Lancée en 2009 avec deux vagues de six épisodes proposées au printemps et à l’automne, « Un Village Français » sera prochainement de retour sur les antennes de France 3. La série produite par Tetra Media en association avec Terego tient le rythme de douze épisodes ambitieux chaque année. C’est actuellement unique en France, pour une série feuilletonnante. Pour autant, c’est fait sans sacrifier la volonté de se remettre en cause et de progresser, comme le prouve une saison 3 qui renouvelle en profondeur le concept de la série pour renforcer son addictivité. Le Village s’est rendu sur le tournage en mai dernier, et le producteur / co-créateur [1] Emmanuel Daucé a joué les guides de ce Village rénové.
Le Haras de Maison Blanche, en région parisienne : une bâtisse immense dans un coin de nature, qui sert de décor pour les intérieurs de la maison de Daniel Larcher (Robin Renucci), le médecin devenu Maire malgré lui au début de l’Occupation, et de sa femme Hortense (Audrey Fleurot). Les fenêtres sont recouvertes de grands draps noirs : l’équipe tourne aujourd’hui des scènes du premier épisode de la saison 3, se déroulant après la tombée de la nuit, alors que les Larcher reçoivent à dîner.
Durant cet automne 1941, le quotidien des habitants de Villeneuve se dégrade. Les rationnements, pénuries, réquisitions, couvre-feu et aryanisations commencent à peser lourdement. Rien de tout cela n’est visible dans ce dîner de notables qui réunit autour des Larcher le sous-préfet Servier (Cyril Couton), l’allemand Heinrich Muller (Richard Sammel) et l’entrepreneur Raymond Schwartz (Thierry Godard). Tandis que la dépression qu’Hortense doit à son mariage malheureux la rend de plus en plus fantasque et imprévisible, Raymond se lamente que ses mauvaises relations avec le nouvel Kreiskommandant, Köllwitz, ne fasse pas ses affaires. Ses ventes de bois à la Wehrmacht, qui ont fait sa fortune depuis le début de l’Occupation, se sont largement taries. Servier et Heinrich vont le mettre sur une nouvelle piste et lancer une des intrigues de cette saison.
Ce qui intéresse la Wehrmacht, ce n’est plus du bois, mais du béton. L’entreprise de Béton d’un certain Crémieux (Laurent Bateau) est justement à vendre pour une bouchée de pain, dans le cadre d’une procédure d’Aryanisation. Main dans la main avec Caberni (Christian Brendel), qui avait essayé d’aryaniser sa propre entreprise dans l’épisode « Votre nom fait un peu Juif » (2.04), Raymond va reprendre cette entreprise et rebondir à nouveau, suscitant l’admiration de sa femme. Emmanuel Daucé nous confie que Crémieux est ‘‘un personnage qui va monter dans cette saison, et j’espère dans les suivantes’’.
C’est en atelier que se sont conçues les arches de cette saison, comme c’est devenu la tradition de la série. Le premier a en effet été formé en cours d’écriture des six premiers épisodes. ‘‘Il y a eu des synopsis très développés écrits par Frédéric Krivine,’’ raconte Emmanuel Daucé, ‘‘c’est à ce moment-là que l’atelier est arrivé. Et en fait c’était autant pour participer à l’écriture des six premiers épisodes que pour anticiper la suite’’. Autour de Frédéric Krivine, six scénaristes ont participé à l’atelier cette année : Frédéric Azémar, Sylvie Chanteux, Benjamin Dupas, Marine Francou, Fanny Herrero et Stéphane Keller.
En plus du Conseiller historique qui officie sur la série depuis son commencement, Jean-Pierre Azéma, l’atelier a aussi bénéficié cette année des conseils d’une psychologue, qui a aidé les scénaristes à travailler la véracité psychologique des personnages...
L’écriture de cette nouvelle saison a commencé dès mars 2009. ‘‘En octobre, lorsqu’il y a eu la diffusion des épisodes 7 à 12, on avait développé douze épisodes sur le même principe que les premiers : grosso modo un épisode par mois d’occupation. Mais quand les épisodes sont passés sur France 3, on a eu le sentiment de vraiment voir pour la première fois ce qu’on a fait. Avant, en salle de montage, en DVD, c’est une vision très faussée des choses’’. Pour Emmanuel Daucé, cet œil nouveau sur ce qui avait été produit jusque-là a bouleversé la manière dont chacun voyait la suite. ‘‘C’est là qu’on a décidé du changement conceptuel, qui n’a peut-être l’air de rien, mais qui a tout remis en cause. On a donc pris un certain retard dans l’écriture, mais c’est pour le bien de la série. Et c’est aussi pour répondre à une demande de la chaîne qui souhaite toucher un public plus jeune’’.
