Critique des meilleures nouvelles séries télé (et des autres)
Regarde critique sur les séries TV actuelles

Comme Jeanne d’Arc - Un sultan et une comédie musicale

N°6: Tumanbay et 36 Questions

Par Conundrum, le 17 mars 2018
Publié le
17 mars 2018
Saison Audition
Episode Audition
Facebook Twitter
Pour ce nouveau Comme Jeanne D’Arc, nous revenons aux équipes de productions qui nous ont donné The Message et Life After avec Tumanbay, et Limetown avec 36 Questions.

Tumanbay

Après quelques recherches sur le podcast produit à l’origine pour BBC Radio 4, il y a une comparaison qui revient régulièrement, celle avec Game Of Thrones.

Elle est compréhensible, sa popularité peut faire venir de nombreux auditeurs, les deux séries traitent de guerres de pouvoir dans un royaume et bénéficient d’une distribution large et de multiples intrigues amenées à se croiser.
Mais, à mon sens, Game Of Thrones n’est pas le parallèle sériel le plus pertinent. Les téléphages, les vrais, le savent, les séries turques ont un impact mondial très fort. L’une des plus célèbres et des plus réussies est Muhteşem Yüzyıl, Le Siècle Magnifique, connue dans les pays arabes sous le nom de Harim Sultan. Elle retrace le règne du Sultan Ottoman, Soliman le Magnifique. Si la série est tristement méconnue en France et est difficile à trouver avec des sous-titres anglais, on lui attribue une audience mondiale de près de 200 millions de téléspectateurs.

A défaut de pouvoir découvrir cette série turque, le podcast Tumanbay permet de se plonger une thématique similaire : les dangereuses intrigues dans la cour d’un sultan. Dans le pilote du podcast, le neveu du règne Sultan Al Ghurri, qui règne sur la prestigieuse ville de Tumanbay, est attaqué. Cette tentative de meurtre met au grand jour un complot au sein même de la cour du Sultan. Et c’est cette de guerre de pouvoir pour prendre le contrôle de la ville où tout le monde est ou a été esclave, Sultan y compris, que nous allons suivre.
Si la ville de Tumanbay n’existe pas, le podcast s’inspire fortement de la dynastie des mamelouks d’Egypte [1].

Diffusée en Angleterre par BBC Radio 4 depuis deux ans, Panoply s’est chargé de la diffusion internationale de la série radiophonique en format de podcast depuis la rentrée 2017 à raison de deux épisodes par semaine.
Et comme elle nous l’avait habitué avec The Message et LifeAtfer, Tumanbay bénéficie d’une qualité remarquable de production, c’est l’une des séries qui représente ce que ce genre peut faire de mieux. La série impressionne dès son pilote en introduisant de manière efficace une large galerie de personnages sans perdre les auditrices et auditeurs, et ce, avec la présence minimale d’un narrateur. Dans Tumanbay, il s’agit de Gregor, un homme calculateur dont le rôle, responsable de la garde du Sultan, le place au centre de l’intrigue. Il est amené à rencontrer la plupart des protagonistes de l’œuvre mais n’intervient en tant que narrateur que s’il est impliqué dans la scène. Son récit est donc absent de toutes les autres intrigues dans un premier temps.

C’est une prise de risques dangereuse quand chaque épisode dure plus de quarante minutes avec des intrigues très complexes, mais elle porte ses fruits quand on voit que le pilote donne tout de suite envie de se lancer dans une écoute gloutonne.
En effet, l’avantage d’avoir une narration peu présente est que les scènes d’exposition où on nous présente l’intrigue et les personnages laissent rapidement place à l’action. John Dryden, son auteur, a pour conviction que l’auditrice/teur d’une série radiophonique, n’a pas à être pris par la main. Le public peut entendre des sons sans qu’on lui explique ce qui se déroule. Les scènes d’action ou même de sexe se passent de visuels si on peaufine la production de l’œuvre. Dans cette optique, elle rentre parfaitement dans l’évolution des séries de Panoply. The Message utilisait un format à la Serial, à un moment où celui ci est très populaire. C’est une bonne entrée en matière pour se familiariser avec le genre. LifeAfter a un narrateur très présent. Si on retrouve un format plus proche d’une série télévisée, l’action est expliquée dans ses moindres détails. Tumanbay fait beaucoup plus confiance à son public.

