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Iris In Treatment

Session N°14

Louie Louie LouAAAAAAAAAAH

jeudi 5 juin 2014, par Iris

Il faut qu’on discute. Non, vraiment, il faut qu’on parle. Tous.
On commence par le Lemon Tree des Internets, la chanson qu’on connait par cœur, les bases : les parents éduquent leurs filles, leur apprennent à faire attention, à ne pas sortir trop tard dans la rue seules, à ne pas trop boire en soirée, à ne pas se faire violer…

Oui, ça y est, le mot est lâché. Violer. Les parents apprennent à leurs filles à ne pas se faire violer. [1]

"Et les garçons ? Qui leur apprend à ne pas violer ?" C’est la question qui revient, encore et encore, plus sur le ton de la blague tellement elle est devenue clichée. On en oublierait presque à quel point elle est vraie. On en oublierait presque les gens qui ne s’émeuvent pas d’un viol dans Game of Thrones « parce que toute la violence y est omniprésente » [2], ou les producteurs qui n’en voient même pas un dans la scène qu’ils ont aidés à créer. Et là, je m’éloigne de la question ; parce qu’on a tous, à un niveau plus ou moins haut, homme comme femme, une sorte de voile qui nous brouille les idées. Mais qui nous montrera où est le viol, où est la contrainte ?

Cette semaine on a peut-être un début de réponse à cette question. Et la semaine passée aussi, et celle d’avant aussi, si on a(vait) prêté attention. Si on était tous foutus d’être choqués par tous ces trucs qui devraient nous choquer, mais auxquels on nous a habitués à ne plus faire gaffe.

Louis CK a déjà parlé dans ses spectacles de la violence envers les femmes. Surtout dans le dernier, avec son excellente analogie de l’homme-prédateur. Ça nous a tous bien fait marrer, moi la première. Je peux parler pour personne d’autre, mais ça m’a aussi bien foutu la gerbe. Pas par rapport à CK. Non, heureusement qu’il est là, lui.
Mais parce que je ne sais que trop bien que derrière ses blagues, il y a une réalité. Et que trop de gens la percevront pas, ou pas de manière aussi accrue qu’on se la prend à la gueule, nous, celles qu’on éduque dans la perspective qu’un jour on abusera de nous, dans tous les sens que ce terme peut avoir.
Nous qui savons que quelque part dans le monde, un type d’une vingtaine d’années a justifié une tuerie par un manifesto de 140 pages qui nous disait au final rien de plus que « Si je peux pas avoir de la chatte, toutes les chattes vont payer. Parce que j’ai une bite, et qu’elle veut une chatte, et qu’elle le mérite juste parce que c’est ce que les chattes sont censées faire. JUSTICE ! ». Parce que pour lui, c’est les femmes qui ont le pouvoir. Mais non, tout ce qu’on a c’est le pouvoir de dire "Non". Et malgré ce pouvoir, des abus sexuels arrivent quotidiennement. Malgré ce pouvoir, on peut se faire assassiner pour avoir osé l’exercer. [3] Je sais, je sais, je mélange tout, je parle d’un fait-divers alors qu’on parle d’une série TV, faut que j’apprenne à faire la part des choses.

Vraiment ? Faire la part des choses ? Entre fiction et réalité ? Alors qu’on parle de Louie ? Parce que putain, si Louie (et le travail de Louis CK en général, qui s’approche plus de ce qu’un philosophe des temps modernes produirait) est pas une sacrée réflexion sur la société et l’état dans lequel elle est, je sais pas ce qu’il vous faut. D’ailleurs sa critique est parfois tellement fine qu’on passe à côté.

Je suis passée à côté. Même maintenant je doute de ce que j’écris. Je me demande si j’extrapole pas. Mais...

Depuis le début de la saison 4, les violences envers les femmes se sont glissées un peu partout, au travers des actes de Louie. Pas énormes hein. De lui qui frappe une femme au visage – sans que ce soit vraiment de sa faute à lui, à son premier rapport sexuel un tantinet forcé avec Amia [4] qui fait déjà mal mais qu’on oublie rapidement parce qu’on passe à la suite et que tant que la caméra ne s’attarde pas dessus, qu’elle ne nous prend pas par la main, que Louis CK ne fait pas dire explicitement à un de ses personnages : « THAT’S RAPE » on oublie qu’un oui forcé n’a rien à voir avec ce qu’un putain de oui veut dire.

