La notion d’« oeuvre familiale » s’est depuis longtemps détachée de sa signification originale. Aujourd’hui, une fiction familiale s’entend en effet généralement comme destinée uniquement aux enfants. Elle s’avère plus ou moins idiote, plus ou moins condescendante envers les jeunes qui la regardent (souvent plus que moins). D’une manière générale, les adultes partageront son visionnage avec eux essentiellement par devoir et sens du sacrifice, partagés entre ennui et absolue affliction. Il faut sans doute reconnaître que l’art d’associer la fantaisie d’un univers pouvant attirer le jeune public à l’intelligence et la réflexion susceptible d’attirer le public adulte, sans jamais s’aliéner ni l’un, ni l’autre, est l’un des plus difficile qui soit.
On saluera dès lors d’autant plus fort l’impeccable réussite de la nouvelle version de « Doctor Who » [1] , due au génial fanboy Russell T. Davies, produite et diffusée par la BBC depuis 2005.
En Angleterre, « Doctor Who » s’est depuis longtemps imposée comme une véritable institution. Il suffit sans doute, pour le démontrer, de mentionner que le premier épisode fut diffusé à l’automne 1963. Depuis, Eccleston est le neuvième acteur à endosser le rôle, après une nouvelle “régénération” du Docteur, qui lui permet de changer de visage. Mais ce nouveau Docteur arrive après 9 ans d’absence de Who des écrans. Presque 16 ans, même, puisque son retour de 1996 ne dura que le temps d’un téléfilm tourné à Vancouver, co-production entre le Network US Fox et la BBC, qui ne devint jamais une série suite à son échec à l’audimat américain.
Ce temps écoulé explique que cette nouvelle version, si elle s’inscrit bien dans la continuité globale (d’un gigantisme dément) des séries précédentes, soit aussi un véritable re-lancement qui tienne particulièrement compte de nouveaux spectateurs qui ne connaissent peut-être le Docteur que de réputation - voire pas du tout. Pas besoin de paniquer, donc, si c’est votre cas et que vous lisez ces lignes en vous demandant si vous devriez vous y mettre : cessez la lecture et foncez regarder la série.
Le fait que « Doctor Who » soit repris sous la direction du scénariste Russel T. Davies était une formidable nouvelle sur tous les plans.
D’abord parce que nous savions que Davies était un fan du Docteur, comme le prouvaient les constantes allusions à la série dans « Queer as Folk », la série qui lui permis de se faire - ô combien brillamment - un nom (et nous parlons bien sûr ici de la version originale anglaise, pas de la très pâle copie américaine). Mais surtout parce que Davies est un maître en ce qui concerne la caractérisation et l’écriture des personnages. Exactement ce dont une série de science-fiction parodique a besoin pour s’ancrer dans une certaine réalité, ce qui permet à son téléspectateur de se préoccuper réellement des hebdomadaires invasions de monstres et de robots démoniaques. C’est cette habileté de Davies à incarner des êtres véritablement Humains - même quand ils sont extraterrestres - qui confère à ce nouveau « Doctor Who » la capacité de captiver les adultes autant que le jeune public.
Toutefois, cette réalité mettra quelques épisodes à être démontrée. Les tous premiers de la série sont en effet décevants, de ce point de vue comme de plusieurs autres, ce qui est d’autant plus flagrant que ce qui suit, les deux derniers tiers de la saison, est excellent.
