5 décembre 2016
Episode Novembre
Il y a eu une petite nouveauté, ce mois-ci, on est en retard.
Mais cet état de fait ne va pas pouvoir nous permettre de meubler énormément.
Sinon, ce serait pas mal que les mois de novembre des années prochaines soient moins anxiogènes et minants que les deux derniers.
Oh, attendez, je tiens quelque chose. En novembre, Drum a beaucoup voyagé dans le temps, dans la machine d’Amantha, dans les deux derniers siècles à Twin Peaks, dans la ville où le temps s’est arrêté en 2000, et entre maintenant et il y a 30 ans dans This Is Us.
Et Jéjé a parlé de Goliath.
On a aussi regardé d’autres choses...
1 Queen Sugar
10 novembre / No more running. We ain’t going nowhere.
Par Feyrtys
Regarder Queen Sugar, c’est s’aventurer dans ce qui ressemble au premier abord à un excellent soap familial. Nova, Charley et Ralph Angel se retrouvent, à la mort de leur père, propriétaires de la plantation de cane à sucre familiale en Louisane. Ils ont chacun des vies très différentes : Nova est une journaliste qui se bat contre le racisme du système judiciaire, Charley est mariée à un basketeur professionnel et vit dans le luxe à LA, Ralph Angel sort de prison. Rien ne les prédestinent donc à devenir fermiers. Mais passés les premiers épisodes et l’introduction de ces personnages et du reste de la famille Bordelon, Queen Sugar devient politique. Rien de plus normal pour une série conçue par Ava DuVernay, réalisatrice de l’excellent Selma et du documentaire Netflix 13TH, sur l’emprisonnement en masse des hommes noirs aux États-Unis. Et à partir de l’épisode 6 (dont la fin m’a coupée le souffle), chaque épisode qui suit est plus intense que le précédent. Jusqu’à la révélation de ce dixième épisode.
Lorsque les enfants Bordelon héritent de ces hectares de cane à sucre, la série mentionne rapidement qu’il est rare qu’un homme noir soit propriétaire terrien, mais ne s’étend pas sur le sujet. On comprend que la situation est exceptionnelle et que leur père s’est tué à la tâche, sans en savoir beaucoup plus. On les voit évoluer dans un monde très blanc, tout en étant soutenus par un fermier expérimenté et un ingénieur agricole noirs. Charley, qui prend rapidement les choses en main, est approchée par les Landry, une famille blanche, pour racheter les terres. L’offre représente une bouchée de pain. Plus tard, ce sont les Boudreaux, une autre famille blanche, qui leur propose cette fois-ci un rachat de six millions de dollars. En businesswoman aguerrie, Charley comprend que quelque chose se cache sous ces offres.
Les Landry et les Boudreaux ne forment en réalité qu’une seule famille. Ils possèdent la quasi-totalité de la production de cane à sucre de la région, des terres jusqu’au moulin. Un beau monopole comme le capitalisme en raffole, un de ceux qui écrase les plus petits et enrichit les plus gros. Et bien évidemment, ce monopole est blanc et tient à le rester. Et comme on l’apprend à la fin de cet épisode, si les Landry et les Boudreaux tiennent tant au lopin de terre des Bordelon, c’est parce qu’il leur appartenait à une lointaine époque, au même titre que la famille Bordelon leur appartenait. Une fois affranchis, les ancêtres des Bordelon ont reçu ce morceau de terre à cultiver. Mais plus tard, au moment de la Grande Dépression, les Boudreaux ont eu des ennuis financiers et ont voulu reprendre ces terres aux Bordelon. Ils sont allés jusqu’à lyncher le grand-oncle du père de Nova, Charley et Ralph-Angel.
Queen Sugar montre bien que le racisme n’est pas mort avec la fin de l’esclavagisme, de la ségrégation ou du droit de vote des Noirs. Le racisme prend ses racines dans le fait qu’une fois libres, les Noirs n’ont eu droit à rien. Que l’accès à la propriété leur a été refusé, qu’il ne leur a été offert que des emplois peu payés et dévalorisés. Et qu’on n’efface pas des décennies de pauvreté forcée avec un peu de rêve américain et l’idée que tout le monde peut y arriver s’il s’en donne vraiment les moyens. Les biens se transmettent, l’argent s’hérite et les Blancs aisés continuent à s’auto-congratuler d’y être arrivés « seuls ».
Heureusement, Queen Sugar est là pour raconter cette histoire et se révolter.
2 Shameless
13 novembre / Frank Gallagher is the New Bernie Sanders
Par Jéjé
Je ne me suis jamais vraiment habitué au Frank Gallagher américain de Shameless. William H. Macy y est, à mon sens pour beaucoup, je pense. Il ne m’a jamais donné envie de croire à son personnage. J’ai toujours vu le Dr Mongenstern s’amuser à jouer au pauvre. Je n’ai jamais eu réussi à dépasser ça et voir Frank.
