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Deutschland 83 - Critique des huit épisodes de la série allemande pas diffusée en Allemagne

Deutschland 83 (Introduction à la Série) : Life Before Angela

Par Jéjé, le 10 août 2015
Par Jéjé
Publié le
10 août 2015
Saison 1
Episode 8
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Je le reconnais, j’ai une légère tendance à parler ici de beaucoup de choses excepté des séries qui sont « En Direct des USA » (la catégorie de séries qui pourtant, je le rappelle, ou l’apprends peut-être à nos plus récents lecteurs, constitue la base sur laquelle repose l’existence de ce site).

Je suis donc très content de pouvoir rentrer pour une fois dans les clous grâce à Deutschland 83, une série… allemande.

C’est quoi ?

Deutschland 83, c’est le comble du chic en matière de séries pour briller dans les conversations aux États-Unis entre gens sophistiqués. [1]

C’est en allemand sous-titré, c’est passé cet été sur SundanceTV (la chaîne qui a diffusé là-bas « Ley Reu-veu-nan », le comble du chic de 2013) et ça n’a même pas encore été diffusé en Allemagne. (En France, on pourra être chic à partir de septembre prochain, la série sera diffusée sur Canal +, même si à pErDUSA, on l’était déjà même avant les Américains puisque Notre Iris À Nous et les petits amis de son jury lui ont décerné à SériesMania le « prix du jury des blogueurs » en avril dernier.)

Ça parle de quoi ?

Sur un principe proche de The Americans, autre série au cachet chic et sophistiqué (mais un peu moins puisque seuls 20% des dialogues sont dans une langue non anglophone sous-titrée), Deutschland 83 suit les agissements et l’évolution sur huit épisodes de Martin/Morritz, une jeune recrue de l’Allemagne de l’Est infiltrée en Allemagne de l’Ouest.

Cependant, contrairement à ses homologues russes de FX, Martin/Morritz ne passe pas la moitié de son temps à faire la cuisine dans son petit pavillon de banlieue et a acheter des perruques ridicules, il est au cœur de la guerre froide et de la course à l’armement nucléaire entre le bloc soviétique et l’OTAN, ayant assumé l’identité de l’ « aide de camp » d’un général de l’Ouest.

Y’a des gens qu’on pourrait connaître ?

Ceux qui, malgré nos conseils avisés, ont regardé Génération War/Unsere Mütter Unsere Väter, reconnaitront le fils du général (Ludwig Trepte, qui y jouait l’ami juif).

Les autres, à moins qu’ils n’aient une condition particulière qui leur permet de fixer pour toujours dans leur esprit les visages des rôles secondaires de Good Bye Lenin, de Inglourious Bastards ou des séries policières allemandes à la Tatort, personne.

C’est la série de l’été ?

Non. La série de l’été, c’est Mr Robot.
Ou peut-être Another Period, mais on en parlera une autre fois.

Mais c’est bien quand même ?

C’est… pas mal.
Allez, c’est même chouette.

J’aurais aimé être vraiment plus positif, mais j’éprouve à peu près les mêmes sentiments pour Deutschland 83 qu’envers UnREAL, autre série de cet été qui a déclenché l’enthousiasme chez beaucoup. Je suis séduit par le sujet, j’y vois des développements d’intrigues assez malins, je trouve que les acteurs principaux font un boulot exceptionnel, mais, à mon sens, ça manque de personnages consistants.

Le gros problème de Deutschland 83 réside dans le fait qu’Anna Winters, la scénariste principale et créatrice de la série, veut raconter un maximum de la Grande Histoire à travers la petite de ses personnages en un minimum de temps. Huit épisodes, c’est un peu juste pour un projet de cette envergure.
Le pilote case en moins de 45 minutes le recrutement de Martin à l’Est, sa formation, la prise de sa nouvelle identité à l’Ouest et sa première mission. C’est dense, et l’épisode avance à un rythme très expéditif.

On aurait pu facilement passer outre cet empressement initial s’il avait permis de dégager du temps par la suite pour explorer les personnalités et les dilemmes des différents personnages dans la situation ainsi mise en place. Malheureusement, même si la cadence se calme un peu ensuite, chaque nouvel épisode est farci à ras-bord de rebondissements et d’événements emblématiques de l’époque.

Les personnages qui entourent Martin ne peuvent être développés et restent donc à peu près tous de simples archétypes, qui agissent et réagissent uniquement en fonction de ce qu’ils représentent et de là où l’intrigue doit avancer.
J’aurais aimé, par exemple, en savoir plus sur le professeur d’université, agent de l’Est à Bonn depuis 20 ans, leader de la contestation pacifique, sur ses doutes, son rapport à sa mission, sur sa relation à son pays d’origine. Mais il n’y a pas de temps, d’autant qu’il se récupère une étiquette supplémentaire (« début de l’épidémie du VIH ») dans les derniers épisodes.

Cette impression d’être face à un collage artificiel et forcé de situations stéréotypées est renforcée par l’usage d’un timing toujours parfait. Les quelques personnages que l’on connaît, qui appartiennent seulement à deux cellules familiales, ont le chic pour se retrouver toujours au bon endroit et au bon moment. Ces coïncidences gigantesques qui font la saveur des romans historiques de Dumas-Maquet (oui, ça faisait longtemps que je n’en avais pas parlé) fonctionnent grâce à la légèreté de ton de l’ensemble. Dans l’esprit relativement sérieux de Deutschland 83 entre le thriller géopolitique et le drame familial, ça passe moins bien… Un tout petit spoiler pour illustre mon propos : quand Martin trouve le temps dans un épisode, en plus de ses missions habituelles, de tuer le terroriste le plus célèbre de l’Histoire de l’Allemagne de l’Est en jouant les Jack Bauer du dimanche avant de donner in extremis un rein pour sauver sa mère d’une mort certaine, c’est un tout petit peu dur de garder son sérieux !

On n’y croit donc jamais complètement, mais, en revanche, on ne perd jamais non plus l’envie d’y croire et l’envie de savoir comment tout cela va se terminer.
Le mérite en revient pour partie à la sacrée distribution d’acteurs, uniformément exceptionnelle. Les petits jeunes sont particulièrement impressionnants [2] avec un Jonas Nay d’une intensité toujours adéquate. Quand on est sur le point de ricaner suite à un rebondissement peu plausible ou trop facile, un plan sur son visage contrit ou déterminé, et on replonge comme happé dans l’univers de la série. Les vétérans se distinguent eux dans des scènes d’un humour noir que je pensais réservé aux séries d’Outre-Manche.

Mais, là où la série est la plus forte, c’est dans sa capacité à nous faire ressentir l’angoisse et la paranoïa qui animent les responsables de chaque camp et qui brouillent leurs analyses des situations. Jusqu’à la dernière minute, alors que l’on sait très bien qu’aucun des deux n’a déclenché la troisième guerre mondiale, on est tenu par un sentiment d’incertitude. C’est un peu l’effet Titanic à l’envers. [3]

C’est pourquoi une fois passé la déception des premiers épisodes, Deutschland 83 a été très agréable à suivre.

Die 2. Staffel kann kommen.

Jéjé
Notes

[2Chose assez exceptionnelle pour qui on est habitué à chanter les louanges des séries de la CW, ils ont quasiment l’âge de leurs personnages !

[3Celui qui nous fait espérer, même au plus cynique d’entre nous, que le bateau va parvenir à éviter le méchant iceberg !