Mann, apprécié par le public et la critique, respecté par ses pairs, mais dont le multitasking est assez mal vu [11] .
De plus, on sait les studios tout puissants. Toutes les personnes qui travaillent sur un film sont des employés. Le réalisateur est là pour mettre en image le scénario écrit par un ou plusieurs autres ; c’est une autre personne qui fera le montage sous la surveillance du producteur qui pourra demander telle ou telle modification. Le réalisateur n’a bien souvent pas le final cut. [12]

En résumé, on enferme l’étudiant dans une vision idéaliste du métier de réalisateur. Une vision franco-française propre à une certaine conception du cinéma qui, si elle semble attrayante, n’est pas réaliste dans le monde actuel.

d. Le suivi de l’étudiant

Ceux qui sont allés à la fac, quelle que soit la filière, le savent : dans ces établissements, les étudiants sont livrés à eux-mêmes.
Certains voient cela d’un bon œil, car formateur pour la vie professionnelle future. D’autres critiquent le manque d’encadrement qui mène à certaines dérives là encore.

Obligé de se débrouiller un peu par lui-même, l’étudiant. Pas plus mal, en un sens. Cela évite qu’il se repose trop sur l’établissement et attende tout, tout cuit. Sauf que cela créé, en filière cinématographique, une situation assez unique dans le système éducatif : celle de devoir tourner des films par soi-même en dehors de l’université.
Tourner des films est un (le) point essentiel de l’apprentissage. Il faut faire pour maîtriser et comprendre. Mais là, la majeure partie de l’apprentissage se fait « chez soi » avec son propre argent ou celui des parents souvent. On écrit, on prépare, on tourne, on fait la post-production par ses propres moyens. Alors cela peut sembler intéressant, puisque l’étudiant complète sa formation lui-même. Mais est-ce qu’on demande aux étudiants en chimie de faire les expériences chez eux, avec leurs propres moyens et sans encadrement ? Un peu dangereux quand même. C’est pourtant ce qui se passe dans cette filière. Et n’allez pas croire que je dramatise tout et que produire un film est un amusement exempt de tout risque. Car il ne faut pas oublier une chose : d’enseignement pratique, il n’y a pas eu. Le film est souvent fait au mépris de nombreuses règles, et notamment de sécurité ; mais comment leur en vouloir, on ne leur a rien expliqué ? A titre d’exemple, si personne ne vous a expliqué comment lire un compteur EDF, comment saurez vous que vous risquez de faire sauter les plombs avec votre matériel d’éclairage ? Et ça c’est dans le meilleur des cas ; si l’installation est vétuste ou hors normes (comme dans une grande partie des immeubles parisiens) vous risquez carrément de mettre le feu au circuit électrique, et pourquoi pas à l’appart. Encore une fois, je ne cherche pas à créer un psychodrame ; les risques sont réels, surtout lorsqu’on n’en a pas conscience.
Et cela a un impact sur la créativité. Vous n’avez pas ou peu de matériel, pas vraiment de local où tourner, pas les moyens de faire de grands et superbes mouvements de caméra. Vous faites des histoires simples, voire simplistes, de façon à pourvoir tourner à moindres frais dans votre appartement ou celui d’un ami, avec votre petit caméscope de poing et une vague équipe technique. Vous pouvez toujours vous tenter un super truc d’action ; mais sans le matériel et surtout les compétences, le résultat sera certainement médiocre, ou en tout cas, très amateur.
Ce manque de pratique offerte par l’université influe donc, de façon indirecte, sur les scénarii.

Quant au suivi des enseignants, il varie suivant les personnes : certains pouponnent leurs élèves, d’autres les laissent complètement à l’abandon. Mais dans l’ensemble, là encore, le suivi est relatif. Déjà parce que c’est le système universitaire qui veut ça : les étudiants doivent se débrouiller seuls, comme des grands. Ensuite parce qu’un professeur dont le métier est d’analyser des films vous aidera assez peu quand il s’agira de mettre en images votre histoire (mais par contre, saura critiquer vos choix comme il se doit). Du coup, on les consulte peu et on fait son truc dans son coin.

Tout cela concoure à un écrémage massif.
En effet, la plupart des étudiants n’ont globalement que deux options au moment où ils ont mis le pied à la fac : devenir prof ou échouer. Seuls les plus motivés, et les plus réalistes aussi, ceux qui tourneront par eux-mêmes justement, auront une chance de s’en sortir. Mais pour eux, l’université n’aura été qu’un complément à leur formation, un lieu où ils auront acquis de la culture (et encore, ce point peut être discuté), mais qui ne les aura absolument pas aidé dans leur vie professionnelle.

En résumé, les universités ne forment à aucun métier audiovisuel.
Elles regroupent et « forment » des théoriciens, des critiques [13] ou des gérants de cinémathèques.

2. Les Ecoles privées

Citons pêle-mêle : CLCF (1963), EICAR (1972), ESRA (1972), ESEC (1973), IIIS (1988), CIFACOM (2003)

Il n’y a pas de formation spécifique au scénario (sauf à IIIS où elle est couplée à la réalisation - tiens donc...) car ces écoles forment surtout des techniciens. Néanmoins, un enseignement sur le scénario est fourni dans le cursus.
Comme leur nom l’indique, ces formations sont payantes (par opposition aux formations publiques). Certaines effectuent une sélection, mais globalement, il ne s’agit pas de concours. Si vous possédez les finances pour y entrer, cela ne devrait pas poser de problème particulier.

