LE QUINZO — 1.04 : Qui veut du pitch ?
Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village
Par le Village • 26 avril 2010
Cette quinzaine, ça fantasme au Village. Émilie veut de la science-fiction. Quant à Dominique, il voudrait écrire un soap, mais un vrai, hein : bien invraisemblable et tout (pas d’inquiétude, le médecin est passé le voir depuis). Sullivan, lui, a vu « Sweet Dream ».

Aliens Made in France

Par Émilie Flament.

Visite de tournage sur la nouvelle série de Moya Production. Surprenante visite. Très surprenante. Un groupe d’acteurs qui fume une cigarette en attendant leur scène, c’est banal. Mais lorsque deux d’entre eux portent une énorme prothèse qui allonge leur tête de plusieurs dizaines de centimètres et leur ajoute des yeux à 360 degrés, le tout avec une peau grisâtre et croûteuse... ça attire l’œil !

Autre chose qui attire l’œil : le décor. Je suis comme une gamine le soir de Noël, je ne sais plus où donner de la tête. Pour augmenter les possibilités de mise en scène, le décor principal, construit dans les studios lillois, est quasiment d’un seul bloc, sur deux niveaux. Et surtout, il y a des boutons, manettes, leviers, ressorts, tuyaux dans tous les coins... On n’a qu’une envie : jouer avec ! Mais pas touche ! Le vaisseau est solide, mais je n’ai pas envie de me faire virer du plateau avant d’avoir rencontré le reste de l’équipe et notamment le créateur/scénariste/réalisateur/comédien de la série...*Bip-bip bip-bip bip-bip*...

Un oeil ouvert, puis l’autre. Soupir. Il est l’heure de se réveiller... Et oui, ce n’était qu’un rêve ! Nous sommes en France, en 2010. Et en France, en 2010... on ne fait pas de science-fiction. Qui dit “séries de science-fiction” dit séries américaines, canadiennes ou anglaises. Idem pour les “séries fantastiques”, les aspects surnaturels se bornent le plus souvent en France aux mythes anciens ou à des expériences aux portes de la mort. Alors pourquoi n’a-t-on pas d’aliens, de vampires ou autres créatures made in France ? Le public existe, sinon les chaînes n’iraient pas acheter ces fictions à l’étranger. D’où vient cette frilosité au niveau des producteurs et des diffuseurs ? Ces dernières années, seul le web est venu au secours des accros au genre. Quelques web-séries émergent, on peut citer « The Coat » ou « Le Visiteur du Futur ». Mais aucune chaîne ne s’y risque réellement. A part dans « Hero Corp », vous connaissez beaucoup de séries françaises dont les personnages ont des pouvoirs ? Non ! « Joséphine, ange-gardien » ne compte pas ! Je veux bien convenir que nous n’avons pas les moyens financiers de nos amis d’outre-atlantique. Ok, nos effets spéciaux seront sûrement moins impressionnants, mais nos histoires peuvent, je suis sûre, être aussi riches !

La science-fiction est un révélateur. Chaque génération peut voir le reflet des craintes de son époque dans ces sagas, qu’elles soient hors planète ou non, post-apocalyptiques ou hyper-technologiques. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas un univers réservé aux outsiders de notre société, ceux qui ont du mal à s’intégrer ou à communiquer. Bien sûr elle plaît au plus isolés puisque c’est un échappatoire, au même titre que les contes de fées pour les enfants. N’oublions pas que ce sont des séries comme « The X-Files » qui ont permis au phénomène série de s’amplifier en France dans les années 90. La France était parmi les moteurs de la littérature de science-fiction. Alors pourquoi rejeter cette culture et ne pas donner leur chance aux projets de séries SF ?

El Tabasco

Par Dominique Montay.

J’ai une super idée pour un soap.

Nous sommes dans un pays hispanique en crise. On va l’appeler El Tabasco, mais c’est encore à débattre. L’équipe nationale de football s’apprête à entrer en campagne mondiale dans quelques semaines. Son manager, Raymundo, est un personnage qui mélange charme et provocation. Une attitude déstabilisante qui en fait un des hommes les plus détesté du pays. Mais il a de gros sourcils, donc ça donne l’impression qu’il est cultivé. Les autres personnages principaux sont Enrico, son fidéle capitaine, Roberto, un joueur au visage balafré, Lucia, une jeune prostituée, et Denise, une animatrice de show télévisé.

Si ça vous rappelle quelque chose, dites le moi tout de suite.

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Donc, Raymundo s’est mis à dos la nation entière lorsque, frappé par une élimination honteuse il y a deux ans, plutôt que de parler football et présenter un visage officiel, il avait demandé sa très jeune fiancée Denise en mariage en direct à la télévision. Les habitants d’El Tabasco n’ont pas compris et lui en tiennent rigueur. La belle Denise (qui présente une émission d’info-spectacle avec plein de sujets de fond super intelligents en fin d’après-midi), est très gênée par la situation. Et surprise. Mais elle ne le devrait pas quand on y repense, tant elle est importante dans la vie de l’équipe au jour le jour. En effet, Raymundo a pour habitude de ne jamais sélectionner ceux qui ont, à un moment où à une autre, eu une pensée impure la concernant. Raymundo a des principes...

