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21 Drum Street - Les séries, c’est pas du cinéma

N°62: Ta Gueule, T’es Moche, David Lynch !

Par Conundrum, le 16 avril 2017
Publié le
16 avril 2017
Saison Chronique
Episode Chronique
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On connait tous ce sentiment si rare mais si plaisant d’aller au cinéma, et d’être pris par un film dès ses premières secondes. Happé par le film, même les discussions autour de nous, les bruits de pop corn, et les écrans de téléphone qui s’allument n’arrivent pas à nous faire décrocher.

Et quand le générique de fin se déroule, et que nous sommes les derniers dans la salle, on se dit « Wow, c’était aussi bien qu’une série d’un épisode ! ».
Non ?
Vous ne vous dites jamais ça en parlant d’un film ?
C’est normal, ça n’a aucun sens.

En revanche, on a le droit régulièrement la réflexion inverse par les fameux « On n’a pas eu l’impression de faire une série, mais des petits films de 45 minutes » ou « La nouvelle saison est un film de x heures ». Si ce genre de propos tenus entre autre par Paris Barclay ou David Lynch, me font souvent lever les yeux au ciel (et dans le second cas, en soupirant « Pauvre, Pauvre Mark Frost »), une discussion sur Twitter avec des Nicolas (Robert et Vinson) et notre Seb du forum, a élevé le débat où la question s’est posé de savoir si c’était vraiment un problème de considérer une saison comme un film de X heures et si du bon peut sortir de cette expérimentation.
J’ai essayé de dépasser le réflexe réactionnaire du « Non, il n’y a rien de bon à tirer, c’est une hérésie ! » et d’entamer une vraie réflexion, calme et posée en faisant fi des préjugés et idées préconçues. Et j’en suis venu à la conclusion suivante : « Non, il n’y a rien de bon à tirer, c’est une hérésie ».

Les deux affirmations ont deux sous-entendus. Le premier est cette idée idiote que le cinéma est plus noble que la télévision. Dire qu’on fait des mini films de 45 minutes, c’est d’associer l’image de prestige du cinéma à la série télévisée. C’est puant et idiot, et ne mérite pas qu’on s’y attarde de trop. Le second vient de l’idée qu’il faille considérer la série (ou la saison) dans son ensemble. On s’affranchit du concept d’épisode, mais on a plutôt des segments d’une seule et unique œuvre. Un peu comme des Legos. C’est moins puant, mais cela reste problématique.

Il y a un vrai plaisir un bon drama sérialisé. A une époque où le procedural formait la majorité de la production télévisuelle et où le mieux à espérer était un mix des deux comme le proposaient Buffy ou The X-Files, on pouvait savourer l’ingéniosité d’un Murder One avec sa trame sur toute une saison. Si le succès populaire ne fut pas au rendez-vous, elle reste une série intelligente et bigrement bien foutue. Mais si elle était bien réussie, l’aspect sérialisé n’était qu’un de ses atouts. La forme ne primait pas sur le fond. L’intérêt de la série tenait dans la psychologie des personnages, le rapport à la gloire alors que le procès OJ Simpson venait de se clôturer et de la manière dont était dépeinte le rôle d’avocat de la défense.
La série ne jouait quasiment jamais la carte du cliffhanger, les rebondissements majeurs n’étaient pas utilisés pour faire revenir le téléspectateur mais étaient intégrés dans la trame de l’épisode. Et chacun d’entre eux restait un solide épisode unitaire autour d’un thème précis. Plus impressionnant encore, les premiers épisodes avaient aussi une trame indépendante résolue en 42 minutes. Avec le recul, chacun de ces cas indépendants était soit destiné à mieux nous faire connaitre des personnages pas encore utilisés dans la trame principale ou servait comme un présage à un rebondissement futur. [1] Murder One, c’était plus un puzzle, qu’un Lego.

Mais Murder One s’est confronté à un problème de taille : comment gérer une intrigue unitaire et complexe avec une galerie importante de personnages en 22 épisodes ?
Le sublime prégénérique était pratique pour se rappeler de l’intrigue, mais il peut faire fuir le téléspectateur occasionnel. Et c’est là où une saison peut difficilement être considérée comme un film de plusieurs heures. Lorsqu’on lance un film, il y a un contrat tacite entre les auteurs et nous, le public : nous confions leur notre attention pendant une période raisonnable de temps (en moyenne deux heures). Le contrat est différent avec une série. Il n’y a pas de promesses, il est à renouveler régulièrement (à chaque épisode), et contrairement à un voyage en avion ou un cunnilingus, une fois commencée, nous ne sommes pas obligés de finir la série.