a. Le Coût

Détail important avant d’étudier ce que proposent ces écoles : le prix de la formation.
Entre 6.000€ et 7.000€ par an, pour une formation de deux ou trois ans. Ce qui va peut-être vous faire débourser aux alentours de 20.000€ ( 130.000FF) pour 3 ans de formation.
Certains ont des parents qui peuvent assurer leur formation. Ou vos parents sont très gentils et vont aveuglément vous fournir l’argent dont vous avez besoin. Ou bien vous allez devoir sacrément justifier le coût de votre formation. Ces établissements ont d’ailleurs la réputation d’accueillir beaucoup de « fils à papa ».
D’autres sont obligés de prendre des prêts auprès des banques. Déjà, il va falloir en trouver une, ce qui ne sera pas une mince affaire. Ensuite, et c’est là le principal problème de la démarche, au moment où vous allez commencer dans la vie active, vous aurez déjà à rembourser une sacrée somme. On sait que pour s’installer dans le métier, il faut compter environ 7 ans. Sept années de galères, d’incertitudes, de petits boulots mal payés... Avec le poids de votre dette derrière vous et les intérêts à rembourser. Pas impossible, mais il faut avoir les nerfs solides.
Autant dire qu’à ce tarif, la formation a intérêt à être bonne.

b. Le Diplôme

Il s’agit dans tous les cas d’un diplôme homologué par l’Etat, donc d’un diplôme spécifique à l’école. Le papier que l’on vous remet est également reconnu par des entreprises, comme on vous l’indique clairement dans la documentation des écoles. Mais il y a « reconnu » et « reconnu ». Une différence notable existe entre un diplôme qui pourra vous permettre d’intégrer une société et un autre qui vous donnera un crédit et un respect auprès de ceux qui vous emploient.
Il faut être honnête : lorsqu’on intègre une école privée, on ne le fait pas pour le diplôme (qui n’a pas le prestige de celui d’une école publique) mais pour suivre la formation, apprendre le métier. On va acquérir des bases, mais là aussi il faudra beaucoup se débrouiller par soi-même. Mais le cadre est tout de même plus propice que d’être lâché tout seul dans la nature.

A noter que l’ESRA et l’EICAR proposent une présentation au BTS national.
Et que le site de cette dernière indique : « En 2004, EICAR est la meilleure école privée préparant aux différentes options du BTS Audiovisuel en terme de résultats aux examens ». Le terme en gras est le plus important car les résultats sont tout de même très en dessous de ceux des établissements publics qui sont à 90-100% de réussite.

Exemple [14] (toutes sections confondues)
EICAR : 61% (2005), 60% (2004), 60% (2003), 56% (2002), 51% (2001), 26% (2000), 27% (1999)
Villefontaine (Lyon) : 92% (2005), 94% (2004), 100% (2003), 96% (2002), 95% (<2002)

La différence de niveau saute aux yeux. A épreuves égales, les écoles privées sont à la traîne. Ce qui signifie que les élèves sont moins bons. Ce qui abaisse par conséquent la valeur du diplôme de l’école.
Mais pourquoi y a-t-il un tel écart ?

c. La Formation

Que vaut réellement la formation ?
Pas grand-chose.

Comme toute entreprise privée, le souci d’une école privée est d’abord financier. Il est important que les élèves soient le plus nombreux possible à suivre la formation. C’est dans cette optique que certaines loues du matériel pour leurs journées portes ouvertes ; matériel qui sert à épater la galerie mais qui ne sera plus là lors de la rentrée. Il paraît aussi que l’on peut croiser des directeurs de ces écoles sur des forums cinéma, qui incitent les jeunes à venir s’inscrire dans leurs établissements.
Le souci est qu’à vouloir prendre trop de monde, on diminue forcément la qualité de l’enseignement. Les enseignants ne sont également pas toujours pris sur le haut du panier et certains sont là uniquement pour le salaire. Et puis, il y a des limites à tout. N’importe qui ayant étudié la dramaturgie vous dira que des cours de scénario en amphi comme cela se pratique à l’ESRA relève de l’hérésie.

Les retours d’anciens de ces écoles sont aussi flagrants. Cela va de ceux qui ont perdu leur temps et leur argent (quand ils ont fini la formation, car certains abandonnent en cours de route) à ceux qui jugent que c’était pas mal, mais qu’il fallait surtout travailler par soi-même. On est ici loin de l’esprit qui peut régner dans un BTS, où certains élèves feraient bien une 3e année tellement ils apprécient de suivre la formation et l’ambiance qui y règne.

L’intérêt principal est la facilité de trouver des stages et donc de se faire des relations, grâce aux partenariat entre ces écoles qui cherchent à placer leurs élèves et les sociétés qui cherchent de la main d’œuvre qu’ils pourront payer avec des lance-pierres.
Mais la formation reste chère au regard de la qualité de l’enseignement qui est fourni dans ces écoles.

D’un avis purement personnel, elles ne valent pas vraiment le coût.

3. Les Formations Techniques

Les établissements qui suivent forment des techniciens du film. On y trouve une approche du scénario mais elle est peu poussée.