« Rose », le premier épisode, s’attache pourtant avec beaucoup d’application à introduire le nouveau compagnon du Docteur. Rose, donc, jeune fille de 19 ans vendeuse dans une boutique Londonienne, dont on nous dépeint avec un savoir-faire certain la vie par trop commune, et donc potentiellement désespérante. Mais le personnage peine à marquer réellement. Ce n’est pas la faute de l’actrice. Billie Piper est plutôt épatante, charmante et pleine de charisme. Elle se révèlera à la hauteur des exigences de la série tout au long de la saison. Le responsable est bien le scénario, qui se refuse trop à prendre le risque d’être sérieux, bâclant son histoire anodine d’envahisseurs aliens en plastique. Tout est traité avec des doses souvent massives de dérision, qui finissent par ôter au résultat final toute sensation de réalité. Dans l’ensemble, on a l’impression d’être devant des personnages de dessin-animé - expression devenue commune qui révèle en elle-même combien la mauvaise fiction pour enfants a pris le pas sur la bonne - qui vont dans la direction voulue par le scénariste-marionnettiste juste “parce que”. Ainsi de la scène finale où Rose décide de rejoindre le TARDIS du Docteur et de partir à l’aventure : la réalisation et le montage cherchent désespérément à y donner de l’emphase et un certain souffle, aveu du cruel échec du scénario.
C’est d’autant plus flagrant qu’un peu plus tard dans la saison, l’excellent épisode « Father’s Day » (1x08) donnera rétro-activement une excellente et touchante raison cachée à Rose pour suivre le Docteur. En revisionnant « Rose », il apparaît clairement que cette idée vint par la suite et qu’elle n’était dans l’esprit de personne au moment où la scène finale du pilote fut écrite puis tournée.
Ce sentiment global de “non-réalité” est renforcé par des incongruités visuelles majeures : alors que le téléspectateur identifie très facilement les aliens de plastique personnifiant un personnage humain de part un maquillage grossier, Rose, le Docteur et les autres semblent tous atteints d’une myopie sévère et impromptue. Impossible, dès lors, de croire une seconde à ce qui se passe à l’écran. Une erreur que la série ne refera plus jamais, ce qui vaut la peine d’être signalé.
« The end of the world » (1x02) marque une progression énorme par rapport au premier épisode, aidé en cela notamment par un fascinant point de départ - pour son premier voyage, le Docteur emmène Rose assister à la fin de la planète Terre - un ’’événement artistique’’ auquel le Visage de Boe a convié une brochette de VIP. L’épisode contient de véritables moments dramatiques, tandis que Rose s’accommode assez difficilement de son nouveau statut de voyageuse spatio-temporelle et que les événements confrontent le Docteur à son passé. Pourtant, il échoue parfois comme le pilote, à trop forcer le ton décalé. Cassandra est une méchante initialement intéressante - la dernière humaine a poussé le lifting jusqu’à s’extraire tous les os, atteignant ainsi la parfaite platitude. Mais, comme le fait remarquer Rose, qu’a-t-elle encore d’Humain ? Et surtout de plus Humain que ces “non-purs”, qui se sont éparpillés dans les étoiles, se sont hybridés, ont évolué, ces Humains qu’elle méprise. Malheureusement, Cassandra devient vite parfaitement caricaturale, autant que ses approximatives motivations pécuniaires. Si l’on comprend que Davies souhaite privilégier les personnages principaux par rapport à l’histoire, il s’agit néanmoins de veiller à ce que ces dernières constituent un cadre qui tienne debout. Sans quoi, il n’y a plus guère de personnages, aussi bien écris soient-ils. A cet égard, les éléments dramatiques de « The end of the world » en viennent parfois à passer quasiment inaperçus, particulièrement lors du premier visionnage.
C’est le cas de la révélation sur la situation du Docteur et de la Guerre du Temps. Celle-ci est maintenant finie mais les Daleks ont emmené les Seigneurs du Temps dans leur destruction, si bien que le Docteur est désormais le dernier survivant de sa race, dont la planète a été détruite - des événements tous survenus dans l’intervalle depuis la dernière apparition de Who. Tout en témoignant de l’inscription de cette incarnation dans la continuité globale, ces informations démontrent aussi que Davies n’a pas eu peur de profiter de la longue absence de Who pour ’’réinventer’’ le contexte de cet Univers et le faire évoluer.