Tumanbay est une série très riche sur le plan narratif, elle compte de nombreuses intrigues parallèles. Nous suivons un marchand d’esclaves dans son négoce, l’histoire de la femme du Sultan nous est révélée, on suit bien évidemment celle de Gregor, il y aussi une mère et de sa fille qui arrive à Tumanbay en bateau pour un nouveau départ et celle d’un émissaire dans le pilote qui lance la trame principale avec un cadeau au Sultan. De ce fait, les scènes sont courtes et elles avancent vite. En effet, aucune n’est superflue car toutes font avancer les différentes intrigues. L’auditeur n’est jamais perdu la personnalité des personnages est clairement et rapidement définie. L’ambiance sonore du podcast est particulièrement travaillé, les scènes d’action ne font jamais regretter l’absence de visuel. Nous sommes immergés dans l’intrigue à l’atmosphère si particulière de l’Egypte des 13ème et 14ème siècles. Et cela est principalement dû au talent de sa distribution. Il y a une vraie diversité dans la galerie d’interprètes qui donne vie aux personnages de Tumanbay avec parmi eux, Alexander Siddig de Star Trek : Deep Space Nine et, décidément, Game Of Thrones.

Une fois la galerie de personnages bien établie, la série évolue et propose des épisodes avec moins de trames car celles-ci évoluent organiquement. Certaines fusionnent, d’autres méritent plus de temps d’antenne et puis, arrive le moment où un des personnages principaux est tué. La mort dans Tumanbay est présente dès son second épisode, mais si elle arrive de manière de choquante, ce n’est jamais le but principal de ses auteurs. Certaines sont annoncées et d’autres sont nécessaires pour bien comprendre les enjeux de l’intrigue.
On ne cède jamais à l’idée de tuer un personnage pour garder l’intérêt de son public. Tumanbay est une oeuvre captivante par la force de son récit. La pression monte graduellement et les rebondissements sont savamment gérés.

Tumanbay est différent des autres podcasts de Panoply. La série a été crée par un auteur anglais John Dryden fasciné par Le Caire [2]. Mais le podcast, s’il incorpore les us et coutumes de l’époque (comme les bébés utilisés en tant que poupées), n’en est en rien historique. Il s’inspire de faits réels qu’il retravaille dans sa trame narrative.
La production montre surtout l’expérience de Dryden et de son équipe. La série radiophonique est un genre très fertile outre-Manche, il suffit d’aller faire un tour sur le iPlayer Radio de la BBC pour voir la large gamme qu’elle propose.Et John Dryden, son auteur, a de nombreuses productions radiophoniques souvent tournées dans les pays où l’action se déroule. Une de ses productions, The Reluctant Spy se déroulant en Égypte avait été enregistrée au Caire. Il y a un soin méticuleux apporté à l’expérience sonore des œuvres de Dryden que l’on retrouve ici aussi [3].

C’est la grande force de Tumanbay par rapport aux autres productions sérielle en format podcast. Le professionnalisme de la production du podcast écrit, réalisé et interprété par des femmes et des hommes qui ont l’expérience de la série radiophonique donne un plus à ce podcast. Tumanbay n’a rien à envier aux productions dramatiques projetées sur un écran. C’est une série qui n’est pas à écouter en marchant ou en faisant du sport, elle mérite qu’on se pose, qu’on se prépare un bon verre de thé à la menthe, que l’on baisse la lumière de son salon et qu’on savoure son écoute.

36 Questions

L’équipe de production Limetown, Two Up Productions, est enfin revenue à la production des podcast cet été avec une nouvelle chaine de podcasts qui enchainera différentes œuvres de fictions audio. Et ce de manière régulière ! Malheureusement, la première production n’est pas la suite du podcast qui a fait leur succès. En revanche, c’était un podcast musical en trois parties. Et son concept est bien trouvé. Jace vient de quitter sa femme, Nathalie après avoir découvert qu’elle a menti sur son identité.
Dans l’idée de lui faire découvrir qui elle est vraiment, elle lui propose qu’ils répondent aux 36 questions censées faire tomber amoureux les deux personnes.

Et à un moment, Jonathan Groff de Hamilton, l’un des deux acteurs du podcasts avec Jessie Shelton, chante le générique de Frasier. Oui, ce podcast semblait avoir été scientifiquement produit pour me plaire. Et sur ce point, c’est n’est pas une réussite.

Ce n’est pas que 36 Questions est mauvais et ennuyeux, mais c’est que malgré toutes ses bonnes idées et son intérêt, le podcast est plombé par les choix de sa production. En premier lieu, les épisodes sont beaucoup trop long. Quarante-cinq minutes pour un épisode de série est une durée usuelle, et malgré ce que les plates formes de diffusion à la Netflix veulent nous faire croire, ils sont formatés pour le média qui le diffuse : la télévision. Les pauses publicitaires ont donné une forme efficace aux épisodes. Formés de quatre actes, ils récapitulent l’intrigue régulièrement, il y a des pauses dans l’intrigue, et elle est relancée de manière organique afin que l’on revienne après la publicité. Ici, nous avons 45 minutes d’un récit linéaire, et celui de 36 Questions n’est pas assez efficace pour nous captiver sur toute la durée d’un épisode.

