Ramón y Cajal (Espagne, 1982)

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Cette année, aux USA, une exposition itinérante, Beautiful brain, présente les nombreux dessins du tissu nerveux réalisés par Santiago Ramón y Cajal, le premier prix Nobel de médecine espagnol (couronné en 1906). Également, un ouvrage regroupant ces croquis a été édité récemment et a reçu un accueil enthousiaste. C’est pourquoi j’ai décidé cette semaine de me pencher sur la minisérie dédiée à cet illustre personnage, diffusée initialement par TVE en 1982 et disponible en DVD, avec des sous titres en langue française de qualité correcte (malgré quelques coquilles ici et là). Les DVD proposent aussi plusieurs documentaires intéressants sur le personnage et son époque, ainsi que des interviews de spécialistes de ses domaines d’étude, malheureusement non sous-titrés. Néanmoins, le biopic est à bien des égards exemplaire. S’étalant sur 9 épisodes d’une durée d’une heure, il décrit avec exhaustivité le parcours du savant, permettant ainsi de saisir les différentes facettes de sa personnalité, tout en offrant une reconstitution minutieuse de son époque permettant de placer ses travaux dans leur contexte. Réalisée par José María Forqué (en se basant sur une biographie écrite par Santiago Lorén) et agrémentée d’une bande musicale signée Antón García Abril (le compositeur de l’hymne actuel de l’Aragon), la série bénéficie de la prestation remarquable d’Adolfo Marsillach dans le rôle-titre, dont la ressemblance physique avec son modèle historique est frappante.

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Chaque épisode débute par des images de Cajal à la fin de sa vie, lisant à haute voix dans son bureau des extraits de l’autobiographie qu’il rédige ou confiant ses souvenirs à sa secrétaire particulière, avant d’aborder par ordre chronologique les étapes de son existence. Bien qu’ils contiennent peu de développements scientifiques, j’ai apprécié les premiers épisodes pour leur description très vivante de la vie provinciale en Espagne au XIXe siècle: outre les fêtes populaires, on y découvre des petits métiers oubliés (dont celui de savetier, qu’exerça brièvement Cajal lors d’une interruption de ses études pour cause de comportement dissipé en cours) mais aussi l’impact sur la population d’une période socialement troublée.

Santiago est né en 1852 en Navarre, dans la province de Saragosse, dans une période de forte instabilité pour son pays: guerre civile entre carlistes (légitimistes) et partisans de la reine Isabelle II, révolution de 1868 où le général Joan Prim joua un rôle moteur, instauration d’une république quelques années plus tard, avant l’établissement d’une monarchie constitutionnelle…Cette toile de fond politique assez confuse est bien retranscrite à l’écran. Le jeune Cajal est dépeint comme un garnement dégourdi, un élève peu appliqué qui multiplie les facéties (par exemple, il confectionne un canon dont les projectiles causent de sérieux dégâts dans les environs ou bombarde au moyen d’un lance-pierre des gamins membres d’une bande rivale), mais déjà curieux de phénomènes scientifiques (il observe les éclipses de lune et de soleil, s’étonne des dommages que peut causer un orage lorsque le curé de son village meurt foudroyé alors qu’il sonnait les cloches) et habile dessinateur (très tôt, il commet des caricatures de ses professeurs).

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Le père de Santiago, don Justo (Fernando Fernán Gómez) est un chirurgien barbier au caractère sévère, qui lui impose une éducation stricte dans un établissement religieux. Lors de la guerre civile, il est fort occupé à secourir les blessés, tout en menant des études d’anatomie. Aidé de Santiago, il n’hésite pas à piller des tombes pour récupérer des ossements, dans un but pédagogique pour son fils. Cette figure paternelle imposante, vénérée autant que redoutée, influencera son parcours scientifique (comme lui, il s’oppose au vitalisme, décrivant le corps humain comme un « admirable artifice », une mécanique complexe à élucider). Cependant, il entretiendra avec don Justo des rapports conflictuels: son père souhaite avant tout son confort matériel, comme lorsqu’il veut le persuader de devenir un paisible médecin de campagne et de renoncer à la recherche, activité aux revenus trop incertains selon lui, d’autant plus que percer dans le milieu académique est un objectif difficilement réalisable pour qui n’a pas l’entregent nécessaire.  Don Justo aura toujours du mal à reconnaitre son ambition de chercheur et à comprendre la portée de ses découvertes. A la fin de sa vie, Santiago rompra même ses relations avec lui lorsque son père décide de se remarier peu après la mort subite de sa mère Doña Antonia.

Le second épisode aborde son passage dans un lycée de Huesca, puis à l’université de Saragosse. L’un de ses professeurs, José de Letamendi (joué par José María Escuer), a su, par ses exposés très vivants, lui donner goût à l’étude du corps humain. A cette époque, il commence à s’intéresser à la photographie, après avoir découvert sur le campus un studio photographique clandestin. D’autre part, il développe ses qualités de dessinateur anatomique, réalisant devant sa classe une magnifique représentation annotée du fœtus  humain. Il adhère aux conceptions controversées de Rudolf Virchow (selon lesquelles les maladies sont dues à des altérations des cellules du corps) avant de les abandonner, voyant le scepticisme de ses enseignants à cet égard.

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Le troisième épisode est dédié à l’engagement de Cajal dans l’armée et à son séjour à Cuba, lors de la guerre de Dix Ans (1868-1878) où les troupes espagnoles matèrent avec difficulté l’insurrection des indépendantistes. La série dépeint le conflit sous un jour sombre: dans les rangs des soldats, le piston est monnaie courante pour obtenir les meilleurs postes, la logistique est défaillante (les médicaments ne parviennent pas toujours aux blessés), les hauts gradés se sucrent au détriment de leurs subordonnés (se réservant les meilleures victuailles), la tactique militaire s’avère peu efficace car les effectifs sont trop dispersés. Surtout, les rangs des soldats sont décimés par les maladies tropicales. Santiago lui même voit sa santé se détériorer, tandis que ses réclamations à la hiérarchie restent lettre morte. Victime du paludisme, atteint d’hémoptysie, il est finalement rapatrié en Espagne, amer d’avoir constaté que l’avidité l’emporte sur le patriotisme parmi les militaires de carrière. Il entame ensuite une longue convalescence, qui le conduira à effectuer un séjour en sanatorium, où la neurasthénie le guette. Il retrouve à cette occasion mademoiselle Nuria, la fille d’un colonel en poste à Cuba, avec qui il se lie d’amitié, mais celle-ci meurt bientôt, victime de consomption.

La vie sentimentale de Cajal est abordée de façon succincte. Étudiant, il s’entiche d’une fille de bonne famille, Marina, allant jusqu’à provoquer en duel un de ses camarades qui la convoite aussi, mais le combat tourne court et les rivaux se réconcilient. De toute façon, l’idylle ne fait pas long feu car Marina repousse ses avances pressantes. Plus tard, il rencontre la femme de sa vie, Silveria (Verónica Forqué), qui lui donnera sept enfants.

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La vie de Silveria aux côté de Santiago n’a, à en croire la série, guère été facile. Elle devait souvent sacrifier l’argent durement économisé pour financer la publication des articles de son mari (souvent illustrés de gravures) et se contenter d’un train de vie modeste. La priorité de Cajal était le progrès de la connaissance scientifique, parfois au détriment du bien être matériel des siens. Deux passages le montrent bien. Dans le premier, il acquiert un puissant téléscope, très coûteux, alors que le ménage aurait besoin de garder des sous de côté. Dans le second, il est absorbé nuitamment par son travail et est sur le point d’aboutir à une découverte majeure, alors que sa femme est au chevet de sa fille mourante et vient le supplier, derrière sa porte close, de venir auprès de son enfant. Par ailleurs, c’est un homme de principes: il refuse une allocation de 10000 pesetas de la part des pouvoirs publics, considérant que c’est une somme trop élevée pour le contribuable, causant ainsi la consternation de son épouse. A la fin de sa vie, il affirme qu’il n’a pas été un bon mari, ni un bon père, même s’il n’a jamais laissé sa famille dans le dénuement.

La minisérie s’étend sur les débuts de sa vie de chercheur et particulièrement ses difficultés à trouver sa place dans le milieu académique. Pour décrocher une chaire, il faut obtenir les voix du jury et pour cela être un orateur éloquent, tout en parvenant à trouver de solides soutiens parmi les universitaires en poste. D’autre part, il prend très tôt conscience de l’importance de l’observation microscopique: l’observation de cellules sanguines a été pour lui la révélation du potentiel de ces agrandissements pour la compréhension du vivant.

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L’histologie devient vite son domaine de prédilection, il mène des recherches variées dans ce domaine: sur la diapédèse (mécanisme de migration des leucocytes), les cellules somatiques et la dégénérescence cellulaire. La série ne s’attarde pas sur ces sujets techniques, préférant se focaliser sur la controverse qui l’opposa au docteur Jaume Ferran (joué par Eduardo Fajardo). Ce dernier conçut un vaccin contre le choléra (qu’il s’est inoculé lui-même devant un parterre de savants, pour montrer son innocuité), mais Cajal refuse de participer au comité devant veiller à sa diffusion, dans un contexte épidémique. Le chercheur têtu a des doutes sur son efficacité. Après avoir isolé le vibrion cholérique présent dans les excréments de patients, il parvient à la conclusion qu’il convient d’injecter aux malades des bacilles morts et non vivants comme le préconise Ferran, car cela présente moins de risques. Dès lors, le docteur Ferran, très populaire dans le pays, gardera envers lui une rancune tenace. Cependant, les objections de Cajal à sa méthode thérapeutique n’étaient pas motivées par une quelconque jalousie à l’égard de Ferran, mais uniquement par la volonté de proposer un vaccin plus sûr, quitte à ne pas ménager un respecté confrère. Cet antagonisme met aussi en lumière une constante dans la carrière de Cajal: le fait que ses grandes découvertes s’appuient souvent sur des procédés mis au point par d’autres scientifiques et qu’il parvient à perfectionner.

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La minisérie décrit de façon détaillée sa trouvaille qui lui permettra d’être nobélisé et lui apportera une grande renommée: il met en évidence le fait que les cellules nerveuses ne forment pas un ensemble continu, mais que leurs extrémités ne se touchent pas, jetant ainsi les bases des neurosciences modernes. Pour y arriver, il est parvenu à améliorer la méthode de teinture des tissus neuronaux de Camillo Golgi par fixation du chromate d’argent, permettant ainsi de visualiser les cellules nerveuses de façon plus distincte, non comme une masse dense et compacte, et de produire les nombreux croquis d’après observations micrographiques qui ont fait sa réputation. Golgi, bien qu’obtenant le Nobel tout comme lui en 1906, considérait sa théorie neuronale avec dédain (comme le montre la scène où il prononce un discours pontifiant au dîner suivant la remise du prestigieux prix) et restait un farouche défenseur de la théorie réticulaire (selon laquelle le système nerveux forme un ensemble continu). Le biopic insiste sur la volonté de Cajal de clarifier notre vision de la structure cérébrale (par exemple, il étudie le développement nerveux chez l’embryon car c’est une structure plus simple que celle de l’individu adulte, donc plus aisée à observer), mais préfère passer rapidement sur ses découvertes plus spécifiques. Ainsi, les cellules interstitielles de Cajal (ICC) situées dans l’appareil digestif sont à peine évoquées.

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L’un des aspects intéressants de la série est le fait qu’elle montre des facettes moins connues du personnage. On découvre qu’il était un amateur assidu du jeu d’échecs, qu’il pratiquait dans le club des universitaires de Valence, en Catalogne, et où il se révélait un redoutable adversaire. D’autre part, il aborda, dans le cadre de la pratique médicale, des disciplines para-scientifiques comme l’acupuncture et surtout l’hypnose. Fasciné par les travaux de Charcot, il recevait dans son cabinet des patients atteints de maladies psychosomatiques qu’il cherchait à guérir grâce à la suggestion. Ses séances d’hypnose connurent un grand succès, les volontaires étaient nombreux. Il fit même expérimenter à sa femme l’accouchement sous hypnose (en précurseur de l’hypnose ericksonienne visant à lutter contre la douleur). Il se pencha aussi sur les mécanismes de la vision, en étudiant les prolongements nerveux des cellules rétiniennes. Plus inattendus furent ses travaux d’acoustique en vue d’améliorer le phonographe d’Edison. Sa création, nommée graphophone, permettait un rendu des voix enregistrées de meilleure qualité. Une scène le montre ému en entendant la voix de son fils sortir du pavillon de l’appareil. Ces avancées dressent le portrait d’un savant éclectique, porté au perfectionnement des découvertes de ses prédécesseurs.

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La minisérie permet de cerner la personnalité de Cajal, sans omettre ses contradictions et ses opinions les plus contestables. Il apparait certes désintéressé, préoccupé principalement par les progrès de la science, mais il recherche aussi la reconnaissance de ses pairs. Lorsqu’il se rend en Allemagne pour présenter à un salon ses observations prouvant la théorie neuronale, il est accueilli avec enthousiasme, ce qui le comble de satisfaction. Il s’enorgueillit d’avoir la reconnaissance d’un savant éminent de son temps, Albert von Kölliker. Il accepte toutes les distinctions honorifiques (les dernières minutes de la série les égrènent longuement) et les postes prestigieux qu’on lui propose (comme celui de directeur de l’institut national d’hygiène, qu’il occupe au tournant du XXe siècle). Par contre, le fait qu’un institut portant son nom soit créé lui déplait (car un tel hommage a lieu habituellement après le décès du dédicataire), de même que la statue le représentant, un nu d’une grande laideur, selon lui.

Après son prix Nobel, en tant que sommité, il est souvent sollicité pour donner son opinion sur divers sujets de société, révélant parfois ses qualités humaines, mais aussi ses petits travers. Concernant l’obtention du Nobel de la paix par Roosevelt, il ne mâche pas ses mots, s’étonnant qu’un impérialiste de cette ampleur soit ainsi transformé en champion de la paix. A propos des conflits mondiaux, il note avec cynisme que l’alternance entre périodes pacifiques et guerrières traduit le passage « d’une pause nutritive à l’action dévorante », comme chez tous les êtres vivants. Constatant le déclin de la grande Espagne et la perte des colonies, il affirme la nécessité de pallier les pertes territoriales en défendant la patrie sur le plan moral et intellectuel, montrant ainsi son dédain des possessions matérielles. Par ailleurs, il n’est pas exempt de misogynie quand il précise que la femme doit se conformer aux aspirations de son conjoint, ce en quoi il déclare n’avoir jamais été déçu dans sa vie de couple.

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Ce biopic m’a emballé car il a dépassé mes espérances: très riche en informations aussi bien sur le plan scientifique que sur la société espagnole de l’époque, il décrit le parcours de Cajal avec précision sans être impersonnel et propose une vision du personnage dans toute sa complexité, ce que les notices biographiques des encyclopédies ne sauraient retranscrire. La minisérie est à recommander aux amateurs d’histoire des sciences, en particulier ceux qui ont apprécié Microbes and Men, le docudrama britannique que j’ai présenté sur ce blog il y a deux ans. Une autre minisérie espagnole, diffusée en 2001 (et aussi disponible en DVD avec sous-titres français), de facture très classique, est aussi à conseiller: Severo Ochoa, la conquista de un Nobel, à propos du savant qui découvrit l’enzyme permettant la synthèse de l’ARN et qui dépeint sa vie tumultueuse, faite d’exils successifs, lors de la guerre civile de 1936 et pendant la seconde guerre mondiale. Dans ce cas aussi, la minisérie (en seulement deux épisodes) est parvenue à rendre captivant un sujet scientifique à priori aride et à le rendre compréhensible aux non spécialistes. Des efforts de vulgarisation sans simplification excessive qu’il convient de saluer.