a. Les BTS Audiovisuels

A partir du Baccalauréat, sélection sur dossier. Il y a peu de BTS Audiovisuels en France [15] , les places sont donc chères. Mais elles valent le coup. L’élève y est encadré comme au lycée, avec des cours toute la journée, toute la semaine, qui couvrent un large champ (culture artistique, électronique, physique, étude du matériel, travaux pratiques nombreux... ainsi qu’un peu d’anglais et de droit). Des travaux peuvent être organisés en dehors des heures de cours. L’ensemble constitue un emploi du temps assez lourd, il ne faut pas le nier ; mais il est également le garant d’un enseignement complet.
On propose les sections Production, Image, Exploitation, Son et Montage (options pas toutes disponibles dans tous les établissements). L’entrée se fait sur dossier et entretiens. Baccalauréats S ou STI conseillés et donnant accès à toutes les sections, même si des Bac L peuvent accéder au montage et des ES à la Production.
Bénéficiant souvent de budgets conséquents, les résultats à l’examen national sont très élevés. Résultats que l’on doit également à un cadre de travail particulièrement propice : 12 élèves par section et donc par cours (parfois on groupe deux classes, soit 24 élèves) ; et en cumulant toutes les sections et années, on arrive à un total de 120 élèves dans l’établissement, comme à Boulogne par exemple. Avec 1 prof pour 12, il a le temps de s’occuper de ses étudiants.
Il existe possibilité de faire une formation Initiale ou en Alternance. En initiale, vous suivez le cursus habituel des cours, avec un stage par an et l’examen final. En alternance, vous alternez les périodes au sein du lycée et au sein d’une entreprise. L’avantage de ce dernier est une plus grande maîtrise de la pratique et des relations dans le métier ; mais trouver une entreprise qui accepte de vous bien former n’est pas facile (et j’insiste sur le « bien », car certaines boîtes utilisent les jeunes comme larbins) et la somme de travail est double car le programme scolaire doit également être ingurgité en vue de l’examen, mais en moitié moins de temps que ceux qui sont en formation initiale.

Les BTS AV ont aussi une certaine aura de prestige, qui pousse de plus en plus de régions à vouloir leurs BTS. Et de fait, ils commencent un peu à pousser comme des champignons (Marne-la-Vallée, Cannes, Saint-Denis).
Certains les utilisent aussi pour leurs carrières politiques, tel le BTS de Boulogne, dont la situation se dégrade d’années en années suite à des décisions inconsidérées prises par la direction du lycée qui accueille le BTS (décisions auxquelles sont contraints de se plier les cadres du BTS).

b. ENS Louis Lumière (ENSLL)

La plus connue sans doutes, sur laquelle je ne vais pas m’étendre.
Anciennement appelée école Vaugirard Louis Lumière (car basée rue de Vaugirard), elle était un BTS jusqu’en 1992 où elle est devenue une école supérieure. A l’issue d’un concours très sélectif (nécessitant un bac+2), la formation dure 3 ans avec à la clef le diplôme de l’école, niveau bac+5, visé par le recteur de l’Académie de Créteil.

Sa situation ressemble un peu à celle des BTS : elle se dégrade suite à des décisions prises par la direction de l’école et l’éducation nationale (je n’entrerai pas plus dans les détails).

Créée à l’origine pour palier à un manque de techniciens de la photographie, elle forme principalement des chefs-opérateurs son et image, ainsi que des photographes (prise de vue et traitement).
Les personnes qui ont suivi la formation dans cette école bénéficient d’une bonne cote en France comme à l’étranger, notamment aux USA où les directeurs de la photographie français sont relativement appréciés.

4. Les autres Ecoles

On peut cependant trouver des formations spécifiques au scénario. Mais elles sont peu nombreuses.

a. La FEMIS (école nationale supérieure des métiers de l’image et du son)

Ecole du 7e art par excellence, sous tutelle du Ministère de la Culture, la FEMIS dispose d’un budget astronomique qui doit permettre le plein épanouissement de ses élèves pendant les 3 années de formation.
Accessible à bac+2, l’entrée se fait à la suite d’un concours assez long et fondé uniquement sur l’aspect artistique (capacités et connaissances), à l’inverse de celui Lumière, plutôt axé scientifique. L’école regorge de matériel et constitue clairement l’endroit rêvé pour mettre en pratique sa passion et tourner un maximum, l’environnement étant de plus moins scolaire qu’à Lumière.

Cette école, qui vise à tout produire en interne, possède plusieurs départements : Décor, Image, Montage, Production, Réalisation, Scénario et, Son.
La qualité intrinsèque de chaque département varie.
Actuellement, le département le plus en vogue est l’Image, qui a subi une restructuration et qui, paraît-il, serait même meilleur que celui de l’ENSLL. Le Montage est plutôt coté également, car les élèves ont beaucoup de travail durant les trois ans ; le montage étant pour beaucoup une affaire d’expérience, on y trouve donc son compte. Le Son, n’a lui par contre pas le niveau de celui de l’ENSLL.
Les départements qui n’ont pas vraiment la cote, vu de l’intérieur, sont pourtant les deux fondamentaux : Réalisation et Scénario.
La filière Réalisation regorge d’auteurs à la française. [16] Des artistes en puissance persuadés de leur génie et dont la tête ne passe plus les encadrements de portes. Leurs productions sont de véritables caricatures de ce qu’on reproche aux films français. L’évocation de la filière Réalisation de la FEMIS au cours d’une conversation fait généralement sourire.
La filière Scénario n’a pas bonne presse, c’est le moins que l’on puisse dire. Le niveau y est tout simplement proche du zéro absolu. On est ici au plus proche de ce cinéma franco-français dont je parlais plus haut, qui n’a rien à dire et ne sait pas le faire. J’en veux pour preuve une information qui circule sous le manteau : la FEMIS achète des scénarii à l’extérieur, pour palier au niveau désastreux de ceux de ses étudiants (et ainsi pouvoir tourner des films). Quand on en arrive à une telle extrémité, il serait peut-être utile de faire quelque chose pour régénérer l’enseignement ou la sélection des étudiants.

La FEMIS a succédé en 1986 à l’IDHEC (Institut Des Hautes Etudes Cinématographiques), école fondée en 1943 par le compositeur Yves Baudrier.
La FEMIS vit beaucoup sur la réputation de l’IDHEC. Parmi les personnes connues qui en sont sorties, on pourra citer François Ozon (1990).

