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The Real Jéjé of pErDUSA - Quand la mort d’un personnage éclaire sur la façon dont un créateur voit sa série

n°5: Qu’ils crèvent tous !

Par Jéjé, le 21 octobre 2012
Par Jéjé
Publié le
21 octobre 2012
Saison Prise
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J’ai beaucoup de mal avec les séries de gangsters. Et les films. Et les romans... Et le début de la nouvelle saison de Sons of Anarchy m’en a rappelé la raison profonde.

Ce billet contient de grosses révélations sur la saison 5 de Sons of Anarchy.

Quasiment malgré moi [1], j’ai repris la série de Kurt Sutter que j’avais jurée d’abandonner après le finale de la saison 4, à cette époque-là, non pas à cause de son genre, mais de grosses incohérences narratives et d’un deux ex machina bien trop commode.

Dans l’épisode 3, Opie, l’un des personnages emblématiques, se rend volontairement à une mort commanditée par le très grand et très très puissant méchant de cette saison.
A ce moment-là, je suis assez satisfait par le tournant des événements. J’interprète ce suicide du personnage comme l’expression de son aveuglement et de sa faiblesse. Frustré par l’impossibilité de se venger de Clay, dépité par la direction qu’impose son meilleur ami à son cher club de bikers, il en oublie ses trois enfants, il en oublie l’extérieur telle la victime d’une secte et préfère mourir que de quitter une communauté qui ne lui convient pas.
Par ce rebondissement, Kurt Sutter me semble reprendre une distance salutaire par rapport à ses personnages principaux et au groupe qu’ils forment, un recul qu’il avait cessé d’avoir depuis la fin de la saison 2 et qui avait mené la série à une complaisance assez moche envers leurs actes malfaisants, par exemple, lors du finale de la saison 3.

Hélas, tout cela n’était le fruit que de mon désir de voir une série que j’avais aimée à ses débuts retrouver sa force d’antan. Toute la fin de l’épisode 4 est consacrée à la célébration du disparu, qui aurait été acceptable si elle ne l’avait été que du point de vue du club, mais la série s’acharne à inclure le spectateur dans cette phase de compassion.

Là voilà qui joue sur la longue séquence finale de la veillée funèbre The Lost Boy, une chanson tire-larmes [2] écrite à l’origine pour évoquer la vie de réfugiés soudanais…
Il n’y a aucun doute que cette chanson puisse être utilisée comme un contre-point musical cynique, c’est du premier degré.
Opie était tout de même un tueur, qui a rejoint un gang qu’il savait dangereux et dont l’adhésion a conduit à la mort de sa femme, qui a voté pour qu’en plus de faire de la contrebande d’armes à feu son gang fasse du trafic de drogue et qui a mis les intérêts du club avant ceux de ses enfants. Mais ce qui compte, c’est de faire pleurer dans les chaumières...

Et si j’utilise la morale comme argument pour exprimer ma déception face au traitement de la série, ce n’est pas pas parce qu’elle met en scène des personnages amoraux, ça ne me pose aucun problème, c’est que la série met la morale au premier plan de la "caractérisation" de ses personnages pour provoquer l’empathie des spectateurs.
Dans la saison 4, Tigs tue par accident et surtout par bêtise une jeune femme.
Dans la saison 5, le père de cette jeune femme kidnappe la fille du dit Tigs et la brûle devant ses yeux…
A une mort provoquée par accident est opposée une mort provoquée par une vengeance sadique. Vers qui est supposée aller la sympathie du spectateur ?

L’utilisation d’une hiérarchie morale est le défaut majeur de beaucoup d’oeuvres "noires" qui veulent traiter les gangsters avec romantisme ou en tout cas avec une adhésion complète du spectateur pour les personnages centraux.
Elle se traduit en général par la présence d’antagonistes supposément encore moins moraux qu’eux, la plupart du temps criminels mais parfois même de la police. Dans Sons of Anarchy, ce sont les Aryens de la saison 2, les méchants Irlandais kidnappeurs d’enfants et June Stahl devenue psychopathe en saison 3, Harrold Perrineau en saison 5. Boardwalk Empire prend le même chemin maintenant que le lien de Nucky avec son protégé est rompu. L’introduction du personnage de Bobby Cannavale, gangster psychopathe, a pour charge principale de re-élever la valeur morale de Nucky Thompson, devenu moins "aimable" en fin de saison 2.
Cette hiérarchie affichée des valeurs des gangsters enferre ces séries dans des oppositions manichéennes et conduit souvent à justifier de façon morale des actes vicieux : l’exemple le plus flagrant reste pour moi l’exécution de June Stahl par Opie dans Sons of Anarchy.

Pour moi, une série "réussie" de gangsters s’affranchit justement de ce fonctionnement en opposition d’une morale à une autre et assume l’ambivalence des sentiments que leurs personnages provoquent à leurs égards.
A ce titre, les Soprano reste pour l’instant, le chef d’œuvre du genre.
La série n’éprouve jamais le besoin de justifier les actes criminels et amoraux de Tony ou de ses acolytes. Elle rappelle cependant régulièrement qu’ils sont de dangereux déséquilibrés par des scènes où la violence n’a rien d’attrayant ou de libérateur. Ils ne sont pas présentés en héros de série (contrairement à Jax ou Nucky), mais toujours en personnages principaux dont le passé peut parfois expliquer leurs décisions, leurs actes mais jamais les justifier.
Et il est d’autant plus satisfaisant pour le spectateur de s’intéresser voire de s’attacher à eux malgré leurs insuffisances morales car on ne le force pas à les ignorer ou les légitimer.

Pour Sons of Anarchy, c’est fichu. Je ne souhaite plus qu’une chose pour les personnages, qu’ils crèv... qu’ils finissent tous en prison après une enquête et procès rigoureux.

Jéjé
Notes

[1J’avais cru comprendre que dans les premiers épisodes la moitié des personnages serait tuée. J’étais assez intrigué. En fait, j’avais parcouru trop rapidement le titre d’un article consacré à la mort (réelle) d’un acteur de la série. "Sons of Anarchy’s Half Sack dies bizarrely"… J’avais retenu "Sons of Anarchy’s Half Cast dies"...

[2Voyez les paroles :
"I never found my father,
I never found my mother
Even would I know in my lifetime I will be
A hero into the masses,
to those born without chances
There’s a freedom that everyone deserves
I know there’s greed and there’s corruption
I’ve seen death and mass destruction
But I’m telling you, and I hope that I’m heard
And I will not be commanded,
And I will not be controlled
And I will not let my future go on,
without the help of my soul"