DOCTOR WHO – 5.08/09 : The Hungry Earth / Cold Blood (La Révolte des Intra-terrestres)
« I trust the Doctor with my life » - Rory
Par Sullivan Le Postec • 30 mai 2010
Le Docteur retrouve un ancien ennemi dans une aventure aux deux parties déséquilibrées, mais qui finit par se montrer à la hauteur de son potentiel.

Best episode of the season” me suis-je dit pendant le générique de fin de « Cold Blood ». C’est très exagéré vu la construction boiteuse de l’épisode et des défauts tout de même bien présents. Reste qu’il s’agit d’un épisode plutôt réussi qui parvient à faire oublier le caractère mécanique et très peu mémorable de « The Hungry Earth », la première partie.

The Hungry Earth

Scénario : Chris Chibnall, réalisation : Ashley Way.
Le Docteur emmène Amy et Rory en 2020. Malheureusement, au lieu de Rio, le Tardis atterrit dans un cimetière Gallois, à proximité d’une installation de forage qui vient de battre un record en parvenant à creuser jusqu’à 21 kilomètres. Ce faisant ils ont alerté des Silurians, déjà rencontrés auparavant par le Docteur. Il s’agit d’une race d’Homo Repitiliens, première forme de vie intelligente sur la Terre, et qui s’est réfugiée dans ses profondeurs. Les Silurians prennent trois humains en otage, dont Amy. Le Docteur parvient à arrêter l’un des leurs, Alaya. Celle-ci, issue de la caste guerrière, entend profiter de l’occasion pour créer une guerre globale qui permettrait aux Silurians de reprendre la Terre aux “singes”. Elle espère donc être tuée par l’un des trois humains sous la protection desquels le Docteur la laisse, tandis qu’il part explorer les entrailles de la Terre avec Nasreen, qui dirige le projet de forage.

Cold Blood

Scénario : Chris Chibnall, réalisation : Ashley Way.
A la surface, Ambrose, dont le mari Mo et le fils Elliot ont été enlevés par les Silurians, découvre qu’Alaya a infecté son père avec du venin. Elle torture la Silurienne pour lui faire révéler le remède, mais la tue au passage.
Dans la cité enfouie au cœur de la Terre, Mo et Amy réussissent à échapper aux Silurians. Mais le Docteur et Nasreen sont repérés. Les Silurians sont en conflit à propos de ce qu’ils doivent faire d’eux. Restac, la militaire en charge de la protection de la ville endormie, et la sœur d’Alaya, considère leur venue comme un acte de guerre et veut les éliminer. Le scientifique Malohkeh, qui a étudié les Humains, a constaté qu’ils ont beaucoup évolué pendant les centaines de milliers d’années que les Silurians ont passé en stase cryogénique. Il choisit de réveiller Eldane, leader de ce peuple, pour s’opposer à la guerre que Restac est en train d’enclencher. Amy et Nasreen négocient avec Eldane la façon dont leurs deux peuples pourraient partager la Terre d’une manière qui soit avantageux pour chacun d’eux. Mais Rory, Ambrose et son père arrivent alors, avec le corps d’Alaya. Les Humains n’ont pas su se montrer à leur meilleur, plus rien ne peut empêcher l’escalade vers le conflit. Avec le concours d’Eldane, le Docteur décide de laisser la civilisation Silurienne dormir 1000 ans de plus, le temps pour l’Humanité de progresser vers une plus grande capacité d’acceptation.
Au moment de quitter la ville souterraine, le Docteur, Amy et Rory remarquent une des fissures qu’ils trouvent partout sur leur chemin. Le Docteur parvient à en extraire un débris laissé par l’explosion qui a créé une faille dans l’espace-temps. Mais Restac profite de ce moment pour tenter de le tuer. Rory s’interpose, et c’est lui qui succombe. Pire, il est aspiré par la faille et son existence est tout simplement annulée. Seul le Docteur se souvient qu’il a existé. Quant au débris, il découvre qu’il s’agit... d’un morceau du Tardis !

Old monsters

Ce double-épisode ramène donc un ancien ennemi du Docteur, les Silurians. D’ailleurs, quand on fera le bilan définitif de cette saison, l’un de ses points négatifs sera probablement d’avoir ramené trop d’anciens monstres. Les Daleks, les Weeping Angels, maintenant les Silurians, et on peut éventuellement ajouter le Valeyard, si on considère que le Dream Lord en était le prélude (voir le dernier Quinzo si vous ne comprenez pas ce que je raconte). Et, si vous avez vu les bande-annonces, vous savez qu’un autre, encore, sera de retour avant la fin de la saison.
Il n’y avait pas vraiment de monstre dans le deuxième épisode (où l’humanité était son propre monstre), et le sixième montrait une classique variation autour du thème du vampire.

