Je vous rassure tout de suite, cet article n’est pas consacré à l’histoire d’amour impossible entre Sydney Bristow et André Michaux. [1] Ce n’est pas tant le contenu de la scène qui m’a marqué (je ne sais plus ce qu’ils se racontent) que ce qu’elle représente : un moment de répit après une saison entière en apnée, une petite pause avant les quelques minutes pleines d’action qui nous séparent de la fin du dernier épisode, l’occasion de se rendre compte que rien ne sera plus jamais comme avant.
« Rien ne sera plus jamais comme avant », phrase bateau, dépourvue de sens, mais vraiment appropriée ici. Pas parce qu’un rebondissement incroyable allait transformer la série à tout jamais (ça, c’était treize épisodes plus tard), mais parce que la saison 1 touchait à sa fin.
Moi, les saisons 1, j’adore ça. Alors, quand il a fallu dire adieu à une saison 1 aussi formidable que celle d’Alias, même sans savoir ce qui m’attendait par la suite, j’étais bien conscient que, non, rien ne serait plus jamais comme avant.
Car vous voyez, une première saison est quelque chose de très précieux dans la vie d’une série. Et pour avoir regardé une poignée de séries dans ma vie, j’ai appris à apprécier tout particulièrement ces premiers épisodes pour ce qu’ils sont, et c’est ce dont j’ai envie de vous parler aujourd’hui. Uniquement de ça.
Pas de Sydney et Dédé Michaux.
Quelques règles à suivre...
On dit que ce qui fait la singularité du format « série » face à d’autres formes de fiction, c’est son rapport avec le Temps. C’est tout à fait exact, bien sûr, et ça va parfois jusqu’au syndrome de Stockholm, mais cet investissement sur la durée ne peut être établi que s’il repose sur des fondations solides.
C’est ce qui fait de la saison 1 une étape si importante dans la vie d’une série.
C’est à cet instant précis, et à aucun autre, que le lien se créé. Ou pas.
Quand une série me séduit, ça se passe toujours de la même façon. Je suis assis devant un épisode de la première saison, pas trop investi dans ce que je regarde, mais suffisamment intéressé pour continuer à laisser une chance à cette nouvelle série. Et là, l’air de rien, avec une scène, une réplique, ou un acteur un peu réveillé, c’est le déclic : « Tiens, mais... c’est chouette ! »
(Je n’ai jamais prétendu que mes épiphanies sériephiles étaient particulièrement éloquentes).

A partir de là, je commence à croiser des doigts. À présent tout repose sur les scénaristes. Chaque nouvel épisode de cette première saison est l’occasion pour eux de prouver qu’ils méritent notre attention, qu’ils savent ce qu’ils font, et (c’est le plus important) qu’ils sont conscients des possibilités qui s’offrent à eux. Parce qu’une saison 1, quand même, c’est l’occasion ou jamais pour les scénaristes de s’amuser. Le plaisir que ressent le téléspectateur en voyant une série prendre forme devant ses yeux semaine après semaine n’en est que plus grand, et la joie de la découverte ne sera jamais la même en deuxième saison, une fois la série installée.
Une saison 1, c’est fait pour expérimenter avec les codes et le format de sa série. La première saison de The Good Wife était tellement efficace dans sa façon de présenter des affaires de façons originales que c’est devenu une marque de fabrique de la série.
Une saison 1, c’est fait pour s’autoriser une scène plus longue, de temps en temps, pour rompre la monotonie, jouer avec le rythme, dévoiler une partie de la richesse potentielle de la série en s’arrêtant deux minutes sur ses personnages. Dans la première saison de Fringe, il y a une scène dans un bar où Olivia et Peter prennent une bière et discutent. Encore une fois, je n’ai pas la moindre idée de ce qu’ils se disent, mais je me souviens très bien que la scène existe, qu’elle est réussie, et très différentes des Hérissons Géants ou des Papillons Tueurs Imaginaires que la série proposait le reste du temps.