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Singha Durbar [Saison 1] (Népal, 2015)

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C’est une première pour moi: j’ai enfin visionné une série népalaise. Le choix était restreint, car bien peu sont à ce jour sous-titrées. Heureusement, les fictions produites par Search for Common Ground (SFCG) disposent de sous-titres en anglais et sont facilement trouvables en ligne. J’avais le choix entre Singha Durbar et Hamro Team, mais cette dernière a pour sujet le parcours d’une équipe de football (or, je viens juste de présenter une série sur le hockey, je n’allais donc pas aborder encore un thème sportif). J’ai donc choisi de regarder la saison initiale (de 13 épisodes d’une durée d’environ 30 minutes) de cette œuvre de politique-fiction, à la tonalité résolument idéaliste mais qui pointe en creux, en montrant un exemple édifiant de bonne gouvernance, les défaillances récentes de l’État népalais.

Singha Durbar (le titre fait référence à un somptueux palais de Katmandou devenu à la fois le siège du gouvernement et des deux chambres du parlement) aborde successivement les différents sujets de préoccupation du pays (développement économique, lutte contre les pénuries alimentaires et hausse de la productivité agricole, éducation, accords avec des pays tiers concernant le sort des travailleurs expatriés, gestion des catastrophes naturelles et du changement climatique, organisation de compétitions sportives), tout en mettant l’accent sur la nécessité d’une communication transparente de la part des autorités en place.

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La série a été réalisée par Tsering Rhitar Sherpa et écrite par Abinash Bikram Shah, un duo surtout connu en France pour un film sorti en 2015, Kalo Pothi, un village au Népal, que j’ai regardé dans la foulée: c’est une fiction naturaliste qui décrit les pérégrinations d’un gamin qui cherche à retrouver une poule vendue inconsidérément par son père, une créature précieuse pour les œufs qu’elle pond, leur commerce permettant de nourrir sa famille vivant dans la pauvreté. Sans misérabilisme, il s’agit d’une description poignante de la dure existence des villageois pendant la guérilla maoïste, pris en étau entre les gauchos qui ponctionnent leurs maigres ressources et l’armée qui les soupçonne d’être de connivence avec la rébellion.

Singha Durbar, tout en restant en phase avec les problématiques actuelles, opte pour une approche différente, moins frontale, en présentant ce vers quoi devrait tendre idéalement le personnel politique. J’évoquerai rapidement le pilote, déjà abordé à la fin de l’année dernière dans un article d’un blog bien connu des sériephiles sans frontières (je vous laisse deviner lequel): il décrit l’accession au poste de première ministre d’Asha Singh (Gauri Malla), membre du Sampurna Nepal Party, en remplacement du chef dudit parti,  Ramananda Jha (Ramesh Ranjan), un patriarche respecté mais qui doit faire face à de graves ennuis de santé (il a été victime d’une attaque cardiaque et est en passe de subir une opération chirurgicale lourde). Asha, qui doit son aura au fait qu’elle a grandement contribué à l’établissement récent d’une nouvelle constitution, remporte le vote interne au parti visant à déterminer le successeur de Ramananda et met en place un gouvernement de coalition regroupant les diverses sensibilités politiques.

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Ces dernières années, on a vu d’autres séries dépeignant un pouvoir partagé entre des factions politiques de bords éloignés. Je citerai en particulier Byw Celwydd (Living a lie), une production du pays de Galles, où la cohabitation au sein du gouvernement de Cardiff est pour le moins houleuse, les conflits éclatant à tout propos. Rien de tel dans Singha Durbar: Asha Singh, d’une aisance souveraine, la zénitude incarnée (jamais un mot plus haut que l’autre), y porte un projet fédérateur pour son pays avec son équipe, qu’elle nomme « team Népal »: œuvrer en commun pour l’intérêt général, en ayant à l’esprit trois nobles missions, maintenir la paix, garantir la sécurité et faire preuve de transparence envers les citoyens.

Son mandat se déroule de façon harmonieuse: même si des désaccords mineurs  surgissent parfois entre ministres, ils sont vite réglés grâce à ses talents de conciliatrice. Habilement, lorsqu’un individu influent critique le gouvernement, elle lui propose aussitôt un poste convoité au sein de son équipe: c’est le cas de Bishwa Bishwokarma (joué par Praween Khatiwada) qui devient attaché de presse dans son cabinet ministériel. Outre sa carrière ambitieuse, Asha doit aussi gérer une vie de famille guère paisible: sa mère tombe gravement malade, son fils Aditya (Sanjay Nepal) est en fauteuil roulant et poursuit ses études dans un établissement pour enfants handicapés. Heureusement, son mari Ramesh, un médecin réputé, est bienveillant et d’une bonté exemplaire.

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Après les deux premiers épisodes introductifs, le troisième se penche sur les difficultés du secteur agricole. Dans certaines régions, les pénuries provoquent une vague de protestation contre le gouvernement. Asha se voit reprocher le fait qu’il n’y ait pas de ministère de l’agriculture, ce à quoi elle répond, avec un petit rire discret, que c’est prévu pour bientôt (face aux critiques, elle fait toujours preuve d’une tranquille assurance et parvient à rassurer ses interlocuteurs). Alors qu’approche le festival de Dashain, période faste pour la consommation, elle s’appuie sur des initiatives locales pour favoriser la productivité des terres et faire baisser les prix des produits grâce au regroupement de petits exploitants en coopératives. On perçoit bien dans cet épisode son objectif à moyen terme, qui est d’aboutir à un système fédéral où les prises de décisions seraient réparties  équitablement au travers du territoire, en fonction des nécessités du moment.

Le quatrième épisode traite de la sécurité des travailleurs partis à l’étranger: suite à des troubles sociaux survenus dans un pays voisin, des népalais y gagnant leur vie doivent être rapatriés d’urgence, une situation critique qu’ Asha affronte avec un calme olympien, malgré les images anxiogènes véhiculées par les télévisions. Cet épisode permet aussi d’en apprendre plus sur un journaliste d’investigation, Navin, également blogueur influent, qui n’hésite pas à publier des articles polémiques. On apprend que son père est en prison, accusé d’avoir conspiré, lors des troubles des années 90, avec des rebelles. Navin est également intime avec Sumnima (Bhintuna Joshi), une secrétaire au service du gouvernement, qui constitue pour lui une source précieuse d’informations de première main.

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Certains sujets évoqués ne sont pas des problématiques spécifiquement népalaises. C’est le cas dans le cinquième épisode où il est question de la lutte contre la corruption, induisant dans certaines régions une crise alimentaire persistante (et l’explosion du marché noir) ainsi qu’une détérioration des infrastructures routières. La première ministre se veut pédagogue, elle instaure une émission de radio où elle dialogue régulièrement avec des citoyens qui lui exposent leurs griefs. Elle insiste sur le fait que l’État ne peut pas tout, que les gens doivent se prendre en charge, agir à leur niveau pour que les choses changent. Cependant, parfois, une intervention est nécessaire, comme dans l’épisode 6 où un appel d’offre en vue de constituer un stock de médicaments devant permettre de réduire la mortalité maternelle (très élevée au Népal) laisse entrevoir un risque de conflit d’intérêts car un ministre aurait des liens avec un groupe pharmaceutique impliqué. Initialement, Asha refuse d’interférer dans le processus d’appel d’offre, mais finit par s’y résigner pour éviter une crise politique.

Ces épisodes, même s’ils décrivent l’action politique de manière un peu simplifiée, on le mérite d’être d’une grande clarté. Ce n’est hélas pas le cas du septième épisode, qui relate une obscure histoire de violence en milieu universitaire, dans le contexte de l’élection de délégués syndicaux étudiants, où une bibliothèque est incendiée par des individus malveillants voulant mettre ainsi en accusation le gouvernement en le prétendant être à l’origine des troubles (dans le but de favoriser le syndicat le plus proche de ses vues). Mais au sein de cette intrigue confuse, est tout de même cité brièvement le plan Youth Vision 2025, bien réel, qui prévoit d’agir sur dix ans en faveur de la jeunesse du Népal (à différents niveaux: emploi, éducation, accession à plus de responsabilités politiques…).

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Les épisodes suivants traitent de questions brûlantes au Népal. Dans le huitième, alors qu’Asha est en visite à l’étranger pour convaincre des investisseurs de créer des emplois dans son pays, survient un tremblement de terre de forte magnitude. Notre dirigeante doit alors choisir où vont ses priorités: elle décide d’aller au plus vite au chevet des populations sinistrées, se préoccupant surtout de logistique (pour les soins médicaux, les besoins sanitaires). Lorsqu’un pont qui vient d’être inauguré s’écroule lors du séisme, elle met en cause les défauts de construction et insiste sur la nécessité d’assurer le respect des normes parasismiques. La série fait écho à une actualité douloureuse, les terribles secousses de 2015 et leurs conséquences dramatiques, un sujet qui aurait mérité un traitement plus en longueur.

Alors que le neuvième épisode se focalise sur le droit à l’information des citoyens, à travers le récit de la croisade de Navin pour faire éclater la vérité sur les douteuses circonstances de l’arrestation  de son père, décidée alors par Ramananda en personne (il envoie à cette occasion une requête officielle au gouvernement pour obtenir des renseignements, une démarche qui met à l’épreuve la volonté de transparence des autorités), la dixième partie aborde avec pertinence le réchauffement climatique. Dans la perspective de la COP 21 de 2015, le Népal veut montrer l’exemple (par exemple en instaurant une banque de graines ou en organisant une conférence sur le climat pour les pays d’Asie du sud-est) tout en montrant du doigt les États développés les plus pollueurs. J’ai apprécié l’épisode car il montre que des petits pays peuvent éventuellement jouer un rôle non négligeable sur le plan environnemental, en indiquant la voie à suivre à des nations plus puissantes.

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Le onzième épisode est aussi intéressant, car il expose une problématique qui fait également débat en France: la lutte contre l’évasion fiscale. Asha, assistée de Yubaraj, le fils de Ramananda (qui a surmonté sa déception de n’avoir pas été choisi comme premier ministre), trouve une parade qui a été aussi employée dans notre pays: garantir l’amnistie (pas de sanctions financières) aux contribuables coupables d’évasion s’ils s’acquittent immédiatement des sommes dues. Cette décision est prise dans le contexte du vote du budget, qui fait l’objet d’une consultation publique, mettant en évidence le fait que la population voit d’un très mauvais œil la fraude fiscale. C’est donc avec l’appui du peuple (sans oublier le soutien du syndicat patronal) qu’Asha parvient à faire approuver ses mesures.

Les deux derniers épisodes sont à mon avis moins réussis. Une intrigue secondaire aborde l’homosexualité de l’attaché de presse Bishwa et son impact, une fois celle-ci connue du public, sur sa vie professionnelle, mais de façon superficielle et peu convaincante. Il y a aussi l’évocation d’un mystère entourant la disparition du père d’Asha lors de la guerre civile, avec l’apparition fortuite d’un vieil oncle dissimulant un lourd secret. Même si cette histoire permet d’éclairer l’origine de la peur panique éprouvée par la première ministre lors des orages (évocation pour elle du bruit assourdissant des armes), la conclusion m’a semblé bien mélodramatique. Néanmoins, ces épisodes développent aussi un plaisant suspense concernant l’organisation prochaine de la coupe du monde de cricket, possiblement au Népal. Cette attribution espérée est subordonnée à l’éventuelle victoire de l’équipe nationale lors des matchs de sélection ( et si l’on se réfère aux résultats de l’équipe réelle en compétition internationale, ce n’est pas gagné d’avance). En tout cas, cela apporte une note souriante à une fin de saison à la tonalité bien sombre.

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Pour conclure, je soulignerai la qualité irréprochable de la réalisation, qui comporte de nombreux plans de la ville de Katmandou, parfois empreints de poésie. La musique, discrète et reposante, participe à l’atmosphère calme de la fiction (qui tranche avec la plupart des séries politiques, où le milieu est décrit comme un vrai panier de crabes). Les acteurs s’expriment sur un ton posé, reflétant l’esprit de concorde qui prévaut au sein de la « team Népal ». Bien entendu, ne soyons pas dupe, le programme fait preuve d’une fausse ingénuité en présentant une vie politique aussi idyllique, parfois au prix de simplifications réductrices: le but est de faire ressortir, par contraste, la persistance de maux bien réels dans ce pays (forte instabilité gouvernementale, taux de corruption parmi les plus élevés au monde, difficultés pour fournir une aide humanitaire efficace suite aux séismes…).

D’autre part, le fait qu’une femme soit au poste de premier ministre dans la série fait écho au fait que pour la première fois au Népal, une femme  (Bidhya Devi Bhandari) a été élue présidente en 2015. On espère que la seconde saison continuera sur la même voie (mise en avant du rôle positif que peuvent jouer les institutions, références appuyées aux défis qu’affronte le pays réel et critique sous-jacente de l’action récente des autorités) tout en explorant ses thématiques avec plus de profondeur, sans atténuer leur complexité.

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Lance et Compte [saisons 1 et 2] (Québec, 1986-1988)

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Ces derniers temps, je me suis intéressé aux séries consacrées au hockey sur glace. Ce sport étant très prisé au Canada, j’ai choisi de regarder deux fictions québécoises sur ce sujet. La première, diffusée en 2017, est un biopic de Jean Béliveau (titré Béliveau), un fameux joueur au parcours exemplaire. La reconstitution est très soignée, illustrée de nombreuses images d’archive et ne passe pas sous silence les années les plus décevantes de sa carrière. Cependant, l’ensemble est un peu lisse et manque de passion. Si on peut recommander cette minisérie de 5 épisodes aux passionnés de ce sport, j’ai quand même préféré Lance et Compte, dont j’ai visionné les premières saisons datant des années 80. Certes, on pourra objecter que certains passages ont mal vieilli ou que la profusion d’ intrigues sentimentales qui la caractérise peu devenir lassante, mais la série (d’une grande longévité, 9 saisons et quelques longs métrages ayant été produits à ce jour) dispose d’ excellents atouts: s’inspirant souvent de faits réels, n’omettant pas de montrer quelques aspects déplaisants du hockey professionnel (magouilles lors de tournois, violence entre joueurs sur la patinoire…), la fiction bénéficie surtout de la bonne tenue de son casting principal et de sa capacité à restituer l’atmosphère survoltée des matchs.