Et c’est là le brio absolu – ou l’horreur totale – qui réside dans ce dixième épisode. Nous montrer Louie en train de… contraindre Pamela [5], de la dominer physiquement, pour au final, "oh, pas à grand-chose", juste lui arracher un baiser à contre-cœur. Alors qu’elle lui hurle « No, I don’t like it », il ne comprend pas.
Il pense toujours que l’écraser de toute sa taille et de tout son poids dans un coin de pièce, alors qu’elle a lâché le mot viol et tente de sortir - de s’échapper, et lui déclamer de jolies phrases pour la convaincre de l’embrasser (un baiser qu’elle "accepte", prise au piège, comme quelqu’un qui n’a plus le choix et qui a peur de la violence de la personne qui lui fait face) suffira à effacer la lutte qui précède. Il ressort de cette interaction visiblement ravi, triomphant, de sa ténacité, un sourire sur son visage. Sans réaliser ce qu’il vient de faire. Il vient d’abuser sexuellement de quelqu’un. Pas de la violer. Mais d’abuser sexuellement d’elle. [6]

C’est ça que Louis CK voulait nous faire voir cette saison. J’espère que l’épisode de 90 minutes de la semaine prochaine nous le confirmera, qu’il voulait nous montrer que c’est quelque chose qui peut ruiner ou endommager une relation jusqu’au point de non-retour. Qu’il essayait pas simplement d’ajouter des traits peu sympathiques à un personnage qu’on voit comme un type bien, ou au moins "normal".
Il faisait monter, petit à petit, la violence que son personnage - qu’on aime - pouvait avoir à l’encontre des femmes, pour nous tester. Il voulait savoir à quel moment on réaliserait qu’il y avait un problème dans son attitude. C’était ça, hein ? Nous montrer que même quelqu’un qu’on voit comme "gentil" peut être un prédateur. Que la contrainte sexuelle vient pas uniquement de violeurs cachés dans la rue, d’inconnus, mais qu’elle est là même entre gens qui se connaissent, et qui ont pu à un moment envisager que quelque chose se passe entre eux. Et maintenant on a tous compris...?

Non. On n’a pas tous compris. Tu veux savoir à quel point on n’a pas tous [7] compris ? Quelqu’un a réagit à un tweet où je dis à quel point une scène de cet épisode m’a coupé le souffle... en soulignant plusieurs fois qu’il ne comprennait pas pourquoi j’ai été bouleversée.

On a tellement pas tous compris la portée de ce qu’on a vu à l’écran que quelqu’un a été capable de me sortir « j’ai pas vu de truc choquant sur l’épisode 10 franchement ».

Après ça ? Après une femme qui se débat et qui hurle et qui supplie, t’as rien vu de choquant ?

Putain, mais qu’est-ce qui te choquera ?


[1Oui, c’est de ça qu’on va parler ici, et je sens déjà une partie de vous qui se barrent en roulant des yeux.

[2Oui, c’est vrai, elle y est omniprésente. Mais d’une omniprésence moins anesthésiante que le viol l’est dans notre putain de société. Petit calcul facile : combien de gens dans ton entourage se sont fait buter à coup d’épées ? Okay, t’es doué en calcul mental, cool. Combien de filles que tu connais ont subis des abus sexuels ? Ah oui là ça fait déjà plus mal. Non, arrête pas de compter, ajoutes-y celles qui ont jamais osé en parler, et elles sont nombreuses. Voilà. C’est pour ça qu’on doit plus réagir à un viol dans Game of Thrones qu’à la violence dans Game of Thrones.

[3Ouais, je sais, Elliot Rodger avait beaucoup d’autres problèmes, et je rejette pas la faute sur la misogynie uniquement. Je peux terminer ? Non parce que là, moi aussi j’arrive au bout de ce que je peux supporter. Et j’en profite aussi pour rappeler que les femmes ne sont pas les seules à être victime de viols. Les hommes aussi peuvent l’être, mais c’est un tabou voire un sujet d’amusement pour la société dans laquelle on vit. Ce n’est pas le propos de cet article, mais je tenais à vous rappeler que ça peut arriver à chacun. Pas dans les mêmes proportions, mais c’est quelque chose dont personne n’est à l’abri.

[4En passant par la violence plus psychologique dont il fait preuve en rejetant Vanessa (You know, The Fat Lady) dans l’épisode 3 juste à cause de son surpoids – avant de finalement la prendre par la main. Parce que Louis CK veut qu’on voie qu’il est un "nice guy" ?

[5Une femme qui a toujours été, si ce n’est sa "supérieure", au moins son égale. Et on nous le rappelle dans l’épisode : "Why are you so mean to me ?" "Because you like it.", un dialogue en miroir de ce qui viendra ensuite

[6Dans la mesure où pour vous, le baiser entre dans la catégorie des actes sexuels. Pour moi, oui.

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