En effet, si lors de la diffusion des six premiers épisodes, au printemps 2009, un public jeune s’était additionné à la base de public habituelle de France 3, c’était moins le cas des épisodes 7 à 12, à l’automne suivant. Il est très probable que la programmation soit beaucoup plus en cause que la série elle-même. « Un Village Français » est en effet passé du jeudi au mardi : au lieu des policiers-pantoufle de TF1, la concurrence devenait alors « Les Experts » et « Desperate Housewives » sur M6. Néanmoins, l’équipe de la série a choisi de prendre le problème à bras le corps.
‘‘On a changé la manière d’écrire la série. Avant, on faisait une intrigue principale bouclée par épisode, qui le structurait, et des intrigues feuilletonnantes sur les personnages tout au long de la saison’’. Les douze premiers épisodes couvrant presque une année entière, de grosses ellipses de temps séparaient chaque épisode. ‘‘Cette saison, il n’y aura plus ces ellipses. Les douze épisodes de la saison 3 se déroulent en un mois et demi. Il y a une intrigue principale à suivre sur les douze épisodes, et des intrigues feuilletonnantes moins importantes, centrées sur les personnages. On s’est dit que le plaisir qu’on peut prendre à regarder cette série serait plus fort en ayant des cliffhangers, en ayant une intrigue plus soutenue’’.
« Un Village Français » court-elle alors le risque de sombrer dans le travers de l’hyper-feuilleton français, qui oublie souvent l’entité épisode et tronçonne son intrigue de manière peu maîtrisée, donnant l’impression d’un très-long-métrage arbitrairement découpé ? Pas selon Emmanuel Daucé. ‘‘Les deux unités de bases de la série sont bien la saison et l’épisode,’’ nous rassure-t-il. ‘‘Du fait de l’origine de la série, des intrigues bouclées de douze premiers épisodes, on a vraiment gardé une approche de l’unité épisode. Et puis les quatre intrigues que nous avons généralement dans chaque épisode peuvent se faire écho, s’entrecroiser, que ce soit par un lien thématique ou narratif. On avait déjà eu ça dans un épisode comme « Passer la ligne » (1.03) où toutes les intrigues concernaient l’idée de passer la ligne, que ce soit réellement ou symboliquement. On retrouve ça cette saison, par exemple dans l’épisode 19’’.
Chaque épisode est co-écrit par Frédéric Krivine et l’un des auteurs de l’atelier.
« Un Village Français » veut continuer de proposer une certaine variété. ‘‘Il y a des intrigues qui sont des plongées dans la guerre, d’autres qui sont des plongées dans les personnages et peuvent être des échappées,’’ explique Emmanuel Daucé. Ainsi, ‘‘un tiers de l’épisode 14 réuni les deux frères Daniel et Marcel (Fabrizio Rongione), amenés par un événement dramatique à l’extérieur du village’’.
Au niveau de la Grande Histoire, ‘‘nous nous trouvons maintenant en septembre – octobre 1941, soit après la fin du Pacte Germano-Soviétique. La résistance communiste rentre en action et organise des attentats. Il y a des otages qui sont pris à Villeneuve, comme il y en a eu à Nantes et à Paris, des otages qui vont être exécutés’’.
Cet axe de l’intrigue amène dans l’un série l’autre nouveau personnage important, avec Crémieux. Un nouveau militant communiste est en effet attendu à Villeuneuve pour transmettre et faire appliquer la nouvelle ligne du Parti. Les militants du coin sont surpris de voir débarquer un vingtenaire, Yvon, incarné par Cyril Descours. Marcel Larcher et les autres communistes de Villeneuve vont bientôt découvrir le radicalisme absolu du petit nouveau...
Jean Marchetti, le personnage de Nicolas Gob, qui a quitté Villeneuve au milieu de la saison 2, va quant à lui se faire désirer un peu. ‘‘On ne voulait pas le faire revenir pour qu’il soit un personnage en fond de plan,’’ explique Emmanuel Daucé. C’est aussi la difficulté d’une série feuilletonnante tel que celle-ci, qui brasse un grand nombre de personnages, au risque de disperser l’attention du téléspectateur et de la perdre. ‘‘Jean Marchetti est un personnage qui doit être porteur d’intrigues. On lui prépare un beau retour dans la deuxième moitié de la saison’’.
Si l’écriture de la série a engendré beaucoup de réflexion en coulisse, il en est de même pour la réalisation. Les six premiers épisodes, réalisés par Philippe Triboit, et les six suivants d’Olivier Guignard, ont en effet montré deux approches assez différentes de la série.
