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Deutsch Qualität - La Légende de Kolibri

5: Deutschland 86

Par Jéjé, le 14 avril 2019
Par Jéjé
Publié le
14 avril 2019
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En 2015, Deutschland 83 avait bénéficié aux États-Unis (et donc dans le monde occidental) d’un écho critique très large pour une série européenne non anglaise. Certes, elle avait été considérée comme une grande réussite mais surtout elle était la première série allemande co-produite et diffusée en version originale par une chaîne américaine (Sundance TV).

Trois ans plus tard, après le succès en autres de La Casa Del Papel sur Netflix et de la production et de la diffusion en italien de l’Amie Prodigieuse par HBO sur la case de Game of Thrones, Deutschland 86, sa deuxième saison/incarnation, a perdu de sa particularité novatrice et a été accueillie dans une relative indifférence. Il est probable que le délai de trois ans entre les deux saisons n’a pas arrangé les choses dans le contexte actuel dit de la Peak-TV.

Ça raconte quoi ?

C’est toujours l’histoire de Martin Rauch, un jeune Allemand de l’Est qui avait infiltré le commandement de l’Armée de l’Allemagne de l’Ouest dans Deutschland 83, et des membres de sa famille, qui occupent pour la plupart des postes importants dans les services secrets de la RDA.
Cette fois-ci, la RDA n’est plus sous la menace d’un affrontement nucléaire entre les blocs de l’Ouest et de l’Est, mais sous celle d’un effondrement économique total. Ses services secrets développent ainsi différentes opérations sur son sol et en Afrique du Sud pour récupérer des devises internationales.

On retrouve tout le monde ?

Tout le monde.

Parents, ami·es, collègues, supérieurs, tous les personnages sont de retour.
Du moins, à l’Est.
Jay Nay (Martin) et Maria Schneider (Leonora, sa tante) conservent la tête d’affiche.
De l’Ouest, il ne reste que le fils du général (Ludwig Trepte) et la secrétaire de ce dernier.

Et c’est bien ?

C’est formidable.

Je n’avais pas été complètement convaincu par la première saison.Elle m’avait semblé vouloir englober un maximum du contexte historique de l’époque dans des intrigues saturées de rebondissements aux dépends du développement des personnages.
J’avais regretté en particulier que la mise en place de la situation et des enjeux des débuts avait eu lieu à un pas de course si élevée que la crédibilité de l’ensemble en avait été affectée.
Il n’y a qu’un seul défaut à Deutschland 86 (mais malheureusement pas un petit puisqu’il m’a quasiment fait abandonner la série), ce sont à nouveau les débuts.

Il faut trois épisodes entiers pour mettre en place les bases de la saison [1]. Le problème n’est pas que cette fois-ci la série prenne trop de temps pour bien les poser (elle se repose même sur un petit dessin animé explicatif ultra dense de quelques minutes pour présenter les différents groupes militaires en Angola et Afrique du Sud pour dresser le contexte géopolitique), le problème, c’est que l’on a l’impression d’être devant quelque chose de complètement différent avec un personnage principal qui n’a plus rien à voir avec celui que l’on avait appris à connaître et apprécier il y a trois ans.
On se retrouve devant une série d’action à la Strike Back, avec bastons, fusillades et explosions sur un autre continent, dans laquelle un ersatz de Jack Bauer, à la fois solitaire, désabusé et indestructible, s’est glissé dans le corps de notre petit militaire que l’on aimait, un peu perdu dans les rayons des supermarchés de Berlin Ouest. En anglais. Tous les dialogues sont en anglais.
Et de temps en temps, on retrouve la grisaille du nord de l’Europe et la langue de Goethe pour de petites vignettes indépendantes les unes des autres. C’est très déstabilisant d’autant que les épisodes se concluent de façon brutale et aléatoire, sans véritable cliffhanger.