Un mot tout de même sur la réputation de l’école.
Dans le milieu du spectacle, la FEMIS a l’image d’un lieu où l’on a une bonne estime de soi. Les élèves sont classés comme ayant la grosse tête (certains avant même d’y entrer) et étant fiers de leur travail. L’autocongratulation est de mise. A cela un concours d’entrée assez particuliers qui, au final, permet de ressortir un profil d’élève, toujours le même, permettant ainsi à l’école de garder cette image qui lui colle à la peau et dont elle aura bien du mal à se défaire (encore faudrait-il qu’elle le veuille).
De même, on peut entendre l’expression de « film de FEMIS » à l’attention d’un film particulièrement soporifique, ne racontant pas grand-chose, et à l’esthétique plus que douteuse (pour ne pas dire approximative). Si le cœur vous en dit, vous pouvez aller faire un tour aux journées portes ouvertes où chaque année sont diffusés des films de l’école. Et ainsi vous faire votre propre opinion.

Enfin, dernier point (que je vais manier avec des pincettes, vous allez comprendre pourquoi), la FEMIS a connu quelques scandales et assis bien malgré elle une autre réputation, pas vraiment reluisante : celle de favoriser certains élèves au concours d’entrée.
Vu que nous sortons là du cadre de l’article (et encore), je ne vais pas trop m’étendre. Il faut juste savoir que le concours est assez aléatoire, car ne reposant que sur des critères vagues car artistiques ou psychologiques. De fait, une certaine forme de piston semble exister et perdurer : noms célèbres, famille en contact avec le milieu audiovisuel, les jurés ou même la direction de l’école, favorisations d’un certain profil d’élèves, etc... Il est à ce titre assez étonnant de voir sur les listes d’admission de nombreux noms connus dans le métier (chose que je vous laisse le soin de vérifier par vous-même). De même, l’école accueille des étrangers dans son cursus ; or, les élèves admissibles étant souvent de niveaux équivalents, le choix ne se fait pas en fonction de leurs qualités respectives, mais en fonction d’accords entre le Ministère de la Culture français et ceux des autres pays.
Même si le système semble s’être assaini depuis quelques années, un doute subsiste toujours quant au mode de sélection des étudiants au niveau du concours d’entrée.

b. Le CEEA (Conservatoire Européen d’Ecriture Audiovisuelle)

L’école de scénario. La seule, la vraie. Et qui forme à l’écriture télé de surcroît.
Le Saint-Graal ?
Pas si sûr...

Le CEEA possède un gros point fort par rapport à beaucoup d’autres formations : quand on en sort, on trouve du travail (ou presque). L’école est connue et soutenue par le milieu audiovisuel. On sélectionne des élèves à l’issu d’un concours à deux tours qui doit mettre en avant vos capacités à raconter une histoire avec un thème imposé. Puis on forme des scénaristes à l’écriture audiovisuelle en deux ans.
Seulement là se pose un problème : on ne forme pas des gens à écrire, mais on forme des gens à travailler pour la télé. Avec les restrictions que cela impose sur la créativité. Cela a d’ailleurs créé des remous au sein des syndicats de scénaristes, certains se plaignant du trop grand formatage du conservatoire (l’un d’eux, la Guilde des Scénaristes, avait même décidé de ne plus participer).

On en revient ici aux problèmes fondamentaux de la fiction française, puisque le formatage est opéré dès la racine. On tourne en circuit fermé.
Il faut aussi réfléchir à une chose. Si les étudiants sortant de cette école sont tout à fait libres de rejeter en bloc le système pour essayer d’écrire d’autres choses, il leur faudra bien trouver du travail. Et comme tous débutants, ils bosseront sur ce qu’on leur propose à la télévision (dans le meilleur des cas sur des fictions, dans le pire sur des émissions de télé-réalité). Et le cercle vicieux s’enclenche alors...

Cependant, il convient de ne pas rejeter en bloc cette école qui a le bénéfice de former de vrais professionnels du scénario (à eux d’exploiter ensuite au mieux leurs connaissances).
L’inscription est de 1220€ par an. Ce n’est pas gratuit, mais c’est beaucoup moins que les écoles privées. Et puis, comme il y a de bonnes chances d’avoir du travail à la fin [17] , l’investissement est relativement raisonnable.

NOTA : le CEEA n’est pas une école à proprement parler. Il s’agit d’une association qui dispense une formation reconnue par l’Etat. Ses « membres » ne possèdent donc pas le statut d’étudiants. A l’heure où j’écris ces lignes, la procédure pour institutionnaliser la formation est en cours.

5. Est-ce que c’est mieux de l’autre coté de l’Atlantique ?

Je ne vais pas jouer à l’érudit : comparé à la France, je connais assez peu le fonctionnement de la formation aux Etats-Unis ou au Canada. Mais ce qui est sûr, c’est que comparer leur système de formation et le nôtre, revient à comparer la puissance des studios hollywoodiens à celle du CNC.

Les universités américaines sont très différentes des nôtres dans leur fonctionnement. En France a été mis en place un système permettant à tout un chacun d’accéder à l’enseignement supérieur. Aux Etats-Unis, les facultés sont payantes et les plus réputées sont également les plus chères aussi. Elles fonctionnent un peu comme de petites entreprises.
Les deux systèmes ont leurs inconvénients et leurs avantages. Pour les USA, on pourra dire que globalement il renforce les inégalités (le meilleur enseignement n’est accessible qu’aux plus riches, même si des bourses existent) mais que le niveau d’instruction est très supérieur au nôtre.

Les programmes proposés, dont vous trouverez un échantillon ci-dessous, sont alléchants sur le papier. De plus, beaucoup de noms mondialement connus y sont passés. Forcément, cela fait un peu envie (à fortiori après avoir ausculté le panorama français).

Mais les Nord-Américains ne nous attendent pas non plus les bras ouverts. Au contraire, ils sont plutôt protectionnistes. Il est même conseillé parfois, lorsque vous postuler à l’entrée d’une fac US, d’indiquer ou de répondre que vous ne souhaitez pas rester travailler là-bas, votre envie de bosser aux States pouvant être rédhibitoire.
Il faut se dire qu’ils n’ont pas besoin de nous, pas besoin de main d’œuvre, leur industrie fonctionne très bien avec les gens du coin.

