Au cours du Festival Séries Mania 2015, j'ai pu m'entretenir longuement avec Marie Deshaires, Catherine Touzet (Scénaristes) et Charlotte Brändström (Réalisatrice). Elles m'ont offert une heure de discussion pour entrer dans les boyaux de la production de la série.
Ceci est la première partie de l'interview, la deuxième sera publiée après les épisodes du Mercredi 6 Mai 2015.
De gauche à droite : Marie Deshaires, Charlotte Brändström et Catherine Touzet
Disparue est l’adaptation de la série espagnole Patricia Marcos, la Disparue. Comment avez-vous procédé pour l'adaptation ?
Marie : On a regardé. A partir du moment où Iris Buchner a trouvé plusieurs point intéressants et acquis la série, la moindre des choses c’était de regarder et surtout, ça nous a permis, à nous, de détricoter et de faire un travail de re-tricotage pour faire un vrai travail d’adaptation. On a gardé ce que nous considérions comme les points forts, éliminé des points de faiblesse, abandonné des personnages peu explorés. On a retravaillé l’intrigue elle-même et réinventé les personnages.
Catherine : et inventer des nouveaux. On a replacé l’histoire dans la France d’aujourd’hui, dans la façon dont les policiers travaillent. On a refait le « film ». On l’a située à Lyon. Lorsque Charlotte a été en repérage, elle y a vu ce que l’on avait vu.
Quand on regarde un film ou une série ou lit un livre, en tant que scénariste, on pense qu’est-ce qu’on ferait nous.
Marie et Catherine : Le but de l’adaptation était de la remettre dans le contexte français, ce que l’on voulait dire sur la famille. On a pu parler de tout, la crise du couple, les problèmes d’adolescence.
C’est le même événement déclencheur que dans la série espagnole.
Catherine : on a gardé le même point de départ. Une jeune fille disparaît le soir de son anniversaire. Rien à avoir avec notre fête de la musique.
Marie : la fête de la Musique est un bon contexte, la nuit se prolonge, les gosses picolent, une situation qui peut s’assombrir vite avec les gens grimés.
On a choisi un paysage urbain volontairement alors que la série espagnole se déroule dans un petit village champêtre.
Comment s’est passé le travail en amont du tournage ?
Charlotte : On a fait une lecture ensemble. Moi, j’ai lu les textes que j’ai aimé. Quand on lit un (script de) film ou série, j’attends le déclic. J’attends le moment où j’ai envie de tourner la page, l’effort de terminer le scénario. Et là, j’avais envie de savoir comment ça se terminerait.
On a passé plusieurs jours ensemble à travailler sur les textes. On a parlé des séquences, des textes, j’ai fait des remarques.
Là, j’ai pu réaliser les 8 épisodes, j’ai pu chapeauter l’ensemble. Au fil du tournage, on voit là où il faut faire des changements et c’est pareil sur tous les tournages.
Catherine : ça, c’est un vrai travail de collaboration. On a pas besoin d’aller sur le tournage, on retravaille des scènes qui finalement ne fonctionnent pas. On doit savoir lire les rushs et voir ce que cela peut donner, ce qui n’est pas à la portée de tous et puis on avait confiance.
On a pas choisi Charlotte mais quand on nous a dit que c’était elle, on était aux anges.
Il y a toujours un désir des scénaristes d’aller sur le tournage pour y participer, est-ce que vous y êtes allées ?
Marie Deshaires : Non, ça ne s’est pas posé en ces termes. On y est allées avec Iris (Buchner), la productrice, pour le plaisir.
On s’est senties tout à fait bien accueillies. Cela étant, ni Catherine ni moi n’avons cherché à y aller. Le travail de création s’est poursuivi sur le plateau. On avait beaucoup discuté, parlé en amont avec Charlotte pendant la préparation. Donc on se sentait en confiance et c’était maintenant sa place de faire son travail. Cela peut être différent quand il y a un tiraillement avec le réalisateur. On croit se comprendre mais ce n’est pas le cas et on sent que cela tire l’écriture dans un sens autre, mais là, ça n’a jamais été le cas.
Charlotte a toujours été dans le fil de l’histoire et de la série.
Catherine Touzet : On avait travaillé avec Charlotte avant. Elle avait la même vision que nous, elle allait dans le sens de l’amélioration, des questions, des aménagements grâce à elle et avec elle, par rapport à des scènes, par rapport à des décors, par rapport à plein de choses. Ce n’est pas notre envie de réaliser, une fois qu’on a écrit, on a écrit.
