LE QUINZO — 2.17 : Où l’on parle de choses qui durent
Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village
Par Sullivan Le Postec & Dominique Montay • 30 mai 2011
Le Quinzo, saison 2, épisode 17. Cette semaine, les garçons de la rédaction du Village distribuent des baffes et des bisous. Les baffes, c’est pour M6, mais aussi pour des médias bien indulgent envers la com’ des chaînes. Les bisous c’est pour « Spaced » qu’on aime toujours autant malgré ses dix ans.

Ça va durer encore longtemps ?

Par Sullivan Le Postec.

Il y a quelques jours, le site PureMédias (ex-Ozap) a mis en ligne un article au titre sans équivoque : ‘‘Pékin Express, c’est trop long !’’. Une prise de position claire, à l’heure où les primes de ce programme de télé-réalité se terminent après 23h30, comme c’est le cas aussi de ceux de « X Factor » en ce moment, ou de « Top Chef » il y a quelques semaines. Trois heures pour une émission de prime-time, M6 applique grosso-modo la même recette aux fictions, en empilant les épisodes jusqu’au risque de provoquer une certaine détresse mentale chez ses otages — pardon, ses téléspectateurs.

Ce que cela a d’intéressant, c’est que PureMédias est un site de news, du genre à répercuter sans aucun commentaire les hallucinations d’un Nicolas de Tavernost qui annonce qu’il va lancer trois nouvelles chaînes sur la TNT, chacune dotée de centaines de millions d’euros de budget. Ce n’est pas tous les jours que le site avance de manière claire une opinion.
Avant son dernier rachat et son dernier changement de nom, le site qui s’appelait alors Ozap était d’ailleurs la propriété du groupe M6, ce qui illustre la consanguinité et le règne du conflit d’intérêt qui parcourt tout ce secteur et qui participe à expliquer que de Tavernost puisse raconter des balivernes à longueur d’interviews sans jamais être contredit.

Si la question du caractère interminable des prime-time de M6 trouve aujourd’hui un début d’écho médiatique, cela ne tient, à mon avis, pas du hasard. De fait, à l’heure où la télévision redevient une expérience collective, via les réseaux sociaux, et Twitter en particulier [1], la question de cette durée excessive est remontée de manière de plus en plus régulière au fil de ces derniers mois.

Et, de plus en plus souvent, elle a pris la forme d’un définitif ‘‘j’ai arrêté de regarder’’.

Cette impression se retrouve dans les audiences de la chaîne : M6 passe un mois de mai très difficile, passant sous les 10% de part de marché, ce qui permet à une chaîne comme France 3, pourtant en état de mort cérébrale depuis des mois, de lui repasser légèrement devant. C’est bien l’échec de « X Factor » et de « Pékin Express » qui sont à l’origine de décrochage des audiences de M6. « X Factor » est une nouveauté, mais « Pékin Express » est un concept éprouvé qui, jusqu’ici, rencontrait le succès.

Mais pourquoi M6 rallonge-t-elle ainsi artificiellement ses primes, quitte à meubler et faire perdre de la qualité aux émissions, d’ôter de la force aux concepts ?
Pour une question de perception médiatique de ses audiences. La part de marché communiquée d’une émission est sa part de marché moyenne au fil de sa durée. Or, en deuxième partie de soirée, bon nombre de petites chaînes passent en mode rediffusion, ce qui bénéficie aux chaînes historiques, qui réalisent donc beaucoup plus facilement d’excellentes parts de marché à 23 heures qu’à 21 heures. Prolonger une émission longtemps, c’est donc gonfler artificiellement sa pdm. Un objectif qui s’est retourné contre M6 maintenant que ses émissions sont devenues tellement longues molles et ennuyeuses que plus personne n’a envie de les regarder.

Je me félicite qu’M6 commence à se prendre les reproches publics qu’elle mérite. Mais je pense qu’il est déjà temps de passer à l’étape d’après. Pourquoi les médias acceptent-ils sur un plateau, sans recul critique, la communication des chaînes, et ces chiffres de part de marchés artificiels ?

Il serait sain, et surtout très profitable, que les médias s’en tiennent à communiquer des chiffres de part de marché heure par heure, plutôt que de comparer continuellement des pommes et des oranges en mettant à coté les unes des autres des émissions qui n’ont pas la même durée. Ainsi, on devrait voir cesser les pratiques débiles de meublage d’M6. Mais aussi, on pourrait enfin voir enfin se développer ce carrefour de 22h qui manque terriblement en France, et dont l’absence empêche la création de véritables cases rendez-vous en deuxième partie de soirée.

