2005 - 2010 : la série dramatique de Canal+, initiée par la première saison de « Engrenages », a cinq ans. L’occasion d’en dresser un premier bilan, en quatre parties.
C’est sur le modèle d’HBO que Canal+ s’est construit, ce n’est pas un secret. Sport, cinéma et sexe était le fonds de commerce de la chaîne câblée américaine, et le modèle a été respecté pendant des années. Mais quand HBO s’est mis à sortir des séries télés de qualité, dans le but d’asseoir sa différence, Canal fut loin d’embrayer le pas, préférant capitaliser sur l’existant. La politique des sitcoms (1998-2002) fut une tentative de proposer quelque chose de différent, par le passé. Mais le vrai lancement dans le grand bain date d’il y a 5 ans, avec la mise en place d’un service dédié fort, d’une case horaire fixe partagée entre les fictions maisons et les documentaires. A sa tête, Fabrice de la Patellière, fils du grand réalisateur Denys de la Patellière (« Un taxi pour Tobrouk », « Rue des prairies »...). Il aime les séries policières et judiciaires, et est décidé à trancher avec les autres fictions françaises via un fond plu cru et une forme plus radicale.
Mais plutôt que de rester dans le sillage lointain de son cousin US, de la Patellière prend un autre pli, plus rationnel, mais pas que. La fiction de Canal s’inspire plus pour le fond de la fiction britannique et sa vocation réaliste, sa volonté de traiter des sujets d’actualités plus ou moins frais (« Rainbow Warrior », « Les prédateurs »…). L’inspiration est aussi présente dans le rythme des saisons de ses séries. 8, 10 ou 12 épisodes. Des chiffres fréquents sur les chaines de la perfide Albion, mais encore un peu éloignés des canons américains, même venant du câble, ou on débite à la douzaine de façon systématique.
La production de Canal+ est assez simple à décortiquer vu qu’elle se divise en 2 parties. Les séries en 8, 10 ou 12 épisodes, fonctionnant par saisons renouvelables, et les unitaires en 90 ou 2x90’, qui se suffisent à eux-mêmes, des fictions de prestiges qui ont souvent des thèmes politiques ou historiques. Évidemment, et nous en parlons très souvent sur ce site, il ne faut pas oublier la case de la Nouvelle Trilogie. Mais son fonctionnement est assez marginal par rapport au reste de la production, sachant de plus qu’elle dépend d’un autre service que celui de Fabrice de la Patellière : La Fabrique, dirigée elle par Bruno Gaccio. Là où la direction de la fiction se penche sur des thèmes traditionnels et des séries visant à séduire le public, la Nouvelle Trilogie se démarque d’entrée de jeu en excluant de ses histoires les héros habituels des séries, flics, médecins, juristes… et se pose plus en tant que service R&D de la fiction de Canal, avec tout ce que ça entraîne de risques.
Les flics, ce seront les premiers héros de séries mis en scène par Canal+ dans sa case dramatique du lundi soir, avec une idée directrice forte, pour ne pas avoir la sensation de se contenter d’“ajouter” une série de flics en plus sur la télévision française, travailler la forme.
Si on excepte « Pigalle, la nuit » et son déferlement de couleurs, et « Nos enfants chéris » et son statut de comédie, la fiction de Canal s’est fait une réputation sur sa noirceur, son âpreté. « Engrenages » avait donné le ton, affichant des ses premières secondes une image complétement dé-saturées, des flics qui broient du noir et des longs plans sur des cadavres. « Reporters » n’était pas non plus un modèle de légèreté visuelle malgré son esthétique moins jusque-boutiste. Le summum ayant été atteint l’automne dernier avec « Braquo ». Une vraie école ? Plutôt du situationnisme.
Quand « Engrenages » arrive sur les ondes, et nous y reviendront plus tard en détail, la première réaction chez certains critiques et les téléspectateurs est de se dire “ça change”. « Julie Lescaut » et autres « Navarro » au visuel banal et sans identité, avec ces personnages lisses et sans aspérité, voir débarquer des flics qui tirent la gueule, se droguent, baisent à tout va et qui se foutent de tout, le tout dans une ambiance mortuaire, forcément, ça change.
La direction profite ainsi des spécificités de la chaîne : diffusion codée, donc mieux maîtrisée, public plus choisi que sur les grandes chaînes. En gros, le raccourci est vite faite mais la chaîne de la liberté c’est Canal, les autres sont pieds et poings liés. Mais pour autant, cette débauche de noirceur s’accompagne-t-elle de réelles transgressions ? De qui parlent les fictions de Canal ? Est-ce qu’ils repoussent réellement toutes les limites ?
Le seul crédo qu’on peut dégager de la politique de Canal+, c’est de ne pas faire dans le consensuel, et donc de tourner le dos au fameux héros citoyens made in Grandes Chaînes. Pas de brocanteur au grand cœur, pas de commissaire parent célibataire, pas de prof de remplacement. C’est déjà une bonne chose. Mais les séries phares de la chaîne sont-elles portées par des personnages si détonants que ça ?
Les plus gros succès de la chaîne, « Engrenages » et « Braquo » mettent en scène des flics, ou un système judiciaire. Le style le plus utilisé à la télévision mondiale. « Mafiosa » traite de la mafia, genre éculé au cinéma et pas étranger à la télévision. « Pigalle, la nuit » reste un peu en marge avec sa description d’un univers, mais prend place dans un monde déjà très mis en scène au cinéma. Reste Reporters, les séries traitant des journalistes sont assez rares dans le monde, et presque absentes au palmarès français (qui se souvient du dramatique « Théo la tendresse » TF1 avec Gérard Rinaldi, l’ancien Charlot, en journaliste en chef, un bidule pas glorieux qui de toute façon embrassait les mêmes principes du héros citoyen que les autres séries de la chaîne ?... qui ? Moi... erf...).
On ne peut pas dire que les fictions de la chaîne soient réellement novatrices dans les univers dans lesquels elles tentent de nous immerger. Ce qui n’est pas forcement un défaut. Mais quand on voit les imparfaites « La Commune » et « Scalp » dézinguées au bout d’une saison alors qu’elles traitaient d’univers presque complètement absents des écrans, on se dit que pour réussir une série chez Canal, il faut être différent, mais pas trop.
La semaine prochaine, revenez pour le chapitre 2, "Des flics et de l’audience"
Dernière mise à jour
le 30 avril 2010 à 14h17