Pour aggraver les choses, les producteurs de 36 Questions sont sponsorisés par Hello Fresh avec une longue pause publicitaire au début, milieu et fin de l’épisode où ils nous expliquent qu’ils cuisinent un de leur plats. La publicité se veut mignonne, elle est vite agaçante. Et une pause réclame ne se gère pas de la même façon dans un podcast ou une série. Avancer la publicité nous stoppe dans notre action. Quand on écoute un podcast, nous ne sommes pas nécessairement devant notre écran pendant la durée globale de l’épisode. Il est quelque fois plus intéressant de laisser la publicité passer. Ici, cela renforce son caractère intrusif.

Cette sensation de lenteur est aussi paradoxale car le choix de narration est assez bien trouvé. Nathalie, notre héroïne, enregistre sur son téléphone toute les discussions. Il y a des pauses quand le téléphone se décharge, les scènes se suivent de manière chronologique mais ne reprennent pas toujours là où nous nous sommes arrêtés. Cette idée, un peu saugrenue, prend son sens quand on découvre la personnalité de notre héroïne, mais aurait du être utilisé pour mieux présenter l’histoire. 36 Questions aurait mérité d’être édité. En effet, il y a trop de matière superflue. Le podcast cherche trop à être mignon. Les dialogues cherchent plus à plaire qu’à sonner naturels. Et la présence d’un canard (oui, oui) en tant que ‘meilleur ami’ du mari est un gentille bizarrerie qui lasse très vite. Du coup, malgré le talent de leurs interprètes, on s’attache peu aux personnage et encore moins au couple qu’ils essaient de sauver. Charlie et Ross de LifeAfter avaient plus d’alchimie que le couple au centre de 36 Questions. Et puis, le plus gros problème de ce podcast vient des chansons. Et c’est un souci pour une comédie musicale.

Elles sont très monotones et n’apportent rien à l’intrigue, on passe du parlé au chanté sans aucun impact sur l’émotion véhiculée. Elles n’illustrent pas non plus une action. Sans réels intérêts narratifs ou émotionnels, elles ralentissent l’histoire plus qu’autre chose. Elles apparaissent comme un élément de plus dans la longue liste des artifices de ce podcast.
Et c’est bien dommage, car quand on gratte toute cette surface, il a un réel intérêt dans cette histoire. A son centre, il y a une femme d’apparence très joyeuse, enjouée et positive qui a menti sur son identité. Il n’y a pas de complot ou de mystère derrière ce mensonge. Il s’agit simplement d’une femme qui n’aimait pas qui elle était, et a voulu projeter une meilleure image d’elle même.
Tout ce stratagème des 36 Questions n’est, au fond, pas de connaître qui elle est vraiment, mais que, malgré ses mensonges, elle est la même femme que son mari a aimé. Si on a de la sympathie pour Nathalie, on comprend aussi Jace. C’est une chose de de choisir ce que l’on partage avec autrui, c’en est une autre de mentir et d’inventer des repères sur lesquelles la relation de couple va se construire.

Il y a des thématiques pertinentes adressées par 36 Questions. Il y aussi de très bons acteurs qui chantent très bien. Mais l’ensemble méritait d’être mieux servis. On aurait peut être bénéficié d’avoir des épisodes plus courts et moins de chansons. Le moins aurait mieux desservi l’histoire. C’est bien dommage car la volonté de faire quelque chose d’innovant et de nouveau est bien présente. Du coup, même s’il déçoit un peu, 36 Questions reste un bon lancement pour la chaine de podcast, Two Up Productions.
Si l’ambition reste à ce niveau, mais qu’on s’attarde un peu plus sur la production des œuvres, on pourrait avoir de belles trouvailles.

Conundrum
Notes

[1D’ailleurs, le fantastique podcast Stuff You Missed In History Class a consacré un épisode au statut particulier de certains esclaves de l’empire Ottoman, si le sujet vous intéresse.

[2Tumanbay s’inspire de l’aura de la capitale Égyptienne de cette époque et Des Contes des Mille et Une Nuits.

[3Si Tumanbay n’a pas été tournée en Égypte, elle a été tournée en extérieure, au Royaume-Uni en bloquant les rues pour éviter d’entendre des sons du 21ème siècle.