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Les saisons 1 et 2 comportent chacune 13 épisodes de 45 minutes environ, elles ont été diffusées par Radio-Canada et scénarisées par les créateurs de la série (Louis Caron et Réjean Tremblay), le réalisateur étant Jean-Claude Lord. On y suit le parcours d’une équipe de hockey fictive, le National de Québec, sous toutes ses coutures: vie professionnelle et personnelle des joueurs comme de l’entraîneur, attitude des dirigeants et des sponsors face aux résultats de la team, suivi des compétitions par les journalistes sportifs, comportement des équipes concurrentes. Chaque saison développe en parallèle quantité d’arcs narratifs, tout en ayant pour fil rouge le déroulement d’une prestigieuse compétition. La saison initiale narre le recrutement d’un talentueux hockeyeur junior, Pierre Lambert (Carl Marotte) au National de Québec, au détriment de son équipier et ami d’enfance Denis Mercure (Jean Harvey), qu’il a blessé sciemment lors d’un entrainement, dans le but de l’écarter de la sélection. Lambert devient vite la star de l’équipe, grâce à son jeu flamboyant et aux buts qu’il parvient à marquer contre toute attente. Il fait de l’ombre à Marc Gagnon (Marc Messier), un hockeyeur expérimenté au palmarès impressionnant (il a  deux coupes Stanley à son actif), mais qui arrive en fin de carrière et commence à décliner.

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L’enjeu de cette saison est le gain d’une coupe Stanley, les adversaires les plus redoutables du National étant les Maple Leafs de Toronto, sur fond de rivalité persistante entre Lambert et Gagnon, qui se rendent coup pour coup par l’intermédiaire de déclarations incendiaires à la presse, voire même se donnent en spectacle en se battant en public. Autant dire que le travail de Jacques Mercier, l’entraîneur (Yvan Ponton, très convainquant dans son rôle de coach irascible et habité par la passion de son sport), n’est pas de tout repos, d’autant plus que les incidents s’accumulent lors du tournoi, que ce soit les blessures de joueurs survenues lors de matchs importants, les suspensions pour comportement antisportif ou les soucis personnels qui viennent les troubler dans leur motivation (comme la mort accidentelle de l’épouse d’un joueur). Lambert passe par des hauts et des bas: suite à une blessure, il doit subir une longue convalescence et est contraint d’accepter un poste au sein de l’équipe des Saints de Chicoutimi, dont les résultats sont médiocres, ce qu’il vit comme une disgrâce. A cette occasion, il déplore la mentalité de perdants de ses coéquipiers comme la jalousie acerbe qu’ils manifestent à son égard (alors qu’il contribue à améliorer leurs scores, habituellement peu glorieux).

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La série se déroule dans des décors nombreux et variés, parfois surprenants (par exemple,dans le pilote, Lambert pratique le vol libre en soufflerie), mais vaut avant tout pour ses personnages attachants du fait de leurs petites faiblesses. Jacques Mercier est un entraîneur dur, tyrannique (ainsi, il traite ouvertement Lambert de « petit salaud ») mais qui sait mieux que personne remotiver ses joueurs en appuyant là où le bât blesse pour susciter une réaction d’orgueil. Ses harangues enflammées dans les vestiaires constituent des morceaux d’anthologie (par exemple, pendant l’une d’elles, il leur projette une vidéo recensant leurs pires performances lors des rencontres, lors d’une autre, il leur distribue ironiquement des rondelles de hockey pour leur signifier qu’ils ne les interceptent que trop rarement au cours des matchs). Mercier a un fils cloué en fauteuil roulant qui suit un traitement médical lourd pour pouvoir un jour remarcher, ce qui s’ajoute à ses soucis professionnels. Dans le dernier épisode de la saison 1, il n’hésite pas à traîner le fauteuil de son rejeton devant ses troupes au vestiaire et à lui demander de se lever pour leur redonner la volonté de vaincre.

Parmi les autres protagonistes marquants (hors joueurs), citons la mère de Lambert, Maroussia (Macha Méril), d’origine russo-canadienne, attachée à ses racines slaves et qui noue une liaison affectueuse avec le directeur général du National, Gilles Guilbeault (Michel Forget), un homme bienveillant au phrasé typiquement québécois, paternaliste avec les joueurs mais également roué en affaires et doué pour négocier le recrutement des meilleurs hockeyeurs.

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Le duo de journalistes qui couvre les compétitions est bien campé. Sylvie Bourque incarne Linda Hébert, une enquêtrice pugnace qui s’évertue à critiquer l’équipe et son encadrement dans ses articles, au point de paraître malveillante. Dotée d’un caractère affirmé, Linda est volontiers belliqueuse lors de ses interviews. Sur le plan personnel, elle a une relation volcanique avec Murdoch, un écrivain à succès prétentieux qui projette d’écrire un livre sur le hockey, bien qu’il n’y connaisse rien. L’autre journaliste est joué par Denis Bouchard: Lucien Boivin est le comique de service. Ce jeune reporter à la tignasse indisciplinée accumule les maladresses et enchaîne les râteaux avec les femmes qu’il courtise, avant de se caser avec la sœur folâtre de Linda. Enfin, le personnage de Lucie Baptiste (France Zobda) se remarque lors de la seconde partie de la première saison. Cette doctoresse vit à Montréal mais ses racines sont haïtiennes. Elle rencontre Pierre Lambert, qui tombe amoureux d’elle, alors que celui-ci est patient à l’hôpital où elle est résidente en orthopédie. Pour elle, la réussite professionnelle prime et, bien que supportrice du National, elle n’a que peu d’affinités avec le milieu des hockeyeurs. Sa relation avec Pierre tourne court, elle lui préfère vite un éminent médecin chercheur, plus en phase avec ses préoccupations scientifiques.

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Le final de la première saison est satisfaisant, malgré le côté prévisible de l’issue du tournoi, car les scénaristes ont pris soin d’inclure des évènements inattendus pendant le déroulement de la finale. Inutile de préciser à quelle team revient la coupe décernée par la NHL. Le fait que les films et séries traitant de compétitions sportives soient assez rares n’a rien de surprenant. Ne parle-t-on pas de la glorieuse incertitude du sport? Or, il est ici évident qu’éliminer le National dès les premiers tours ne pouvait être concevable au sein d’une intrigue centrée sur les prouesses de cette équipe. Le téléspectateur peut d’emblée avoir quelques certitudes sur le déroulement global, le suspense ne résidant que dans le détail de chaque rencontre.

Cette remarque s’applique aussi pour la seconde saison, qui raconte les différentes phases de la première Coupe du monde de hockey, disputée entre les équipes des USA, du Canada, de l’Europe et de l’URSS. Même si, tout comme dans la saison initiale, les intrigues sentimentales sont trop présentes à mon goût, c’est encore un récit captivant. On y découvre les âpres tractations entre les pays participants pour déterminer les modalités  d’organisation du tournoi (qui, in fine, ne correspondent guère à celles de la coupe du monde réelle, organisée depuis 1996). Il y a un joueur russe, Boris Vassilief (Antoine Mikola) qui veut faire défection et passer à l’ouest, un autre soviétique, Sergei Koulikov (Andrzej Jagora) espionné par une jeune intrigante, Natasha Mishkin (Alexandra Lorska) qui espère obtenir, contre les renseignements qu’elle fournit aux apparatchiks, un poste de prestige à l’ONU. Jacques Mercier quitte le Québec pour aller entrainer l’équipe d’Europe, tandis que Gilles Guilbeault le remplace brièvement avant de confier ce poste à Marc Gagnon, qui vient de se laisser persuader, à contrecœur, de raccrocher enfin les patins.

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La saison s’attarde bien longuement sur la vie sentimentale compliquée de Lambert, sa dépression suite à sa rupture avec Lucie et sa liaison avec une journaliste cocaïnomane. J’ai été bien plus intéressé par l’aspect sportif et tout ce qui l’entoure: les manigances des russes pour faire en sorte que les européens gênent les canadiens en s’arrangeant pour faire un match nul face à eux (ce genre de pratique relevant de l’antijeu existe certainement dans la réalité), le riche sponsor américain qui pistonne son fils pour qu’il soit sélectionné, malgré ses faibles capacités, dans l’équipe américaine…L’intrigue la plus émouvante est celle impliquant le fiancé de la sœur de Pierre Lambert, Suzie (Marina Orsini): atteint d’une grave maladie, il se sait condamné à brève échéance et parvient lors de son ultime match à marquer un but.

Cette saison se déroule dans des décors encore plus variés que la première, avec notamment de nombreuses scènes tournées à Fribourg en hiver. Mais il y a quelques faiblesses notables. Le casting secondaire, particulièrement dans le camp des USA, fait pâle figure (en particulier, le riche homme d’affaires, Simpson, fait vraiment cliché avec son accent yankee et son stetson vissé sur le crâne). Les scènes sentimentales sont parfois mièvres, accompagnées d’une musique sirupeuse. Quant au dernier épisode, relatant la finale du Québec contre la redoutable équipe soviétique, largement favorite, je l’ai trouvé un peu moins réussi que celui de la première saison car le suspense est entretenu de façon artificielle, grâce à un subit problème de santé affectant l’entraineur canadien, venant compromettre la remontada de son équipe face à l’ogre russe.

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Pour conclure, ces deux saisons initiales de Lance et Compte sont hautement divertissantes et, malgré les réserves évoquées, se suivent avec un intérêt jamais démenti. La qualité de la distribution principale compte pour beaucoup, les acteurs faisant preuve de beaucoup d’énergie pour interpréter avec force leurs personnages. Quelques savoureux québécismes émaillent les dialogues, en voici des exemples: le verbe « slaquer » (ralentir, relâcher le rythme de travail); « pogner les nerfs » (faire une crise de colère); « j’ai mon maudit voyage! » (« j’en ai marre »). Certes, c’est une série typique des années 80, par moments désuète pour les téléspectateurs d’aujourd’hui: les musiques tonitruantes avec vagues de synthé, les tenues flashy, l’aérobic…on est transporté 30 ans en arrière.

En voyant les matchs, je me suis dit qu’on avait là les meilleurs figurants jamais vus, tant la ferveur des supporters était bien retranscrite. En réalité, les images de hockey sont tirées de vraies rencontres ayant été tournées spécialement au Colisée du Québec devant une assistance de bénévoles survoltés, tous fans de ce sport, d’où la sensation d’authenticité qui en ressort. Je n’ai pas vu les saisons suivantes (je sais cependant que dans la troisième, Roch Voisine fait son apparition), mais les deux premières sont très regardables (même si, dans certains épisodes, plus de patinage et moins de roulages de patins aurait été bienvenu!). Le hockey n’est certes pas un sport aussi populaire en France, mais une série à propos des compétitions nationales ne serait peut-être pas une mauvaise idée, après tout.

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The Mayor of Casterbridge (Grande-Bretagne, 1978)

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C’est l’une des rares séries de Dennis Potter qu’il me restait à visionner: un period drama de la BBC, adaptation d’un roman de Thomas Hardy appartenant au cycle des contes du Wessex (des histoires situées dans des lieux fictifs de la campagne anglaise). La minisérie est de facture classique, on est donc bien loin des productions hautement originales et personnelles de Potter telles que Pennies from Heaven (diffusée la même année) ou encore The Singing Detective. Cependant, malgré une réalisation austère (de David Giles, qui dirigea également une remarquable minisérie historique, The first Churchills, avec John Neville et Susan Hampshire) j’ai trouvé cette version réussie, car prenant le temps d’explorer la psychologie des protagonistes (en 7 épisodes de 45 minutes, soit une durée bien plus longue que pour l’adaptation de 2003 avec Ciarán Hinds produite par ITV, un téléfilm recommandable également même si il manquait un peu d’émotion) et demeurant on ne peut plus fidèle à son modèle littéraire (les modifications ne portent que sur quelques détails de faible importance). La distribution est inégale mais Alan Bates, dans le rôle principal, livre une prestation parfois théâtrale mais globalement satisfaisante.

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Il s’agit d’une tragédie, l’histoire d’un entrepreneur, Michael Henchard, de son ascension sociale et de sa déchéance due à son comportement inconsidéré et à ses erreurs de jugement répétées. Au début du récit, il est un modeste botteleur itinérant, sans le sou et porté sur l’alcool. Arrivé à Casterbridge le jour d’une fête de village, il vend aux enchères sa femme Susan (conformément à une coutume anglaise qui choque aujourd’hui, remontant au XVIIe siècle et ayant lieu en cas de mésentente conjugale) et son enfant en bas âge, les cédant pour cinq guinées seulement à un marin de passage, Richard Newson (Richard Owens), avant de réaliser, une fois dessaoulé, qu’il regrette amèrement de l’avoir fait. Il jure alors de ne plus toucher désormais à la bouteille. La suite de l’intrigue se déroule dix-huit ans plus tard, alors qu’il est devenu un citoyen respectable, maire de Casterbridge et florissant marchand de grains. Il a réussi à se faire passer pour veuf et à dissimuler cette tâche infâme appartenant à son passé. C’est alors que Susan réapparait avec sa fille Elizabeth-Jane (Janet Maw). Michael, qui projetait d’épouser Lucetta (Anna Massey), une femme de bonne famille d’origine française, est contraint de s’unir à nouveau à Susan, venue vers lui car elle se trouve à présent dans le dénuement.

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Susan n’est pas franche avec Michael, elle ne lui a pas précisé qu ‘Elizabeth-Jane est en réalité la fille qu’elle eut avec Newson après le décès de son premier enfant, un « détail » qu’elle stipule dans une lettre ne devant être décachetée par son époux qu’après sa mort. Le maire de Casterbridge, qui s’est attaché à celle qu’il croit être de son sang, est abasourdi en apprenant la vérité lorsque sa femme (qui était de complexion égrotante) vient de mourir, d’autant plus qu’il lui a affirmé quelques instants auparavant qu’elle était bien sa descendante. Il décide alors de dissimuler à Elizabeth-Jane ce qu’il sait d’elle, car il souhaite la garder auprès de lui et faire comme s’il était son vrai père, la couvrant de l’amour paternel qu’il n’a pu prodiguer à sa véritable progéniture.

Peu avant, un autre personnage est apparu au village, Donald Farfrae (Jack Galloway), un jeune écossais ambitieux. Marchand de céréales avisé, au fait de l’évolution des techniques agricoles, ce dernier se distingue de Michael par une allure vigoureuse et dans son métier, par une approche plus moderne et pragmatique du commerce des grains. Le maire le prend à son service, mais il s’avère vite qu’il dépasse en popularité et en efficacité son employeur. Jaloux, Michael entre en conflit avec lui, ce qui se traduit par la fin brutale de leur association. Ils deviennent concurrents, mais Donald ne tarde pas à supplanter son rival en affaires.

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Lorsque Lucetta revient s’installer dans le Wessex, Michael la poursuit de ses assiduités mais, là encore, Donald lui fait de l’ombre, car elle s’éprend de ce dernier et décide finalement de l’épouser. Michael, perclus de dettes, pensait se renflouer par le truchement d’un mariage d’intérêt avec Lucetta: il se retrouve ruiné et sombre à nouveau dans l’alcoolisme, alors que sa réputation en a déjà pris un coup, car la mise aux enchères de feue son épouse est devenue de notoriété publique. A l’opposé, le parcours de Donald est ascendant, il rachète l’entreprise de Michael et la fait fructifier, il devient à son tour un notable respecté et le nouveau maire de Casterbridge. Il tend la main à son rival, lui proposant de l’aider financièrement, mais celui-ci, drapé dans sa dignité, refuse tout net. Michael se marginalise, devient un poivrot juste bon à trouver des petits boulots saisonniers au service d’exploitants agricoles pour survivre. Le coup de grâce lui est porté lorsque Elizabeth-Jane apprend ce qu’il lui a dissimulé si longuement sur ses origines et accepte d’épouser Donald. Henchard, rongé par le remord, ne s’en remettra pas. Il mène dès lors une existence à l’écart de la société, tel un paria honteux de sa condition.