Un background sombre, encore plus que l’initial, qui sert de charpente à la caractérisation du Docteur d’Eccleston : plus noir que la plupart de ses prédécesseurs, la jovialité qu’il maintient apparaît parfois comme une sorte de combat contre la part d’ombre qui a grandit en lui. Il est déterminé, souvent sévère, à quelques reprises sans pitié. Il en fait la démonstration dans ce second épisode avec la mise à mort de Cassandra, certes coupables de plusieurs meurtres. Mais est-ce vraiment cela qu’il lui reproche, ou plutôt d’avoir outrepassé son temps, quand d’autres, les siens, ont du périr avant l’heure ? Cette première saison est pour le Docteur une quête pour regagner tout à fait une Humanité en partie perdue, achevée quand il refuse de détruire la Terre pour détruire les Daleks dans l’ultime épisode. Sa régénération en un nouveau Docteur fait alors complètement sens.
Après le lointain futur, « The unquiet dead » (1x03) nous ramène dans le passé pour un épisode en costumes faisant intervenir Dickens himself. Le personnage est d’ailleurs réussi mais n’empêche pas ce segment de se révéler un peu anodin et finalement peu mémorable.
« Aliens of London » et « World War Three » (1x04/05) constituent un épisode en deux parties qui effectue la transition entre la partie introductive de la saison et son coeur narratif. En effet, il contient quelques-uns des éléments d’humour les plus absurdes de la série (j’ai nommé les Slitheen, in-croy-a-ble famille d’aliens péteurs en caoutchouc) - il me semble que c’est la dernière fois qu’on verra la série s’amuser à ses propres dépends. Mais aussi l’amorce d’un véritable discours de fond qui applique la parodie et la critique acerbe tant à l’univers du Docteur qu’à celui du téléspectateur.
Ayant pris la place des dirigeants anglais, les Slitheen en viennent en effet à essayer de provoquer la destruction de la civilisation humaine par une troisième guerre mondiale. Pour cela, il faut convaincre l’ONU. Et pour ce faire, quoi de mieux que de fabriquer un ennemi et d’invoquer sa possession d’armes de destruction massives ? “Ca a bien marché la dernière fois,” commente Rose... Cette histoire est aussi l’occasion d’introduire le personnage de Harriet Jones, future Première Ministre trois fois ré-élue.
La première partie traite également très largement de l’environnement familial de Rose. En effet, suite à une légère erreur de manipulation, le retour de Rose ne s’est pas fait une douzaine d’heures après son départ, mais plutôt après douze... mois. Une situation sur laquelle Davies s’attarde largement quitte à être accusé de dériver vers le soap opera. Ce dont il s’amuse, d’ailleurs, faisant dire au Docteur à Rose, quand sa mère et Mickey, son (ex ?) petit ami, s’invitent dans le TARDIS : ’’Don’t you dare make this place domestic’’. Davies sait bien que c’est un traitement réaliste de ce type de situations humaines qui permet à son Who de se détacher du kitsch qui caractérise souvent les précédentes incarnations.
Autre élément de premier plan de cette histoire, la question de la sécurité de Rose, qui, à ce stade, a sous-tendu tous les épisodes depuis le premier, et qui continuera d’être le sujet de plusieurs autres cette saison. Elle est cruciale pour le Docteur : le Seigneur du Temps trompe sa désormais éternelle solitude en choisissant un ’’Compagnon’’. Mais de quel droit le soumet-il aux dangers permanents que lui, il affronte d’une part délibérément et, d’autre part, relativement protégé par son statut de Seigneur du Temps qui lui confère une plus grande résistance et l’accès à une technologie avancée ? Cette question est bien évidemment tout aussi cruciale pour l’entourage de Rose, et particulièrement pour sa mère qui accepte difficilement que le Docteur soumette sa fille à une vie de dangers. Deux fois dans le cours de l’épisode, elle lui demande de promettre que sa fille sera en sécurité. Deux fois, cette demande reste sans réponse. Pourtant, il se sentira indubitablement engagé en ce sens. Lui-même, quand il croira avoir laissé mourir Rose dans l’épisode suivant, laissera d’ailleurs glisser qu’il avait ’’juré’’ de la protéger.
