19 octobre 2014
Episode Chronique
Quelquefois, on avait le droit aux regards adressés habituellement aux mômes qui expliquent qu’ils vont tous les dimanches à la messe et au catéchisme après l’école : les séries, c’était un peu comme la religion, y consacrer trop de temps laissait supposer qu’il y avait un problème chez nous ou dans notre famille.
Et puis, petit à petit, c’est passé du passe-temps un peu cool au truc que tout le monde fait. De la tante qui ne parle que de Castle au collègue de bureau qui ne jure que par Donjons, Nichons et Dragons, tout le monde a appris à télécharger, tout le monde regarde les séries, et, pire que cela, tout le monde a une opinion dessus !
Il est difficile de passer une journée à côtoyer des gens sans entendre des avis aussi intéressants que « Il est trop fort, ce Docteur House, il est trop cassant » et « Nan, mais regarde True Detective, c’est presque aussi bien que The Wire ! » ou des affirmations tellement peu argumentées qu’elles doivent être vraies telles que « Les séries, c’est tellement mieux que le cinéma » ou le classique « On vit vraiment un Nouvel Age d’Or des séries ! ».
Et même en s’isolant des gens, écouter la radio, regarder la télévision ou lire un magazine ne vous empêchera d’entendre les horribles formulations « La Série Événement » ou « la Série Culte » dans les promos vantant l’arrivée de Extant ou la rediffusion de Lost sur une chaine de la TNT.
Mais voilà, la coupe est pleine. Les gars, on nous cherche, et se taire n’avancera à rien. Comme tous les films de Liam Neeson nous ont appris, quand on prend quelque chose qu’on aime comme un proche ou les séries, il faut se défendre. Et la seule solution ? Ruiner les séries pour tout le monde !
Spoiler, c’est trop facile, il faut être encore plus vicieux. Voici donc trois règles à respecter pour reprendre ce qui nous appartient de droit.
1 Regarder une série populaire que tout le monde aime mais que vous détestez
D’accord, le temps c’est précieux, et 42 minutes, c’est très long. Mais la souffrance ressentie devant la série sera vite oubliée devant la satisfaction de faire taire votre collègue qui ne peut pas s’empêcher de raconter l’épisode de Dexter qu’il a vu la veille.
Oui parce que le problème de ces gens est qu’ils n’ont pas réellement d’avis argumenté sur les séries qu’ils suivent, les entendre parler d’une série qu’ils aiment consiste uniquement à relater le dénouement d’un épisode et finir par un « c’était super ! ».
Un argumentaire à peine poussé qui remet en cause le principe de la série comme « ça te gêne pas que ton héros tue des gens ? » a toutes les chances de continuer avec un beau « nan, mais il tue des serial-killers, ils le méritent ». De là, un simple « Moi, ça me gêne » ou, si vous êtes en forme ou pressé par le temps, un rapide parallèle avec l’apologie de la peine de mort, mettra surement fin à discussion. Vous n’échapperez pas au fameux « Pff, t’façons, tu réfléchis trop à ce genre de truc. C’est qu’une série, après tout ! » mais au moins, il y réfléchira à deux fois avant d’aborder une nouvelle fois le sujet « séries » avec vous.
2 La surenchère
Lever les yeux au ciel dès qu’on prononce « Nouvel Age d’Or des Séries » n’est pas très productif. Et essayer d’expliquer qu’il y a toujours eu de bonnes séries est souvent trop compliqué face au des gens qui ne connaissent Aaron Sorkin que par The Newsroom.
Pour être efficace, la stratégie inverse s’impose. Et là, bon sens et juste mesure sont à prescrire. Il ne faudra pas avoir peur de dire « Tout à fait d’accord, d’ailleurs The Mysteries of Laura est la preuve qu’on vit dans un âge d’or ».
Age d’or c’est le raccourci débile des gens qui ont vu un acteur de cinéma dans une série ou un réalisateur connu dans le générique. Peu importe qu’il soit dans le « Created By » ou « Consulting Producer », voir un nom connu listé au générique, implique forcement que c’est SA série. Et The Mysteries of Laura peut vous permettre d’enchainer avec « Je suis tellement content de revoir Debra Messing de Smash, la série culte de Steven Spielberg ». Spielberg, c’est le nom à placer dès que possible, il est ce que David Fincher est aux séries du câble/Netflix.
Associer des séries comme The Mysteries of Laura à True Detective, qui ont presque autant de valeur l’une que l’autre, est le meilleur moyen de décrédibiliser cette fausse idée d’un âge d’or.
3 Aimer une série que tout le monde dénigre
Non, ce n’est pas une stratégie pour vous faire regarder The Mindy Project. Dallas fera amplement l’affaire. En règle générale, si une série ne bénéficie pas d’une campagne publicitaire soignée ou d’une couverture de Télérama, il y a de peu de chances que ces nouveaux fans de séries la suivent.
Idéalement, si votre série bénéficie d’une image un peu vieillotte ou négative (comprendre avec une femme dans le rôle-titre), votre interlocuteur aura déjà un avis déjà formé aisément destructible.
« Dallas, c’est fantastique, Angela Bauer y prend de la coke et a plein de répliques incestueuses » est une bonne manière de lancer le débat. Le « ton truc de mamie » ne résistera que difficilement à « l’une des rares séries dont le showrunner est une femme d’origine latine », « une vision plus cosmopolite du Texas » et « des femmes de pouvoir qui ne sont pas que définies par leurs hommes ! ». Encore une fois, montrer qu’il y de la qualité dans des séries sur lesquelles trop peu de gens prennent le temps de se poser est le meilleur argument contre les avis en carton formés uniquement sur les apparences ou le logo HBO.
L’idée n’est pas de montrer qu’on en sait plus que tout le monde et d’étaler fièrement sa science. Ce serait aussi pénible que ces attitudes qui nous agacent. Il faut simplement d’essayer d’élever le débat.
Il n’y a aucun problème à aimer True Detective si on est capable d’expliquer pourquoi et surtout d’accepter que son interlocuteur puisse ne pas être du même avis. Affirmer qu’on aime une série et que cet avis devrait être la norme, c’est un mélange bien puant d’intolérance et d’aimer s’entendre parler.
Et il faudrait juste que ces gens retournent parler sport, politique et religion, et qu’on nous laisse, nous, les fans de séries, tranquilles, dans notre coin.
Parce que la liberté d’expression, c’est bien beau, mais c’est très pénible aussi.