Jusque là, la transition vers une série des membres de la distribution de cette dernière décennie de Saturday Night Live s’est faite de manière intelligente. Force est de constater que Lorne Michaels avait raison : Michaela Watkins est plus à l’aise dans une sitcom que dans l’émission et Happy Endings a mieux mis en avant le talent comique de Casey Wilson. [1]
Même les valeurs sûres de l’émission ont su jouer sur leurs forces et l’expérience de SNL pour se lancer dans de nouveaux projets. La vision singulière de Tina Fey fit de 30 Rock une transition naturelle dans sa carrière. La versatilité et l’énergie d’Amy Poehler portent bien souvent Parks and Recreation quand le reste n’est pas à la hauteur. Et même Fred Armisen a réussi à exploiter son univers si particulier avec Portlandia sans faire de redites avec l’émission à sketchs.
Andy Samberg, en revanche, est un autre problème. Connu pour ses Digital Shorts, Samberg n’a jamais vraiment brillé dans les sketchs de Saturday Night Live et n’a pas marqué l’émission de sa patte en dehors de ces minutes d’antenne consacrée à son trio comique, Lonely Island. Il est devenu difficile de comprendre ce qu’on était en droit d’attendre de lui, parce que vingt-deux minutes de gamineries d’un môme hyperactif, avec ou sans son pote Justin Timberlake, ça n’inspire pas confiance.
Mais Samberg a eu la bonne idée de suivre l’exemple de David Spade. Spade était aussi un humoriste limité de Saturday Night Live dans les années 90 qui, au lieu de chercher un véhicule autour de lui, a rejoint un projet de série existant, Just Shoot Me !. Il était devenu alors l’ajout idéal à un ensemble qui ne tournait pas autour de lui.
Dans Brooklyn Nine Nine, le personnage de Jake Peralta n’a pas été écrit pour Samberg. Dans le podcast Nerdist Writers Panel, Mike Schur, le co-créateur de la série, explique qu’il a adapté la version originale du projet aux talents de Samberg une fois qu’il a appris qu’il était disponible. Au final, on se retrouve avec une version plus calme, plus sophistiquée et plus mûre de l’humoriste qui n’épuise pas. Mieux encore, Samberg ne vole jamais la vedette à une excellente distribution qui compte parmi elle une autre forte personnalité.
Non, pas d’André Braugher, mais Chelsea Peretti.
Chelsea Peretti est une humoriste au ton clairement défini. Cette ancienne scénariste de Parks and Recreation fait aussi du stand-up et a un podcast drôle et un peu étrange, Call Chelsea Peretti, où elle répond en direct au public qui l’appelle. Un peu comme 30 Rock et Flight of the Conchord l’ont fait avec Kristen Schaal, Brooklyn Nine Nine a adapté sa forte personnalité pour la série. On reconnait la patte singulière de l’humoriste sans troubler l’équilibre de la série. Parce que la vraie force de la série ne vient pas d’un des membres de sa distribution, mais de l’ensemble du groupe.

Brooklyn Nine Nine a eu des débuts un peu étranges. Comme expliqué plus haut, j’étais inquiet de découvrir une série avec Andy Samberg, mais aussi impatient de voir le travail de Michel Schur sans la direction de Greg Daniels [2] et curieux de voir André Braugher dans une sitcom.
Si le produit livré n’était pas hilarant, il n’était pas dénué d’un certain charme. Ce charme venait quasi intégralement de l’alchimie de la distribution qui a permis de forger un capital sympathie le temps que les scénaristes trouvent leurs marques. Et au final, c’est une série plus que plaisante que la Fox nous propose.
Brooklyn Nine Nine a un aspect série rétro qui plait vraiment. Cela fait bien longtemps que nous n’avons pas découvert l’intérieur d’un commissariat sans anti-héros. Brooklyn Nine Nine a beau être une comédie, ça fait plaisir de pouvoir suivre un cop show, surtout avec André Braugher. Que l’on parle d’un commissariat, d’une salle de rédaction ou des studios d’une émission de radia, c’est surtout le retour à une structure traditionnelle d’une comédie de bureau qui enthousiasme le plus.
Brooklyn Nine Nine n’a aucun artifice. Ce n’est pas un faux documentaire, l’humour est ancré dans le réel, et ce n’est pas une série portée par un personnage principal excentrique ou décalé. Elle a une distribution efficace, des situations qui sonnent vraies, amplifiées pour des besoins comiques, et suit une structure visible et bien définie.
Les premiers épisodes ont clairement mis en avant les grandes lignes de la série :
Jake est un flic un peu immature mais efficace,
Amy, sa partenaire, est femme motivée mais trop sérieuse,
le maladroit Charles est amoureux Rosa, la flic au caractère fort,
Terry est la figure d’autorité qui a du mal à canaliser l’amour qu’il porte à ses enfants,
Gina est la secrétaire à la personnalité étrange et à la repartie rapide,
et le Ray Holt est le nouveau Capitaine, un homme droit et strict dont l’homosexualité affichée lui a empêché d’obtenir des promotions méritées par le passé.
Chaque épisode de la série, joue sur un ou plusieurs de ces aspects. Il le met en avant ou le remet en cause avant de revenir au même statu quo. Ces règles sont solides et on ne cherche pas à les redéfinir régulièrement comme dans The Mindy Project où comparer un épisode des saisons 1 et 2 laisserait croire que nous avons devant nous deux séries différentes.
Cette structure traditionnelle de la sitcom montre aussi que la vision des scénaristes était solide dès ses débuts, puisqu’elle n’a jamais été remise en cause (cf. The Mindy Project, paragraphe ci-dessus). Depuis quelques épisodes, Charles s’est trouvé une fiancée. L’idée de revenir sur sa relation avec Rosa montre qu’on se dirige vers une fin de saison 1 où son histoire d’amour sera remise en question, idéalement avec un cliffhanger, pour revenir au même statu quo l’année prochaine (avec peut-être une Rosa amoureuse de Charles). Il s’agit de l’archétype d’une fin de saison 1 avec un mariage avorté. Un classique pour une sitcom traditionnelle qui s’assume et qui est très efficace.
Et puis voir André Braugher être l’élément le moins efficace d’une distribution, il y a pire comme problème pour une nouvelle série !
[1] J’espère que ce sera aussi le cas de Nasim Pedrad avec Mulaney.
[2] son boss de The Office et co-créateur de Parks and Recreation.