Ce basculement certain vers un univers sérieux, où les actions ont des conséquences et où les gens meurent vraiment, même si l’humour et le décalage parodique restent une présence constante, amène tout droit vers « Dalek » (1x06) le premier épisode parfait de la saison. Une très étrange réunion avec un ancien ennemi du Docteur. Le plus dangereux, le plus viscéralement détesté, aussi. Ces 45 minutes sont construites autour d’un scénario passionnant, incroyablement provoquant, intellectuellement fascinant.
Le TARDIS atterrit à l’étage -53 d’un bunker de l’Utah en 2012. La propriété d’un milliardaire mégalo, Henry Van Statten, dont le hobby est de collecter des artefacts extraterrestres. Au fil des années et des achats de pièces et de collections, il s’est constitué un impressionnant musée personnel. C’est un signal émit depuis ce sous-terrain qui a attiré ici le Docteur. Un signal émit par la pièce maîtresse de cette collection : un extraterrestre encore en vie que Van Statten torture pour obtenir de lui, en vain, qu’il lui parle. Un Dalek, tombé sur Terre une cinquantaine d’années plus tôt, depuis une faille spatio-temporelle qui l’a sauvée, a fait de lui le dernier de sa race, survivant d’une méga-destruction qui amena celle des Seigneurs du Temps. L’arrivée du Docteur, ennemi mortel des Daleks, remet au plus haut la volonté de celui-ci d’ ’’exterminer’’. Les Daleks sont en effet des créatures créées par le génie génétique, entièrement dénuées d’émotion si ce n’est la haine. Une armée d’exterminateurs de tout ce qui est ’’différent’’.
Mais confronté au Docteur, à l’autre dernier survivant de la Guerre du temps, les frontières se brouillent, et l’on ne sait plus très bien lequel des deux est l’exterminateur sans pitié. Un moment, le Docteur est prêt à tout sacrifier, même Rose, pour tuer le Dalek. En parallèle, le toucher de Rose, qui a permis la régénération du Dalek, a aussi entraîné un transfert d’ADN. Il mute, et les émotions le gagnent. Alors qu’il s’apprête à tuer Rose, il s’interrompt. ’’I feel your fear / Je ressens ta peur,’’ lui dit-il. Le double-sens est fascinant. Rose appuie cette évolution, insiste, questionne le Dalek. En lieu et place de tuer, il y a d’autres choses qu’il peut vouloir. ’’Être libre,’’ répond-t-il.
Plus tard, Rose commente la douceur du soleil sur sa peau. Dans sa quête nouvelle, (res)sentir (l’Anglais feel désigne autant sentir que ressentir, abolissant la frontière entre l’abstrait et le concret), le Dalek ouvre alors son réceptacle en forme de salière pour laisser les rayons du soleil atteindre sa propre peau. Cette mise en danger qu’il s’impose à lui même, alors qu’il était sur le point de gagner l’extérieur et de s’évader, fait monter en lui le dégoût de ces émotions qui sont maintenant siennes, le changeant en l’abomination qu’il a été créé pour exterminer. L’implacable et froide logique reprend le dessus : il supplie (à la façon Dalek) la seule personne dont il peut, maintenant que sa race est détruite, entendre un ordre, sa ’’re-créatrice’’ Rose, de lui ordonner de se tuer.
Le seul ’’regret’’ laissé par cet épisode est peut-être celui-là : on aurait peut-être aimé que ce Dalek mutant survive et continue d’évoluer, même si cette histoire aurait sans doute été réminiscente d’autres (notamment Hugh le Borg de « Star Trek Next Generation »).
Avec tout ça, on aurait presque oublié que Rose avait passé quelques scènes de « Dalek » à flirter avec Adam, un jeune et joli génie employé de Van Statten. On s’en rappelle dans l’épisode suivant « The long game » (1x07), puisqu’il est le premier ’’compagnon’’ temporaire de la nouvelle série à embarquer dans le TARDIS et suivre le Docteur et Rose dans leurs aventures - ce qui n’est pas vraiment au goût du Docteur.