On peut rajouter à ce constat le fait que le premier tiers de « Victory of the Daleks » était le remake d’un ancien épisode, et que « Cold Blood » lui-même reprend beaucoup de choses d’épisodes passés.
Ça manque quand même d’une ou deux créations originales marquantes, et cela renforce le sentiment que Steven Moffat aurait tout aussi bien pu donner une année de vacances aux Daleks, dont la régénération aurait été surement mieux accueillie si on leur avait laissé un peu de temps pour se faire oublier.
Russell T Davies lui-même pensait que Steven Moffat ne ramènerait pas d’anciens monstres, sur ce coup-là le nouveau showrunner de « Doctor Who » a largement déjoué les attentes, pas forcément dans le bon sens.

« They are Earth-liens »

Néanmoins, les Silurians sont largement moins connus et iconiques que les Daleks, les Cybermen, le Maître ou même les Sontarans. Ils ne sont apparus que dans deux histoires : « Doctor Who and the Silurians » (1970) et « Warriors of the Deep » (1984) où l’on faisait aussi connaissance avec leurs cousins aquatiques, les Sea Devils. Leur nom lui-même provient d’une mauvaise datation : le Silurien remonte à 400 et quelques millions d’années, soit longtemps avant l’apparition des Dinosaures, dont les Silurians sont supposés avoir été contemporains. Quelque soit l’époque à laquelle les Silurians sont censés avoir vécu, ils ont été les premiers êtres intelligents à avoir peuplé la Terre. Cette singularité, qui les distingue nettement des usuelles invasions extra-terrestres de la série, a fait leur renommée. Le conflit qui les oppose aux Humains est évidemment complexe et riche de sens, du fait de cette origine : leur potentiel est énorme.

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Un Silurian version ancienne série

Les Silurians, une civilisation avancée, avaient observé l’approche d’un astre vers la Terre. Craignant un cataclysme, ils se sont enfouis profondément sous Terre et son entrés en hibernation pour survivre. En vérité, l’astre est entré en orbite autour de la Terre — c’était la Lune — et les Silurians ont laissé la place vacante pour le développement des Humains. Les Silurians apparus dans les années 70 et 80 ne ressemblaient pas vraiment à ceux vus dans cet épisode, physiquement, et tenaient du croisement entre le reptile et le poisson, un troisième oeil aux pouvoirs inquiétants ayant été ajouté pour faire bonne mesure. Mais le gigantesque masque empêchait en fait toute expression sur leur visage et amoindrissait donc grandement leur impact dramatique, les acteurs se voyant réduits à communiquer les émotions pas de grand mouvements de corps ou de la tête. C’est la raison principale pour laquelle ils ont fait l’objet d’un redesign intégral, justifié en expliquant qu’il s’agit de cousins des précédents Silurians. Le nouveau masque a pour objectif principal de laisser passer les émotions des acteurs. C’est d’ailleurs une création plutôt réussie (même si la base du masque, au niveau du cou, trahit parfois sa nature, notamment dans les plans de dos). Ce type de maquillage, moulé individuellement sur le visage des acteurs, création à chaque fois unique pour préserver l’individualité (contrairement aux Oods "clonés" par exemple) et nécessitant des heures chaque jour pour la pose est aussi très cher. C’est de là que vient l’idée de donner aux guerriers Silurians un masque d’apparat qui permet de cacher le visage des figurants Silurians.

Évidemment, cette race est un moyen pour traiter de manière métaphorique des disputes autour de territoires – et peut-être même plus profondément du fait que ces conflits sont immensément compliqués à résoudre, c’est à dire à quel point il faut que les Hommes s’élèvent au-delà d’eux-mêmes pour que puisse être envisagée une sortie par le haut.
Les premières aventures évoquaient peut-être davantage le passé colonial de la Grande-Bretagne. Celle-ci ne manquera évidemment pas de rappeler le conflit israëlo-palestinien.
« Cold Blood » traite de ces questions avec pas mal de subtilité, notamment en cela qu’il montre les deux camps de façons nuancée. Aussi bien les Humains que les Silurians voient plusieurs thèses s’opposer en leur sein. Et le personnage d’Ambrose montre aussi comment la pression et la crainte pour la vie des siens peut être le déclencheur d’une escalade aux conséquences désastreuses. Une mère prête à tout pour protéger son fils, soit une mère comme presque toutes les mères, aurait pu déclencher une guerre. C’est un conflit aussi domestique que celui-là qui est l’étincelle qui peut faire exploser l’affrontement politique. La dernière scène entre le Docteur et Ambrose, où il lui explique que même si cela a été par le biais d’un anti-modèle, elle a enseigné à son fils qu’il y avait des moyens pacifiques d’agir et ainsi participé à la progression de l’Humanité, est véritablement très émouvante et réussie.