Une saison 1, c’est fait pour tester toutes les combinaisons possibles de personnages, les faire interagir, et voir ce qu’il en ressort. La première saison de Lost profitait à merveille de sa distribution gigantesque pour faire ça. Ce qui rend d’autant plus rageant le fait que les scénaristes ont complètement arrêté, préférant par la suite enfermer leurs personnages dans des relations répétitives, et dans des combinaisons récurrentes et plutôt pauvres.
Une saison 1 réussie doit faire tout ça. Une saison 1 très réussie doit, en plus, donner l’impression de ne rien s’interdire, offrir quelque chose de nouveau chaque semaine, et repousser sans cesse son potentiel un peu plus loin.
Je vous ai dit que la première saison d’Alias était formidable ?
D’autres premières saisons formidables...
Depuis la rentrée de septembre, il y a trois séries dont les premières saisons respectives m’ont vraiment séduit. À des degrés divers et pour des raisons très différentes, je considère les saisons 1 de Bunheads, Banshee et Elementary comme de vraies réussites.
Chacune d’entre elles a rempli son contrat, elles ont toutes proposé des entrées en matières qui font que je serai là avec plaisir (et, dans le cas de Bunheads, avec un peu de chance) devant leurs futures saisons.
La saison 1 de Banshee, c’est une bonne surprise. Banshee est une série plus jolie que prévu, mieux écrite que prévu, et tellement poisseuse que ça en devient jouissif. Il y a bien quelques grosses faiblesses et une paire d’épisodes un peu mous, mais Banshee s’est imposée comme une série vraiment unique dont j’ai trouvé la première saison bien trop courte.
Et, pour ne rien gâcher, elle est remplie de nus très artistiques.

La saison 1 d’Elementary, quant à elle, c’est une surprise que j’aurais dû voir venir. Après The Good Wife et Person of Interest, CBS nous a encore refait le coup de la série plus riche que prévu. Celle qu’on attendait comme un bête remake opportuniste de Sherlock s’est révélée pleine de charmes, portée par un duo qui fonctionne parfaitement et qui évolue de façon inattendue. Elementary est certainement moins ambitieuse que la Brave Épouse (qui, j’ai envie de préciser, nous offre épisode génial sur épisode génial depuis début janvier) et plus respectueuse de son format que Person of Interest (qui, sur la même période, n’a proposé qu’un seul épisode « normal » sur six diffusés), mais pour avoir réussi à me donner envie de suivre des Enquêtes de la Semaine sur la chaine des vieux, c’est qu’elle doit quand même proposer quelque chose qui sort du lot.
Et, pour ne rien gâcher, elle possède le meilleur générique de la saison.
Enfin, la saison 1 de Bunheads c’est l’histoire d’une série à laquelle il n’aura fallu que dix épisodes pour se découvrir et réaliser pleinement tout ce qu’elle pouvait être. À savoir une série très drôle, très touchante, qui connait ses points forts et sait parfaitement les exploiter.
Et, pour ne rien gâcher, avec plein de scènes de danse absolument bluffantes.
Chaque saison, c’est la même histoire. Il y a toujours une série, ou deux, ou trois, qui se démarque et me séduit, qui me rappelle pourquoi j’aime autant regarder et parler de ces divertissements idiots, écrits avec les pieds pour abrutir les masses obèses.
C’est quand même chouette, les séries.
Et, j’insiste, la première saison d’Alias est meilleure que la deuxième. Ceux qui pensent le contraire sont des cons incultes qui feraient mieux de se réveiller et de se racheter un cerveau. [2]
[1] Même sept ans plus tard, « André Michaux » reste le nom le plus drôle du Monde.
[2] Pour des raisons contractuelles, je ne suis pas autorisé à écrire "Ju contre le Monde" sans insulter au minimum une personne. C’était moins une.