ACTUALITE – France Télés : la parole et les actes
Des mots, rien que des mots, toujours des mots ?
Par Sullivan Le Postec • 25 avril 2010
La diffusion des huit épisodes de « La Commanderie » a pris fin hier soir sur France 3. Maintenant, il est l’heure de voir si France Télévisions entend enfin passer de la parole aux actes.

On l’a dit avant le début de la diffusion, « La Commanderie » nous a beaucoup plu. Les derniers épisodes de la série n’ont fait que confirmer notre très bonne impression.

J’avais eu quelques petites réserves devant le scénario des épisodes 5 & 6. La série continuait de monter en puissance, mais la gestion des ellipses dans l’intrigue était parfois un peu chaotique. Un défaut oublié dans les deux derniers épisodes, bien maîtrisés. Même si j’aurais aimé que les scénaristes réalisent que l’épisode final d’une saison devrait laisser de coté la structure régulière en ABC pour se concentrer sur le climax de l’intrigue principale et des principaux arcs des personnages – tout aussi intéressante qu’elle était, l’intrigue sur la petite fille juive ne semblait pas vraiment à sa place dans cet épisode.
Reste que la conclusion de la saison a été à la hauteur des attentes que la série avait construit au fil de ses épisodes et de la qualité de l’écriture de ses personnages, qui, en huit épisodes, ont atteint un niveau rare en France de complexité et de subtilité. La résolution de l’intrigue de Géraud de Castenet s’est avéré être un véritable choc télévisuel comme on en voit peu. Voilà qui rendait parfaitement justice à l’interprétation sans faille d’Antoine Cholet qui comptait parmi les acteurs réellement impressionnants de cette série — citons aussi Ophélia Kolb (Aygline Gallien) et Gérard Loussine (Pons), entre autres.

« La Commanderie » a reçu un accueil très chaleureux de la presse : c’est bien simple, les critiques se sont réparties du positif à l’enthousiaste, y compris là où ne l’attendait pas forcément (Télérama ou les Inrocks).

L’audience, elle, n’a pas suivi.
Mais une analyse même sommaire des résultats montre de manière évidente ce que nous avons répété plusieurs fois : cet échec d’audience ne doit pas grand-chose à la série, et tout à une programmation catastrophique. « La Commanderie » s’est retrouvée sur la mauvaise chaîne, le pire soir possible, à un rythme (trois épisodes enchaînés) qui achevait de ne lui laisser aucune chance.

Les audiences du premier soir sont éloquentes : le public habituel de la case du samedi soir sur France 3, c’est à dire le troisième âge, déstabilisé par une série conçue spécifiquement pour cibler les jeunes par le département fiction et les créatifs de la série, s’est enfui en masse et a trouvé refuge sur une rediffusion d’un vieux « Navarro » sur TMC qui, avec 1,2 millions de téléspectateurs, talonnait « La Commanderie » et ses 1,7 millions. Le public habituel de la case est parti ailleurs. Le public visé, les jeunes, n’est pas venu. Pas surprenant sachant qu’il n’était pas facile de le faire venir, et que strictement rien n’a été fait pour lui faire connaître l’existence de la série. On notera quand même que le public qui a suivi la série est resté accroché : l’audience est restée stable sur les trois épisodes. Ce qui implique aussi que le public âgé semble n’avoir même pas été repoussé par les premières minutes de « La Commanderie », il ne s’est simplement jamais mis devant. De là à penser que ce n’était pas qu’il n’était pas intéressé, mais seulement qu’il n’avait pas envie de regarder un programme se terminant à 23h15...

D’ailleurs, le public qui a suivi la série a bien réagit. Cela s’est vu ici, au Village, notamment chez les visiteurs du site qu’on a convaincu de regarder ; mais aussi sur Spin-off ou de façon encore plus évidente sur la Page Facebook de la série.

Bref, sans être parfaite, « La Commanderie » est une vraie réussite créative comme on n’a n’en pas vu énormément ces cinq dernières années sur France Télévisions, période noire pour la fiction de service public.

On pourra aussi faire remarquer qu’il serait peut-être temps de passer, en France, à un système de calcul d’audience moins arriéré, et plus approprié au nouveau paysage audiovisuel. France Télévisions n’a plus de publicité. Que le public regarde ses programmes en direct ou bien les enregistre ne fait donc absolument aucune différence. A l’étranger, le chiffre des gens ayant enregistré un programme et l’ayant regardé dans les sept jours est souvent connu et publié. En France, on base tout sur une donnée partielle et partiale...

Reste que France Télévisions, par la voix de ses dirigeants, claironne haut et fort depuis des mois qu’après son “virage éditorial” et la suppression de la publicité, elle recherche la qualité autant que l’audience et accepte que les deux ne puissent pas toujours aller ensemble. Elle déclare aussi que le rajeunissement du public de la fiction française est un enjeu stratégique majeur, et qu’elle est très engagée dans le travail actuel sur le renouvellement de cette fiction.

« La Commanderie » est l’occasion parfaite de mesurer si les dirigeants actuels de France Télévisions ont la moindre intention d’aligner leurs actes sur leurs paroles. Si la série devait en rester là, on n’aura vraiment aucun mal à valider le prochain changement de direction du groupe d’un ’’bon débarras : ça ne pourra de toute façon pas être pire !’’...

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Post Scriptum

Illustrations de l’article : polaroïds du réalisateur Didier Le Pêcheur.