C’est donc avec une inquiétude sans cesse renouvelée face à l’inutilité de ce que j’écris que j’ai le plaisir de vous proposer le dernier volet dans notre série d’articles consacrés à l’adaptation de Game of Thrones !
Un travail démarré il y a trois ans avec « C’est mieux dans le livre ! » et qui ne s’achèvera qu’avec la publication du dernier tome ou la mort de George R.R. Martin.
Ou ma mort.
Disons, la première des trois... et pas avant !
Comme d’habitude, vous ne trouverez ici aucune allusion à des événements issus des prochains bouquins, publiés ou non, disponibles en librairie ou uniquement dans cette zone floue qu’on appelle « une date de parution à déterminer, mais, heu, bientôt, promis, bisous ! ».
Aucun spoiler, donc, aucun clin d’œil foireux destiné aux initiés non plus. Je suis bien trop conscient du fait qu’une grande partie de l’intérêt de la série repose sur ses rebondissements pour faire ça, je n’ai pas un cœur de pierre. Oh, et avec un peu de chance, ce texte ne se transformera pas non plus en une interminable liste de comparaisons entre les livres et la série.
De toute façon, même si j’en avais envie, Game of Thrones s’est tellement éloignée des livres cette année qu’il devient de plus en plus difficile d’établir une correspondance point à point entre les deux.
Une Saison, Trois Livres

En effet, cette saison 4, c’était quand même le dernier tiers du troisième roman (et encore, il manque toujours la fin de l’intrigue de Jon Snow, qui sera sans doute traitée l’an prochain) accompagné de gros bouts des quatrième et cinquième tomes.
Avec une saison piochée dans trois livres et des chronologies qui deviennent de plus en plus compliquées à faire progresser en parallèle (Pauvre Stannis !), il était évident que la difficulté du travail d’adaptation de David Benioff et D.B. Weiss n’allait pas aller en s’arrangeant... et ça s’est vu.
La saison 4 de Game of Thrones, c’est la première dont l’adaptation m’a déçu. Mais, en parallèle, c’est aussi celle avec laquelle j’ai réussi à faire mon deuil de mon envie de la voir rendre justice aux livres. C’est celle qui m’a permis d’accepter la série telle qu’elle est, à savoir un œuvre qui pourrait être beaucoup plus réussie si elle ne se sentait pas obligée de suivre des intrigues beaucoup trop ambitieuses pour être adaptées correctement.
Pour faire simple, la fin de « A Storm of Swords » représente l’apogée des cinq livres parus à ce jour. Loin de lui rendre justice, la saison 4 de Game of Thrones n’est même pas la meilleure saison de la série.
En écrivant ça, j’ai bien conscience d’être un peu dur avec une série que j’ai suivie sans déplaisir cette année. Néanmoins, je ne trouve pas d’autre façon d’exprimer ma déception, bien réelle, face à cette collection discordante de bouts d’intrigues qu’on nous a servis en guise de saison.
Alors que les tournants majeurs dans l’histoire n’ont jamais été aussi nombreux qu’au cours des dix derniers épisodes, je pense sincèrement que l’adaptation laisse de plus en plus à désirer.
Prenons l’exemple de Stannis.
(Pauvre Stannis !)
Dans n’importe quelle autre série, au moment de l’écriture des épisodes, les scénaristes auraient remarqué que c’était une très mauvaise idée de laisser un personnage sans rien à faire pendant toute une année. Et encore moins de ne rien donner à faire à trois ou quatre personnages.
Or, dans le final de la saison 3, Stannis décide d’aller au Mur pour sauver le Royaume, être un bon roi, et arrêter de broyer du noir sur son île pourrie où il fait toujours nuit... pour finalement arriver au Mur dans le final de la saison 4, dans une séquence « surprenante » (dans le livre) pour quiconque aurait oublié l’épisode diffusé tout pile un an plus tôt.
Entre temps, Stannis est passé à la banque.
Et Melisandre a pris un bain.
Ici, l’adaptation ne fonctionne pas du tout, et les événements ont été tellement espacés qu’ils en ont perdu tout impact. A titre de comparaison, à la fin du deuxième livre (comme à la fin de la deuxième saison), Stannis est vaincu à la bataille de Blackwater. A la fin du troisième livre, et parce que Martin n’est pas un incapable, Stannis est bien en place au Mur, à faire des trucs.
