Je vais donc vous parler de la fin d’une ère, mais d’une autre ère, celle, terriblement ignorée, des sitcoms multi-cam créées par des femmes latinas.
Ju n’a pas déjà parlé de Jane The Virgin ?
Ça n’a rien à voir.
Jane The Virgin a des épisodes de 44 minutes, sans rires enregistrés et sa créatrice a un nom qui évoque plus le Mayflower que le Mexique.
Ici, on parle de Cristela, qui représente à elle toute celle cette période essentielle qui a débuté en septembre 2014 avec l’avènement de la première comédie multi-cam (22 minutes avec rires enregistrés) créée, produite, écrite et jouée par une femme d’origine mexicaine et qui s’est achevée brutalement en mai 2015 aux derniers upfronts, quand ABC a pris la décision d’annuler la série pour offrir à Ken Jeong (oui, oui, Chang de Community) sa propre sitcom.
De quoi ça parle ?
Cristela est une jeune femme célibataire d’origine mexicaine, stagiaire dans un cabinet d’avocat au Texas et dont les aspirations professionnelles ambitieuses contrastent avec les valeurs traditionnelles portées par la famille de sa soeur chez qui elle vit.
Avec un décor pour le travail et un décor pour la maison, nous voici dans un dispositif ultra classique de sitcom de network.
C’est avec qui ?
Cristela Alonzo tient le rôle-titre (en plus de toutes ses fonctions derrière la caméra). Il s’agit de son premier grand rôle après des années de stand-up sur la scène de Los Angeles et du crédit de « Latin Woman #1 » dans l’épisode 7 de la saison 4 de Sons of Anarchy.

Les actrices et acteurs de sa génération qui l’entourent (María Canals Barrera, Carlo Ponce, Justine Lupe, Andrew Leeds) auraient semblé plus à leur place dans des rôles de parents sur la CW pré-The-100-Jane-The-Virgin que dans une sitcom, seuls Terri Hoyos (qui incarne la mère de Cristela) et Sam McMurray (son patron légèrement raciste), les deux plus âgés de la distribution, ont un timing comique qui leur permet de faire vraiment vivre leurs répliques.
Ça vaut le coup de s’y mettre alors que la série est annulée ?
Il faut aimer la sitcom classique (on est loin du niveau de Mom, capable à mon avis de rallier à la cause les plus rétifs aux rires enregistrés), mais si c’est le cas, et malgré une distribution loin d’être exceptionnelle, Cristela se révèle l’une des tentatives les plus réussies de ces dernières années pour vivifier le genre.
On est loin des Sean Saves The World et autres Odd Couple, qui n’ont retenu des succès des années 90 que les stars de l’époque et la punch-line comme unique type de répliques. Elles se sont perdues très vite à tenter de ne faire rire qu’en juxtaposant ces deux éléments dans des univers vides de tout contexte social et de tout personnage crédible.
Cristela montre dès le pilote un potentiel comique durable sur la longueur car elle a l’intelligence de positionner de façon classique son personnage principal en décalage avec les personnages de son univers professionnel et ceux de son univers familial et se donner une saveur originale par la nature du décalage. Pour la première fois à la télé, le personnage principal est d’un côté une femme pauvre latina dans un environnement professionnel blanc, riche et « légèrement » raciste et de l’autre une femme ambitieuse et indépendante dans un environnement familial qui a de la femme une image associée à la maternité et aux travaux domestiques.
L’humour des répliques, centré dès lors essentiellement sur le féminisme et le racisme (attention, Cristela pointe et se moque des attitudes racistes, on n’est pas dans 2 Broke Girls qui base sur ses blagues sur des stéréotypes racistes sans aucun recul…), paraît beaucoup plus naturel et rafraîchissant que la méchanceté gratuite et les allusions sexuelles qui font la base de beaucoup de répliques de sitcoms récentes sans âme.
Daniela : "I can’t believe it. Today, my little girl’s gonna be a cheerleader."
Cristela : "Ah, yes. The great Texas tradition where girls learn they’re not quite as important as boys." (1.01 - Pilot)
Cristela : "The only time something like this happens to people like us is on TV."
Felix : "But people like us would never be on TV." (1.05 - Super Fan)
Et si Cristela utilise énormément le contraste entre les opposés, elle ne joue pas la carte facile pour la relation centrale entre les deux sœurs différentes de la jalousie.
Malheureusement, le reste des interactions entre les autres personnages ne bénéficie pas de la même finesse et de la même attention. Et dès que la série s’éloigne de ses bases (le rapport de classe, l’image de la femme) et verse dans la « simple » comédie familiale ou professionnelle, la faiblesse de la distribution devient criante et peine à élever un matériel trop souvent fade. Quatre ou cinq épisodes en milieu de saison, embourbés dans des situations anecdotiques qui ne ressemblent pas à la série, sont carrément mauvais.
Le dernier épisode de la saison (et, hélas, serie finale) souffre des mêmes symptômes et trop occupé à modifier l’état des situations professionnelles et personnelles de l’héroïne oublie de faire rire. Quitter définitivement le petit univers de Cristela sur cette note un peu faiblarde est un tout petit peu décevant même si cet épisode montrait surtout que la série avait encore besoin d’un peu de temps pour se consolider et améliorer sa régularité d’une The Middle (on pouvait rêver !).
Mais tout amateur de sitcom réussie trouvera largement son compte pendant cette unique saison.