LE QUINZO — 3.06 : Pas de vacheries entre nous
Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village
Par le Village • 28 novembre 2011
Le Quinzo, saison 3, épisode 6. Dominique considère que le téléchargement des séries est un symptôme des changements de la télévision. Émilie salive d’avance sur le bon Noël qu’elle va passer grâce à la BBC. Quant à Sullivan, il file la métaphore ferroviaire jusqu’à la vacherie...

La France, les séries et le train

Par Sullivan Le Postec.

Vu de France, le combat de la fiction télé peut facilement sembler perdu d’avance. La série américaine serait un rouleau compresseur surpuissant et contre lequel il ne serait pas possible de faire grand-chose. Rien n’est plus faux. En réalité, la fiction télé américaine est plus faible aujourd’hui qu’elle ne l’a jamais été, au moins depuis les années 70. Mais la France laisse filer le train du renouveau.

Cette intuition, le dernier rapport Scripted Series Report, qui analyse la saison 2010/2011 à travers le monde le confirme [1]. Cette saison a vu l’expansion des productions américaines ralentir dans les palmarès des séries les plus performantes : « 13% des meilleures séries [en terme d’audience, NDLR] sont américaines en 2010 - 2011 contre 19% en 2009 - 2010 ».
Mieux : « au Royaume-Uni, en Turquie et Italie, les classements des 15 meilleures séries comptent exclusivement des fictions locales. Les jeunes Italiens, âgés de 15 à 34 ans, qui avaient encore l’année dernière 4 séries américaines dans leur top 15, n’en ont plus qu’une cette année, les 14 autres étant des productions nationales. Au Québec ou en Espagne, les séries locales représentent quant à elles 60% à 80% des tops 15 ».

Il n’y a donc pas de rouleau compresseur américain, il y a un particularisme français. Et pendant que les fictions nationales regagnent du terrain partout ailleurs, ce particularisme se creuse. La France a une fenêtre d’opportunité pour réimposer sa fiction nationale. Elle a, pour l’heure, choisit de regarder passer le train sans tenter de monter à bord. Le seul pays au monde à se trouver dans la même situation est le Canada anglophone [2].

On a déjà posé par écrit ce diagnostic il y a près de 18 mois : la série américaine, très perturbée par la déstabilisation de son modèle économique avec la fin progressive de la télé traditionnelle, est en train de suivre, quinze ans après, le chemin du cinéma US. Sur les Networks, les blockbusters : des séries de plus en plus dépendantes de formules établies, de plus en plus dirigées par le marketing et non pas la créativité, de plus en plus superficielles pour ne pas dire idiotes. Sur le câble, des séries de niche, à la qualité très élevée, mais dans lesquelles les élites parlent aux élites en se regardant le nombril ; c’est beau, c’est chic, mais c’est condamné à faire 300.000 téléspectateurs sur Canal+ à 23h ou pire, 50.000 sur Orange.

La série du milieu, exigeante mais populaire, de qualité mais accessible, tend à disparaître. Ce qui a fait la force de la série américaine pendant des décennies, et qui a atteint la maturité dans les années 80 avec la Quality TV, cette grande tradition qui va de « Hill Street Blues » jusqu’à « The West Wing » en passant par « The X-Files », « Urgences » et « Ally McBeal » est en train de s’éteindre.
Quelques rares séries du câble tentent de rester ouvertes à un autre public que le CSP hyper+. Une poignée de séries de Network tentent de garder la flamme allumée, mais peinent à survivre : normal puisqu’elles sont des intrus dans des grilles de programme de plus en plus abêtissantes, et que leur public cible s’est détourné des grandes chaînes.
C’est pour cette même raison que l’excellente « The Good Wife » ne trouvera jamais son public sur M6 : elle n’est pas en cohérence. Quel téléspectateur sain d’esprit enchainerait « Belle Toute Nue », « 100% Mag » et « The Good Wife » ?

En fait, l’agonie des Networks américains est une histoire morale. Chercher à se bâtir autour du plus petit dénominateur commun, ou du plus petit Q.I., a un prix : la disparition. J’ai déjà dit que je suis de plus en plus convaincu que la morale sera la même en France : nos principales chaînes sont des mortes en sursis, qui se raccrochent à peine au fil de l’hyper-régulation du PAF, qui dissuade (pour l’instant) les multinationales de médias de vraiment prendre pied en France.