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Plusieurs éléments ressortent de façon flagrante dans cette adaptation. Tout d’abord, ce sont les figures masculines qui sont le plus mises en avant. Les personnages féminins ont bien peu de relief, à l’exception de Lucetta (surtout présente comme élément catalyseur de l’acrimonie d’ Henchard envers Farfrae, mais également, de par sa distinction et son aisance dans les milieux mondains, comme modèle pour la fille de Susan) et surtout d’Elizabeth-Jane, dont la fraîcheur et l’innocence contraste avec le caractère dissimulateur et les arrière-pensées de sa mère et de son supposé père. Donald Farfrae est durant toute la fiction un protagoniste irréprochable: il contribue grandement dans un premier temps à la prospérité de Michael; lorsqu’il demande avec candeur la main de Lucetta, il ignore que ce dernier a des vues sur elle, lorsqu’il devient patron, il s’avère plus juste envers ses employés (ceux-ci sont mieux rémunérés et ne subissent plus de punitions humiliantes s’ils commettent des fautes), plus charismatique et judicieux dans ses investissements. Dans la détestation que lui voue Henchard, il y a à n’en pas douter une grande part de jalousie: plus cultivé et d’un tempérament pondéré, Farfrae constitue le portrait en négatif de Michael, en somme il est tout ce qu’il aurait voulu être.

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Michael Henchard est bien le personnage le plus complexe de la minisérie. On peut interpréter sa triste destinée de différentes façons, le voir comme un type malchanceux, victime de son manque d’éducation et de son impulsivité naturelle. On peut aussi considérer sa déchéance comme la résultante d’un acte moralement répréhensible (la vente de sa femme) comme de son attitude vindicative sur le plan personnel comme professionnel et penser qu’il n’a finalement que ce qu’il méritait. Pour ma part, je le perçois surtout comme un homme qui ne s’aime pas., qui est hanté par ses fautes passées et cherche plus ou moins inconsciemment à se punir pour ce qu’il a fait. Un passage est particulièrement révélateur: se regardant dans un miroir, il ébauche le geste de se trancher la gorge, puis se ravise. Par ses actions, il semble opérer une sorte de suicide social: c’est comme s’il voulait que s’efface le notable respectable pour laisser place au paysan bourru et sans éducation qu’il fut et qu’il est demeuré dans son esprit.

Il est par ailleurs avide de reconnaissance de la part des castes supérieures, comme le montre ses discours emphatiques à la mairie et comme l’illustre sont attitude cérémonieuse lorsqu’un membre de la famille royale effectue une visite à Casterbridge, où celui-ci est reçu en grande pompe et où Henchard tient absolument à le saluer en public. On sent qu’il veut se prouver qu’il est devenu quelqu’un, mais qu’au fond il manque d’assurance et d’estime de soi (une scène s’avère à cet égard révélatrice, où il visite un vieux devin pour lui demander de prédire le temps qu’il fera dans les prochains jours, en vue de l’aider à prendre une décision importante dans la gestion de son affaire céréalière).

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Deux scènes en particulier montrent bien la faiblesse intrinsèque du personnage, alors qu’elles le placent de prime abord en position de force. Dans l’une, on assiste au procès d’une paysanne ayant commis un larcin, où le maire fait preuve d’éloquence pour la fustiger avant que celle-ci, considérant que la meilleure défense est l’attaque, ne révèle ce qu’elle sait à propos de la vente aux enchères de l’épouse, lui causant un trouble profond. Dans l’autre, il rencontre Farfrae avec la ferme intention de se battre avec lui et s’attache un bras en guise de handicap, affirmant ainsi qu’il est conscient de sa supériorité, mais il ne sort pas gagnant de la confrontation, finissant par battre en retraite piteusement.

Un autre thème abordé dans la fiction est celui de la vindicte populaire, représentée par la scène du charivari (« skimmington ride » en Angleterre), une procession moqueuse où les paysans font du raffut en portant les effigies de Lucetta et d’Henchard, accusés d’avoir entretenu une correspondance amoureuse secrète. Ce charivari est organisé par Joshua Jopp (Ronald Lacey), un ancien employé de Michael, congédié jadis pour laisser la place à Farfrae et devenu nécessiteux, qui se venge ainsi de son ex-patron à qui il fut autrefois dévoué et pour qui il était toujours de bon conseil. Mais Michael n’a t-il pas tout fait pour être détesté par ces pauvres péquenauds, qui lui rappellent ses origines modestes?

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En conclusion, même si la forme est bien désuète, c’est une adaptation qui mérite d’être vue encore aujourd’hui. Le cadre dépeint est celui d’une ruralité primitive, marqué par les superstitions et de criantes inégalités sociales, vestiges de la féodalité, à l’instar d’une autre minisérie britannique produite cette même année 1978, The Mill on the Floss (adaptation cette fois d’une œuvre de George Eliot). Dennis Potter y est certes méconnaissable, sauf lors de rares passages: flashbacks ou monologues montrant les obsessions du personnage principal, symbolisme et allusions shakespeariennes (en particulier la scène où l’effigie de Lucetta flotte sur une rivière au gré du courant, telle l’Ophélie préraphaélite de John Everett Millais). Alan Bates a visiblement été inspiré par son rôle (qu’il considérait comme une de ses meilleures interprétations), qu’il incarne certes en surjouant parfois, mais avec beaucoup de conviction. On pourra objecter que le livre reste supérieur à ses diverses adaptations, mais cette version est sans doute à ma connaissance (je n’ai certes pas encore vu le film muet de Sidney Morgan datant de 1921) la plus fidèle et détaillée à ce jour.

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Fangar [saison 1] (Islande, 2017)

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Les séries carcérales se déroulant dans une prison pour femmes sont très à la mode dernièrement: Orange is the new black (USA), Capadocia (Mexique), Unité 9 (Québec), Wentworth (Australie)…pour ne citer que celles qui me viennent à l’esprit. La première saison de Fangar comporte 6 épisodes d’une cinquantaine de minutes. C’est la dernière création de Ragnar Bragason à qui l’on doit le triptyque de comédie noire Næturvaktin / Dagvaktin / Fangavaktin (cette dernière avait pour cadre une prison pour hommes) ainsi qu’Heimsendir, une étonnante histoire se déroulant dans un asile d’aliénés (voir des articles à ce propos ici et ). Après ces fictions mémorables, il est certain que Fangar était très attendue. Si la série ne déçoit pas, elle n’a cependant pas l’originalité de ses précédentes œuvres télévisuelles. 

Sur un scénario de Nína Dögg Filippusdóttir et Unnur Ösp Stefánsdóttir, il s’agit d’une description de l’univers pénitentiaire islandais qui se veut proche du réel et pointe l’inadaptation des peines pour certaines détenues, tout en développant une intrigue judiciaire à suspense. Bien entendu, la série qui s »en rapproche le plus est Unité 9, mais cette dernière pèche par son format fleuve et l’étirement de son récit. Fangar, bien plus concise, constitue une bonne alternative pour qui n’a pas le temps ni l’envie de visionner une kyrielle d’épisodes sur ce thème.

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Linda (Thora Bjorg Helga) vient de laisser son père dans le coma après l’avoir frappé violemment avec un club de golf. Elle est rapidement arrêtée et incarcérée dans la prison pour femmes de Kópavogur (dans la réalité, cet établissement a été fermé récemment, la série y a été tournée alors qu’il n’y avait plus de prisonnières sur les lieux). Son père Thorvaldur (Sigurður Karlsson) est un homme d’affaires et un politicien influent. Son comportement envers sa petite-fille Rebekka (Katla Njálsdóttir) était répréhensible, il lui faisait des attouchements sous la douche et la terrorisait. Linda, témoin de ses agissements, ne l’a pas supporté: sa confrontation musclée avec lui a mal tourné, le destin de la jeune femme étant désormais suspendu à l’hypothétique survie de son détestable géniteur. Elle se retrouve en tôle, à devoir partager le quotidien d’un groupe de détenues au caractère parfois difficile voire violent. Ce qui frappe d’emblée dans son attitude, c’est sa volonté de sauver les apparences, de nier par son attitude sa condition de femme incarcérée: elle se maquille avec soin et s’habille avec élégance, se montre hautaine avec le personnel de la prison et les codétenues, suscitant rapidement une certaine inimitié à son endroit.

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L’un des personnages les plus marquants de la prison est Ragga (jouée par la scénariste Nína Dögg Filippusdóttir), une femme au comportement de caïd, rendue dure par les épreuves de l’existence. Ragga a une aversion pour Linda, la trouvant trop prompte a juger les autres prisonnières et s’agaçant de ses airs dédaigneux. Son influence sur les autres détenues lui permet de rendre la vie de Linda difficile: celle-ci reçoit un coup de boule, une des détenues urine sur son lit et pend dans sa cellule une  poupée à son effigie sur laquelle est punaisé un message injurieux. Mais progressivement, les relations entre Linda et ses compagnes d’infortune s’adoucissent, elle finit par devenir plus accommodante et serviable et à gagner un semblant d’estime. Les scénaristes ont heureusement évité de sombrer dans une surenchère de violence, préférant donner plus de profondeur aux protagonistes et livrer quelques scènes émouvantes de fraternisation. Ragga apparaît au fil des épisodes sous un jour plus sympathique, comme une mère qui s’inquiète du devenir de sa fille Diljá, une adolescente rebelle sur laquelle elle n’a plus aucune prise, suscitant en elle un sentiment de rage impuissante.

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L’interprétation de Steinunn Ólína Þorsteinsdóttir dans le rôle de Didda est impressionnante. Elle dégage une impression de force brutale, de menace latente, accentuée par un déséquilibre mental qui transparaît par instants. Didda est une taiseuse aux manières frustes, capable de pulsion violentes (sous le coup de la colère, elle frappe sans réfléchir) mais à la longue on se rend compte qu’elle est capable d’empathie et qu’elle est surtout malheureuse, victimes de troubles psychologiques qui l’ont conduite dans ce lieu de détention inadapté pour elle. Lorsque Linda, qui avait échangé le matelas douteux qui lui avait été attribué d’office contre un confortable matelas neuf, le lui offre pour soulager ses douleurs de dos, elle lui est reconnaissante et dès lors la considère avec respect.

Un autre personnage peut être rapproché de Didda: la doyenne des détenues Lóa (Margrét Helga Jóhannsdóttir), très discrète mais qui gagne en épaisseur au fil des épisodes. On découvre que c’est une femme brisée par les violences subies par le passé. Protectrice, elle peut manifester une affection sincère envers les autres prisonnières, mais aussi avoir un comportement hyper agressif pour les défendre (lorsqu’une visiteuse se montre odieuse envers une des détenues, elle menace de se jeter sur elle, armée d’un couteau de cuisine). Lóa et Didda, par leur imprévisibilité, pimentent l’intrigue de la série.

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La détenue qui, dès le départ, est la plus proche de Linda est Brynja (Unnur Ösp Stefánsdóttir), une blonde enjouée et très amicale, mais qui a une mauvaise influence sur Linda, une toxicomane notoire, l’incitant à poursuivre la prise de drogue à l’intérieur de la prison en lui indiquant les astuces pour déjouer les contrôles opérés par les matonnes et la conduisant même à une overdose. Brynja est insouciante et semble peu consciente des conséquences graves de ses actes. Elle peut aussi se montrer d’une naïveté confondante, comme lorsqu’elle entend à la radio l’annonce d’un jeu permettant de gagner des places à un concert de son groupe favori: voulant participer, elle appelle la radio depuis la prison, avant qu’une gardienne ne l’oblige à raccrocher. C’est aussi un personnage tragique: dans les derniers épisodes, elle sort de prison mais sa famille refuse obstinément de la voir; rejetée par les siens, elle sombre dans la dépression et meurt sans avoir pu donner à son fils le pull qu’elle avait patiemment tricoté en pensant à lui lors de sa détention. On retrouve le thème classique des difficultés de la réinsertion, déjà présent dans d’autres séries, Unité 9 par exemple.

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La partie de l’histoire se déroulant à l’extérieur de la prison et mettant en scène la famille de Linda est tout aussi intéressante. Herdís, sa mère (Kristbjörg Kjeld), éprouve toujours de l’affection pour elle et reste en contact, même si elle a des difficultés à communiquer avec sa fille, qui rejette l’apitoiement qu’elle manifeste à son égard. Herdís est une femme généreuse qui est membre active d’une association de bienfaisance, qu’elle convainc d’agir pour le bien-être des prisonnières en leur offrant des objets propres à améliorer leur quotidien.

La sœur aînée de Linda, en revanche, lui est hostile: Valgerður (Halldóra Geirharðsdóttir) mène une ambitieuse carrière politique et considère Linda comme un obstacle à ses aspirations, comme le mouton noir de la famille pouvant nuire à son image publique. Elle ne consent à lui apporter aucun soutien, jugeant qu’elle doit assumer seule les conséquences de ses actes. En bisbille avec les dirigeants de son parti, elle a décidé de faire cavalier seul et de fonder un nouveau parti composé uniquement de femmes. A l’approche des élections, la période est cruciale et elle cherche à étouffer l’affaire de l’agression de son père, en faisant pression sur une journaliste, Eyja Marín (Kristín Þóra Haraldsdóttir) pour qu’elle cesse d’écrire des articles à sensation à ce propos. Valgerður apparait comme un personnage foncièrement individualiste, faisant passer sa réussite personnelle avant sa famille. Elle a une attitude quelque peu contradictoire: d’un côté elle défend les droits des femmes dans ses discours, mais de l’autre elle est prête à fermer les yeux sur les soupçons de maltraitance pesant sur son père Thorvaldur.

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Les protagonistes masculins de la série sont en retrait, mais quelques uns se remarquent tout de même: outre les anciens associés du père de Linda au cours de sa longue carrière politique, aujourd’hui en conflit avec Valgerður, deux autres se détachent particulièrement. Ásbjörn (Gisli Gardarsson) est l’avocat de Linda. Cette dernière ne l’apprécie guère à cause de son attitude cynique et détachée. Il a un passé trouble d’avocat marron, que Valgerður exploite pour le contraindre à orienter sa défense en faveur de ses propres intérêts (elle ne veut pas que lors de sa plaidoirie, il présente sa sœur comme frappée de démence au moment du drame). Il n’est pas franc avec Linda, lui dissimulant ses intentions et ne constitue pas pour elle un véritable allié.

L’autre personnage masculin qui joue un rôle non négligeable est Breki (Björn Thors): employé à la prison pour apporter une aide psychologique aux détenues, il organise des réunions d’alcooliques anonymes où il encourage les femmes à partager leurs tourments passés et présents. Il sympathise avec Linda, lui offre des romans à lire, avant de devenir son amant secret, faisant fi de toute déontologie. Lui même est alcoolique et mène une existence de paumé et n’est donc pas vraiment quelqu’un de secourable pour Linda. L’isolement de cette dernière est patent, son seul soutien à l’extérieur de la prison est provient de sa mère, mais elle repousse par fierté sa main tendue.

