LE QUINZO — 2.01 : C’est la rentrée !
Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village.
Par le Village • 4 octobre 2010
Au sommaire de ce retour du Quinzo, Dominique donne ses impressions sur la saison à venir, Sullivan évoque la fiction de haute qualité, et Emilie revient sur la dernière journée de la création TV.

C’était bien les vacances, quand même…

Par Dominique Montay.

Contrairement à l’impression que le site a donné, nous n’avons pas eu droit à des vacances scolaires de deux mois, mais on aurait bien aimé. C’est fou comme le soleil n’incite pas au travail. Il faudrait demander aux californiens ce qu’ils pensent de cette affirmation.

Le rédacteur du Village est-il pourtant totalement oisif en ces heures
estivales ? Etant donné que le cœur de son métier est de regarder des
séries, non. Pour ma part, j’ai ingurgité avec une certaine joie
l’intégrale de « The Thick of it », « Clara Sheller », « Queer as
folk
 » (critiques de la saison 1 et de la saison 2 disponibles), « Misfits » et « La Commanderie ». Sans oublier l’oubliable
« Hustle », une redécouverte de « Riget » (« L’hôpital et ses
fantômes
 »), et une découverte totale « The Killing » (mais là, je
suis loin d’avoir fini…).

Un programme bien agréable, qui, il y a de grandes chances, rythmera
le début de saison du Village, surtout de mon côté. Et ce début de
saison, me direz-vous ? Sullivan vous en a donné un avant-goût dans
ses articles preview. Ce qui me choque le plus, c’est de me
rendre compte qu’aucune annonce de Canal+ ne me fait envie.

Ni « XIII » et son changement d’acteur principal. Ni « Platane » et
son concept d’excellent sketche mais qui éveille quelques doutes sur
la longueur. Ni ce « Maison close » qui tapisse les 4 par 3 de mon
voisinage. Une série au concept bien casse-gueule et au processus
créatif qui ressemble plus à celui d’un long-métrage de cinéma qu’à
celui d’une série. En gros, quelqu’un arrive avec une idée, puis il
est remplacé par quelqu’un d’autres, puis quelqu’un d’autre, puis un
réalisateur arrive pour donner du sens au maelström. Un cheminement
qui tient la route pour les produits de salles obscures, mais pas du
tout pour ces usines à gaz de séries télés qui doivent leur cohérence
à une assise structurelle solide.

La tendance constatée la saison dernière chez la chaîne cryptée se
confirme douloureusement cette année. Pour avoir les faveurs de
Canal+, la saison prochaine, il faut déjà avoir tenu une caméra, pas
forcément un stylo. Mais on y reviendra très certainement aussi, même
si on aurait aimé éviter.

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Gilles Bannier derrière ses acteurs, dont Simon Abkarian, à droite
Photo ©France 2 – Lincoln TV – Thibault Grabherr

Par contre, je trépigne assez devant les photos des « Beaux mecs »…
alors non, visionner « Queer as folk » ne m’a pas changé. Mais il faut
dire que la série de la scénariste de l’excellente saison 2 d’« Engrenages » fait sérieusement envie, surtout depuis que je sais
d’où vient cette expression. Les « Beaux mecs », pour ceux qui lisent
peu le journal, ce sont les parrains de la mafia marseillaise. Et du
coup, imaginer Simon Abkarian en « Don »… vivement, quoi ! Et non, je
ne parlerais pas de « Signature ». Je ne dirais pas que ça a l’air
génial. Ni qu’Hadmar et Herpoux ont encore un casting 5 étoiles. Ni
que deux ans entre la saison 1 et 2 de « Pigalle » c’est trop long.

Non, je ne le dirais pas.

La meilleure série que personne ne regarde

Par Sullivan Le Postec.

232 400 téléspectateurs la première semaine, le même chiffre la suivante, et 174 300 la troisième, tout cela donnant respectivement 1,4 puis 1,3 et 1,1% de part de marché. Ces scores d’audience sont-ils ceux d’un documentaire sur la politique intérieure du Kirghizistan programmé à 1h du matin sur Arte ? Que nenni : ce sont ceux de « Mad Men », saison 3, diffusée ces dernières semaines sur Canal+.