Dans la série, deux saisons entières se sont passées depuis Blackwater, et on n’a toujours pas parcouru le chemin fait en un seul livre par Stannis et tous les personnages qui l’entourent. Pas étonnant, ensuite, de lire un peu partout que tout le monde s’en fout de savoir ce qui peut lui arriver.
Pauvre Stannis !

A mon sens, tout le problème vient du choix (plus que douteux) d’avoir attendu le neuvième épisode de la saison 4 pour nous offrir l’attaque du Mur.
Vous savez, le neuvième. L’épisode « majeur ». Celui qui est tombé complètement à plat cette année parce qu’il était placé entre la mort (bien cool) d’Oberyn et un final très chouette (malgré, là aussi, quelques choix douteux).
L’attaque du Mur était spectaculaire, c’est déjà pas mal. Mais si elle était arrivée quatre épisodes plus tôt, ça aurait permis... hmm... beaucoup de choses. Tenez, une liste !
6 Bonnes Raisons d’Organiser la Saison Différemment :
Ça aurait permis à Ygritte de ne pas mourir dans l’indifférence générale, après avoir passé une saison entière (c’est-à-dire, trois scènes à tout casser) à tuer des innocents.
Ça aurait permis à la Garde de Nuit de ne pas passer pour de gros bons à rien, pas foutus de se préparer à une invasion annoncée depuis... le final de la saison 2 ?
Ça aurait permis qu’on ne se tape pas une intrigue inventée de toute pièce avec de mecs qui s’occupent dans la forêt en violant des femmes, en jouant avec des couteaux, et en buvant dans des crânes humains entre deux monologues.
Ça aurait permis à Stannis, donc, de ne pas rien foutre pendant deux ans.
Ça aurait permis l’adaptation, dès cette année, de la chouette fin du livre, sans attendre la saison 5.
Ça aurait permis de ne pas reproduire exactement la même erreur que l’an dernier, quand Weiss et Benioff ont décidé de repousser au maximum les Noces Pourpres pour les caser dans le neuvième épisode, inventant des intrigues pour Robb, sa femme, et bébé Ned Stark, et repoussant inutilement le reste pour que tout coïncide.
Ceci étant dit, et pour apporter une pointe d’optimisme dans le portrait très sombre que je suis en train de dresser, j’avoue avoir vraiment hâte de retourner au Mur l’an prochain. Certes, on aura le très rigolo Stannis avec le très rigolo Jon Snow (qui s’occuperont sans doute l’un l’autre en philosophant sur les bienfaits de l’honneur, du sacrifice de soi, et du sexe avec des rouquines) mais au moins on n’aura plus à les supporter séparément.
Et peut-être, même, que Stannis pourra enfin justifier son utilité dans la série. Peut-être.
Pauvre Stannis.
Une histoire de cafards

Cette année, et assez paradoxalement en vue de la quantité de matière à adapter, l’intrigue de Tyrion aura elle-aussi souffert des choix étranges de Weiss et Benioff.
Autant je suis vraiment admiratif de la façon dont les scénaristes (et Pedro Pascal) ont réussi à nous faire apprécier Oberyn Martell (et à rendre sa mort bien plus forte que dans le livre), autant le rythme de cette intrigue était tout bonnement dégueulasse.
Entre le milieu de la saison et sa conclusion, c’était cinq à dix minutes par semaine, un peu à chaque fin d’épisode, et rien de plus.
Ou comment étirer en longueur, sans raison, des scènes qui auraient pu être toutes traitées en deux épisodes.
C’est pour cette raison que, quand on est finalement arrivé au duel en toute fin du huitième épisode, quand il ne restait plus qu’une petite dizaine de minutes, j’avoue que j’aurais préféré tomber autre chose qu’un monologue de Tyrion sur son cousin. Disons que dans ce genre de circonstance, alors qu’on sentait déjà les effets du remplissage depuis deux semaines, c’était un peu difficile de s’intéresser à ce qu’il racontait.
Pourtant, Tyrion, je l’aime bien. Peter Dinklage est un très bon acteur qui peut faire passer à peu près tous ses dialogues pour quelque chose de profond. Mais bordel, là, après toute cette attente, personne n’en avait rien à foutre de son histoire.
Je ne sais même plus de quoi il parlait, en fait. Tout ce dont je me souviens, c’est que j’en avais marre, que je voulais voir le duel promis, et que tout ce qui m’intéressait à ce moment-là, c’était de voir Oberyn se faire écraser la tête, sans raison, comme un cafard. Pas une histoire de cousin.