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A partir de l’épisode 5, on suit le procès de Linda qui réserve quelques temps forts. L’épisode final s’achève par un coup de théâtre pouvant servir de point de départ à une seconde saison prometteuse, mais encore incertaine à l’heure actuelle (même si Ragnar Bragason souhaite qu’elle voie le jour). Globalement, cette première saison, diffusée par la chaîne publique RÚV est fort bien construite, même si la multitude de personnages secondaires (que je n’ai pas évoqués pour la plupart) peut embrouiller le téléspectateur. La réalisation est d’un niveau très correct, le générique singulier est accompagné par une chanson de Chelsea Wolfe (After the fall) dont les sonorités font irrésistiblement penser à du Björk, tandis que la série offre quelques beaux décors, en particulier la majestueuse église luthérienne de Reykjavik, la Hallgrímskirkja et ses magnifiques vitraux.

J’ai déjà souligné les similitudes avec Unité 9, mais au delà du scénario, les infrastructures carcérales sont comparables dans les deux séries: les détenues partagent une maisonnette où elles peuvent faire la cuisine, elles disposent même dans Fangar d’un jardin attenant et sont autorisées à recevoir des visites de leurs familles et de leurs enfants (s’ils le souhaitent). La différence principale est une question de dimensions: dans la série islandaise, la prison ne peut accueillir que 12 femmes, celle d’Unité 9 est bien plus vaste. Ce qui ressort de la série, c’est une sensation claustrophobique d’isolement, le fait que ces femmes sont surtout présentées comme des victimes dont  le seul remède au mal-être qui leur est offert est la prise de sédatifs, sans rien leur proposer par ailleurs pour tenter de les aider à se reconstruire sur le long terme. Fangar pose donc un regard critique et sans concessions sur le système carcéral islandais, même s’il est évident que celui-ci est bien moins coercitif que dans beaucoup d’autres contrées. Un sujet de société sensible qui, on l’espère, sera approfondi lors d’une seconde saison.

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Above the sky (Biélorussie, 2012)

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Il est bien difficile de trouver sur le web des séries biélorusses sous-titrées. J’ai déniché dernièrement sur YouTube Above the sky, une minisérie en 8 épisodes (de près de 30 minutes, sauf le dernier qui dure 45 minutes), avec des sous-titres anglais approximatifs (il manque quelques répliques). La fiction ne m’était pas inconnue, car l’an dernier j’ai pu lire cet article à son propos sur le site de Ladyteruki. Après avoir vu la série, il me semble surprenant que cette production financée par l’ONU n’ait jamais été diffusée dans son pays pour cause de censure: si elle comporte une critique du régime, celle-ci est à peine effleurée (seul le flicage de la jeunesse transparaît lors de quelques scènes). Rien en tout cas qui justifie le fait que la série ne soit à ce jour visible que sur internet (et, lors de festivals internationaux, projetée sous forme de long métrage). Above the sky, réalisée par Dmitry Marinin et Andrey Kureichik (par ailleurs scénariste), avec une bande musicale de Dmitry Friga, évoque les errances d’un étudiant de Minsk qui vient d’apprendre qu’il est séropositif. Ce n’est pas une série parfaite mais, outre que c’est très bien filmé, la psychologie des personnages est décrite avec pertinence.

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Leonid Pashkovsky interprète Nikita, le protagoniste principal, qui étudie à Minsk et est le leader d’un groupe de musique assez populaire, appelé Perfect. Lors d’une visite médicale, la prise de sang révèle qu’il est porteur du virus HIV, ce qui le plonge dans un profond désespoir. Il sait où et quand il a contracté cette terrible maladie: lors de vacances en Crimée, où il a passé une nuit avec une fille rencontrée sur la plage prénommée Yulya. L’existence de Nikita, jusqu’ici libre et insouciante, va se trouver bouleversée. A l’université, ses camarades prennent leurs distance avec lui, il se laisse aller, s’enivre avant de se battre avec le vigile d’un magasin, donne son fric à des inconnus qui l’apostrophent dans la rue et va jusqu’à côtoyer des toxicomanes et consommer des drogues dures. Par l’intermédiaire d’une amie infirmière de sa mère, ses parents apprennent vite sa séropositivité. Son père, Seryozha (Victor Rybchinsky), un policier au tempérament rigide et qui souhaite depuis longtemps le voir entre au plus vite à l’académie de police, prend très mal la nouvelle et a avec lui une vive altercation, tandis qu’il reproche à sa femme Sveta d’être trop libérale et de l’avoir éduqué de façon trop permissive.

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Seryozha est bourru, il a des idées très conservatrices mais ce n’est pas un personnage négatif. Il finit par se réconcilier avec son fils, lui pardonnant même de lui avoir volé de l’argent pour se procurer de la drogue. Pour resserrer ses liens avec lui, il l’emmène camper dans un lieu sauvage, où il a avec Nikita une conversation sérieuse à la lueur d’un feu de camp. Cette scène survient peu après le passage du jeune homme dans un repaire de camés ayant l’apparence d’un havre de détente intimiste et cosy, en réalité un lieu de perdition où les tenanciers procurent des drogues dures aux clients contre de l’argent et profitent cyniquement de leur addiction. Nikita y a rencontré un junkie qui lui a raconté son parcours, lui précisant qu’il a survécu car il n’avait plus d’argent pour se procurer de quoi se shooter en intraveineuse alors que beaucoup de ses amis sont morts après avoir été contaminés ainsi par le sida. Personnellement, j’ai trouvé étrange qu’un type qui fréquente un tel endroit livre spontanément ce message antidrogues. Le but est clairement de montrer la prise de stupéfiants sous le jour le plus glauque possible, même au prix de la vraisemblance.

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Un peu plus tard, Nikita est témoin de la mort d’une femme par overdose et est l’objet d’une machination. Inconscient, il est placé à côté de la morte et photographiée par les tenanciers qui sont sur le point d’être coffrés lors d’un descente de police, ce qui leur permettra ensuite d’exercer un chantage sur son père. Malheureusement, cette intrigue n’est pas exploitée au mieux et est résolue un peu facilement dans le dernier épisode, sans donner lieu à aucun suspense haletant. Au moins cette affaire révèle-t-elle que Seryozha est prêt à tout pour protéger son fils. Toujours concernant l’épisode final, on peu regretter une issue bien prévisible de l’intrigue, un relatif « happy end » (relatif car le sort de Nikita semble bien incertain) où la morale est sauve. Mais on a quand même droit à dix bonnes minutes de musique biélorusse, car l’histoire se termine par un télé-crochet auquel participe le groupe dont fait partie Nikita. Il manque vraiment à cette fin qui se veut optimiste de l’intensité dramatique et une certaine gravité.

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Le groupe Perfect est au centre d’un arc scénaristique secondaire. Les membres forment une bande de copains qui s’éclatent sur scène: autour de Nikita, il y a Stas le chanteur, Vovan le guitariste, Grigoriy le batteur, Max le rappeur et pianiste. Mais des dissensions ne tardent pas à apparaître quant à l’orientation musicale à privilégier. Stas (Alexey Yarovenko) souhaite que le groupe suive les dernières modes, devienne tendance et plus commercial alors que les autres veulent rester eux-mêmes et continuer à proposer la musique qu’ils aiment. Stas finit par quitter le groupe pour suivre une productrice, Katrina, qui le soutient car ses qualités de danseur et son physique de beau gosse sont vendeurs. Il y a là une critique de la superficialité du show-business, soulignée à de multiples reprises au cours de la minisérie. Les membres restants du groupe décident de s’appeler désormais Viche Neba (Above the sky, en anglais) et de se démarquer le plus possible de la voie choisie par leur ancien chanteur charismatique.

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Autre intrigue développée en longueur: la relation de Nikita avec Yana (Olesya Gribok), la fille du président de l’université. leur idylle prend fin lorsqu’elle apprend qu’il est séropositif. Si Nikita souhaite prendre ses distances pour ne pas risquer de l’exposer à une contamination, Yana veut continuer à le fréquenter malgré tout. Cependant, comme elle fait cela essentiellement  pour défier son père (qui cherche à éloigner Nikita de l’université pendant quelques mois, surtout pour le tenir loin de Yana) et pour montrer une attitude courageuse, sa démarche ne lui paraît pas sincère et il choisit de rompre, quitte à refuser qu’elle intègre le groupe comme chanteuse malgré sa performance remarquée lors d’une audition. Nikita, après avoir appris sa maladie, cherche à s’isoler de son entourage, non seulement de ses parents, mais aussi du groupe qu’il quitte momentanément. Il établit une analogie entre le sida et la lèpre, se considérant comme une sorte de lépreux devant vivre à l’écart des autres. Cependant, il se rapproche d’Olya (Oksana Chivevyova), une jeune femme qui l’a recueilli après son passage cauchemardesque dans l’antre des drogués.

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J’avoue que le personnage d’Olya m’a laissé un peu dubitatif. Elle apparaît de nulle part dans l’intrigue et on en apprend peu sur elle (on sait juste qu’elle est étudiante, a un père qui travaille dans le BTP et qu’elle a vécu quelques années en Inde). Elle montre de l’empathie envers Nikita, elle cherche à l’aider à faire face au choc psychologique qu’il a subi (elle l’invite à se rendre à des réunions de séropositifs, où les malades assis en cercle discutent des traitements possibles ou partagent leurs états d’âme avec leurs compagnons d’infortune) et surtout l’apprécie avec simplicité, sans faire preuve de pitié à son égard. Confiant, il lui attribue une place dans son groupe, en qualité de chanteuse, au détriment de Yana. Olya n’est bientôt plus la seule dont il se sente proche, en effet il a la surprise de retrouver Yulya lors d’une visite à l’hôpital, où elle est une patiente en phase terminale, victime de la tuberculose. Nikita constate avec douleur son affaiblissement progressif, pour lui leurs destins tragiques sont liés, il voit l’état de dépérissement de Yulya comme un reflet de ce qui l’attend probablement dans un futur proche. Il est effondré lorsqu’il apprend son décès, se sentant encore plus seul désormais.

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Above the sky propose une analyse sensible des conséquences psychologiques de la séropositivité. Certains des protagonistes principaux (surtout Yana et Seryozha) ne manquent pas de profondeur. La réalisation est impeccable, nombre de plans mettant en valeur l’architecture bigarrée de Minsk, avec une prédilection pour les longues poses permettant de montrer des filés d’automobiles ou de passants du plus bel effet esthétique et les vues surplombantes depuis les toits de la ville. La bande musicale est variée et permet de découvrir des artistes de la scène contemporaine du Bélarus (cela va du rock à la techno en passant par le rap). Mais l’impression finale n’a pas été pour moi entièrement favorable: certains acteurs livrent une interprétation manquant de conviction, l’émotion n’est pas toujours aussi perceptible qu’elle le devrait. D’autre part, je n’ai hélas pas appris grand chose sur la culture de ce pays (à part le nom d’un plat typique qui a l’air succulent, le draniki). Surtout, le scénario montre quelques failles: une fin téléphonée, des coïncidences peu probables (comme le fait que Nikita revoie par hasard Yulya juste avant qu’elle ne meure) et des éléments de l’intrigue qui ne servent que de prétexte pour livrer un message de prévention. Néanmoins, il faut reconnaître que les créateurs ont eu le courage de traiter d’un sujet difficile avec franchise, sans occulter ses aspects les plus déplaisants. Pour cela, cette websérie, encore confidentielle hors de Biélorussie, mérite d’être vue par un plus large public.

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Mshika-Shika / The Hustle (Afrique du Sud, 2012)

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Comme bien d’autres productions sud-africaines, Mshika-Shika est un minisérie qui n’a pas fait beaucoup parler d’elle en dehors de son pays d’origine. On trouve sur le web très peu de renseignements à son propos, même la page qui lui est dédiée sur IMDb est étrangement vide. Mais après avoir lu le synopsis, j’ai été suffisamment intrigué pour commander le DVD qui, heureusement, comprend des sous-titres en anglais (il ne m’a pas été facile de trouver les sites où se le procurer, mais ce fut possible en persévérant). Une édition DVD qui se contente du strict minimum: les épisodes accessibles par un menu sommaire, aucun bonus ni interview. Cependant, je ne regrette pas mon achat, car ce fut une fiction distrayante, avec un final surprenant. En 10 épisodes de 45 minutes, filmée à Johannesburg, c’est l’histoire d’un gang qui sévit dans un township où règne la loi de la jungle et se retrouve dans le collimateur de la police, tout en bénéficiant de la protection de certains membres des forces de l’ordre. Créée par Michelle Wheately et scénarisée par Athos Kyriakides, c’est une fiction nerveuse et parfois violente, qui a été comparée à The Wire et à Luther (ici, la seconde référence est sans doute plus pertinente, Mshika-Shika est tout de même loin de rivaliser avec le chef-d’œuvre  de David Simon).

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Dans l’épisode initial, on découvre les membres d’un gang dont la réputation n’est plus à faire, avec à sa tête Scarra (Mxolisi Majozi), entouré de ses deux comparses Judas (K.Dom Gumede) et Mafikizolo (Thato Tteigh Dhladla III). Ils viennent de réussir un joli coup, en dérobant une BMW neuve stationnée dans un quartier huppé. Propriété d’un politicien âgé qui a le bras long, le véhicule est activement recherché par la police, en particulier par Phaka (Richard Lukunku), un détective motivé à faire tomber Scarra et sa bande, secondé par une spécialiste de médecine légale, Kea Thole (Terri-Ann Eckstein). Cependant, Phaka se heurte vite à son supérieur, le commandant Schoeman (David Clatworthy) qui semble d’emblée réticent à le voir s’investir dans cette enquête et lui suggère de s’occuper d’autres affaires selon lui plus urgentes à élucider. Mais le jeune flic intrépide garde le cap, malgré la promesse d’une promotion éclair que lui fait miroiter Schoeman. Ses investigations le mettent rapidement sur la piste de Bonsai (Arthur Molepo), pour la vitrine un paisible commerçant de pièces détachées automobiles, autour duquel les malfrats gravitent.

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Bonsai est un homme d’âge mur, qui se déplace en fauteuil roulant. Pour la façade, il fait mine d’être parfaitement respectable, de mener un business on ne peut plus légal, mais en fait il dirige en sous-main le gang, lui confiant des missions relevant de la criminalité sans se soucier de la façon dont Scarra et ses amis les exécutent. Il est le cerveau derrière les méfaits des truands, qu’il manipule à sa guise pour favoriser ses propres intérêts, comme dans l’épisode 6, où il leur confie le soin d’acheminer une enveloppe contenant des documents sensibles pour le gouvernement, dans le but affiché de les monnayer contre une grosse somme d’argent, mais l’opération s’avère n’être qu’un leurre destiné à égarer la police, qui les arrête pour possession d’armes à feu après avoir intercepté leur véhicule (les armes ayant au préalable été placées dans le coffre par Bonsai). Grand stratège, Bonsai apparait le plus souvent dans la pénombre, attablé dans son atelier devant un plateau de jeu d’échecs. Au fil des épisodes, on découvre l’étendue de ses connexions, qui incluent des policiers, dont le commandant Schoeman en personne.