Enrico est capitaine d’une équipe qui joue mal, et lui même est en retrait. Il ne marque plus, ne court plus, mais reste en poste quand même. Parce qu’il a été bon autrefois. Son seul fait d’arme, avoir triché pour qualifier son équipe... c’est triste. Quand à Roberto, le seul que tous les habitants d’El Tabasco adorent parce qu’il leur ressemble (il est pas très beau, il est balafré, petit, dit pas mal de conneries, court dans tous les sens et joue sans réfléchir... voilà) vient d’être mêlé à une sale affaire de prostitution en engageant des rapports sexuels tarifés avec la jeune et très maquillée Lucia. Mais Lucia n’est pas majeure (je vous avais dit que Roberto jouait sans réflêchir, et bien en fait pas que) et sur les conseils de son bienveillant souteneur, elle révèle tout. Et qu’en gros, Roberto n’est pas tout seul.

Bon après, j’ai d’autres idées... Raymundo, par exemple, pourrait sélectionner ses joueurs selon leur horoscope et ne pas s’en cacher, criant sur tous les toits qu’il ne faut pas mettre deux scorpions dans une équipe... il pourrait être en poste depuis 6 ans sans avoir de résultats. Il pourrait même ne presque jamais avoir gagné quoi que ce soit. Il pourrait aussi partir du principe que si les journaux font du lobbying pour un joueur, il ne le prend pas. Ah tiens, le jeu de l’équipe pourrait provoquer des somnolences tant il est ennuyeux.

Bon... je sais, c’est un peu gros tout ça. Et pas tout le temps crédible. Mais après voilà, c’est pour une telenovella, donc on pousse un peu le bouchon pour avoir beaucoup de matière.

Hein ?

Comment ça ça vous rappelle quelque chose ? Vous moquez pas de moi, des choses pareilles, on aurait pas laissé faire. Quand même, ne dites pas de bêtises. Je vous le dis moi-même de toute façon, tout est trop gros, ça n’arriverait jamais dans la vraie vie. Pour la peine, tiens, je vais pas la faire ma telenovella !

Everybody’s looking for something

Par Sullivan Le Postec

Jusqu’à aujourd’hui, je n’avais pas encore vu « Sweet Dream », la série Nouvelle Trilogie 4 diffusée l’année dernière et qui devrait revenir en saison 2 d’ici un an ou deux. Cela a été réparé cette semaine.

L’objectif de « Sweet Dream » : raconter les ados français de façon libérée. Le contraire de « Clem », quoi – Clem étant l’héroïne de 16 ans de TF1 dont les traits psychologiques sont tous ceux d’une pré-ado de 12 ou 13 ans, à l’exception du fait qu’elle a déjà couché et qu’elle est du coup tombée enceinte (nous sommes sur TF1, le sexe, c’est mââl). “Amusant” de voir comment la faiblesse de la fiction télé française depuis 25 ans, et son incapacité à raconter la société française, fait qu’aujourd’hui, elle se trouve complètement contaminée par le puritanisme américain.

« Sweet Dream », c’est plutôt alcool, sexe, drogue et rock n’roll. Au point d’être parfois un peu too-much, dans l’absolu (ce qui n’empêche pas la série d’être crédible : il y a une différence entre réaliste et crédible).
A ce niveau, « Sweet Dream » est très proche de l’esprit de « Skins » : c’est plus une série sur la manière dont les ados se fantasment que sur ce qu’ils sont réellement – un élément avec lequel la série joue plutôt bien, d’ailleurs, avec le personnage de Capucine. Officiellement elle a couché avec la moitié du Lycée, en réalité elle perd sa virginité au début du premier épisode (un plan à trois dans les toilettes, quand même).

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La mise en image est élégante, et parfois vraiment très belle (pas surprenant que le réal se soit fait ’’débaucher’’ par Arte pour relayer Podz, le génial réalisateur de « Minuit le soir », sur « Xanadu »). Et le casting est réellement royal et, comme le soulignait Dominique dans son papier, très bon là où l’acteur français pêche souvent : c’est à dire jouer y compris quand il n’a pas la parole, par le regard et l’expression silencieuse.
On retrouve juste un défaut récurrent de la Nouvelle Trilogie, parfois un peu prisonnière de son format. Si ces programmes étaient vraiment ce que Bruno Gaccio voudraient qu’ils soient, c’est à dire des mini-séries pilotes, alors ils devraient se terminer de façon beaucoup plus ouverte. Mais comme la probabilité qu’il y ait une suite est finalement infiniment moindre que la probabilité qu’il n’y en ait pas, le parti-pris est de tout boucler. Quitte à donner l’impression que quelqu’un a réalisé à dix pages de la fin qu’il fallait absolument conclure — ce qui passe dès lors par des scènes assez forcées et seulement à moitié convaincantes, notamment parce que leur théâtralité jure avec l’atmosphère développée jusque là.

Les séries Nouvelle Trilogie devraient-elles assumer la possibilité de frustrer leurs téléspectateurs avec des fins plus ouvertes ? La question mérite d’être posée.