Les précédentes aventures du Docteur mettant en scène des Silurians avaient conduit à leur destruction. Cette fois, il parvient à éviter une fin aussi sombre, mais conclut toutefois que ni les Silurians, ni les Humains ne sont encore prêts à l’acte de foi que constitue la paix. Dès lors, rien d’autre n’est possible que de les tenir séparés encore 1000 ans. C’est une forme d’optimisme pour le moins raisonnable.

Un scénario de...

« The Hungry Earth » et « Cold Blood » sont construits sur une opposition. Le premier montre une toute petite communauté d’Humains à la surface de la Terre, le second les adversaires de ces personnages peu nombreux : une cité entière de Silurians. Des Silurians endormis, peut-être, mais une Cité quand même. Le problème de cette opposition, intéressante sur le plan conceptuel, c’est qu’elle se fait au détriment de la première partie, qui manque franchement de carburant dramatique. Et non seulement il ne se passe pas grand-chose, mais en plus on décompte le temps avant qu’il ne commence à se passer quelque chose – ce qui n’est pas vraiment suivi d’effet, d’ailleurs, l’arrivée de Silurians à la surface se faisant sur un mode furtif.
Ce premier épisode donne à plusieurs reprises l’impression de gagner du temps : tout le passage de Rory au cimetière se révèle ainsi du remplissage dont toutes les informations sont redonnées de façon différente plus tard dans le même épisode. Pareillement, la façon beaucoup trop appuyée dont est annoncée la mort d’Alaya, nécessaire pour dramatiser un minimum un épisode très chiche en événements, dessert finalement la seconde partie où me meurtre de la Silurienne peut du coup apparaître téléphoné.

Néanmoins, même « The Hundry Earth » s’élevait au-dessus de ce à quoi Chris Chibnall nous a malheureusement un peu habitué. Que l’on s’entende : Chibnall n’est pas le pire scénariste au monde. Sa réputation à surtout été entachée lorsqu’il était le responsable de « Torchwood » du fait qu’il était incapable de gérer un arc saisonnier, ses deux tentatives lors des deux premières saisons du spin-off de « Doctor Who » ayant été complètement ratées. Ajoutons à cela que son premier épisode solo sur la série a été le parfaitement catastrophique « The Trouble whith Lisa » (l’épisode Cyber-woman), on comprend sa réputation. Chibnall a souvent des problèmes avec la caractérisation des personnages, manque souvent de propos et aligne peu d’idées originales (son précédent épisode de « Doctor Who », « 42 », est plaisant mais constitue un véritable best-of d’imagerie issue de 15 ans de séries télé US dont les éléments sont agrégés dans une histoire entièrement dérivée de « Sunshine » : ça passe difficilement inaperçu). Mais le gars a aussi écrit « Adrift » juste avant de quitter « Torchwood », prouvant en dernière minute qu’il était tout à fait capable de signer un excellent scénario.

De fait, ce double-épisode ne présente guère les habituelles tares de l’écriture de son auteur. Ça n’est pas creux, et les personnages, sans être extraordinaires, sont assez bien brossés : on retient Elliot et Nasreen, sympathiques, et le travail sur Ambrose, que j’ai déjà évoquée, est intéressant. Tout au plus pourra-t-on reprocher au script son déséquilibre de construction et des dialogues assez passe-partout (malgré quelques jolies exceptions), ce qui se remarque d’autant plus que les dialogues ont été presque systématiquement brillants cette année.

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Rory who ?

« Cold Blood » avait déjà réussi à être un épisode réussi, malgré ses imperfections, quand est arrivé son dernier acte, et le retour du motif de cette saison.
A mes yeux bizarrement, « Flesh and Stone » ayant démontré le contraire, certains spectateurs continuent d’appliquer le modèle de Russell T Davies à l’arc de cette saison. Mais il y a longtemps que les failles n’ont plus rien à voir avec “Bad Wolf”, pour la simple raison qu’elles participent de façon directe à l’intrigue tout au long de cette saison. D’ailleurs, on sent parfois l’équipe se poser des questions vis à vis de l’augmentation de la sérialité (il n’y avait probablement pas besoin d’autant de flash-backs au moment de l’apparition de la faille) : c’est dans ces moments là, aussi qu’on réalise qu’il s’agit quelque part d’une saison 1, et que cette équipe teste des choses, tâte le terrain, et a toutes les chances de s’affirmer par la suite, comme l’a fait l’équipe autour de Russell T Davies. Toujours est-il que, dès cet épisode, Moffat se résout à faire quelque chose que Russell T Davies avait refusé de faire : tuer un personnage majeur. La scène est forte, d’autant plus que la fausse mort de Rory dans « Amy’s Choice », en plus de faire évoluer Amy, nous a préparé à son impact émotionnel. Karen Gillan est superbe dans ces séquences, qui vérifient l’intuition selon laquelle les problèmes du personnage d’Amy proviennent de l’écriture et pas de l’actrice.
Elles rendent la mort de Rory vraiment très émouvante, quand bien même on soupçonne (“Time can be re-written”, “un-written”, et présence d’un futur Docteur dans la forêt du Byzantium l’implique) qu’un vaste chassé-croisé temporel dans le final de la saison risque fort de battre les cartes, et qu’on risque donc bien de recroiser Rory...