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Schoeman est un personnage ambivalent. Il apparaît comme un officier compétent, aguerri, mais ses liens avec Bonsai sont mystérieux, un secret semble lier les deux hommes, qui s’estiment mutuellement bien qu’ils ne se trouvent pas du même côté de la loi. Le commandant fait son possible pour freiner l’enquête qui peut aboutir à une mise en cause de Bonsai, tout en faisant preuve d’empathie envers ses subordonnés. S’il lui arrive de s’opposer frontalement à Phaka, qui conteste son autorité, il parvient à conserver un ascendant sur Kea, plus conciliante que son équipier. Le duo de flics se complète bien, Phaka est le plus impulsif, il est porté sur l’action tandis que Kea est plus réfléchie et habile a mener des interrogatoires avec tact. Leur relation est amicale, mais évolue vers un flirt au fil des épisodes. La série montre leur travail au quotidien et force est de constater que Phaka et Kea apparaissent souvent déconnectés de ce qui se passe dans les environs. Plusieurs scènes les montrent en train de discuter tranquillement pendant que sévissent des criminels non loin de là. La série met en évidence le fait que la police n’a pas les moyens de faire régner l’ordre dans les townships, faute d’effectifs suffisants.

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Les difficultés de la police sont illustrées par le passage (certes sans doute guère réaliste) où Scarra et ses potes interceptent un véhicule banalisé, neutralisent le flic qui le conduisait et dérobent des uniformes de policier avant d’aller braquer le commissariat pour s’emparer des armes qui s’y trouvent. Autre point qui ressort de façon flagrante, dans la série les univers de la pègre et des forces de l’ordre sont perméables. Par exemple, un agent, par ailleurs petit ami de Kea, Byron (Lamar Bonhomme) est lui aussi de mèche avec Bonsai, pour qui il est un homme de confiance, et n’hésite pas à subtiliser à sa demande les dossiers relatifs à certains suspects. Byron es prêt à tout pour dissimuler ses turpitudes, il ment sans vergogne, peut user de violence mais est taraudé par sa conscience qu’il cherche à étouffer en s’adonnant à la boisson. Dans les derniers épisodes, entre en scène une fliquette aux méthodes musclées, Angelique (Aimee Goldsmith), la fille de Schoeman, qui est un peu son antithèse: elle refuse toute compromission et ses soupçons envers le comportement de Byron vont grandissant.

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La minisérie accorde un soin tout particulier à la description de notre trio de cailleras. Scarra est bien sûr au centre de l’intrigue. Il multiplie les coups d’éclat pour gagner de l’argent ou récupérer de la drogue et a fréquemment maille à partir avec le gang rival, les Spinners. Il est très dépensier, au risque d’attirer l’attention de la police quand il mène grand train après une opération réussie. Scarra a une attitude cavalière envers Bonsai, il veut lui montrer qu’il ne l’impressionne pas, qu’il n’a pas de prise sur lui, mais si la force physique est de son côté, l’intelligence est clairement du côté de Bonsai qui ne s’inquiète pas de ses viriles rodomontades, certain qu’il est de pouvoir le manœuvrer. Scarra vit en couple avec Shirley (Busisiwe Mtshali) dans un appartement minable aux murs décorés de gros titres découpés dans les journaux. Sa copine est une prostituée qui veut changer de vie, elle ambitionne d’ouvrir un institut de beauté et considère d’un mauvais œil les activités de son compagnon, souhaitant le voir couper les ponts avec ses accointances dans la pègre.

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Shirley a été traumatisée par le meurtre de son souteneur Stenovo, dont elle a été témoin après que ce dernier l’ait agressé parce qu’elle n’avait pas assez d’argent à lui donner. Elle veut en finir avec cette existence sordide et, tout en désapprouvant Scarra, doit bien reconnaître que ses revenus frauduleux peuvent lui permettre de sortir de l’ornière. Elle éprouve de la sympathie pour Judas, qui est son confident. Mais ce dernier n’est pas un associé fiable pour Scarra. Il veut faire cavalier seul en organisant à son seul profit un juteux holdup: il braque un van transportant de la drogue pour le compte des Spinners. Cependant, il commet des maladresses qui permettent à la police de l’arrêter et d’obtenir sa collaboration en échange de la liberté. Il devient donc un mouchard (son prénom devient aptonyme) et il rencarde les flics en s’efforçant de ne pas attirer les soupçons sur lui. Mais Phaka le traite sans ménagement et se comporte avec légèreté à son égard, il ne prend pas toutes les précautions indispensables pour qu’il ne soit pas identifié comme traître, l’exposant ainsi à un danger de mort.

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La minisérie narre le délitement progressif du trio de gangsters, ce qu’illustre également le parcours chaotique de Mafikizolo, qui devient addict aux drogues dures et se révèle de plus en plus instable, ne reculant devant rien pour se procurer sa dose de dope (il n’hésite pas à dérober le magot de Scarra, mais n’est pas assez malin pour ne pas se faire prendre la main dans le sac). Sous l’emprise des stupéfiants, il va jusqu’à commettre un viol. Cependant, dans son état normal, il n’a rien d’un dangereux truand: lorsque Scarra lui demande de commettre un meurtre à l’aide de son revolver, il ne peut se résoudre à tirer à bout portant. C’est un pauvre type qui s’est laissé entraîner sur la mauvaise pente et qui n’a pas la force de réfréner ses penchants destructeurs. Il pâtit sans doute aussi de son manque d’éducation, d’avoir grandi dans un milieu très pauvre, ce que la série montre au travers des images de logements insalubres, de rues à la chaussée éventrée et de fauteuils usés trônant en extérieur, où se réunissent les jeunes désœuvrés du township. Une misère qu’incarne d’ailleurs fort bien un personnage secondaire, un junkie laveur de pare-brises, Eduardo dit Eddy, toujours dans la ligne de mire des flics pour qui il constitue une cible facile: très intimidable, il leur fournit des tuyaux à la moindre menace.

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Les deux derniers épisodes constituent le point culminant du récit, où les secrets entourant le passé de Scarra, Phaka et Bonsai sont révélés. L’ultime épisode (le plus court) s’achève par un climax saisissant, qui éclaire d’un jour nouveau le comportement des protagonistes. Dès lors, la conclusion inévitable permet de s’interroger à propos de l’influence du contexte familial sur le déroulement d’une existence ainsi que sur la frontière ténue séparant le bien et le mal. La minisérie a aussi le mérite de mettre en évidence l’isolement social que peuvent subir les habitants des townships (comme en témoigne une scène d’enterrement, où, faute de prêtre pour officier, des amis du défunt récitent avec grandiloquence des passages de la Bible, en anglais et en zoulou). L’intrigue est bien rythmée, avec des rebondissements survenant en fin d’épisodes et sans cliffhangers inutiles. Mshika-Shika n’est pas une minisérie parfaite, les faits sont parfois soulignés lourdement (comme en témoigne ce plan où, après la trahison de Judas, le trio est attablé devant une représentation de la Cène, dont la présence semble incongrue dans leur environnement de tous les jours). Mais globalement, c’est un polar bien construit, assez noir (pas trop quand même, l’épilogue n’est pas sombre pour tout le monde), qui n’oublie pas le commentaire social mais reste avant tout un divertissement riche en adrénaline.

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Keishichou Ikimono Gakari / MPD: Animal Unit (Japon, 2017)

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Chaque année, la télévision japonaise propose des dramas policiers d’énigme, un genre très prisé dans ce pays, ce qui est heureux car il n’est pas rare de trouver des perles parmi ces productions. Au printemps 2017, il y eut déjà Kizoku Tantei, qui confrontait un noble excentrique et sa domesticité à des crimes impossibles, une série plaisante avec beaucoup d’humour. Cependant, j’ai choisi de présenter MPD: Animal Unit, un petit drama sans prétention mais instructif pour qui s’intéresse aux curiosités du règne animal. Diffusé cet été sur Fuji TV, en 10 épisodes (de 45 minutes, sauf le premier qui dure près d’une heure), le programme (adapté d’un cycle de romans de Takahiro Okura, dont j’ai déjà visionné il y a quelques années l’adaptation de  Fukuie Keibuho no Aisatsu, un Columbo like) suit les enquêtes d’un duo faisant partie d’une division de la police de Tokyo responsable de la garde d’animaux appartenant à des suspects ou ayant appartenu à des personnes disparues, victimes d’un acte criminel.  C’est toute une ménagerie que l’on découvre au fil des épisodes, chacun d’eux se focalisant sur un animal en particulier qui fut présent sur les lieux du crime et dont l’observation attentive fournit des indices pour résoudre le mystère et démasquer le coupable.

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Le duo est constitué de Tomozo Sudo et Keiko Usuki. Tomozo (Atsuro Watabe) est un détective qui, suite à un incident survenu durant l’une de ses enquêtes, a dû quitter la brigade d’investigation pour être relégué à l’unité animalière. Il souffre d’amnésie depuis une agression infligée par un malfrat, seul lui reste de ce jour funeste le souvenir vague d’un taiyaki (gâteau japonais fourré en forme de poisson). Initialement, il exerce son nouveau métier avec réticence et souhaite réintégrer au plus vite son ancien travail, mais il finit par s’intéresser réellement à la zoologie appliquée à la science criminelle. Il est assisté par une jeune enquêtrice, Keiko Usuki (jouée avec enthousiasme par Kanna Hashimoto), une brillante diplômée en médecine vétérinaire, véritable encyclopédie vivante du monde animal, dotée de plus d’un sens aiguisé de l’observation. Keiko semble préférer les bêtes aux humains, elle s’extasie dès qu’elle découvre un nouveau pensionnaire de l’unité, qu’il s’agisse d’un mammifère, d’un reptile ou d’un oiseau. Sa fraîcheur juvénile, son uniforme de policière (que certains, la voyant pour la première fois, prennent pour un accoutrement de cosplay, voire une tenue fétichiste) et ses déductions inattendues font tout le sel du personnage.

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A part ce binôme improbable mais très attachant, le drama présente quelques personnages secondaires récurrents. Outre les détectives junior Ishimatsu Kazuo et Yayoi Mikasa qui ne jouent qu’un rôle très secondaire, quelques protagonistes farfelus se remarquent surtout par leurs bouffonneries: Tamaru Iroko (Atsuko Asano), une policière complètement foldingue qui s’occupe de gérer la pension animalière de l’unité et Nidegawa Shokichi (Denden) un flic à la retraite, source inépuisable d’anecdotes sur ses nombreuses années de métier. Ce dernier aime visiter quotidiennement le musée de la police de Tokyo, un établissement qui existe réellement (il se trouve au nord du quartier de Ginza et expose aussi bien des uniformes que les véhicules de fonction les plus divers) et est montré à de multiples reprises au fil de la saison. Les épisodes sont des standalones (sauf les deux derniers), avec cependant un fil rouge (les zones d’ombre entourant le passé de Tomozo Sudo). L’intérêt des intrigues ne réside pas dans les modus operandi des crimes, qui ont tendance à se répéter (strangulation, noyade, décès suite à un coup violent reçu), mais plutôt dans les déductions faites à partir de l’observation des animaux ou les mobiles des meurtres, qui ont souvent un lien avec l’attachement (ou la répulsion) pour les bestioles évoquées.

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Le premier épisode commence par le sauvetage de Naomi, un chat coincé dans une canalisation, qui deviendra la mascotte de l’unité. On découvre ensuite le premier cas auquel le duo est confronté: la victime, jetée dans un cours d’eau après avoir été étranglée, possédait des bouvreuils à tête rouge qui participaient à des compétitions de chants d’oiseaux, en concurrence avec des zostérops du Japon. Des digressions permettent d’en savoir plus sur l’historique de ces concours, ainsi que sur le juteux marché noir d’oiseaux sauvages, tandis que les marques laissées sur le sol par les curieux emplacements de cages à oiseaux donnent à Keiko un indice déterminant. Une histoire très simple, qui sert avant tout à présenter tous les protagonistes.

Le second épisode, où un corps est retrouvé noyé dans la piscine d’un enclos à pingouins, nous renseigne sur l’élevage de ces oiseaux (par exemple concernant l’alimentation recommandée ou la nécessité d’adapter la luminosité et la température à leur métabolisme). L’intrigue est basique mais le mobile est original et ne se devine pas aisément. J’ai retenu une info surprenante: les élevages de pingouins sont répandus au Japon, un pays qui possède un quart de la population captive mondiale de ces fascinants volatiles.

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L’épisode 3 a pour thème les serpents, ceux que possédait la victime, apparemment un homme qui s’est suicidé en se jetant dans la mer du haut d’une falaise. Keiko et la policière Yayoi se pâment d’admiration devant les reptiles, aussi bien le serpent des blés (élaphe) que le boa constrictor, alors que Tomozo éprouve un dégoût viscéral pour ces créatures. Les soins en captivité ainsi que la mue des serpents (et l’opacification des yeux qui la précède), sans oublier les formalités légales d’adoption de ces créatures rampantes (nécessité d’obtenir une licence, par exemple) sont abordés. Cet aspect informatif est à vrai dire plus intéressant que l’énigme policière, classique, seul le mobile de l’assassin ayant un lien étroit avec les serpents.

L’épisode suivant, après une rapide évocation des glandes anales nauséabondes de la mouffette, développe une curieuse histoire où un berger qui élève des chèvres près d’une école est accusé du meurtre d’un enseignant et où lesdites chèvres ont ingéré une liasse de copies corrigées. Ce n’est pas mon épisode préféré mais il est à noter que Keiko résout l’affaire grâce à un brillant raisonnement déductif. Également, le drama apporte quelques précisions surprenantes à propos de la reproduction caprine, comme le fait que  l’œstrus de la chèvre intervient seulement 18 mois après la naissance.

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Le cinquième épisode est sans doute l’un des meilleurs. Le cas est celui d’une femme assassinée d’un coup d’haltère sur la tête, dans une maison où se trouve un singe turbulent, un saïmiri (ou singe écureuil). L’énigme est intéressante car deux solutions sont proposées successivement pour expliquer les faits dans les moindres détails. De plus, le singe y joue un rôle actif dans le déroulement du drame, contrairement aux animaux des épisodes précédents. D’autre part, l’accent est mis sur l’étude du comportement animal (éthologie), même si cet aspect aurait pu être plus détaillé.

L’épisode 6 est aussi captivant: le témoin d’un meurtre n’est autre qu’un perroquet gris africain (jaco). Bien que ce psittacidé soit le meilleur parleur au monde, celui présent dans l’histoire reste obstinément muet devant les enquêteurs, ne retrouvant la parole que dans les dernières minutes. On découvre le côté joueur de ces oiseaux, leurs étonnantes capacités d’imitation ainsi que les bizarreries de leur fonctionnement cérébral (comme le fait que plus ces volatiles sont juchés haut sur un perchoir, plus il se perçoivent en dominateurs de leur environnement). Tous ces éléments sont intégrés à la résolution de l’intrigue de façon convaincante.

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Le septième épisode s’intéresse particulièrement à l’aquariophilie. Keiko rencontre le directeur d’un parc aquacole, qui est en quelque sorte son double, car tout aussi féru qu’elle de vie animale. Au centre de l’intrigue, des piranhas dérobés dans des aquariums sont relâchés dans un bassin du parc, pour d’obscurs motifs. On découvre les différentes variétés de piranhas, les contraintes de leur élevage (nécessité de bien les nourrir, sans quoi ils peuvent devenir cannibales, obligation de les répartir dans plusieurs aquariums. L’énigme policière est un peu faible, le mobile du criminel s’avère finalement trivial mais l’épisode montre en passant quelques étranges créatures: si l’axolotl (ou salamandre mexicaine) est très connu, le flowerhorn ou la raie mobula japonaise un peu moins sans doute.