Quelle qu’elle soit.
C’est d’autant plus con d’avoir dû subir un tel étirement narratif quand, à côté de ça, l’intrigue de Sansa a été parfaitement adaptée.
The Dark Sansa Rises

Je préviens tout de suite, je parle seulement de Sansa.
En termes d’adaptation parfaite, je ne parle pas de l’intelligence de Littlefinger qui, elle, a été malmenée scène après scène après scène après scène, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien d’autre au personnage que l’accent à géométrie variable choisi par l’acteur. Et sa moustache de pervers.
Mais en dehors de Littlefinger, je me répète, l’intrigue de Sansa a été parfaitement adaptée.
... Oh, et je ne parle pas non plus de la mort de Lysa en elle-même. Non, son passage à la trappe était mal foutue, prévisible, et il y manquait un certain punch. Sans parler des effets spéciaux ratés. (Qu’il était moche, ce fond vert.)
Donc oui, en dehors de Littlefinger et de la mort de Lysa, l’intrigue de Sansa a été parfaitement adaptée.
... La robe de Sansa ! Putain, Dark Sansa en plumes de corbeaux.
Donc, cette fois c’est bon, à part Littlefinger, la mort de Lysa et la robe ridicule, l’intrigue de Sansa a été parfaitement adaptée cette année ! Pour la simple et bonne raison que Weiss et Benioff ont fait le choix de ne pas l’étirer en longueur, et même de raccourcir assez largement ce qui se passe dans le livre puisque la mort de Lysa n’arrive qu’à la dernière page (avant l’épilogue).
Sansa arrive donc chez sa tante et se rend compte une scène plus tard qu’elle est folle. Dans l’épisode suivant, elle meurt. Dans l’épisode suivant, Dark Sansa ! (Je me moque de Dark Sansa, mais la scène où elle ment aux nobles du Vale est peut-être ma préférée de la saison, avec celle où Oberyn se désigne comme le champion de Tyrion.)
Pour ne rien gâcher à cette gestion idéale de l’intrigue, on quitte Sansa en fin d’épisode 8, sur une chouette conclusion, sans se sentir obligé de la faire réapparaitre dans les deux derniers épisodes. Les scénaristes étaient conscients d’en avoir suffisamment fait pour cette année, ils se sont arrêtés au bon moment, rien à dire.
Une économie narrative similaire a été faite sur Théon et Ramsay cette année, avec seulement trois épisodes de présence (je crois) et... moins de succès. C’était moins bien parce qu’au milieu, il y a eu l’épisode du « Gros Chien ». Et aussi parce que cette intrigue m’a poussé à me poser une question embarrassante pour la série, à savoir : pourquoi Weiss et Benioff n’ont-ils pas été aussi succincts l’an dernier, plutôt que nous infliger des scènes de tortures répétitives pendant toute la saison 3 ?
(La réponse est toute simple : c’est parce qu’ils avaient bêtement décidé de repousser les Noces Pourpres à l’épisode 9, et qu’il fallait dissimuler l’identité de Ramsay en attendant... Quand je vous dis qu’ils n’apprennent rien !)
Attaque surprise !

Allez, très rapidement, parce que ça commence à faire long, c’est l’heure de la liste interminable de comparaisons entre le livre et la série que je vous avais promis d’éviter !
C’est mieux dans le livre ! La dernière conversation de Jaime et Tyrion, juste avant qu’il ne tue Tywin, n’a rien à voir avec celle du livre. C’est embêtant pour l’un (qui perd une grande partie de ses raisons pour le double meurtre qu’il s’apprête à commettre) comme pour l’autre (qui perd en profondeur).
C’est mieux dans le livre ! Shae est morte ! Elle aimait vraiment Tyrion. Mais en fait non, c’était une prostituée-même-pas-au-cœur-d’or. Ce n’était pas la peine de prendre le temps de développer son personnage pendant trois saisons puisque, finalement, ils ont fait comme si elle était exactement la même que dans le livre, et s’en sont débarrassé rapidement, en espérant que personne ne remarque que son changement de personnalité n’avait que très peu de sens...
C’est pas mieux dans le livre ! Margeary est géniale. Je suis toujours amoureux de Natalie Dormer. C’est tout.