Ailleurs, certains ont compris que cette faille américaine ne demandait qu’à être comblée. La Grande-Bretagne s’est incroyablement bien saisie de cette opportunité : c’est « Skins », « Sherlock », « Dowton Abbey ». Le succès a été au rendez-vous selon le Scripted Series Report : « les séries anglaises s’exportent de plus en plus. Ainsi, la nouvelle fiction historique anglaise « Downton Abbey » est la 2ème série la plus regardée en Australie, 3ème en Suède et 11ème en Espagne. Autre exemple, « Midsomer Murders » continue à s’exporter hors des frontières anglaises. C’est la série la plus regardée en Suède et elle occupe le 4ème rang du palmarès des séries en Australie ». Les pays d’Europe du Nord ne sont pas en reste et s’imposent aujourd’hui même s’ils ont pris le train en marche : regarder « Borgen » ou « The Killing » file un sacrée impression de retrouver les grandes heures de NBC, quand cette marque imposait le respect. On murmure désormais dans les forums du Village que la Hollande serait the next place to be avec des programmes comme « Penoza » et « Overspel ».

Ces exemples montrent aussi qu’il n’y a pas de fatalité, qu’une reprise de pouvoir est possible. A chaque fois, la méthode est la même : miser sur les créatifs, donner du pouvoir artistique aux scénaristes, faire un tir groupé de projets plutôt que de lancer une série originale tout seule une fois tous les trois ans. Mais la France... Ah, la France ! Elle aime tellement l’admirer pendant qu’il passe, ce train !

Faut-il en déduire que notre place, dans l’échiquier de la fiction télé mondiale, c’est celle du veau du passage à niveau ?

It’s beginning to look a lot like Christmas !

Par Emilie Flament.

Au Village aussi, c’est bientôt les fêtes de fin d’année ! Une fois de plus le Père Noël a bien reçu notre lettre et nous amènera un épisode spécial de « Doctor Who ». Et comme chez nous, le vieux bonhomme rouge s’appelle BBC, notre calendrier de l’avent ressemble à leur grille de programmes de décembre. Petit aperçu de ce qui nous attend...

Trouvant parfaitement sa place à la fois dans les programmes du bicentenaire de Charles Dickens et dans les programmes de Noël, la nouvelle adaptation de « Great Expectations / Les Grandes Espérances » devrait réjouir les amoureux des classiques britanniques (comme moi !). Le casting est composé notamment de Ray Winstone, Gillian Anderson, David Suchet et Douglas Booth. A part ces quelques informations, très peu d’éléments ont filtré jusqu’ici, aucune bande annonce, juste quelques photos, prometteuses (Gillian Anderson y est méconnaissable en Miss Havisham). Une autre adaptation du même roman, au cinéma cette fois, est prévue pour quelques mois plus tard avec Mike Newell à la réalisation et Helena Bonham Carter et Ralph Fiennes au casting. Espérons que la version BBC réussisse à marquer suffisamment les esprits pour ne pas être occultée par cette sortie.

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Pour rester dans l’esprit de Dickens, la BBC adapte une série radio « Bleak Expectations » en 4 épisodes de comédie rebaptisée « The Bleak Old Shop of Stuff », et dont l’épisode spécial Noël aura un nombre impressionnant de guests : Stephen Fry, David Mitchell, Celia Imrie, Pauline McLynn.
Quelques mots aussi sur « The Borrowers / Les Chapardeurs », nouvelle version, avec Stephen Fry (décidément très présent à la BBC cet hiver), Victoria Wood, Christopher Eccleston... et Robbie Sheehan (j’en connais qui vont retomber en enfance rien que pour ça !).

La littérature pour enfants semble aussi à l’honneur en ce qui concerne notre chouchou : l’épisode spécial de « Doctor Who » dont le titre, « The Doctor, the Widow and the Wardrobe », fait directement référence à l’univers de C.S. Lewis, « Narnia ». La première bande annonce a été révélée comme à l’habitude lors de l’événement Children In Need. L’histoire se passe durant la seconde guerre mondiale. Évacués de Londres bombardé, Madge Arwell (Claire Skinner) et ses 2 enfants se réfugient dans une maison du dorset où ils sont accueillis par un inattendu bienfaiteur et ses mystérieux cadeaux...

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L’annonce choc de cette grille de Noël, c’est le retour d’ « Absolutely Fabulous ». Jennifer Saunders et Joanna Lumley reprennent leurs rôles accompagnées de l’ensemble du cast d’origine pour deux nouveaux épisodes. Enfin, ITV n’a pas oublié de faire aussi un petit cadeau à ses fans en leur offrant un épisode spécial de « Downton Abbey » : la fête de Noël se déroulant dans la demeure des Crawley !

Alors, plutôt que d’abuser du chocolat, abusez de la télévision anglaise, et épargnez-vous quelques kilos en trop !

6 mois à attendre (au mieux)

Par Dominique Montay.

Hadopi. Streaming. Internet. Illégalité. Peer-to-peer. Je ne cherche pas à cumuler les termes populaires du moment pour maximiser les visites du quinzomadaire (sinon, en plus j’aurais mis Sarkozy, crise, nucléaire, PS). Dernièrement, pour un tout autre projet, je me suis mis à réfléchir sur les raisons qui poussent la majorité des fans de séries à les télécharger illégalement sur le net.