Au cœur du huitième épisode, il y a un conflit de voisinage entre le propriétaire d’un hibou grand-duc et celui d’une chouette hulotte, tous deux résidents d’un appartement au même étage, avec un meurtre à la clé. C’est l’examen des déjections de la chouette qui donne à Keiko l’indice déterminant pour la résolution de l’énigme. Comme lors de l’épisode 5, l’animal joue un rôle prépondérant dans le déroulement de la tragédie. On peut aussi découvrir des caractéristiques originales de ces strigidés, comme les secrets de leur vol silencieux ou du cliquettement qu’ils émettent en période de chaleurs, qui a surtout une fonction d’intimidation.

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Les épisodes 9 et 10 sont reliés. Le premier évoque tout d’abord un incendie criminel où l’assassin veut faire croire à un sinistre accidentel. Un hérisson sauvé in extremis du brasier donne à l’enquêtrice la preuve lui permettant d’acculer le coupable. A part quelques détails sur l’alimentation insectivore des hérissons, il n’y a rien de mémorable dans cette intrigue. Ensuite, vient l’histoire principale: des attaques de guêpes (avec pour conséquence chez certaines victimes un choc anaphylactique) se multiplient, causées par un mystérieux groupe pseudo-religieux, la « cloche de verre ». Les informations récoltées par le duo de détectives semblent indiquer qu’un attentat à l’essaim de guêpes doit être perpétré sous peu au musée de la police. L’intrigue est un peu tirée par les cheveux, mais est assez habile, avec des éléments de misdirection et des indices savamment disséminés (l’un en rapport avec des chauves-souris, les pipistrelles japonaises, et leur prolifération en ville lorsqu’il fait chaud et que les insectes dont elles se nourrissent pullulent, un autre en rapport avec une plante de montagne, le vératre noir, retrouvée sur les habits d’un suspect). Ce final est plutôt bien fait et s’achève par des scènes riches en suspense, mais le modus operandi des criminels se révèle bien tortueux, le moyen de parvenir à leur fin inutilement compliqué.

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En conclusion, je dirais que c’est un drama bien sympathique, loin d’être exceptionnel mais qui permet d’apprendre pas mal de choses en s’amusant. Des énigmes policières plus complexes auraient été bienvenues, mais la série a par ailleurs des atouts non négligeables: le casting est épatant, les musiques aux sonorités animales participent à la loufoquerie de l’ambiance (on notera aussi le fameux générique de fin, My Buddy, interprété par le boys band Bullet Train, avec une chorégraphie rigolote des protagonistes du drama) et les animaux sont bien filmés (tout spécialement le vol de la chouette, qui bénéficie de ralentis du plus bel effet). En somme, un divertissement plutôt intelligent (même si l’humour nippon peut laisser par moments perplexe), dans la lignée de dramas policiers thématiques tels que Biblia Koshodou no Jiken Techou (des énigmes dans l’univers des bouquinistes) ou Otenki Oneesan (des mystères où interviennent des phénomènes météorologiques rares), qui explorent des pistes pour renouveler le genre, avec plus ou moins de bonheur.  Keishichou Ikimono Gakari, sans être indispensable, est recommandable pour qui, comme moi, s’intéresse de près au monde animal.

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The Little Nyonya (Singapour, 2008)

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Produite par MediaCorp et diffusée par Channel 8, cette série en 34 épisodes (d’environ 45 minutes) est un period drama dont l’action s’étend entre les années 1930 et la période actuelle et racontant l’histoire de trois familles appartenant à la communauté Peranakan (ou Baba-Nyonya), s’attachant en particulier à décrire quatre générations successives de la famille Huang. Les Peranakan sont des descendants d’immigrants chinois installés à Malacca (en Malaisie) et Singapour. Ils possèdent une culture spécifique d’une grande richesse (que l’on a pu découvrir il y a quelques années au musée du Quai Branly, lors de l’exposition Baba Bling, ou encore grâce à des ouvrages en anglais récemment édités, comme les récits autobiographiques de William Gwee), que la série présente de façon détaillée en abordant aussi bien la gastronomie que les arts décoratifs et les us et coutumes. A vrai dire, plus que les rebondissements d’une intrigue tendant vers le mélodrame et usant parfois de grosses ficelles (mais néanmoins assez prenante), c’est la plongée dans cette culture qui m’était largement inconnue que j’ai trouvé captivante. La série bénéficie d’un budget confortable, ce qui se voit à l’écran au travers des décors et costumes somptueux.

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Je ne vais pas rentrer dans les détails du scénario concocté par Ang Eng Tee. L’histoire est celle de Huang Juxiang et de ses descendants. Juxiang (interprétée par Jeannette Aw) est née dans une famille Peranakan aisée, mais n’a cependant pas une vie facile. Elle est une enfant illégitime et de ce fait est traitée depuis son plus jeune âge comme une servante. De plus, elle est devenue sourde et muette à l’âge de 9 ans (les séquelles d’une maladie) et doit subir les moqueries et vexations de la part de ses demi-sœurs et de ses cousins.  Néanmoins, elle est plus talentueuse que les autres membres de sa fratrie, aussi bien aux fourneaux que pour la broderie. Débrouillarde et d’un tempérament têtu, elle fugue pour ne pas épouser Charlie Zhang (Desmond Sim), un homme d’affaires véreux qui lui était promis par un mariage arrangé. Elle part vivre avec un photographe japonais, Yamamoto Yousuke (Dai Yangtian), avec qui elle a une fille, Yueniang. Mais lorsque la seconde guerre mondiale éclate, sa vie prend une tournure dramatique. Yousuke, du fait de ses origines japonaises, fait l’objet d’une hostilité croissante. Plus tard, alors que les combats font rage, Juxiang et Yousuke meurent après bien des péripéties, en voulant prendre la fuite, laissant orpheline leur petite de 8 ans.

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Le huitième épisode, d’une noirceur radicale, clôt la première partie du drama par la disparition tragique de Juxiang. Dès l’épisode 9, on suit le parcours mouvementé de Yueniang (qui, à l’âge adulte, est jouée également par Jeannette Aw, ce qui est au début déconcertant pour le téléspectateur). Livrée à elle-même, la gamine retourne chez sa grand-mère maternelle Tianlan (Xiang Yun) qui l’accueille chaleureusement et lui apprend, comme elle le fit avec Juxiang, la maitrise de l’art culinaire et des broderies Peranakan. La situation de Yueniang se complique après la guerre, lorsque le reste de la famille revient d’une longue période d’exil en Angleterre: ils tolèrent tout juste sa présence et la maltraitent comme il le firent à l’égard de sa mère, lui faisant subir toutes sortes d’humiliations: on la bat, on l’insulte, on intente même à sa vie en la jetant dans un puits. Mais elle trouve tout de même une amie en la personne de Huang Yuzhu (Johanne Peh), une demi-sœur clémente et serviable, toujours prompte à prendre sa défense.  Elle a également un lien indéfectible avec Ah Tao (Ng Hui), une amah (servante) qui a une patte folle et qui la seconde avec dévouement, après avoir fait de même au service de Juxiang.

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Yueniang rencontre un fils de bonne famille, Chen Xi (Qi Yuwu) qu’elle prend initialement pour un simple employé exerçant la fonction de chauffeur. Ayant été éduqué au Royaume-Uni, il a pris ses distances avec les traditions familiales. Il souhaite épouser Yueniang, mais ses parents le contraignent à se marier avec sa cousine Zhenzhu (Eelyn Kok) à la place, une fille gâtée qui s’avère d’une jalousie maladive et est dotée d’un caractère insupportable. Yueniang, de son côté, est poussée par sa famille à s’unir avec Liu Yidao, un boucher un peu rustre qui fréquente la pègre mais qui a un bon fond. Elle refuse obstinément de l’épouser, menaçant même de se suicider, mais finit par s’accorder avec Liu pour le considérer comme un frère plutôt qu’un époux, ce que le boucher approuve en l’assurant de sa loyauté.

Yueniang, désormais émancipée de la tutelle familiale, se lance dans le commerce de plats à emporter et de tissus, mais malgré son opiniâtreté, elle pâtit de son inexpérience et se fait arnaquer à de multiples reprises. Ayant définitivement renoncé à vivre avec Chen Xi, elle épouse Paul, un avocat britannique et adopte Zuye, le fils de Yuzhu, la malheureuse étant devenue folle suite aux sévices subis de la part de Robert Zhang (Zen Chong), rejeton malfaisant de Charlie Zhang qui lui a été imposé comme mari après que celui-ci l’ait violée en la confondant avec Yueniang, sa proie de prédilection.

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Ces quelques paragraphes donnent juste un aperçu de l’intrigue tarabiscotée de la série. Certes, on ne s’ennuie pas en la regardant, mais les scénaristes ont fait dans la surenchère, par moments au détriment de la crédibilité. Le personnage de Liu Yidao, en particulier, est improbable: lors d’un épisode, il terrasse à lui seul un tigre pour offrir sa dépouille à Yueniang, dans un autre, il affronte lors d’un combat singulier un malfrat musculeux et le met hors d’état de nuire grâce à un lancer miraculeux de la lame de son inséparable couteau de boucher. Le drama est par ailleurs clairement influencé par un fameux asadora (feuilleton fleuve japonais), Oshin. Yueniang, tout comme sa mère, ont beaucoup en commun avec Oshin: le côté serviable, la ténacité face aux nombreuses épreuves qu’elles traversent, la faculté de résilience, l’esprit d’entreprise. Cependant, à mon sens Oshin est une série écrite avec bien plus de subtilité, la personnalité de l’héroïne y est plus complexe, plus nuancée sur le plan psychologique. De plus, dans la série japonaise, les protagonistes sont rarement tous blancs ou tout noirs, alors que dans The Little Nyonya, on trouve un certain manichéisme, avec notamment quelques « super méchants » dont la cruauté est sans bornes.

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Il y a pléthore de personnages négatifs, mais ce ne sont pas, et de loin, les plus intéressants du drama. Outre l’horrible Charlie Zhang, qui méprise la culture Peranakan, n’hésite pas à faire affaires avec les japonais pendant la guerre et couvre les agissements de Robert, son fils sociopathe, on trouve quelques figures féminines malveillantes, comme la matriarche Tua Ji (Lin Meijiao), qui voue une haine tenace à Tianlan et à sa descendance (Juxiang et Yueniang), ou encore la sournoise Xiufeng (mère de Zhenzhu et Yuzhu) qui méprise les serviteurs et fait preuve d’un manque d’empathie glaçant envers Yueniang. Quant à la capricieuse et manipulatrice Zhenzhu, elle s’avère finalement moins mauvaise qu’elle ne le paraissait de prime abord, en venant même à regretter son comportement passé et à faire un tardif mea culpa dans l’ultime épisode. Il est vraiment regrettable qu’une grande partie de l’intrigue soit consacrée aux turpitudes de ces protagonistes bêtes et méchants et sans réelle épaisseur psychologique. A cet égard, le scénario aurait gagné à être allégé, quitte à produire moins d’épisodes.

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Heureusement, il y a aussi des personnages attachants et positifs. Tianlan, par exemple, une servante devenue la seconde maitresse du pater familias après qu’il l’ait violée et qui se distingue par son humilité et la bonté dont elle fait preuve envers la domesticité. Citons aussi Yuzhu, la cadette de la famille Huang, bien plus aimable que ses sœurs ainées mais qui subit de tels traumatismes durant son existence qu’elle en perd la raison (Joanne Peh obtint une récompense méritée aux Star Awards 2009 pour son interprétation spectaculaire). Ou encore madame Chen, arrière grand-mère de Chen Xi, bienveillante et amatrice de bonne chère. Parmi les protagonistes secondaires, j’ai remarqué en particulier Libby (Pamelyn Chee), une amie de Yueniang qui se comporte en femme libérée et est en avance sur son temps; Da Sha, un simple d’esprit qui récolte de précieux nids d’oiseaux pour permettre à Yueniang de les commercialiser; Tianfu, frère réprouvé de Charlie Zhang contre lequel il s’oppose pour empêcher la destruction de la demeure familiale et qui, par ailleurs, est un maître reconnu dans l’art du pantun (poésie malaise).

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Il y a un autre point commun avec Oshin: des passages se déroulent à l’époque actuelle, où une Yueniang vieillissante s’entretient avec une jeune descendante de la famille, Angela, et lui raconte sa vie dans les moindres détails, finissant par lui confier un lourd secret quant à ses origines. Mais ces séquences s’intègrent à l’ensemble avec moins d’élégance que dans Oshin et paraissent parfois artificielles. C’est cependant l’occasion d’en apprendre plus sur la culture Peranakan, que ce soit les tenues traditionnelles (comme la kebaya, blouse portée par les femmes), les magnifiques lanternes porte-bonheur, richement décorées, suspendues devant les maisons ou encore les luxueuses porcelaines peintes dans des tons pastels. Au fil des épisodes, sont évoquées certaines coutumes entourant le mariage, comme celle consistant à offrir aux époux une théière (appelée kamcheng) contenant des boulettes de farine rouges et blanches (symbolisant respectivement la jubilation et la pureté) ou encore la cérémonie du berandam, savant peignage rituel de la chevelure de la future épouse. Bien sûr, les fameuses broderies Peranakan sur canevas, à l’exécution virtuose, sont longuement abordées, de même que la confection de chaussons cousus de motifs chatoyants (kasut manek). On peut trouver sur le web de nombreux sites illustrés qui permettent d’approfondir sa connaissance de ces diverses manifestations de créativité de la culture Peranakan.

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L’aspect culturel le plus présent est cependant la gastronomie. Un épisode entier est consacré à la préparation de rempah udang (riz gluant avec sauce épicée et lait de coco servi dans des feuilles de bananier, variante du pulut inti) pour le faire déguster à madame Chen. Mais bien d’autres plats sont montrés tout au long du drama: le babi pongteh (porc braisé et pimenté, garni de champignons),  le ngo hiang (émincé de porc et de crevettes en rouleau), l’achar (confit de bambou), le poulet au fruit de l’arbre keluak, l’ayam nangka (poulet agrémenté de fruits du jacquier), les kuih (assortiment de pâtisseries à base de riz), l’ang ku kueh (cake en forme de tortue rouge dont la consommation est censée apporter longévité et prospérité). Tous ces mets peuvent figurer au menu du tok panjang (« longue table »), un plantureux buffet servi pour des occasions spéciales, comme les fêtes de famille. La série s’attache à montrer comment sont cuisinés tous ces plats dont les origines variées témoignent de la culture métissée des Peranakan. En général, ces développements culinaires s’intègrent bien à l’intrigue et en constituent même l’un des attraits principaux.

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Pour conclure, j’espère avoir souligné les atouts de la fiction (essentiellement, le témoignage de la richesse du patrimoine culturel Peranakan, le drama insistant sur l’importance de sa préservation et de sa transmission aux jeunes générations). Sur le plan scénaristique, force est de constater que la série est inégale. La première partie, soit les 8 premiers épisodes, traitant du destin tragique de Juxiang et de la seconde guerre mondiale, est pour moi la plus réussie, avec quelques passages poignants. L’arc concernant la vie malheureuse de Yuzhu, son basculement dans le dénuement et la démence, d’une noirceur totale, est aussi mémorable, même si les évènements finissent par prendre une tournure excessivement dramatique. J’ai aussi aimé les séquences où des personnages interprètent un pantun car c’est une poésie d’une grande sensibilité, qui aurait mérité d’être plus fréquemment mise en avant par la série. Si je ne regrette pas d’avoir visionné The Little Nyonya jusqu’au bout, mon impression finale est assez mitigée car j’ai eu le sentiment que les scénaristes ont voulu en faire trop et ont quelquefois privilégié le suspense au détriment de l’authenticité des personnages. Mais si le drama ne saurait être qualifié de chef-d’œuvre (contrairement à Ochin), il est à recommander pour qui s’intéresse de près à cette communauté originale des Straits Settlements.

