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Iris In Treatment
Session N°17
You’re The Best
dimanche 27 décembre 2015, par
Cette réponse, lâchée par Jimmy après que Gretchen lui ait annoncé souffrir de dépression chronique et qu’elle lui ait dit que tout ce dont elle avait besoin de lui était qu’il accepte qu’il ne pouvait pas la réparer, était probablement l’une des lignes de dialogues les plus douloureusement réalistes de 2015, et faisait démarrer sur une note très haute l’une des meilleures – et plus dure à voir – storylines à la télévision cette année.
On vit à une époque où les maladies mentales commencent à être mieux représentées à la télévision, que ce soit tous les extrêmes traversés par des personnes bipolaires dans Shameless US, ou la dépression dans You’re The Worst.
Mais ces deux séries ne sont pas en compétition à mes yeux. Elles sont complémentaires, et You’re The Worst m’a fait voir une des choses que je hais le plus à propos des phases dépressives de ma propre maladie : l’impact que celle-ci a sur ceux qu’on aime.
Et ça a commencé avec un huis-clos. Gretchen au plus mal, enfermée de force pour la journée à cause du marathon de Los Angeles avec Jimmy, Edgar, Lindsay, et deux autres personnages.
Dans cet épisode, Aya Cash livrait peut-être la performance de l’année. Tout y était. La panique de réaliser qu’on est bloqués avec des gens sans porte de sortie, la peur de ne pas arriver à dissimuler la noirceur toute une journée, la béquille trouvée dans l’alcool et le masque qu’elle enfilait à chaque interaction et qui disparaissait dès qu’elle arrivait à se fondre dans le décor. Et puis vinrent les fameuses trois scènes clés de l’épisode.
La première où elle craquait émotionnellement, s’attaquant à chaque malheureux présent, en essayant de leur faire autant de peine que possible, de les réduire à néant avec des mots durs, des attaques précises et calibrées pour faire mal. Cette cruauté pure, qui nous échappe, cette envie de faire du mal.
Puis celle où, allongée seule sur un lit et rejointe par Lindsay, elle lui disait qu’elle ne pouvait pas confier à Jimmy que son cerveau était « cassé ». Que ce soit par honte, par crainte du rejet, ou par l’idée que ce cerveau et ses « wiring issues » fassent d’elle quelqu’un de moins digne d’amour. Ce sentiment de ne pas pouvoir admettre à la personne qu’on aime que notre cerveau est pété, que quoiqu’on fasse on ne sera jamais soigné, jamais complet. Juste une faction de ce qu’un être humain devrait être, pour lui-même ou pour ses proches. Qui voudrait d’un objet cassé ?
Et enfin ce dernier face à face, où elle admet à Jimmy sa maladie, avec des mots simples, « Okay. So, here’s an interesting thing that you don’t know about me. I… am clinically depressed. It’s been going my whole life so I’m actually really good at handling it. It strikes me whenever and I have no idea why but it’s fine. I’m sorry I never told you. Slipped my mind. And who knows ? With the right attitude this could be really fun adventure for everyone. So the only thing I need from you is to not make a big deal out of it and be okay with who I am and the fact that you can’t fix me. » (Gretchen - S02E07)
C’est là qu’on en revient à la réponse de Jimmy. Ce « Can’t I though ? », se voulant rieur mais dont on sait qu’il est réellement un vœu pieux. Ce réflexe qui pousse ces créatures étranges que sont les humains dotés d’empathie à vouloir faire se sentir mieux ceux qu’ils aiment. Comment leur faire comprendre, réellement comprendre, que ce n’est pas en leur pouvoir ? C’est peut-être ça le pire, savoir qu’à cause de nous des gens s’inquiéteront, et qu’ils ne pourront fondamentalement rien faire qui nous fera fondamentalement aller mieux. Que c’est une histoire de chimie, de récepteurs, de trucs au-delà de toute question de volonté. Mais des trucs qui peuvent ternir la vie de ceux à qui on tient.
C’est ce sur quoi le reste de la saison s’attardait. Du côté de Jimmy, les conséquences d’aimer quelqu’un de malade. Et de celui de Gretchen, les conséquences d’être malade.
Et c’est pour ça que You’re The Worst était une des plus grosses réussites de 2015. Là où son hilarante saison 1 amenait l’un vers l’autre des personnages dont on pensait qu’ils allaient se détruire, sa saison 2 séparait deux personnages dont on savait qu’ils devaient être ensemble, parce qu’ils s’aidaient mutuellement à grandir pas à pas, nous brisant le cœur au passage.
Étape après étape, le reste de la saison s’est déroulée dans un réalisme éprouvant à couper le souffle. Que ce soit Jimmy tentant d’aider Gretchen, et devant son échec, l’envie de Gretchen de lui laisser croire qu’il a au contraire réussi ; Gretchen suivant un couple, et se rapproche d’eux, parce qu’ils représentent ce qu’elle voit comme une solution, quelque chose qui remplirait sa vie, pour voir ses illusions éclatées ; Jimmy ne supportant plus l’état de celle qu’il aime, et allant chercher du confort ailleurs, là où du confort peut encore exister ; l’automédication ; la frustration devenue colère ; et des centaines d’autres détails ; tout dans cette saison sonnait d’une justesse absolue.
« You need to stop. It’s like you have amnesia. Everyday you think things are gonna be different and I’ll just be happy. Well, maybe you can understand this : I feel nothing. About anything. Dogs, candy, old Blondie records, nachos, you, us, nothing. So for the last time, please, go. » (Gretchen - S02E11)
Alors quand Jimmy décidait de ne pas tromper Gretchen, malgré son rapprochement avec une serveuse, ça sonnait vrai aussi. Quand on accepte le pire venant d’une personne, on peut commencer à accepter que le meilleur est lui aussi réel. On accepte que quelque part un garçon peut construire un fort de couvertures pour celle qu’il aime, et que lui créer ce cocon peut être salvateur.
Et c’est lorsque Gretchen lâche un « You stayed. » avant de fondre en larmes, que la saison est au plus juste.
Parce que parfois le plus dur avec ces maladies, c’est la peur que ceux qui étaient là disparaissent devant ceux qu’on est devenu. Mais que si certains partiront, les bons seront toujours là.
Cette année, malgré la noirceur des thèmes abordés, Jimmy a su faire naître beaucoup d’espoir. Que ce soit chez Gretchen ou chez certains spectateurs.
Et pour ça, je remercie You’re The Worst.