A l’inverse, on peut savourer un épisode d’une série sans devoir regarder ce qui précède et ce qui suit. Maintenant, essayez de convaincre la gentille hôtesse de l’UGC du coin de vous facturer et laisser entrer pour voir uniquement le moment « A Lovely Night » de LaLaLand. Les deux genres diffèrent non pas à cause de leur style ou rythme de production mais par le rapport qu’ils entretiennent avec leur public.

Ce n’est pas tant le rapport avec le cinéma qu’il faut prendre en compte, mais l’évolution du mode de consommation de la série. Le visionnage glouton de par l’avènement des saisons en DVD ou du mode de diffusion Netflix a deux impacts majeurs sur ce contrat avec le spectateur :
— on ne tombe pas sur une série par hasard en zappant, on cherche la série, et on décide de la regarder. On adapte le mode de visionnage en fonction de son train de vie et non plus en fonction de son horaire de diffusion,
— on part avec l’idée de commencer la série dans l’ordre avec l’intention de regarder plus d’un épisode et (normalement) toute la saison.
Les portes d’entrée et de sorties qui étaient les coupures publicité ou les débuts et fins d’épisodes perdent de leur importance. Au sein d’un épisode, il n’y a plus besoin de faire une structure en trois ou quatre actes en fonction des plages de publicité américaines avec des cliffhangers à ces moments pour demander au téléspectateur de revenir après la pub. Aussi, le besoin de répéter le principe de la série et ses codes (à travers un prégénerique, des scènes d’exposition ou un générique savamment monté) est moins présent.

Et c’est plus de là où l’expérimentation doit venir, dans la structure même d’un épisode. Lancer une série en visionnage glouton garantit que les chances que le téléspectateur va donner une chance convenable à la série (plus d’un épisode) sont plus importantes qu’un visionnage standard à la télévision.
Pourtant, on se retrouve souvent avec des saisons avec des gros moments de creux rythmées, non pas par des épisodes, mais des moments. C’est assez étonnant sachant que les règles de diffusion standard (avec pauses publicitaires, une auto-censure stricte, un format bien établi) étaient souvent mises en avant par des créatifs pour expliquer des problèmes de leurs séries. Pourtant il s’agit de ces mêmes contraintes qui ont poussé The Good Wife à expérimenter avec un épisode où Alicia et Cary affrontaient leur mentor. Cet épisode clé a donné des idées pour une des intrigues les plus intéressantes de la série.

Expérimenter avec l’épisode comme pouvaient le faire Joss Whedon avec ses épisodes musicaux ou sans dialogues, semble être absent des séries livrées à la saison.
On semble oublier qu’enchaîner les épisodes à la suite vient autant de la facilité que de l’envie. Ce manque d’ambition au niveau de l’épisode, auquel s’ajoute l’effacement des ruptures marquée entre eux fait que ces séries marquent moins. Dans cette optique-là, considérer la saison comme un film de X nombre d’heures, c’est revoir l’ambition à la baisse. On ne capitalise pas sur les forces de l’œuvre, ni sur la capacité des auteurs a donné plusieurs teintes à leurs histoires via des unitaires différents, mais sur la simple idée que le téléspectateur va finir la saison. On peut se permettre d’être plus faible car il n’y plus cette peur de perdre le spectateur à une coupure pub ou à une autre série diffusée à la même heure. Les contraintes stimulent l’ambition, elles ne brident pas nécessairement la créativité.

A l’inverse, il y a aussi l’idée que ces séries vont demander un effort supplémentaire.
Le cas des séries Marvel est pertinent. Pour regarder The Defenders, il faut regarder Daredevil, Jessica Jones, Luke Cage et Iron Fist, soit 5 saisons de 13 épisodes. L’enthousiasme de Daredevil s’est transformé en curiosité pour la suite, et alors que je n’ai pas trouvé le temps de regarder Luke Cage, l’envie n’est plus présente pour se lancer dans 13 épisodes potentiellement problématiques d’Iron Fist.
Et ce, pas uniquement parce que 26 épisodes de retard, c’est énorme, mais surtout que ces séries donnent l’impression de regarder sensiblement la même chose de semaine en semaine.

Une belle série, c’est une variation d’épisode en épisode autour d’un thème. Certains sont plus faibles que d’autres mais la variété se doit d’être présente. Un film, c’est une uniformité de ton et de substance pendant 2 heures et il n’y a rien de mal à cela, c’est le but d’un récit unitaire.
En faire son but sur 13 heures, c’est minimiser la force du récit sériel et c’est passer à côté de ce qui fait l’intérêt d’une série.

Conundrum
Notes

[1Le tout était tellement cohérent que la révélation finale sur l’identité du tueur aurait été bancale si la série ne se reposait que sur ce point.