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Comme Jeanne d’Arc - Un road trip et un séjour à Washington

N°7: Alice Isn’t Dead et Terms

Par Conundrum, le 13 avril 2018
Publié le
13 avril 2018
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Dans ce nouveau Comme Jeanne d’Arc, nous allons nous pencher sur deux podcasts un peu anciens (c’est à dire d’il y a deux ans), de genre très différents l’un de l’autre mais tout aussi marquants.

Alice isn’t Dead

Jasica Nicole, la criminellement sous-utilisée Astrid de Fringe, est l’unique actrice de ce podcast. On pourrait croire qu’entendre une seule et unique voix nous raconter une histoire serait lassant dans un podcast, ce n’est clairement pas le cas ici.
Alice doit être morte. C’est obligé, sinon pourquoi aurait-elle disparue du jour au lendemain sans laisser de traces ? Mais après avoir son deuil, sa femme, notre héroïne, commence à croire qu’elle n’est pas morte. Alice est donc une femme qui a disparu. Sa femme quitte son travail, devient alors chauffeuse poids lourd et traverse les États-Unis à sa recherche. Sur son chemin, et à chaque épisode, elle lui raconte, via sa radio, ses pensées, ses états d’âme, son amour pour elle, sa colère envers elle et surtout les étranges événements dont elle est témoin.

Certains épisodes sont poétiques, comme celui où elle doit faire une livraison dans une usine, d’autres étranges, comme celui où elle n’arrive pas à quitter une petite ville, et d’autres inquiétants, comme celui où elle entend un bruit dans son camion. Poétique, étrange et inquiétant sont des adjectifs qui s’appliquent tant à l’ambiance surnaturelle qui se dégage qu’à l’Amérique qu’elle parcourt. Et si ces tons différents donnent une structure anthologique à ce podcast, il reste feuilletonnant grâce le mystère de ce qui est vraiment arrivé à Alice.
Parce que si Alice Isn’t Dead évoque également Fringe au delà de son interprète, c’est par sa manière de mettre la famille au centre d’un mystère fantastique

En plus des intrigues de la semaine, du mystère de ce qui est arrivé à Alice, il y aussi la relation entre deux femmes, basée bien sûr sur l’amour dont découle l’inquiétude qui a poussé la femme d’Alice à prendre un camion et partir à sa recherche, mais aussi sur la colère d’avoir été abandonnée si Alice n’est pas morte. Il y a la blessure de découvrir que la femme avec elle partageait tout ne faisait pas de même en retour. La relation entre Alice et sa femme n’est pas simplement l’idée qui lance le podcast, c’est celle qui le hante. Elle est complexe et ancre tout le récit.

Là encore, la représentation apporte énormément à l’intrigue. Notre personnage central n’est pas le mari fort et sans peur d’Alice, c’est la femme d’Alice. Quand elle explique à une figure inquiétante qu’elle connait la peur, elle ne parle pas ce celle qui vient des événements surnaturels qu’elle rencontre sur sa route, mais de celle qui vient d’être une femme noire et homosexuelle dans la société américaine. Ce n’est pas non plus une héroïne dont la force est dépeinte d’une manière à égaler la virile masculinité. Elle ne sait pas se battre comme une Xena, une Buffy ou une Sydney Bristow. Mais elle n’est pas non plus une demoiselle en détresse non plus. Alice ne cherche pas à sauver sa femme, et sa femme n’a pas besoin d’être sauvée. Toute la première saison du podcast tourne autour de cette dernière et des peurs auxquelles elle se confronte. Ses peurs tangibles comme les monstres avec qui elle interagit, mais aussi celles liées à l’idée de vivre sans Alice. Et si Alice n’est pas morte, celle de peut-être abandonner Alice. La seconde saison voit notre héroïne s’affirmer davantage, elle cherche à comprendre le monde qui l’entoure, à comprendre qui elle est, et qui elle peut être sans Alice.

Et si pendant tout ce billet, je n’ai pas référence à la femme d’Alice par son prénom, c’est parce qu’il en est de même pendant une bonne partie du podcast. Lorsqu’il est prononcé, ce n’est pas une révélation en soi, mais il y a une force indéniable lorsqu’on l’entend pour la première fois. Elle vient du prénom et du contexte. Si vous découvrez avant le podcast ce n’est pas bien grave, mais il y a une satisfaction assez étrange dans cette idée assez simple de garder un prénom secret. Cela renforce le contexte plutôt poétique dans lequel évolue le podcast dont le texte est très bien écrit. La structure des saisons ressemble à celle d’une série, l’aspect mythologique prend de plus en plus d’importance au fur et à mesure qu’on approche des fins de saisons. Si chaque finale apporte une conclusion en apportant son lot de réponses, ils relancent l’intrigue de manière naturelle vers une autre direction.
Il y a d’ailleurs un vrai plaisir une saison 2 qui sait être différente de la première sans perdre un iota de ce qui faisait le charme initial du podcast.

Alice Isn’t Dead est une production Night Vale Presents, connue pour le très populaire Welcome To Night Vale, une émission de radio sur le quotidien étrange d’une petite ville des États-Unis. Il y a une filiation dans la manière dont le podcast est produit avec une figure centrale charismatique et des segments plus ou moins longs au sein du même épisode, mais il n’y a pas besoin de savoir quoique ce soit de Night Vale pour apprécier Alice Isn’t Dead. C’est peut-être même le podcast idéal pour découvrir cette manière de raconter une histoire car elle a une forme familière. Les épisodes sont de vrais épisodes et non pas des morceaux d’une intrigue unique. Ils peuvent être enchaînés, ou être appréciés individuellement. L’écriture fait en sorte qu’on se rappelle rapidement où en est l’intrigue sans besoin de « Précédemment dans… ». C’est un podcast chaudement recommandé dont l’ultime saison est prévue pour l’automne de cette année.