Charlotte a réalisé les 8 épisodes, elle avait donc une vision globale. L’artistique était très bien préservé grâce au fait qu’elle a tourné les 8 toute seule.
Les comédiens aimaient le scénario, la réalisatrice aussi, on pensait la même chose, on n’avait plus à être là et puis en plus on avait pas à être là. Il y a forcément des choses qui ont été coupées, déplacées mais en fait, ça va toujours dans le sens de l’amélioration.
Marie Deshaires : il peut arriver de véritables déchirements entre un scénariste et le résultat final mais là on avait une correspondance totale et pérenne de la vision des choses qu’on avait.
Il est arrivé que Charlotte nous contacte pour nous dire la scène cloche ou il manque quelque chose, du coup avec le recul que l’on avait, on pouvait apporter des réponses. On a vraiment le sentiment qu’on a amélioré à chaque fois.
Catherine : c’était bien de nous pousser. Les scénaristes qui sont frustrés quand ils vont sur le tournage, chacun a sa vision, même un réalisateur qui va exactement tourner ce qu’il y a écrit, il y aura dix façons de tourner une scène.
Est-ce que vous avez écrit certains personnages en pensant à certain(e)s acteurs/trices ?
Catherine/ Marie : Non, pas du tout.
Marie : on s’est même presque forcées à ne pas y penser mais plutôt à penser à la réalité des personnages de fiction que l’on était en train de créer, pas en se projetant.
Catherine : On voyait la tête de nos personnages mais on n’imaginait pas qui allait les jouer.
Marie : en revanche, quand on a vu les acteurs dans les costumes, on a dit « ils sont là, c’est eux »
Charlotte : on a regardé les auditions ensemble, chacune de nous trois a donné son avis.
Vous n’avez pas eu peur de prendre Alix Poisson et le décalage avec Parents Mode d’Emploi ?
Catherine : Pas peur, car elle est juste dans les deux. Elle commence comme dans
Parents mode d’emploi. C’est la même dans les 2 dans les 10 premières minutes. Elle continue d’être une maman mais une maman à qui il va arriver un truc tragique.
Vous avez eu le temps de faire une séance de lecture avec les acteurs avant le tournage ?
Charlotte : oui mais Marie et Catherine n’étaient pas conviés. Les acteurs sont souvent gênés quand les scénaristes sont présents parce qu’ils n’osent pas faire des remarques de peur de froisser les scénaristes. J’ai remarqué que je perdais beaucoup de temps si les auteurs étaient présents parce qu’au moment du tournage, l’acteur dit « ah je voulais pas le dire comme ça, mais je n’ai pas osé le dire lors de la lecture, parce qu’il y avait les auteurs ».
Catherine : c’est un peu idiot parce que la preuve, on ne le prend pas mal.
Charlotte : j’ai rarement eu des auteurs aussi ouvertes que Catherine et Marie, c’est pas toujours comme ça. J’ai eu des auteurs qui viennent au montage, on avait écrit « elle ramasse le papier à cette scène, pourquoi elle ne le fait pas et je suis obligée de répondre parce que ça ne fonctionnait pas ».
J’ai pris l’habitude, à tort ou à raison, de rester seule avec mes acteurs. A l’étranger, ça dépend, c’est plus simple. En revanche, à l'étranger, on ressent plus la collaboration entre réalisateurs. J’ai fait une série où on était trois réalisateurs et on a fait des lectures ensemble et pendant le tournage, j’ai tourné des séquences d’autres épisodes et eux ont tourné des séquences de mes épisodes. Quand on avait un décor unique où on avait une seule séquence, c’était idiot que je me déplace et je demandais à l’autre réalisateur de me faire tel ou tel plan et cela se passait sans souci. Et ça, c’est pas possible en France, pas encore.
Je pense que je connais quelques réalisateurs français avec qui je pourrais faire ça mais il faudrait que je puisse les choisir.
Marie : ça m’est arrivée de voir une scène tournée à l’envers de ce que j’avais écrit.
Charlotte : il y a la collaboration, la complicité.
Marie : comme Charlotte avait une vraie envie, on partait déjà avec une bonne base. Idem pour les acteurs.
La suite au prochain numéro.....
Depuis l'interview, on a eu les premiers chiffres des audiences : excellentes au-delà des 5 millions. Les ayant recroisées au Festival, les trois femmes étaient bien évidemment très heureuses. On croise les doigts que ce soit la même chose ce soir.
Disparue est diffusée tous les mercredis soirs depuis le 22 avril 2015 sur France 2 à raison de deux épisodes par semaine.