Pas par masochisme – ce qu’on pourrait pourtant penser. Mais parce que c’est dans les moments où un monde s’effondre, et ma bonne humeur avec elle, que la magie apparaît réellement pour moi. Ce que je recherche dans tout ce que je consomme, c’est cette capacité (moins évidente qu’il n’y parait) qu’ont parfois les gens à se montrer réellement vulnérables. Parce que partager des blagues, faire rire, est quelque chose de beaucoup plus facile à exposer au monde qu’un vrai morceau d’humanité.
C’est pour ça que j’aime Community quand on y perçoit les fêlures de Dan Harmon - et de son équipe créative - (et je ne limite pas ça à Abed, même si si vous me lisez depuis quelques temps vous devez être au courant de la relation particulière que j’entretiens avec ce personnage). Comme il l’a très bien dit lui-même dans cette réponse qu’il m’avait adressée sur reddit, « Community is a show about broken people. All of them are quite alone, some involuntarily, some by their own hand, some without realizing it, but none of them come to the study room table with the emotional advantages held by that mythical creature known as "a normal person." There are no normal people, there are just different kinds of weird, all of it is human and all humanity is better than everything inhuman. »
Je passé ma vie à rechercher dans la « fiction » la part d’humanité qu’un auteur ou performer peut être prêt à partager avec nous – qu’il l’ait vécu de première main, où qu’il cherche à la retranscrire. D’où mon agacement devant les moqueries qu’a pu recevoir l’an dernier Claire Danes pour son rôle dans Homeland, en relation avec les réactions de son personnage qui, il est vrai, pleure beaucoup et réagit souvent aux situations d’une manière que la plupart des téléspectateurs jugeaient stupide ou illogique.
Parce que tout ce que Homeland dépeint – les avalements de cachets avec une bouteille de vin, la poursuite d’un amour malsain, les larmes incontrôlables, sont des situations bien trop familières à tous ceux qui vivent avec un trouble bipolaire. Toutes ces choses dont les gens sains riaient étaient des situations dans lesquelles je me retrouvais, et qui du coup prenaient pour moi (et pour beaucoup de ceux qui, gâtés par la génétique, partageaient ce merveilleux cadeau de la nature) une dimension plus proche du souvenir que du spectacle.
J’aime la version américaine de Shameless parce nombre de ces situations que beaucoup trouvent « impossibles » venant d’un père de famille, j’ai pu les vivre de première main. J’aime Scrubs parce que beaucoup de ses épisodes « déprimants » touchent une corde qui a déjà vibré en moi, et qu’en la faisant vibrer à nouveau, elles me rappellent la force qu’on a en chacun de nous, et qui, si on a de la chance, n’aura jamais à être testée. J’aime la descente aux enfers d’Amy suite à sa dépression dans la seconde saison d’Everwood parce que pour la première fois je voyais à la télévision quelque chose qui me permettait de comprendre ce que je traversais. J’aime la saison 6 de Buffy, son épisode musical, et le résumé parfait de la dépression qu’est la chanson Going Through The Motions.
J’aime quand une œuvre culturelle me confronte à la réalité, aussi triste qu’elle puisse être, parce que ce faisant elle me permet d’enfin en être la spectatrice, et m’offre ainsi une vision extérieure sur mes propres démons, mes propres souffrances. Et que paradoxalement, après la première vague de destruction qu’elles apportent, elles me rappellent que j’ai réussi à m’en sortir, tout comme ces personnages, et que quoiqu’il m’arrive dans le futur, je serai à nouveau capable de m’en sortir. Parce que les œuvres culturelles peuvent souvent nous mentir, qu’elles sont parfois une exagération de la réalité, mais que cette force que chacun des personnages a, c’est quelque chose que nous autres, qui ne sommes pas le résultat de scripts, partageons. Chacun de nous a, dans des mesures différentes, une force intérieure qui saura s’imposer quand on aura besoin d’elle.
Aujourd’hui, j’ai envie de partager avec vous deux de ces instants où la réalité s’invite, s’impose, dans des circonstances où l’humour était plutôt ce à quoi le public pouvait s’attendre, et qui pourtant, en délivrant des performances humaines, atteignent une puissance qui pulvérise tout ce qui aurait pu être fait. A la façon du spectacle Live de Tig Notaro [1], chacune d’elles viennent montrer cette force, cette capacité humaine à affronter les aléas de la vie.
La première, évidente, et que vous avez peut-être déjà vue, est celle du premier Daily Show qui eut lieu après les événements du 11 Septembre, et où Jon Stewart délivre un message d’espoir, le parsemant d’humour, mais touchant une corde qui vibrera forcément en chacun de vous.
La seconde est une performance d’Anthony Griffith pour Moth, qui se passe de commentaire.
Et chacune à leur façon, ces vidéos, ces storylines, ces actes ultimes de courage sont là pour nous rappeler ce qu’est la vie. Loin d’un long fleuve tranquille, plus proche d’une rivière en pleine crue, mais une dans laquelle on est tous équipés de gilets de sauvetage.
[1] Un spectacle où la comédienne nous parle de l’incroyable enchaînements de malheurs qui lui sont arrivés dernièrement, se terminant par un cancer aux deux seins, et qui commence par la célèbre formule "With humor, the equation is Tragedy + Time = Comedy". Disponible sur Spotify ainsi que sur iTunes, l’écoute en est indispensable.