Petit aperçu succinct de ce qui se fait outre-atlantique :

NOTA :
Le niveau undergraduate correspond à des programmes permettant de décrocher un bachelor, (équivalent de la licence/maîtrise). Le niveau graduate correspond à des programmes débouchant sur l’obtention du master.
Le Bachlor Degree ou Baccalauréat s’obtient à la fin de la 4e année d’étude.

- Université du Québec A Montréal (UQAM)

L’UQAM propose deux baccalauréats, accessible pour les Français à partir du baccalauréat français. Le Québec et la France disposent d’accord spécifiques qui permettent de faire jouer les équivalences entre diplômes des deux pays, et surtout, d’octroyer au Français les mêmes tarifs d’inscriptions que les Québécois. [18]

Baccalauréat en communication (cinéma [19]) (7232) : 60 élèves
Baccalauréat en communication (télévision [20]) (7233) : 30 élèves

La sélection se fait sur dossier. Pour les résidents hors Québec, l’évaluation est à 60% sur la production médiatique (c’est-à-dire les réalisations de toutes sortes) et à 40% sur le dossier académique.

Je vous invite à consulter la liste des cours en pour vous faire une idée de ce qui est proposé et des différences avec ce que l’on peut trouver en France.

- The FSU Film School (Miami)

The Film School (College of Motion Picture, Television and Recording Arts) dépend de la Florida State University (FSU). Elle propose plusieurs cursus :
- Undergraduate Program in Production qui admet 25-30 élèves.
- Graduate Program in Production qui sélectionne sur dossier 90 personnes pour entretiens et retient au final 24 élèves.
- Graduate Program in Professionnal Writing qui sélectionne sur dossier 25 personnes et retient au final 6 élèves.

Le site de l’école indique que la formation coûte 3.018$/an ( 2370€/an) pour un Floridien et 11.036$/an ( 8.670€/an) pour un ressortissant d’un autre état ou un étranger. Le Bureau des admissions de la FSU précise également qu’il faut compter, pour toutes les dépenses d’éducation et de vie courante, un budget de 32.182$/an ( 25.275€/an).

- School of Theater, Film and Television (Los Angeles)

The TFT dépend de UCLA (University of California, Los Angeles). Il existe un programme Undergraduate pour l’obtention du Bachelor in Arts (BA) qui sélectionne 30 personnes sur dossiers et entretiens.

Le programme Graduate propose lui plusieurs MFA (Master in Fine Art) avec sélection sur dossiers et entretiens :
- Animation (20 places)
- Production : Film Directing, Television Directing or Cinematography (20 places)
- Producers Program (15 places)
- Screenwriting (25 places)

On estime à environ 1.400 le nombre de postulants chaque année.
Existe également un Master of Arts (MA) qui est un diplôme d’études théoriques en 2 ans (10-15 places) et un Doctor of Philosophy (PhD) qui forme surtout des enseignants (10 places).

A noter que les étudiants ont la charge de financer eux-mêmes leurs films. De ce fait, le coût des études varie. Quelques estimations : BA : 1.000$-10.000$ (780€-7.800€) - MFA Production/Directing : 15.000$-50.000$ (11.700€-39.000€) - MFA Animation : 3.000$ (2.340€).

Elément intéressant trouvé dans la FAQ :

- What are my career prospects after graduation ?
Individuals who intend to work in any artistic and highly competitive filed should maintain a realistic perspective about the personal and professional demands one must face in choosing such a career. While no degree or school can guarantee a livelihood in this area, many of our graduates are working successfully as writers, producers, directors, editors, cinematographers, journalists, animators, educators, executives, etc...

Traduction :
- Quelles sont mes perspectives de carrière après l’obtention de mon diplôme ?
Les personnes souhaitant travailler dans un secteur artistique et hautement compétitif doivent conserver une approche réaliste des demandes personnelles et professionnelles auxquelles elles devront faire face/seront confrontées en choisissant cette carrière. Même si aucun diplôme ou aucune école ne vous garantit une place dans ce milieu, la plupart de nos diplômés travaillent aujourd’hui comme scénaristes, producteurs, réalisateurs, monteurs, directeurs de la photographie, journalistes, animateurs, enseignants, cadres dans les sociétés de production, etc...

En clair, on ne vous promet pas la lune et on vous confronte directement avec la réalité. C’est succinct, mais c’est tout de même une première approche.

- Tisch School of the Arts (New York)

Dépendant de New York University (NYU), souvent nommée NYU Film School, Tisch (ou TSOA) constitue le plus important programme de formation aux métiers du cinéma du pays, avec celui de USC. Parmi les grands noms : Woody Allen, Joel et Ethan Coen [21], Jim Jarmusch [22] , Ang Lee [23], Spike Lee [24] , Martin Scorsese, Oliver Stone, etc...

On trouve deux départements traitant du cinéma :

* The Maurice Kanbar Institute of Film and Television
- Undergraduate [25] :
L’entrée se fait sur dossier, avec une sélection drastique (dixit le site, mais pas de chiffres).

En 2005-2006, l’inscription aux cours est de 34,780.00$ (27.100€) et le coût des études est estimé à 47,920.00$ (37.350€).

- Graduate [26] :
Une centaine de personnes sont invitées aux entretiens à New York .