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Mad Men

La série est programmée le jeudi à 22h15, juste après la dernière saison de « 24 Heures Chrono ». On pourra questionner le choix de proposer cette série ambitieuse et posée après le monstre bourrin et débilissime qu’est devenu « 24 » depuis plusieurs années, mais ce n’est pas comme si on ne savait pas déjà que les programmateurs français sont les plus incompétents de la planète – et probablement de la galaxie.
Reste que, dès le premier soir de diffusion, plus d’un millions de téléspectateurs sont partis en courant dès le générique de fin de « 24 » et n’ont pas posé un œil sur « Mad Men », quand bien même la série est, en France comme aux Etats-Unis, particulièrement bien servie par la presse, qui en parle partout et tout le temps, en terme très élogieux, quand bien même personne ne la regarde. Evoquer la soirée Mad Men, où Canal avait largement convié à l’occasion du lancement de la diffusion, était même un must sur le très journalistico-centré réseau Twitter.

Alors quoi ? Alors, la clef du paragraphe précédent est peut-être passé inaperçu à vos yeux. Il s’agissait de « comme aux Etats-Unis ». Là-bas aussi, en effet, « Mad Men » est une série que personne ne regarde. En moyenne 2 millions de téléspectateurs par épisode depuis le début de la série. Sur les 310 millions d’habitants que compte le pays, c’est peu : Canal+ n’aurait besoin que de doubler son audience actuelle pour atteindre le même ratio.

Voilà qui nourrit une critique que Le Village adresse de façon récurrente à la fiction Canal : ne pas très bien savoir ce qu’elle veut être, entre fiction de haute qualité et fiction grand public. D’un côté, jouer le rôle d’un moteur exigeant, de l’autre faire la même chose qu’ailleurs (ou en tout cas que ce qu’on devrait faire ailleurs, avec juste un peu de violence et de seins dénudés en plus). Nous avions pointé la nécessité d’un espace avant-gardiste pour la fiction française dans nos dossiers sur « Reporters ». Une série ambitieuse et extrêmement riche, aux audiences jugées trop faibles pour que Canal+ continue à la soutenir. Même si elle était regardée par 4 à 5 fois plus de gens que « Mad Men ».

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Reporters

Il y a ainsi des fictions de niches, qui n’affoleront jamais les compteurs d’audience, mais qui sont indispensables à la bonne santé de la fiction télévisuelle, parce qu’elle sont des laboratoires, des espaces de liberté créative nécessaires pour préparer les succès de demain et pour faire éclore des talents.

Aux Etats-Unis, on l’a compris. C’est pour cela que « The Wire » dura cinq saisons ; c’est pour cela que « Mad Men » continua après une première saison qui n’avait rassemblé, en moyenne, qu’un chiffre minuscule de 915 000 téléspectateurs. Parce qu’en dépit de ces audiences, la qualité de la série a permis à la chaîne AMC, jusque-là inconnue de tous, de se faire un nom en même temps qu’elle se forgeait une image : depuis trois ans, ses deux séries « Mad Men » et « Breaking Bad » trustent les nominations et les prix aux Emmy. Avec un résultat du côté de l’audience : le premier épisode de la saison 4 de « Mad Men » a établi le record historique pour la chaîne de 2,9 millions de téléspectateurs. Pas de quoi en faire le sujet autour de la machine à café, à part peut-être dans les bureaux des sociétés de production à Hollywood. Mais assez pour montrer que la qualité et la persévérance, ça paie.

En France, il n’y a personne pour jouer ce rôle de défricheur, pour assumer cette exigence. Au-delà de Canal+, la fiction d’Arte s’est contentée pendant deux décennies de singer le cinéma d’auteur français, et s’est finalement ouverte à la série via un remake d’une série québécoise : pas exactement le signe d’une gigantesque ambition créative. Les chaînes Orange bénéficiaient de savoir à l’avance qu’elles ne seraient regardées par personne, et des millions de bénéfices dont ne sait que faire l’opérateur télécom. Pourtant, elles préférèrent les dépenser sans compter pour s’acheter du foot ou des catalogues étrangers, mais ne s’intéressèrent jamais à la création.