Mais à partir du quatrième épisode qui initie le retour de Martin en Europe, tout bascule. (Je me dis qu’il aurait simplement fallut présenter les trois premiers épisodes sous la forme d’un téléfilm inaugural de deux heures.) Toutes les intrigues commencent à se rejoindre et à se faire écho pour construire tout d’abord une série d’espionnage tout-à-fait haletante et divertissante. Elles confrontent également les personnages à des dilemmes personnels qui leur font prendre de l’épaisseur. Ils dépassent ainsi tous les stéréotypes par lesquels ils étaient simplement définis dans Deutschland 83.
L’utilisation de l’état économique du pays y joue un rôle important. En effet, la ruine économique de la RDA conduit ses dirigeants (et les scénaristes) à choisir des actions (et donc des histoires) qui rendent pour beaucoup de personnages de plus en plus apparentes les contradictions entre les buts officiels du pays socialiste et les moyens mis en œuvre pour y parvenir. La Grande Histoire racontée à travers la petite de ses personnages fonctionne ainsi beaucoup mieux.
C’est également le cas pour le début de l’épidémie du SIDA. Dans Deutschland 83, elle n’ apparaissait que comme un marqueur historique obligé sans véritable lien avec le reste. Dans Deutschland 86, elle influence les destinées personnelles et morales de plusieurs personnages ainsi que les intrigues d’espionnage et de géopolitique. La façon dont la RDA est montrée avoir tenté de capitaliser par cynisme et par ignorance sur l’épidémie est stupéfiante (l’Ouest et son industrie pharmaceutique ne s’en tire pas beaucoup mieux).

Ainsi, l’une des grandes forces de la saison est d’avoir décidé d’explorer des aspects sombres de l’époque qu’elle met en scène. Le contraste Est-Ouest dans Deutschland 83 reposait un peu trop sur l’anecdotique, les inévitables Trabant contre les BMW. Le nouveau personnage de Tina (incarnée par Fritzi Haberlandt, déjà vue dans Babylon Berlin), une médecin de l’Est qui va tenter de passer à l’Ouest avec sa famille, permet à la série de mettre en scène, sans aucune image complaisante de torture, les façons terribles avec lesquelles la RDA pouvait gérer celles et ceux qu’elle considérait comme des traîtres.
Son intrigue, la plus tragique de la série (et pour moi la plus belle), fédère la plupart de tous les personnages de la série autour d’une question sur laquelle ils sont tous amenés à réfléchir à un moment donné de la saison : « Comment agir en bon parent dans un pays que l’on découvre être une dictature ? ».

Cette dimension tragique nouvelle permet de contenir l’emballement narratif qui avait été imposé dans Deutschland 83 par le pur thriller géopolitique et rend plus naturelles et bienvenues les intrusions humoristiques. Elles reprennent l’esprit des scènes comiques emblématiques de la première saison (celle de la découverte des disquettes occidentales par les techniciens de l’Est, notamment) qu’elles déclinent avec élégance et sans gratuité (le modem à 100 000 $ est initialement un clin d’œil amusant avant de devenir un enjeu important dans les intrigues d’espionnage, par exemple).

Alors que j’ai pensé durant les trois premiers épisodes qu’il aurait été préférable la série se sépare de Martin et qu’il aurait mieux valu qu’elle soit une anthologie, avec un pool de personnages principaux complètement nouveaux à chaque saison, je suis complètement enchanté d’avoir pu passer encore du temps avec tous ces personnages (et leurs interprètes, la distribution est vraiment exceptionnelle). Leur univers m’est désormais devenu avec Weissensee l’un des plus chers de ma sériephilie allemande récente et j’ai hâte de retrouver tout le monde pour la chute du Mur dans Deutschland 89 [2]

Jéjé
P.S. La saison est accompagnée d’un documentaire d’une heure-vingt vraiment passionnant sur les stratégies de la RDA pour renflouer à tout prix ses caisses, quitte à vendre des armes aux ennemis du communisme. (Avant de le lancer et ignorant son existence, je me disais - avec un certain enthousiasme et un gros espoir - que ce long épisode pouvait se situer quelques mois après les événements qui manifestement avaient trouvé leur conclusion dans celui que je venais de voir et qui bizarrement ressemblait beaucoup à une season finale...)
Notes

[1Heureusement cette saison a deux épisodes de plus que la précédente.

[2Sa commande a été annoncé il y a un mois et Jay Nay et Maria Schneider ont confirmé leur participation.