Durant la première année, les étudiants abordent les principes esthétiques et techniques du cinéma. En plus des ces cours, il doivent écrire et réaliser deux courts-métrages, et participer à tous les films des autres étudiants, en occupant tous les postes disponibles.
Pour la seconde année, en plus d’un approfondissement des connaissances, ils doivent produire un court-métrage amorçant leur film de thèse et démarrer l’écriture d’un scénario de long-métrage.
La troisième année vise à terminer ces travaux (même si l’écriture pourra se terminer après la 3e année avec le concours de l’université).

Les frais de scolarité reviennent à 17,390$ (13.550€).
A cela il convient d’ajouter les frais annexes : de 3,000 à 5,000$ (2.350 à 3.900€) en 1e année, de 6,000 à 12,000$ (4.700 à 9.350€) en 2e année, 15,000$ et plus en 3e année.

* Skirball Center for New Media : Cinema Studies
Approche essentiellement théorique du cinéma, axée sur l’histoire, la critique et l’esthétique.

- The School of Television-Cinema (Los Angeles)

Dépendant de la University of South California (USC). Plus important programme des USA avec NYU. Fondée en 1929, elle est la doyenne des écoles de cinéma des Etats-Unis. La liste des grands noms qui ont fréquenté les lieux est impressionnante : John Carpenter, Ron Howard, James Richard Kelly [27] , George Lucas, John Milius [28] , Dan O’Bannon [29] , David Samuel Peckinpah, Brian Singer, Steven Spielberg, Robert Zemeckis, etc...

Plusieurs diplômes sont accessibles à chaque niveau d’études.

- Bachelor of Arts - Cinema Television. Les étudiants peuvent choisir entre deux sections : Film and Television Production ou Critical Studies.
- Bachelor of Fine Arts - Writing for Screen and Television (26 places)

- Master of Arts, Cinema-Television. Accessible à partir des Critical Studies.
- Master of Fine Arts, Cinema-Television (32 places). Accessible à partir du BA Production et du BFA Writing
- Master of Fine Arts, Motion Picture Producing.
- Doctor of Philosophy, Cinema-Television. Accessible à partir des Critical Studies.
- Writing in Screen and Television Certificate. Etudes d’une année, destinées aux écrivains reconnus dans leurs pays souhaitant apprendre les règles de l’écrire cinématographique.

Coûts d’inscription (rentrée 2005) :
- Undergraduate Students : 15,729.00$ (12.270€) (unit basis : 1,059.00$ (826€) - 12-18 units)
- Graduate Students : 15,729.00$ (12.270€) (unit basis : 1,059.00$ (826€) - 12-18 units)

A cela, il faudra ajouter tous les coûts annexes. [30]

Quand on regarde même rapidement, on s’aperçoit qu’il est aussi difficile d’intégrer ces formations que les grandes écoles chez nous (FEMIS, ENSLL). L’enseignement semble intéressant mais les inscriptions sont très sélectives.
Et surtout, le coût des études est très très élevé (voire exorbitant), bien supérieur aux écoles privées chez nous dont le prix, pour rappel, tourne autour de 6.500€ par an.
Il convient donc d’y réfléchir à deux fois avant de prendre l’avion.

Il est aussi à mon avis illusoire de croire que « en France, c’est vraiment trop nul, je vais aller aux Etats-Unis, là-bas ils font des choses intéressantes ». J’ai également souvent entendu que « en France, l’avenir est bouché, j’aurais plus ma chance là-bas ». Car à regarder par-dessus la clôture, c’est toujours mieux chez le voisin.
Mais ce n’est pas parce que les américains font de bonnes séries et produisent en masse que ce sera plus facile. L’Eldorado ou le Rêve Américain sont toujours dans les esprits.

Il faut savoir que aux USA, on ne fait pas de l’art mais du commerce. Ce n’est pas péjoratif, c’est une réalité. L’entertainment (l’industrie du divertissement, et le cinéma en premier lieu) est le 2e secteur d’exportation des USA après l’armement ; on produit pour vendre et faire des bénéfices.
L’industrie du cinéma porte bien son nom : on produit des films à la chaîne, comme dans une usine. Le but étant d’envahir le marché et faire le plus de profit possible. Si économiquement cela se tient, qualitativement, c’est une arme à double tranchant. Car dans cette masse, on trouve des produits très bons et des produits très mauvais. On arrive à une certaine qualité par le nombre. Le terme d’usine à fictions que l’on peut accoler à Hollywood décrit bien la chose. Les personnes qui y travaillent sont des employés et non des artistes ou des auteurs. On peut en trouver, certes. Mais la production est toute puissante et décide de tout (même de laisser faire son réalisateur comme il l’entend, ça arrive).
Prenons l’exemple des professions phares pour faire tomber quelques idées reçues :
- le scénariste de cinéma n’est pas un auteur. Il va être à l’origine d’un projet parce qu’il a soumis un scénario intéressant ou parce qu’on lui en a commandé un (parfois, le premier scénariste est également un producteur). Mais son travail sera soumis à de nombreuses relectures et réécritures par d’autres scénaristes, à toutes les étapes du film, et sans qu’il ait forcément son mot à dire [31] (cela peut varier). Il n’est pas propriétaire de son scénario. A la télévision, il faut travailler vite (et éventuellement bien). C’est pour cela que les scénaristes travaillent en groupe, même si l’un d’eux reste crédité comme l’auteur du scénario. L’histoire n’est pas le fruit de l’imagination d’une seule et unique personne, mais d’une réflexion de groupe. De plus, et c’est sans doutes l’élément le plus important, les délais sont extrêmement serrés et le travail sur une série se fait quasiment 24h/24 [32] .