En parallèle, le Docteur de Matt Smith continue d’être creusé, et c’est probablement l’un des points les plus intéressants de « The Hungry Earth », la première partie de cette histoire. Le onzième Docteur m’y donne l’impression d’être un personnage toujours réellement affecté par le parcours émotionnel du dixième, mais qui l’exprime de façon différente. Son intérêt pour l’Humanité, son admiration des Humains (un pré-requis de « Doctor Who » : le Docteur a accès à toutes les civilisations à travers l’espace et le temps : s’il ne nous trouvait pas spéciaux, il ne passerait pas autant de temps sur Terre) sont toujours là. Mais le Docteur garde aussi une volonté de recul, une crainte de s’attacher trop à des Humains en particulier. D’où sa distance, sa légère négligence, notamment vis à vis d’Elliott. Il s’agirait alors d’un véritable arc émotionnel à lier avec la tonalité de cette saison : à vérifier d’ici un mois.

De la même manière, ce qui trouble le personnage d’Amy, c’est qu’elle a connu assez peu de développement. Qui est-elle, profondément, personnellement, émotionnellement ? L’arrivée de Rory a permis de l’approfondir, mais pas encore complètement. Là aussi, on peut néanmoins se poser la question de savoir ce que cela doit à l’intrigue. Amy est un mystère intentionnel : élevée par une tante qu’on a jamais vue, petite fille solitaire... Une bonne conclusion ne réparera pas complètement les faiblesses d’écriture d’Amy, dont le personnage a manqué de définition, mais elle pourra donner une autre perspective, un sens, à ce parcours. Et servir de base à un développement amélioré en deuxième saison.
Pour l’heure, Amy se voit privée des souvenirs de Rory, dans un rebondissement cruel et touchant. C’est aussi un motif qui dit quelque chose du personnage d’Amy : dans le deuxième épisode, déjà, elle avait appuyé sur le bouton qui lui permettait d’oublier une information douloureuse. Amy est quelqu’un qui préfère enfouir ce qui génère chez elle de la souffrance, dont on soupçonne que son enfance n’est pas avare, quitte à être dans la fuite en avant. Sa présence à bord du Tardis, cette saison, est aussi une forme de fuite. Ses quelques traits caractéristiques : sa dérision, ses one-liners, sa façon d’être souvent en représentation, en sont une autre.

Mais son ex-futur-mari ne devrait pas tarder à se rappeler à son bon souvenir : sa bague de fiançailles traine encore à bord du Tardis. Un tel paradoxe temporel aurait-il de quoi mener le vaisseau du Docteur à l’explosion ?


Un double épisode déséquilibré : la première est une mise en place parfois un peu laborieuse, qui manque de moments mémorables et de profondeur. Mais la deuxième inverse dramatiquement la tendance pour proposer un divertissement riche, surprenant et très émouvant aux conséquences profondes sur la suite de la saison.

L’anecdote rigolote qui sert à rien.
Chris Chibnall a quitté « Torchwood » après sa deuxième saison pour accepter le poste de showrunner de « Law & Order : UK », proposé par Dick Wolf et la société de production Kudos. A la tête du projet, il a chippé Freema Agyeman, empêchant ainsi Martha d’apparaître dans « Torchwood » : Children of earth. Il a quitté « L&O:UK » après sa première saison (qui fut diffusée en deux fois sur ITV et est actuellement proposée le dimanche par TF1).
Il travaille en ce moment comme l’un des principaux scénariste de « Camelot », une co-production internationale initiée par la chaîne câblée américaine Starz. La série se propose de raconter avec un angle réaliste la mythologie Arthurienne. Chibnall en est familier puisqu’en 2005 il a travaillé sur une première version de la série « Merlin » qui n’avait finalement pas été commandée par la BBC, même si le projet a ressuscité avec un angle différent et de nouveaux scénaristes assez peu de temps après.

Post Scriptum

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Dernière mise à jour
le 26 février 2011 à 23h36