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WKRP in Cincinnati [saison 1] (USA, 1978)

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Une fois n’est pas coutume, j’ai choisi de me pencher cette semaine sur la première saison (en 22 épisodes) d’une sitcom américaine diffusée sur le réseau CBS entre 1978 et 1982. Il m’est arrivé de suivre des programmes de CBS (The Good Wife, par exemple), mais ce n’est certes pas un de mes networks favoris. Cependant, WKRP in Cincinnati est une comédie qui parvint à un niveau de qualité appréciable, grâce à la qualité de ses scripts et à sa capacité à alterner entre la franche comédie et des passages plus sérieux abordant avec justesse des problèmes de société. Racontant les mésaventures du personnel d’une station de radio de Cincinnati dédiée à la musique rock, cette création de Hugh Wilson connut des hauts et des bas en terme d’audience mais est restée un classique de la télévision américaine, certains épisodes mémorables y étant devenus cultes. La série, qui n’a à ce jour pas été diffusée en France, a fait l’objet récemment d’une édition DVD où de nombreux morceaux de musique des seventies intégrés à la bande originale ont pu être restitués (auparavant, ils avaient dû être remplacés par d’autres titres à cause de problèmes de droits d’auteur exorbitants).

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Il y eut bien d’autres séries anglo-saxonnes ayant pour cadre une station radiophonique. Je n’en citerai que quelques unes, qui m’ont particulièrement marqué: en Grande-Bretagne, Shoestring, où un détective joué par Trevor Eve animait une émission de radio pendant laquelle il recevait les requêtes de ses clients potentiels et plus près de nous Takin’ Over the Asylum, avec David Tennant, qui raconte la création d’une station dans un hôpital psychiatrique de Glasgow; côté américain, j’ai un très bon souvenir de Remember WENN sur AMC, une sitcom de Rupert Holmes se déroulant dans les studios d’une radio de Pittsburg dans les années 1930. La réussite de WKRP tient sans doute beaucoup à la personnalité de son créateur, Hugh Wilson, qui mit à profit son expérience personnelle de vendeur d’espace publicitaire pour une radio d’Atlanta (WQXI), les personnes qu’il y a côtoyé ayant servi de modèles pour caractériser les protagonistes principaux de la série. Ceux-ci sont tous plus ou moins déjantés et, s’ils paraissent initialement comme des archétypes, gagnent en épaisseur au fil des épisodes et acquièrent des personnalités complexes. Leur interprétation est sans faille, ce qui contribue à les rendre attachants et crédibles.

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Le pilote s’étale sur deux épisodes. Il n’est pas aisé de débuter une sitcom de façon satisfaisante mais la série propose un script amusant pour nous introduire dans cet univers. Au départ, WKRP est une radio en perte de vitesse, qui diffuse essentiellement de la musique d’ascenseur. Andy Travis, le nouveau directeur des programmes (incarné par Gary Sandy) a d’emblée pour ambition de donner un coup de jeune à la station, en proposant de la musique rock. Le dirigeant de WKRP, Arthur Carlson (Gordon Jump) est initialement réticent, mais finit par y consentir, en considérant la perspective de profits substantiels pour son entreprise. Le lymphatique DJ Johnny Caravella se transforme alors aussitôt en un animateur endiablé, le Dr Johnny Fever (il est joué par Howard Hesseman).

Le changement ne va pas sans heurts pour WKRP, qui perd quelques fidèles sponsors (dont une maison de retraite et un fabricant de chaussures orthopédiques) et doit faire face à la vindicte d’un groupe de seniors remonté à bloc qui investit les studios pour demander le retour de la musique d’ascenseur. Andy, le seul personnage à peu près ordinaire de la série, doit non seulement faire face à cette crise imprévue, mais aussi composer dès son arrivée avec les exigences de la mère d’Arthur Carlson, la redoutable Mama (Carol Bruce), une femme froide et autoritaire qui détient les cordons de la bourse.

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Parmi le personnel de la station, on trouve Less Nessman (Richard Sanders), un journaliste toujours tiré à quatre épingles qui a l’ingrate mission de présenter des flashs d’information sur une antenne essentiellement musicale. Un peu vieux jeu, Less est également maladroit (il lui arrive de mal lire les dépêches d’agences et de les transmettre de façon totalement erronée) et maniaque (il dispose d’un bureau dans un espace ouvert, mais a tracé tout autour une ligne en pointillé, avec interdiction de la franchir, tout cela pour bien délimiter son territoire réservé). Il y a également Herb Tarlek (Frank Bonner) qui s’occupe du marketing: il est vantard, imbu de lui même, ses idées pour promouvoir WKRP fusent mais s’avèrent souvent foireuses.

Il y a aussi Venus Flytrap (Tim Reid), dont le nom est de toute évidence un pseudonyme, c’est le DJ de la programmation nocturne, il est décontracté et affectionne les tenues à la dernière mode. Le personnel féminin se compose de Bailey Quarters (Jan Smithers), une jeune femme timide mais ambitieuse qui s’occupe des contrats publicitaires mais rêve de présenter sa propre émission, sans oublier Jennifer Marlowe, la réceptionniste au physique très avantageux (Loni Anderson), sans cesse courtisée par de riches prétendants et qui, loin d’être simplement décorative, se révèle au fil des épisodes avoir de la suite dans les idées et être capable tenir tête à ses supérieurs (ainsi, elle refuse de rendre le moindre service à Arthur, même de lui servir un café, car ce n’est pas stipulé dans son contrat de travail).

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Outre Jennifer, les personnages les plus drôles sont selon moi le fantasque Johnny Fever, avec sa dégaine de cowboy et ses annonces décalées à l’antenne et Arthur « Big Guy » Carlson, très bonne pâte avec ses employés, d’une naïveté confondante et qui a gardé une âme d’enfant (dès qu’il est seul dans son bureau, il aime faire joujou avec une voiture télécommandée, un mini panier de basket ou d’autres dérivatifs puérils pour tromper son désœuvrement).

Examinons à présent les épisodes de cette première saison. Il est à noter que dans sa première moitié, ils sont un peu inégaux, la série se cherche et certains scénarios ne sont pas très inspirés. C’est le cas de Preacher, pourtant écrit par Bill Dial, qui signa quelques un des meilleurs épisodes. Le conseil interreligieux de Cincinnati vient à WKRP se plaindre des émissions du révérend Pembrook, qui sous couvert de prêcher la foi, vend toutes sortes de colifichets pseudo-catholiques comme un rideau de douche « Jean-Baptiste » ou un couteau à viande dit « de la Mer Morte ». Pembrook, un ancien champion de catch, n’est pas du genre accommodant et refuse de modifier ses sermons mercantiles. Il est hautement improbable qu’une émission telle que la sienne, avec du chant gospel, soit diffusée sur une radio de musique rock, de plus le personnage du révérend est totalement improbable. La chute de l’épisode est cependant délectable. Bailey’s Show développe aussi une histoire qui laisse à désirer, avec l’apparition d’un pseudo-scientifique maboul interviewé par Bailey, alors qu’elle vient d’obtenir sa propre émission d’entretiens en direct. L’actrice qui jouait Bailey était dans cette première saison peu à l’aise dans son rôle, centrer un épisode sur son personnage n’était sans doute pas une bonne idée.

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Il y a deux épisodes que j’ai aussi moins apprécié, qui s’attardent sur la vie sentimentale des employés de la radio. Love Returns développe une histoire mièvre autour des relations d’Andy Travis avec son ex, mais a une intrigue secondaire plaisante où WKRP organise un concours pour les auditrices dont les gagnantes obtiennent un rendez-vous galant avec l’un des DJ. Never leave me, Lucille traite de la séparation entre Herb et sa femme Lucille (Edie McClurg) de façon bien plan-plan, mais a tout de même une scène drôle vers la fin, où Jennifer et Lucille dinent dans un restaurant et reçoivent à leur table une flopée de consommations gratuites, cadeaux des nombreux admirateurs de la réceptionniste présents dans la salle. On peut aussi avoir des réserves sur d’autres épisodes. Dans Young Master Carlson, le fils du « Big Guy », âgé de 11 ans, débarque à la station: ce militaire en herbe bardé de médailles fait un rejeton bien invraisemblable, mais certaines répliques à son encontre sont hilarantes. Tornado, où un ouragan frappe la ville et où Carlson sauve la vie d’une fillette lors d’un entretien téléphonique retransmis en direct, a quelques bonnes idées, mais fait intervenir un groupe de touristes japonais très cliché, mitraillant tout avec leurs appareils photo et multipliant les courbettes.

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On trouve aussi deux épisodes un peu étranges. Mama’s Review donne la part belle à la terrible Mama Carlson, qui menace de couper les crédits de la station, mais consiste essentiellement en un récapitulatif des épisodes précédents (en fait, la série avait été retirée de l’antenne durant la diffusion de la saison 1, avant de revenir deux mois plus tard, cet épisode servant surtout à rafraîchir la mémoire des téléspectateurs). Hold up est une histoire alambiquée avec un sponsor douteux, fournisseur d’équipement acoustique à la fiabilité toute relative et un DJ au chômage qui braque sa boutique pour se venger d’avoir été remplacé par des machines. La fin n’est pas très convaincante.

Cependant, la majorité des épisodes sont très réussis. Hoodlum Rock a pour guests les membres d’un groupe en vogue à l’époque, Détective, qui interprètent des rockers punk destroy qui saccagent leur chambre d’hôtel et multiplient les outrances pour se faire de la publicité. Les on a Ledge serait considéré aujourd’hui comme politiquement incorrect. Less Nessman, mortifié par la rumeur courant dans les couloirs de la radio qui le prétend homosexuel, menace de se suicider en se jetant de la fenêtre du bureau de Carlson, alors que ses confrères font tout pour le dissuader de passer à l’acte. Du bon comique de situation. Turkey’s Away est un grand classique, l’épisode le plus fameux, celui où Carlson conçoit une « géniale » opération publicitaire: à l’occasion de Thanksgiving, un avion rempli de dindes doit selon ses plans survoler Cincinnati et larguer les volailles, mais le « Big Guy » qui pensait en toute bonne foi les voir voler en essaim au dessus de la cité constate bientôt les dégâts! Le reportage de Les, où il décrit  le lâcher de dindes en des termes rappelant le célèbre commentaire du filmage de la catastrophe du Hindenburg, vaut son pesant de cacahouètes.

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L’épisode double Goodbye Johnny / Johnny comes back, où le DJ quitte la station pour aller travailler à L.A. mais revient finalement (après avoir été viré pour avoir proférer des gros mots à l’antenne) et constate qu’il a été remplacé par un certain Doug Winner, est surtout notable pour la seconde partie, où Fever finit par confondre Doug, qui sous des dehors aimables de gendre idéal, s’avère être de mèche avec une maison de disques pour diffuser de préférence les artistes qu’elle produit. I want to keep my baby, où une jeune mère abandonne son bébé dans le studio de Dr Fever, l’obligeant à pouponner tout en animant son émission musicale, est écrit avec sensibilité et évite d’avoir une conclusion trop prévisible.

Fish story est l’épisode le plus fou, le plus loufoque. Hugh Wilson n’avait pas du tout confiance en écrivant le scénario, car il l’a signé du pseudonyme de Raoul Plager. Pourtant, c’est hilarant, aussi bien l’histoire de la campagne contre l’alcoolisme au volant où les DJ testent leurs réflexes en direct après avoir bu une quantité croissante de bocks de bière que celle où Herb se déguise en carpe pour incarner la mascotte de la station (tout simplement car le sigle WKRP évoque à l’oreille la carpe) et se chamaille avec la mascotte de la radio concurrente WPIG (un cochon, bien entendu). The contest nobody could win est aussi une des réussites de la saison: Fever ayant malencontreusement annoncé que le prix d’un jeu concours, la « musique mystère », est de 5000 dollars (au lieu de 50), la radio doit corser le jeu pour s’assurer que personne ne gagne, en demandant d’identifier une suite d’extraits musicaux ultracourts. Mais c’est sans compter sur les forts en thèmes qui composent l’auditorat de la station et qui pourraient bien s’avérer ruineux pour Carlson !

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A date with Jennifer est surtout intéressant pour les excentricités de Less Nessman, qui demande à la réceptionniste de l’accompagner à un banquet où il doit recevoir un prix mais où il ne veut pas se montrer seul. Pour l’occasion, il se ridiculise en arborant une perruque imposante. C’est aussi à partir cet épisode que deux clans se forment à la radio, les BCBG (Les et Herb en tête) et les décontractés (où l’on trouve venus Flytrap et Johnny Fever). I do, I do… for now fonctionne comme un petit vaudeville: il s’agit pour Jennifer de faire croire à son ancien fiancé, un chanteur de country (joué par Hoyt Axton) qu’elle est mariée à Johnny Fever, mais ce dernier multiplie les bourdes, menaçant de vendre la mèche. C’est lors de ce sympathique épisode que l’on découvre l’intérieur cosy du luxueux appartement de Jennifer, qui s’avère être la mieux payée parmi le personnel de WKRP.

A commercial break, où le principal annonceur de la station devient une entreprise de pompes funèbres, pose une question éthique: les employés doivent-ils se plier à ses exigences et enregistrer une chanson publicitaire enjouée pour les conventions obsèques ou bien juger cela nuisible à l’image de la radio et refuser le contrat juteux qui leur est proposé? Enfin, toujours dans un registre plus sérieux, Who is Gordon Sims? est centré sur Venus: on y découvre sa véritable identité et le fait qu’il fut un déserteur lors de la guerre du Vietnam, après avoir combattu jusqu’à Saïgon. L’épisode comporte un monologue émouvant du DJ sur les horreurs dont il a été alors témoin. Ce passage montre clairement qu’à ce stade, la série voulait être plus qu’une simple comédie.

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Cette première saison montre bien par moments quelques faiblesses, mais comprend quelques épisodes mémorables, qui jouent sur différents registres. Bien sûr, comme dans les autres sitcoms de l’époque, on retrouve les rires enregistrés lors du tournage en studio, face à un public réceptif. A première vue, c’est une comédie américaine typique, mais au fil de la saison, on découvre que c’est un programme spécial, plus ambitieux que ce à quoi on pouvait s’attendre. Personnellement, ma préférence va toujours, pour les comédies vintage, à l’humour british, mais j’avoue trouver WKRP in Cincinnati très plaisant à suivre (je n’ai par contre pas encore vu la série de 1991, The new WKRP in Cincinnati, qui est réputée être inférieure à l’originale). J’ai visionné en partie la seconde saison, elle est dans la lignée de la première, avec cependant un épisode très particulier, In Concert, réalisé en réaction au drame survenu en décembre 1979 lors d’un concert des Who à Cincinnati, où 11 personnes périrent dans un mouvement de panique de la foule. Si vous maitrisez l’anglais américain, si vous aimez la musique pop/rock des années 70, les capsules temporelles délicieusement rétro et l’humour débridé voire absurde, vous trouverez sans doute là votre bonheur.

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