STRATEGIES — Y a-t-il un secret à M6 ?
L’échec (programmé ?) de « Pas de secrets entre nous » soulève des questions...
Par Sullivan Le Postec • 1er septembre 2008
Tout le monde avait prévu l’échec de « Pas de secrets entre nous » une fois sa programmation à 20 heures annoncée. Pourquoi alors M6 a-t-elle foncé dans le mur ?

On avait présenté 2008 comme l’année de la série quotidienne de journée. Ce n’est pas totalement incorrect, même si l’élément remarquable aura été l’échec de toutes celles qui ne s’appellent pas « Plus belle la vie ». Depuis lundi dernier, 25 aout, la série de M6, « Pas de secrets entre nous » est reléguée en début d’après midi.

La pression est forte pour TF1, qui doit lancer « Seconde Chance » cet automne. Les tentatives de France 2 et de M6 pour grappiller une part du succès de « Plus belle la vie » avec « Cinq Sœurs » et « Pas de secrets entre nous » ont toutes les deux connu l’échec.
Les deux séries quotidiennes de France 2 et M6 (toutes deux produites par Marathon) ont davantage encore mis en valeur les atouts de la série de France 3 : son écriture à la rigueur implacable (et l’écriture est tout ce qui compte dans une série quotidienne), mais aussi l’avantage considérable que constitue son ancrage fort dans le quartier fictif du Mistral. Les épisodes de « PBLV » comportent chacun trois intrigues, mais le fait que tous les personnages en viennent forcément à se croiser sur la place familière parvient à contrebalancer l’hétérogénéité inhérente aux soaps. Une unité forte se dégage de l’ensemble, et on a vite fait de comprendre qui sont les personnages les uns pour les autres, puisqu’ils ne cessent de se croiser et d’interagir dans un espace commun. A l’inverse, à peine un mois à près son lancement, « Pas de secrets entre nous » semblait bien décousue et hermétique — alors même qu’elle compte une distribution principale de moitié inférieure à la série de France 3.

Néanmoins, cela ne constitue pas une raison suffisante pour expliquer l’échec de la série. L’atout de « Plus belle la vie » constitue en effet une exception dont se passent des dizaines de soaps quotidiens à succès. Le 8 aout, grosso modo un mois après son lancement, M6 a signifié au producteur de « Pas de secrets entre nous », Marathon, qu’elle ne commanderait pas de nouvelle série d’épisodes. La série en restera donc à sa première salve de 80 épisodes. Depuis son lancement, elle n’a jamais décollé, peinant à dépasser le million de téléspectateur et les 5% de part de marché.
Certes il faut souvent du temps à une série quotidienne pour s’installer, celui nécessaire pour que, au fil de quelques épisodes captés par hasard, le téléspectateur en vienne à s’attacher aux personnages. Il n’est pas vraiment sûr, pourtant, que le temps aurait suffit à « Pas de secrets entre nous » dans la case dans laquelle elle a été lancée : 20h05, en concurrence frontale avec les journaux de TF1 et France 2 et le début de « Plus belle la vie ».
En effet, l’échec avait largement été prédit. « Pas de secrets entre nous » a été conçue pour toucher les jeunes en premier lieu, dans une programmation d’access (entre 18 et 20h). Après 20h, les jeunes sont nombreux à avoir déjà déserté l’écran de la télé, et une large part de ceux qui sont restés a depuis longtemps été captés par le soap de France 3. Si on rajoute à cela un lancement avec l’été, période peu propice à la fidélisation en quotidien, et pendant laquelle les jeunes sont encore plus susceptibles d’avoir mieux à faire à 20h que de regarder la télé...
Dans ces conditions, l’objectif de « Pas de secrets entre nous » s’apparentait un peu à une mission impossible.

D’aucuns avancent que cette incompréhensible stratégie pourrait l’être, comprise, en intégrant des motifs cachés. A savoir le lobbying mené depuis près d’un an par M6, avec TF1, pour obtenir une réduction des quotas d’obligation de production d’œuvres françaises. Dans cette bagarre là, quelques échecs sont autant d’arguments à brandir pour arguer que le public ne souhaite plus voir aucune fiction française et qu’il faut donc faire un sort aux quotas. C’est la thèse qu’Olivier Szylzynger (« Plus belle la vie ») a exposé à Télé 2 Semaines.

A la décharge de M6, signalons tout de même que lorsqu’elle a commencé à plancher sur ses séries quotidiennes, elle ignorait les succès surprises que furent au printemps dernier « Un dîner presque parfait » et « 100% Mag », qui sont venus brusquement redresser un access sinistré. Contente de ce succès inespéré, on peut comprendre que la chaîne n’ait pas voulu le perturber en y intégrant une fiction. Reste que, tant qu’à lancer « Pas de secrets » pendant l’été, tandis que ces deux émissions étaient en pause estivale, M6 aurait sans doute gagné à diffuser sa série sur une de ces cases, quitte à la reprogrammer à 20 heures à partir de septembre. Si ce changement était intervenu alors que la série s’était déjà construite un minimum de public, elle aurait eu plus de chance de survivre à la case.

Ce qui fini de jeter le doute, c’est l’annonce de la nouvelle programmation des épisodes restants de « Pas de secrets entre nous », à compter du 1er septembre : la série est carrément exilée à 13h10, où elle n’a carrément plus aucune chance de toucher le public pour laquelle elle est conçue à la base. Pourquoi n’avoir pas tenté une programmation à 17h30 ? Pour le coup, la série semble bien sacrifiée...

N’oublions pas que M6 a d’autres projets dans ses cartons : la chaine a lancé un autre projet de série quotidienne, toujours connue sous son titre de travail, « Paris 16 ». On sera attentif à sa programmation...

Post Scriptum

Lire l’entretien que la directrice de la fiction de Marathon, Aline Besson, a donné à Télé 2 Semaines au lendemain de l’annonce de l’annulation de « Pas de secrets entre nous »