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N°26: Aux Frontières du Réel

Par Conundrum, le 13 juillet 2013
Publié le
13 juillet 2013
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En une semaine, la télévision américaine a lancé deux programmes qui jouent sur notre affection pour la Real-TV de compétition. Siberia sur NBC est une série sur le tournage d’une émission de télé-réalité qui déraille. Whodunnit sur ABC est une émission de Real-TV de compétition à moitié scriptée où des candidats sont « tués » chaque semaine et doivent découvrir l’identité du tueur parmi eux.

Siberiajoue sur tous les codes de Survivor de manière impressionnante. Les épisodes de la série sont montés comme ceux de la Real-TV de Mark Burnett jusqu’au générique qui présente les candidats par leurs prénoms et non pas par le nom des acteurs qui les interprètent.
Les acteurs et la réalisation sont particulièrement brillants et, comme l’explique Ju dans sa critique, un téléspectateur lambda qui tombe sur le programme par hasard sans rien connaitre de Siberia, n’a aucun moyen de savoir qu’il regarde un drama et non pas une émission de télé réalité inspirée par Survivor.

Whodunnit ? réunit des candidats dans un manoir. Ils ne savent pas pourquoi ils sont là, juste qu’ils ont signés pour une émission où ils allaient résoudre des énigmes. Quelques moments après que les candidats se présentent les uns aux autres, ils sont emmenés dans leurs chambres. Soudainement, ils entendent un cri et découvre le cadavre d’une des « candidates » dans le salon. Bien évidemment, la candidate était une actrice, et le majordome, qui sert d’animateur à l’émission, explique alors les règles du jeu. Les candidats doivent découvrir comment a été tuée la victime et émettre une hypothèse sur l’identité du tueur. Le candidat le plus loin de la « vérité » sera alors « tué » de manière spectaculaire et sera la source de l’énigme de l’épisode suivant.

Si Siberia est un drama qui veut se rapprocher le plus près possible de la télé réalité, Whodunnit ? est une émission de Real-TV veut émuler au mieux une série scriptée.

Lors du générique de fin de Whodunnit ?, on peut lire rapidement que la procédure d’élimination n’est pas celle montrée à l’écran. Alors qu’on voit des candidats chacun leur tour expliquer leur scénario dans un bureau où ils se savent filmer, on peut lire que l’élimination se base sur un simple questionnaire. De plus, les scènes de meurtres n’ont pas été tournées au même moment que l’épisode. Tout comme on demande à des acteurs de Siberia une performance proche des celles des candidats de Survivor, on demande aux candidats de Whodunnit ? d’être, en partie, acteurs.

Mais malgré toute la bonne volonté derrière ces deux programmes, il m’est impossible de me passionner autant que devant une bonne saison de Survivor. En voulant essayant de faire évoluer le genre, ces deux programmes ont trop altéré l’ADN de la Real-TV pour y prendre un réel plaisir.
On sait tous que la Real-TV est scriptée par un montage trompant ou par une production trop intrusive. Mais c’est ce dosage de faux/réel qui, lorsqu’il est trouvé, donne son intérêt au genre. Nous ne sommes pas stimulés de la même façon devant un drama que devant Survivor. On analyse une série, mais on se projette dans une émission de télé-réalité.

Dans le livre Everything Bad is Good for You, Steve Johnson explique ce point de manière particulièrement pertinente :

« in the world of reality programming, that projection is a defining part of the audience’s engagement with the show »

Nous pouvons analyser pendant six ans les actions de Don Draper et la qualité d’écriture de Mad Men, mais on ne se dit jamais « à la place de Don Draper, j’aurais fait » comme on peut se dire « à la place de Malcolm, j’aurais accepté la proposition d’alliance de Denise » devant un épisode de Survivor.
Pour se projeter dans une émission de télé réalité, il faut une dose de réel. Johnson explique que même si le montage est truqué, la déception d’un candidat d’avoir été éliminé par sa tribu est réelle. C’est ce qui permet de faire la connexion avec une bonne émission de télé réalité de compétition. Siberia, de par sa nature, ne propose pas ce lien, car on sait qu’il s’agit d’un drama et que les réactions sont scriptées et qui, de plus est, pourrait avoir une connotation surnaturelle.
Whodunnit ? fait tout pour contrôler l’aspect réel de son émission, seule la partie enquête de l’émission laisse les candidats réagir librement. Le processus d’élimination, l’un des éléments clé de la connexion audience/émission, lui apparait totalement faux. Et les candidats n’adressent que très rarement l’aspect joué de l’émission.

Siberia bénéficie d’une valeur ajoutée de production et d’ambition qui la rend assez plaisante. Whodunnit ? est programme qui peut être suivi plus par curiosité que réel intérêt. Il s’agit de deux programmes que l’on peut aisément oublier . Chacun a ses propres objectifs mais ils se jouent des codes d’un genre fragile qui est rarement bien exécuté et échouent.

Et il faut se rendre à l’évidence, ils n’arriveront jamais à provoquer la même joie que de voir Ozzie se faire éliminer par Parvati et son alliance surprise.

Conundrum
P.S. Et à la place, le livre de 2005, Everything Bad is Good For You est une excellente lecture estivale sur l’évolution des jeux vidéos, des séries télévisées, de la Real-TV et d’Internet ces dernières années.