‘‘Sur les épisodes 7 à 12 réalisés par Olivier Guignard, on a le sentiment qu’on s’était beaucoup rapproché des personnages, qu’on était un peu plus dans leur émotion, et un peu moins dans la Grande Histoire. Ce qu’on essaye de faire maintenant sur les 13 à 24, c’est de faire la synthèse entre tout ça, et de définir un peu plus clairement un cahier des charges, même si Philippe Triboit, qui est un des coproducteurs, ne veut pas vraiment contraindre les autres réalisateurs. C’est un équilibre qui est assez difficile à trouver entre la fiction, le romanesque et la Grande Histoire. Il ne faut pas qu’on tombe dans la bande-dessinée, qu’on fasse un roman-feuilleton sur l’occupation — ce qui a déjà été fait d’une certaine manière. « Un Village Français » reste quand même aussi une série historique.’’
Pour Emmanuel Daucé, c’est moins une question de choix de la caméra à l’épaule versus steadycam – ‘‘je ne pense pas que le public soit particulièrement sensible à ce genre de choses’’ — mais plutôt ‘‘du choix des focales, de la manière dont on fait vivre l’arrière-plan’’, mais aussi de savoir si ‘‘on va vers les personnages, ou si on les laisse venir à nous’’.
Ces grand débats nourrissent et enrichissent la série : ‘‘je crois vraiment qu’on est en train de faire les meilleurs épisodes depuis le début de la série,’’ nous dit Emmanuel Daucé.
Au moment de notre visite sur le plateau, en mai, le tournage est en cours depuis déjà trois mois sous la direction de Philippe Triboit pour les épisodes 13 à 18. Après un mois de pause, Jean-Marc Brondolo allait prendre la suite de juin à septembre pour tourner les épisodes 19 à 24. ‘‘Au départ, on avait prévu deux semaines de pause mais on a retardé le tournage de deux semaines. Tout le monde en avait besoin. C’est vrai aussi que contrairement aux deux premières séries de six épisodes, on tenait vraiment à garder les mêmes équipes tout au long des douze épisodes, pour la continuité du style’’.
Jean-Marc Brondolo (« Reporters », saison 2 et « Engrenages », saison 3) est le nouveau venu de cette année, même s’il avait déjà des liens établis avec la famille de « Un Village Français ». Important, de garder cette proximité : ‘‘c’est aussi une aventure humaine. On passe six mois avec un réalisateur’’...
Les temps sont durs pour tout le monde à la télévision, globalement lancée dans un process de réduction des coûts qui touche toutes les chaînes. ‘‘C’est une série qui coute cher, et ça a toujours été une de ses problématiques,’’ confirme Emmanuel Daucé. Le producteur insiste toutefois sur le fait que la série est financée de façon habituelle pour un 52 minutes sur France Télévisions : il ne s’agit pas du tout d’une économie un peu hors-normes.
France Télévisions a baissé son investissement cette saison. ‘‘C’était prévu, l’investissement de départ était pour lancer la série. Au final, on a un petit peu moins de budget qu’avant’’. Environ 800 000 € par épisode, c’est environ 200 000€ de moins qu’une série Canal. ‘‘Ca nous demande d’être très vigilants. L’argent est à l’image !’’.
La série commence-t-elle à générer de l’intérêt à l’export ? ‘‘Il n’y a pas encore assez d’épisodes aujourd’hui,’’ objecte Emmanuel Daucé. ‘‘Je pense qu’on y verra peut-être un petit peu plus clair dans un an. Mais tout le pari économique de la série, il est là : on ne travaille plus pour faire de la marge, mais pour faire du catalogue’’.
La diffusion des douze épisodes de la saison 3 se fera prochainement sur France 3. Clairement, il y a eu débat sur le meilleur moment pour ramener la série à l’antenne. La chaîne aurait visiblement aimé faire revenir la série dès septembre, pour soutenir la communication sur sa rentrée. Mais dans ce cas, impossible de programmer les douze épisodes à la suite, il aurait fallu à nouveau séparer la saison en deux blocs.
‘‘Fondamentalement, je crois que la chaîne pense que c’est mieux de diffuser deux fois six épisodes. Moi je ne pense pas la même chose, je le leur ait dit très fort. Mais c’est la chaîne qui fait sa programmation...’’
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Dernière mise à jour
le 28 novembre 2010 à 14h39
[1] « Un Village Français » fut co-créée par Frédéric Krivine, Philippe Triboit et Emmanuel Daucé, respectivement scénariste, réalisateur et producteur. Krivine et Triboit sont co-producteurs délégués, ce qui signifie qu’ils sont fortement impliqués dans la production artistique de la série. « Un Village Français » concrétise ainsi ce semi-mythe français du triumvirat, qui remplace le concept américain du showrunner.