L’écriture n’a pas aidé non plus dans les premières saisons. L’ignominie du personnage faisait tâche et semblait n’exister que pour un effet provocateur sur le téléspectateur bourgeois progressiste venu pour s’amuser devant le spectacle de ces pauvres si sexuels et si débrouillards.
Pourtant, depuis quelques temps, je ne souhaite plus sa disparition de la série.
Plus humain depuis la fin de la saison 5 et son histoire d’amour très joliment écrite avec Bianca, la doctoresse atteinte d’un cancer, il est enfin devenu la voix politique audible de la série, à l’instar de son homologue anglais [1]. Son discours critique envers le mythe du « rêve américain », qu’il développe notamment quand il se met en rage contre les conséquences de la gentrification sur les habitants de longue de date son quartier, est nettement plus percutant maintenant que le bon dosage a été trouvé concernant ses attitudes méprisables.
Il permet en particulier de rappeler régulièrement au spectateur la dimension fantasmée de la vision de la pauvreté dans la série (même si en ce moment le tragique de la situation de Lip semble être complètement plausible) et de le faire s’interroger sur ce que peut être la réalité. Il évite à Shameless tout reproche d’angélisme ou de complaisance.
Et je n’ai pu qu’adorer dans cet épisode son discours sur les méfaits de la ségrégation scolaire à l’attention des parents d’élèves de la nouvelle école privée du quartier ...
Alors même si quand il est à l’écran, je vois toujours d’abord le mari de Felicity Huffman qui a enlevé dans les loges son joli costume et été maquillé avec des produits « effets saleté », je suis désormais un inconditionnel du Frank américain.
3 Gilmore Girls
En ligne depuis le 25 novembre / Rory Gilmore is the new Donald Trump
Par Jéjé
À quelques jours de leur diffusion sur Netflix, l’idée de regarder les nouveaux épisodes/téléfilms de Gilmore Girls ne m’avait pas traversé l’esprit.
Gilmore Girls n’a pas de place particulière dans ma mémoire personnelle de sériephile. Elle subsiste dans un coin de ma mémoire de perdusien comme une série que j’ai suivie (non sans déplaisir) emporté par l’enthousiasme manifesté à l’époque par l’ensemble de la rédaction. Mais elle ne m’a jamais manqué.
J’ai commencé par être tenté d’y jeter à un coup d’oeil à la lecture des nombreux avis insistant sur les bienfaits de se lover devant une série familière qui échappe complètement à la réalité et de retrouver l’espace de quelques heures le monde idyllique de Star Hollows pour oublier la tendance des votes conservateurs qui submergent le vote occidental de ces derniers temps.
Avant de franchir le pas, je décidai de regarder un épisode au hasard de la saison 2 (The Bracebridge Dinner, 2.10).
Le générique m’enveloppa d’une vague de nostalgie très douce et très agréable (la chanson me trotte dans la tête depuis maintenant une semaine), mais très vite, l’épisode me ramena à mes problématiques de 2016.
Je ne suis pas parvenu à voir dans la petite ville créée par Amy Sherman-Palladino autre chose que la société idéale vantée dans les discours populistes actuels, une société où le racisme, l’homophobie et la lutte des classes n’existent pas parce qu’il n’y a pas de racisés, d’homosexuels et de pauvres, une société autarcique de gens semblables où l’on tolère de petites excentricités tant qu’elles ne ressemblent ni près ou de loin à des revendications de justice sociale ou économique, une société dans laquelle le passé est le moteur de l’ordre social et dans laquelle chacun se contente de la place qui lui a été assigné…
Je sais que je suis complètement injuste avec la série, mais il est sur que Gilmore Girls ne fonctionne absolument pas pour moi comme une bulle de savon relaxante et apaisante.
Peut-être que je devrais soigner le mal par le mal et regarder les premières saisons de The Apprentice...
4 Disparition
30 novembre / Grant Tinker is the New David Bowie
Par Jéjé
Ma rock-star à Moi s’est éteinte.
Grant Tinker, l’âme de MTM, la société de production à l’origine d’un ton et d’un esprit qui ont marqué pendant des décennies une partie des séries américaines dont je me sens le plus proche a disparu le dernier jour de ce mois de 2016 particulièrement mouvementé.
Espérons que l’humanité de séries comme The Mary Tyler Moore Show, The Bob Newhart Show, Lou Grant et St Elsewhere continue à se propager dans des séries actuelles comme Jane The Virgin et se diffuse avec un peu plus d’efficacité dans nos sociétés.
[1] Dans la version anglaise, ce rôle de Frank existe dès le début et est souligné à chaque épisode par le monologue du générique, qui n’est ni plus ni moins qu’un appel à la révolution et/ou à la fête contre les politiques des travaillistes et des conservateurs.