Terms

Ce podcast en 13 épisodes a été diffusé en pleine transition Obama–Trump.

Le planning de publication n’était pas une coïncidence. Terms suit le plan d’un président sortant qui cherche à empêcher un dangereux nationaliste qui vient de gagner les élections de lui succéder. L’urgence inhérente à l’ambiance du podcast devait alors être plus forte si on le suivait pendant la période tristement historique de sa publication.
S’il s’est inspirée de la situation américaine, la situation diffère sensiblement dans le podcast. Donald Pierce, président républicain sortant, bien aimé du public, achève son second mandat et, dans le premier épisode, découvre que le candidat de son parti, Charles Dunwalke, remporte les élections pour lui succéder. Mais si Pierce est un républicain modéré, Dunwalke a une personnalité abrasive et fièrement nationaliste. Issu du même parti, il se doit de lui accorder publiquement son soutien, mais en coulisses, il met en place un plan pour l’empêcher d’accéder au pouvoir avant son inauguration.

Si le podcast a été publié fin 2016 et se déroule en temps réel entre les élections et l’inauguration de Trump, il est remarquable de noter qu’il a été écrit fin 2015. Le parallèle entre fiction et réalité en est d’autant plus étonnant. Bien évidemment, Terms résonne par sa thématique. Et au vu de nos propres élections de 2017, il n’y a pas besoin de vivre aux États-Unis pour se sentir concerné. Mais si Terms est aussi efficace, c’est aussi par sa structure narrative. Les épisodes sont très courts et ne dépassent pas la barre des 20 minutes, cela peut paraître léger pour un drama, mais c’est le format idéal pour cette intrigue.

En effet, les personnages sont nombreux, l’intrigue est complexe, et, de ce fait, l’écoute de Terms demande une attention particulière surtout que le format du podcast est celui d’une série télévisée. Ici, il n’y a pas de narrateur, pas de podcast dans le podcast, mais un simple « Précédemment dans Terms » en début de chaque épisode pour nous résumer l’histoire.
Chaque épisode aborde un point de l’intrigue. Avec son format court, sa complexité ne peut pas se révéler en un seul épisode. Et c’est ici où réside sa force. Terms réussit à utiliser les contraintes du média à son avantage. Les épisodes ne pouvant pas être longs, chacun explore un recoin de l’univers de la série pour dépeindre un tableau riche. Le premier épisode pose les enjeux de la série. Le second,quant à lui, suit deux intrigues en parallèles : une entrevue avec un journaliste du président élu et l’enrôlement d’un associé dans le plan du président sortant. Chacune résonne par rapport à l’autre : la description de la politique de Dunwalke explique le caractère extraordinaire des actions de Pierce. Cet épisode sert aussi, comme les suivants, à graduellement enrichir la galerie de personnages de la série. Et une fois celle-ci bien établie, la série peut se passer, lorsqu’on l’intrigue s’en fait sentir, de son personnage principal.

La richesse des épisodes étonne. L’en d’entre eux suit l’enquête d’un journaliste et permet à la fois de comprendre l’électorat de Dunwalke sans le vilipender [1], d’introduire des personnages clés de l’intrigue et comprendre un peu mieux le plan de Pierce, et, ce, sans faire appel à aucun des personnages centraux de l’histoire, le tout encore une fois, en moins de 20 minutes et sans noyer une seule fois son public dans un flot d’information.
L’écoute du podcast est aussi rendue plus active par le fait que nous ne découvrons le plan de Pierce qu’après quelques épisodes. Un peu comme Homecoming, les personnages en savent plus que l’auditeur. Cette technique est efficace car essayer de comprendre les tenants et les aboutissants de l’intrigue est la manière idéale de nous immerger dans le podcast.

Et Terms a aussi un autre point commun avec Homecoming, le podcast se dote d’un After Show où son créateur, Lindsay Graham, revient sur un point de production. Même s’il n’est pas toujours informatif, c’est une manière très agréable de finir son récit et de ralentir son écoute dans une série où l’urgence de l’intrigue et la courte durée des épisodes font que tout va très vite. La première saison, qui compte treize épisodes, s’écoute donc très vite, l’envie de connaître le dénouement fait finir la saison rapidement. Du coup, nous n’avons pas trop le temps de s’attarder sur ses défauts [2]. Surtout que même si Terms privilégie l’action aux longues tirades idéologiques, il y a de la matière à réflexion. Pierce agit clairement pour ce qu’il pense être le bien de la nation, et semble être un homme bon, il y a redire sur ses actions.

Le podcast n’est pas simplement une réflexion sur "Et si Obama avait empêché Trump d’accéder au pouvoir ?". À plusieurs reprises, Pierce est confronté par des personnages sur la nature de ses actions. On peut comprendre et adhérer à leurs justifications, mais elles restent contestables. Si la saison une conclut l’intrigue, son dénouement lance Terms dans une toute autre direction. En 13 épisodes, nous avons fait le tour du parallèle avec l’état de la politique américaine actuelle, le podcast peut s’affranchir de cet aspect et avoir une thématique neuve, intéressante quant à la nature du pouvoir. Même si, au final, on est loin de l’impact de l’impact d’un bon The West Wing [3], Terms est une écoute efficace et captivante qui mérite qu’on lui donne sa chance.

Conundrum
Notes

[1dans une scène qu’on apprendra improvisée en fin d’épisode

[2Certains personnages ne sont pas aussi charmants que les auteurs aimeraient nous faire croire et apparaissent rapidement agaçants.

[3La série partage plus avec du bon 24, pour être parfaitement honnête.