- Le réalisateur de télévision est un ouvrier, qui met en œuvre un scénario le plus rapidement possible. Les gens de la profession considèrent même qu’à la télé, le poste de réa est le poste le moins intéressant, artistiquement parlant (il y a d’autres avantages). Au cinéma, même si la liberté est plus grande, il ne faut surtout pas croire que le réalisateur met son nez partout. Là encore, deux exemple rapides et diamétralement opposés : Sofia Coppola et Michael Bay. Coppola [33] ne s’occupe que de la direction d’acteurs ; tout le reste de la mise en scène est géré par la scripte (oui, oui, vous avez bien lu) qui a également fait le découpage technique du film. Les plans sont bien trouvés, les couleurs aussi ? Tant mieux, ce n’est pas de son ressort. Michael Bay [34] est lui un réalisateur hollywoodien : on l’appelle, on lui confie un scénario à mettre en image ; et ça s’arrête là. Il travaille pour la production. Dire que les films de Bay n’ont pas de scénario, sont caricaturaux, sont montés de façon épileptique, surfent sur des courants moralistes, etc... c’est raisonner en bon Français, avec cette perspective d’auteur. Et donc se fourvoyer complètement. Pour les quelques incrédules, je les invite à lire les déclarations de Kassovitz après son travail sur Gothika (pour résumer : scénario, découpage et casting prêts avant son arrivée aux USA ; renvoyé chez lui au moment de la post-production).
Mais attention, je le répète encore une fois : tout ce que je dis là ne vise pas à rabaisser d’une quelconque manière le cinéma américain, mais à exposer une réalité (qui est une réalité économique). Penser que tout ce qui est dit ici même sur Hollywood est péjoratif, revient à suivre une logique purement française, qui ne correspond pas à une norme ou à un idéal de ce que devrait être le cinéma.

L’autre aspect intéressant dans le système américain est la syndication. Les personnes d’un même métier sont regroupés et sont donc plus fortes, contrairement à la France où chacun est un peu isolé au milieu des autres. Le meilleur exemple est cette fameuse grève des scénaristes qui paralysa totalement Hollywood il y a quelques années. Une telle chose est actuellement inimaginable en France.
Il faut aussi prendre en compte le système d’agents. Ils règlent les problèmes financiers et négocient les salaires, trouvent du travail, défendent leurs clients... Leur position dans le métier est très importante car elle décharge les « artistiques » de la partie matérialiste du métier. Mais ce ne sont pas des philanthropes. Leurs revenus étant basés sur celui des personnes qu’ils représentent, si l’une d’elle accumule les mauvais points, elle est débarquée sans ménagement. C’est une arme à double tranchant.
Et là plus encore qu’ailleurs, notre système de formation est complètement en décalage avec les pratiques nord-américaines. Le fossé est immense, car la philosophie différente.

Mais oui, il est vrai quand même que leur fictions semblent meilleures que les nôtres (je dis bien « semblent » car nous n’avons droit qu’à leurs programmes premiums, ceux qu’ils exportent). Et que ça fait plus envie de bosser sur « The Shield » que sur « Julie Lescaut ».
Seulement, est-ce que toutes les personnes qui souhaitent s’expatrier ou qui regardent avec envie vers l’Ouest, est-ce que ces personnes arriveraient à se fondre dans le moule, dans cette usine qu’est Hollywood ? Est-ce qu’elles seraient prête à travailler sur une histoire qui n’est pas la leur, en compagnie de plusieurs autres personnes qui apposent également leur patte et leur nom ? (et encore, pour ce dernier, ce n’est pas toujours le cas) Est-ce qu’elles seraient prêtes à enchaîner les horaires monstrueux nécessaires à ce genre de travail ? Est-ce qu’elles seraient prêtes à être un simple employé qui exécute une commande ?
Honnêtement, je ne suis pas sûr. Ou du moins pour beaucoup, je ne pense pas que cela soit le cas.
La faute en partie à un système qui place l’auteur sur un piédestal en délaissant tout le reste et qui, mine de rien, habite l’esprit de tout un chacun, qu’il soit passionné par le cinéma ou simple spectateur.

CONCLUSION

Vu comme ça, le tableau semble noir. Très noir. Limite pas crédible.
Je suis même persuadé que certains doutent de la réalité de tout cela, pensent que je cherche à dépeindre la chose sous son plus mauvais jour. Je ne peux malheureusement pas les blâmer car il y a beaucoup d’aspects de l’audiovisuel qui sont complètement en marge du fonctionnement du reste des autres filières.

Je n’ai également pas évoqué tous les métiers spécialisés qui possèdent leurs propres écoles : maquillage, décors, cascades, effets spéciaux, etc... pour me concentrer sur des formations de base ou des métiers plus « emblématiques ».

L’audiovisuel est un milieu assez difficile en partie parce que la formation ne se fait pas comme ailleurs. Il n’y a pas des écoles qui forment des gens pour divers métiers, qui sont ensuite recrutés par des sociétés. Et si en fin d’études, les accès sont un peu bouchés dans tous les secteurs (beaucoup de demandes, peu d’offres), la formation audiovisuelle semble elle se faire en parallèle de la réalité professionnelle. Car pour réussir, il faut avoir un pied en études et un pied dans le milieu, tout en ayant à l’esprit que ce que l’on peut tirer du milieu vaudra toujours plus que ce que l’on aura appris en étudiant. Les diplômes, tout le monde s’en fout ; seules les connaissances et la capacité à s’intégrer dans un groupe priment.
Et comment penser autrement quand on voit la pauvreté ou la rareté (car quelques bons établissements existent) de la formation qui est proposée ?

En guise de conclusion de la conclusion, je vais faire une petite ouverture.
En effet, je pense que le fait d’avoir un système de formation aussi peu au point renforce la prédominance de Hollywood, qui dicte actuellement sa loi sur le marché mondial.
Le cinéma français, qui pourrait et devrait se poser en concurrent du cinéma américain, s’englue dans son propre système sans jamais se remettre en question. Car la production est là : environ 200 films par an sortent de nos « usines ».
Il laisse ainsi le champ libre à Hollywood, qui n’attend pour ainsi dire que cela, lui qui cherche encore et toujours à faire tomber le veto de la sacro-sainte exception culturelle française, qui le nargue depuis tant d’années.