Parce que s’il est vrai que Nicolas de Tavernost nous prend pour des imbéciles, il est tout aussi vrai qu’il n’y parvient que parce qu’on le laisse faire.

14 épisodes et on en parle encore...

J’ai eu envie de reparler de « Spaced ». Pour ceux qui ne la connaissent pas, la série fut la première œuvre significative du duo créatif Simon Pegg (« Shaun of the Dead », « Hot Fuzz », « Paul »…) Edgar Wright (« Shaun of the Dead », « Hot Fuzz », « Scott Pilgrim »…). Cette série comique, en plus d’être éminemment drôle, est devenue au fil du temps un objet de culte ultime. Du moins en Grande-Bretagne.

Par Dominique Montay.

Ah… comme ça serait bien, une troisième saison de « Spaced ». Enfin, si quelqu’un trouve une machine à remonter le temps pour motiver Simon Pegg, Edgard Wright et Jessica Hynes. La série est un pur joyau, une œuvre de 14 épisodes presque parfaits, qui peut se targuer d’avoir réussi à parler de et pour une génération (celle qui a grandi dans les années 80) comme aucune.

Pour Edgard Wright, la série est frappée du syndrôme « Fawlty Towers », qui touche la plupart des séries comiques ultra-populaires. D’après Wright, les auteurs comiques à la tête de ces séries questionneraient leur habilité à continuer dans l’excellence pour une troisième saison. Sydrôme qui a frappé toutes les œuvres fictionnelles de Ricky Gervais, par exemple.

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Jessica Hynes et Simon Pegg
— Tu es sûr, pas de troisième saison ?
— Naaaaaaaaan....

Relancer « Spaced » serait aujourd’hui assez vain. Les acteurs ne sont plus des thirty-something, mais touchent du doigt la quarantaine (pour certains plus que pour d’autres). La tonalité des histoires seraient si différentes que la série s’en trouverait peut-être trahie. On peut les remercier de ne pas avoir tiré sur la corde pour épuiser le concept, mais on ne peut s’empêcher de se dire que, pour une telle série, se borner à 14 épisodes, c’est peu.

Merci mon pays, et merci l’Oncle Sam

Mais on peut aussi remercier les français et les américains. Les premiers, pour avoir retitré la série « Les Allumés ». Un coup de génie. Presque aussi formidable que « La Caravane de l’étrange » pour « Carnivale ». En même temps, pourquoi pas. Après tout, pour avoir vécu un moment de solitude chez Virgin lorsque j’avais demandé s’ils possédaient la série en import, pour me voir redirigé vers un coffret Star Wars, je comprend la nécessité de traduction. Mais quand même, « Les Allumés »… ça donne envie ? Et les seconds, nos amis les américains, qui se sont sentis obligés de faire un remake. Aussi réussi que celui de « The IT Crowd », vu que lui non plus ne sera jamais diffusé. Pour ceux qui ont envie de se faire très mal, il existe des vidéos circulant sur le net qui tendent à prouver que les executives responsables de cette horreur n’avaient rien compris au thème de l’original.

Je ne recommanderais jamais assez « Spaced ». La preuve, invité à un podcast récemment, lorsqu’on m’a demandé de conseiller une série brittish vue dernièrement, j’ai répondu « Spaced ». J’ai menti (je ne l’avais pas découverte dernièrement), mais pour la bonne cause. Pour moi, la série est une œuvre générationnelle, en plus d’être une excellente comédie, et est à ranger aux côté de séries comme « Freaks and Geeks ». Des œuvres-témoins d’une période, d’une époque.

« Spaced » a-t-il eu des enfants ? Oui, plein. Si on tire le fil, on peut dire que toutes les séries mettant en scène des geeks, des inadaptés sociaux qui baignent dans la pop-culture, sont liées, connectées à « Spaced ». Aujourd’hui, si une série doit assumer franchement la paternité, et tant pis si elle est américaine, c’est « Community ».

Je le dis maintenant, et je le redirais encore dans 10, 15, 20 ans… procurez vous des DVD par n’importe quel moyen (à choisir lequel, ne téléchargez pas illégalement, c’est mal. Préférez l’agression sur un possesseur des disques, voir le meurtre.) mais regardez « Spaced ».

Ce n’est pas une suggestion, c’est un ordre. Non mais...