C’est mieux dans le livre ! C’est moi ou bien Arya était quand même super méchante de laisser Clégane mourir comme ça ? Ils passent un chapitre ensemble dans le livre, et sa cruauté est donc justifiée. Ici, on voit leur relation s’améliorer pendant toute la saison, et trente secondes plus tôt Clégane annonce même qu’il est là pour la protéger. Mais non, il fallait arriver au même point que dans le livre, encore une fois, donc Arya est une garce.
C’est pas mieux dans le livre ! Le combat entre Brienne et Clégane n’est pas dans le livre (il est mortellement blessé dans la baston de la taverne, celle du premier épisode de la saison). Et cette baston était formidable. Une belle conclusion pour les deux duos, et un beau combat où on n’arrive pas à se décider sur qui on veut voir prendre le dessus. La scène où Arya laisse son pote mourir était, elle aussi, et malgré ce que j’ai dit juste au-dessus, bien plus forte que dans le livre (parce qu’on a passé beaucoup plus de temps sur leur relation, justement...).
C’est mieux dans le livre ! Jaime a donc violé Cercei devant le cadavre encore chaud de leur fils incestueux. Cool ! Je n’ai que trop rarement l’occasion d’écrire ce genre de phrase ! Une scène de viol selon les scénaristes. Une scène « compliquée » selon Lena Headey. Une scène d’amour géniale selon le réalisateur, complètement à côté de la plaque. Une scène « qui n’est pas pareil que dans le livre parce ces types chez HBO adaptent mon oeuvre beaucoup trop vite et vont me rattraper bêtement parce qu’ils ne veulent pas produire quatorze saisons » selon un George R.R. Martin qui ferait mieux de taper sur son clavier avec plus d’entrain et répondre à moins d’interviews imaginaires.
C’est pas mieux dans le livre ! Je le répète, mais Oberyn Martell était formidable. Et j’ai été ravi de voir que sa mort était au moins aussi gore que dans le livre. Sploosh !
C’est mieux dans le livre ! J’ai trouvé que l’exil de Jorah tombait comme un cheveu sur la soupe, et j’ai eu du mal à comprendre la réaction de Daenerys. Pourtant, comme à son habitude, Emilia Clarke a bien pris la peine d’énoncer chacune de ses syllabes très lentement pour que je saisisse, mais même avec ça, rien compris aux motivations de son personnage.
C’est mieux dans le livre ! Jojen est mort ! Et... On. S’en. Fout. Un non-personnage dans une non intrigue, qu’on n’a pas pris la peine de nous présenter en deux saisons complètes dans la série, et qui n’existait que parce qu’il existe dans le livre. Il est mort, donc. On. S’en. Fout. (Les squelettes étaient très bien foutus, ceci dit. Mais qu’on ne me demande pas de m’intéresser à autre chose qu’aux effets spéciaux.)
C’est pas mieux dans le livre ! C’est encore une phrase que j’ai trop rarement l’occasion de taper, mais « l’espèce de faux gigantesque qui pendait au Mur pour dégommer les sauvageons alpinistes était une belle surprise ». (Ceci dit, elle aurait été encore meilleure cinq épisodes plus tôt...)
Et maintenant ?

Maintenant, on attend presque un an pour la saison 5.
Et ensuite on va commencer à se marrer.
C’est fait, les trois meilleurs livres de A Song of Ice and Fire ont été adaptés. Il reste donc les deux autres, nettement moins bons, nettement moins adaptables, avec leurs héros qui ne font plus rien et l’apparition de quarante nouveaux lieux, personnages aux noms imprononçables, et intrigues secondaires.
Pour la première fois depuis le début de Game of Thrones, il est impossible de dire comment la prochaine saison va être adaptée, quelles intrigues vont être traitées, quelles intrigues vont passer à la trappe ou être complètement retravaillées. Il est impensable, quoi qu’il arrive, que le texte soit traité avec autant de rigueur qu’il ne l’a été jusqu’à maintenant, car la série perdrait immédiatement tout rythme et donnerait l’impression de faire du surplace, et de jouer la montre en attendant une conclusion, possible, un jour.
C’est pour cette raison que, bizarrement, après avoir été très dur avec la série pendant plus de cinq pages, je suis impatient de voir la suite, et assez confiant. Toutes mes attentes ont disparu, je ne demande qu’à être surpris par les choix qui seront fait, et la façon dont la série va prendre forme et se diriger, elle, vers une conclusion inévitable d’ici quelques années.
C’est vraiment tout ce que je demande pour la saison 5.
Enfin, ça, et que Stannis fasse un truc ou deux.
Pauvre Stannis.