Merci à Darklord pour son suivi et son aide
tout au long de la rédaction de cet article.

Post Scriptum

PS : Si vous possédez des informations sur l’un des thèmes abordé ou sur l’un des établissements dont il est question, n’hésitez pas à nous en faire part.
Pour toute remarque au sujet de l’article ou question complémentaire, rendez-vous sur le forum.

Dernière mise à jour
le 17 février 2011 à 00h47

Notes

[1Comme on peut le voir dans l’article de Sullivan, Fiction française : La faillite des créatifs

[2A signaler également que le film n’est pas vraiment si novateur que ça, puisqu’il est très fortement inspiré de « La Cage aux Rossignols » de Jean Dréville (1945), qui connu également un certain succès à l’époque

[3Le terme peut prêter à sourire mais comment appeler une sphère professionnelle dans laquelle on ne réussit qu’en connaissant quelqu’un qui va vous conseiller auprès de quelqu’un d’autre et va se porter garant pour vous. Une fois entré dans le cercle, il faut essayer de se rapprocher du centre, là où se prennent les décisions. Tout en essayant de ne pas se faire expulser.

[4Certes Orson Welles ne connaissait absolument rien quand il a réalisé Citizen Kane - on raconte même qu’il s’était trompé de trou lorsqu’il avait voulu jeter un œil dans le viseur de la caméra. Mais de là à prendre ce genre de choses pour argent comptant...

[5L’école Vaugirard Louis Lumière : fondée en 1926. Historique complet disponible ici.

[6IDHEC : fondée en 1943, devenue FEMIS en 1985.

[7Etant, malheureusement pour vous, un Parisien, je connais principalement les établissements d’Île-de-France. Je m’excuse donc par avance auprès des autres si je traite assez peu des établissements de province. J’invite ceux qui le désirent à apporter des compléments d’information à ce sujet.

[8cf. l’exemple du « générique » de fin de Apocalypse Now où certains se sont évertués à chercher des significations à quelque chose qui n’en avait pas forcément. En effet, les images que l’on peut voir dans certaines versions sont en fait la destruction des décors du film, les autorités locales ayant demandé à Coppola de rendre le terrain dans l’état où il l’avait trouvé.
De plus, le film possède plusieurs versions, seule l’une d’elle proposant le générique en surimpression de l’explosion du camp de Kurtz. Et le simple fait que Coppola ait proposé 3 versions dans la même année (1979) montre qu’il hésitait lui-même au sens à donner à son film ; point sur lequel des analystes n’ont pas hésité à statuer à sa place.

[10Le mondialement célèbre documentariste français s’est tué sur une route du Niger le 18 février 2004.

[11Michael Mann est souvent scénariste, réalisateur et producteur de ses films (un véritable auteur en somme) ; il lui arrive parfois même d’être opérateur. Si cette façon de s’impliquer à fond dans ses projets et de tout contrôler dans les moindres détails force le respect des autres personnes de la profession, il est aussi parfois difficile à supporter.
Filmographie sélective : Miami Vice - Deux Flics à Miami (la série), Manhunter, Le Dernier des Mohicans, Heat, Collateral, Miami Vice (le film).

[12NdA : vous pouvez, au sein de ce paragraphe, aisément remplacer le réalisateur de cinéma par le réalisateur de téléfilm, et le producteur délégué du studio par un producteur délégué de la chaîne. Vous obtiendrez sensiblement la même chose

[13Méprisés par les gens du métiers (l’image du professionnel raté leur colle à la peau), les critiques cinématographiques ont une activité assez particulière. En effet, certaines études montrent qu’environ 80% des spectateurs ne font absolument pas attention aux critiques au moment d’aller voir un film.

[16Se reporter au paragraphe II.1.c pour les explications

[17Ce qui ne signifie pas que le travail sera forcément très passionnant, créatif ou valorisant. Mais décrocher un poste de scénariste sur « Plus Belle la Vie », ça permet de payer le loyer et de voir venir.

[18Tarifs généraux à consulter ici.

[21Fargo (1996), The Big Lebowski (1998)...

[22Dead Man (réalisateur, 1995), Ghost Dog (réalisateur, 1999), Broken Flowers (réalisateur, 2005)...

[23Tigre et Dragon (2000), Brokeback Mountain (2005)...

[24La 25e Heure (2002), Inside Man (2006)...

[25Programme des cours (undergraduate) à lire ici.

[26Programme des cours (graduate) à lire ici.

[27Donnie Darko (réalisateur, 2001), Domino (scénariste, 2004), Southland Tales (réalisateur, 2006)

[28Apocalypse Now (scénariste, 1979), Conan le Barbare (scénariste et réalisateur, 1982), Miami vice (scénariste, 1984), Rome (scénariste, 2005)...

[29Scénariste : Alien (1979), Le retour des morts-vivants (1985), Total Recall (1990)...

[30Toutes les informations concernant le cursus sont disponibles en PDF à cette adresse.

[31A ce titre, je conseille le document bonus qui accompagne le film Gladiator de Ridley Scott, où toutes les étapes de l’écriture sont extrêmement détaillées.

[32Cf. les déclarations de Franck Spotnitz, qui expliquait que le seul moment où il pouvait vraiment être au calme pour écrire était entre 4h et 6h du matin. Avant, il dort ; après, il part travailler au studio.

[33Suicides (1999), Lost in translation (2003), Marie-Antoinette (2006)

[34Bad Boys 1 (1995) et 2 (2003), The Rock (1996), Armageddon (1998), Pearl Harbor (2001), The Island (2005) et bientôt Transformers (2007)