Cela fait partie des raisons pour lesquelles la télévision française, quand bien même elle parvient depuis quelques années maintenant à aligner quelques bonnes séries, ne produit aucun chef d’œuvre qui pourrait l’installer définitivement aux yeux des médias et, au final, du grand-public. Et mon intuition me dit que l’actuel inconfortable entre-deux risque fort de durer encore longtemps...

Pour ceux qui ne connaîtraient rien à « Mad Men », je vous renvoie au bilan de la première saison rédigé par Dominique pour nos collègues et amis de pErDUSA.

La Journée de la Création TV 2010

Par Emilie Flament.

Avant d’attaquer les épisodes inédits de nos séries préférées ou de découvrir les nouveautés de la saison, je vous propose un petit retour en arrière... En effet, le 28 juin dernier avait lieu la Journée de la Création TV organisée par l’Association pour la Promotion de l’Audiovisuel [1] . Voyons ensemble ce que les professionnels du secteur dressaient comme bilan à la fin de la saison dernière.

Commençons par quelques chiffres avec le Baromètre de la Création TV :

  • « Près de la moitié des téléspectateurs de la fiction française a plus de 60 ans, tandis que les 15-34 ans ne représente que 11% du public » [2].
    Notre fiction vieillit ! Et pire... elle n’attire pas les jeunes ! Remarquez, vous en étiez surement vous-même arrivés aux mêmes conclusions en discutant avec vos amis... petite mise en situation :

    « J’adore la nouvelle série sur France 3, La Commanderie, tu l’as vue ?
    — Non mais franchement tu crois que je regarde des séries françaises sur France 3 le samedi soir ? Pourquoi pas Louis La Brocante tant que tu y es ?! »
    Pour les non initiés, notre fiction a uniquement le visage d’un Navarro ou d’une Joséphine, et ça n’intéresse pas un public jeune et sélectif, élevé aux séries américaines de qualité.

  • « Les jeunes préfèrent les séries » [3].
    Pourtant, nous continuons de produire autant de téléfilms que de séries... C’est moi où l’on s’acharne à éloigner les jeunes de nos productions nationales ?
  • Passons aux efforts fournis par les chaînes pour financer la fiction :
    « L’année 2009 connaît un net décrochage des investissements en fiction » [4].
    Même si les investissements de Canal + et de M6 augmentent légèrement, les budgets des plus gros investisseurs (TF1, France 2 & France 3) reculent. Quant à la TNT, elle stagne de manière insignifiante (0,4 % des investissements totaux). En parlant de la TNT, précisons que, malgré leur quasi absence dans le process de financement, ces chaînes gagnent des parts d’audience significatives (15%).
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    Quelles conclusions la profession tire-t-elle de ces chiffres et des débats qui ont animés la journée ?
    Dans son discours de clôture [5] , M. Michel Boyon, président du CSA, souligne quelques points intéressants. Je retiendrai 2 citations de son discours :

    « C’est le paradoxe de la fiction dans notre pays : elle est un genre assurément bien protégé par des obligations diverses mais subit une réelle fragilité quant à son financement et à son exposition ».
    « Les facteurs d’amélioration sont connus : nous devons collectivement faire l’effort de changer nos habitudes, d’être plus audacieux, plus innovants, en adéquation avec les attentes du public et avec l’évolution de l’audiovisuel numérique ».

    La fiction française a de nombreux obstacles à dépasser : son organisation, la définition du rôle de chacun de ses acteurs (scénaristes, producteurs, diffuseurs), l’arrivée des nouvelles technologies, le gap entre son état actuel et les attentes du public. Mais les clefs de son renouvellements sont connues, reste à ce que la profession les mette en application...

    On se retrouve en fin d’année pour évaluer les progrès ?