Car si les films ou les albums le sont aussi, j’ai vraiment l’impression que c’est pour d’autres raisons, plus proches d’une volonté d’économiser de l’argent et de se mettre dans l’illégalité que pour les séries.

Il fut un temps où internet avait moins d’impact, où les réseaux sociaux étaient moins partie prenante de la vie du fan de série. Un temps, aussi, ou la volonté de comprendre l’anglais était moins nécessaire, où l’on consommait massivement les versions françaises. Un temps ou le téléspectateur français attendait patiemment la diffusion sur les chaînes principales de leur série favorite.

Ce temps est révolu pour une partie de la population.

Première raison, la moins valable de nos jours, est le respect des formats et des versions. Certaines séries sont parfois diffusée dans un format non respecté (un 16/9e qui devient 4/3 était la norme avant l’explosion des HDTV, aujourd’hui, c’est l’inverse, les 4/3 deviennent des 16/9e, avec coupure du bas et du haut de l’écran), ou sans version multilingue. L’utilisateur, en téléchargeant, signale son rejet de ce qui lui est imposé (dans la forme). Une mise à la marge qui peut être évité (pour certaines séries) par l’acquisition des DVD (dont les prix sont en chute libre).

Seconde raison, majeure, est le temps de diffusion. Prenons l’exemple d’une série comme « Desperate Housewives » (ou comme on dit en France, « Desesperate Housewives »). Entre la diffusion aux États-Unis et celle de Canal+, il peut se passer en théorie 6 mois. Il faut compter 6 mois de plus pour celle sur M6. Or, la façon de consommer les séries devient aujourd’hui mondiale. La barrière de la langue a sauté (la plupart des fans de série, s’ils ne sont pas bilingues, on des bases en anglais qui leur permet de visionner sans encombre avec des sous-titres), et donc les interactions sur les réseaux sociaux sont elles aussi mondiales.

Quand les américains tweetent les rebondissements d’un épisode d’une série, les fans français ont trois choix : fermer leurs yeux et ne pas participer à la conversation, participer et se gâcher la surprise, ou enfin télécharger et participer. Il ne s’agit pas ici de faire l’apologie du téléchargement illégal, de l’excuser, mais de le comprendre.

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Comprendre tout simplement que la génération émergente ne consomme plus selon les mêmes principes que les précédentes et que si les diffuseurs ne s’adaptent pas à elle, certes ils continueront de gagner de l’argent pendant les 10 ans à venir, mais seront amenés progressivement à disparaître. Depuis peu, TF1 VOD propose les épisodes de séries américaines en vostf une semaine après diffusion sur les écrans américains, avec sous-titres. Une proposition révolutionnaire et très intelligente… mais plombée par un prix prohibitif (1.99€ au moins, ce qui fait la saison entière, soit 22 épisodes, à plus de 40€ pour une simple location de 48h, soit plus cher qu’un coffret DVD de 30% à peu près) qui empêche toute mise en concurrence d’un mode illégal et d’un mode légal.

Cette initiative, si elle est complètement revue en terme de tarification, est très bonne, à l’heure de l’émergence de la télévision connectée. Elle va, hélas pour eux, les obliger à redéfinir les axes principaux de programmation de leurs chaînes. Car s’ils doivent arrêter d’être un tuyau de diffusion de séries américaines, tout est à revoir. Une évolution qui, vu le temps qui leur reste, ressemble plutôt à une révolution.

Car ne soyons pas aveugles, la crainte principale des grands manitous de chez nous concernant la télé connectée n’est pas l’illégalité (même si ça en fait partie). Non, le pire pour eux, c’est l’apparition d’une offre légale, peu onéreuse, qui rendrait leur existence injustifiée. La solution pour eux : le faire eux-mêmes, créer cette offre, qu’elle soit intelligente et intelligible. Qu’elle soit mesurée et juste.

A vous de jouer, messieurs. Les téléspectateurs attendent.


Le Village, sous la plume de Jeff Gauthier, avait consacré un large dossier à la question : Le téléchargement : raisons et impact.


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Le train va passer
Oups...

Dernière mise à jour
le 29 novembre 2011 à 20h28

Notes

[1La seconde édition du Scripted Series Report par Eurodata TV Worldwide fait l’état des lieux des séries télévisées dans 11 territoires : Allemagne, Australie, Canada, Espagne, Etats-Unis, France, Italie, Québec, Royaume-Uni, Suède et Turquie.

[2Il faut savoir que quand les studios américains font leurs comptes, ils comptabilisent les recettes du Canada comme recettes nationales au même titre que celles récoltées sur le territoire des États-Unis. Ça donne une idée du point où on est rendu.