En l’occurrence l’an 200 000 et la station ’Satellite 5’, en orbite autour de la Terre à son plus haut point de civilisation. Il s’avère que la dite station est le point central du traitement et de la diffusion de l’information retransmise sur Terre. Les informations venues de tout l’espace sont retraitées par des humains technologiquement améliorés, classées, sélectionnées, et retransmises sous la forme de journaux. Or, il s’avère qu’une étape s’est ajoutée : les informations sont aussi manipulées. Ce qu’un groupe de militant à remarqué.
Une jeune femme employée dans la station sous couverture enquête pour leur compte, mais est à son tour remarquée par le rédacteur en chef adjoint. Elle est ’’promue’’, et prend l’ascenseur vers l’étage 500 de la station, celui qui est censé correspondre au plus haut niveau de direction mais dont, bizarrement, on ne redescend jamais. L’étage abrite en fait le rédacteur en chef, c’est à dire l’extraterrestre qui, depuis près d’une centaine d’années avec l’ouverture de Satellite 5, est en charge de l’humanité, la contrôlant en contrôlant son information : un mot bien placé, une information bien répétée, et l’on déstabilise une économie, invente un ennemi, change un vote... Le rédacteur en chef adjoint, un humain, représente un consortium de banquiers qui ont préféré un investissement à long-terme.
Une nouvelle traduction d’un motif récurrent puisque le simple profit était déjà la motivation de Cassandra et des Slitheen. D’autant que parallèlement, Adam a accepté une opération lui implantant le système de traitement des informations dans le cerveau dans le même objectif, puisqu’il a transmit ces informations sur le répondeur de son présent dans le but de les faire ensuite fructifier. Un motif récurrent, mais pourtant jamais traité autrement que superficiellement, ce qui laisse une bizarre impression de ’’l’excuse facile qui permet de pas avoir à ’’gâcher’’ de temps sur les motivations des méchants’’.
Après avoir tué l’extraterrestre et mis fin au contrôle de l’information par Satellite 5, le Docteur ramène Adam à son époque et l’y abandonne après avoir détruit les informations qu’il avait transmises. Il devra y rester très discret, pour que le clapet de communication greffé sur son front, qui s’ouvre d’un claquement de doigts, ne soit jamais découvert - une situation qui donne lieu à un excellent gag final.
L’épatant « Father’s Day » (1x08) voit Rose demander au Docteur de l’amener dans le passé, à la rencontre de son père, mort quand elle était bébé. Un père mort seul sur la route, abandonné là par le chauffard qui l’a renversé. Elle demande au Docteur de la ramener à cette date, pour qu’il ne meure pas seul. Mais, le moment venu, elle le sauve finalement, à la grande colère du Docteur, provoquant toute une série de conséquences dramatiques au cours desquelles Paul Cornell, le scénariste, n’oublie jamais l’aspect humain de son histoire, qu’il traite avec une infinie délicatesse et un grand sens de la psychologie. Au final, Rose, à sa grande douleur, n’obtiendra rien d’autre que très exactement ce qu’elle avait souhaité - ce contre quoi le Docteur l’avait précisément mis en garde.
L’ensemble est d’autant plus réussi que, comme à peu près tout dans « Doctor Who », ces événements ne sont pas oubliés et sont susceptibles d’être mentionnés ou d’avoir des conséquences par la suite. Ce sera le cas ici lorsque Rose révélera finalement à sa mère l’identité de la jeune inconnue qui avait accompagné Pete Tyler jusqu’à la mort - elle-même.
Son don pour l’écriture des personnages n’était pas exactement la seule chose que Russel T. Davies amenait avec lui. Et le reste était plus controversé. Car, comme toutes les oeuvres de science-fiction avec quelques années au compteur - et « Doctor Who » en a beaucoup - la série s’est constituée un réseau de fans dévoués. Et, comme toujours, toute une frange d’entre eux s’est changée en gardiens du temple hystériquement rétifs à toute évolution.
D’abord, il y a la fascination personnelle de Davies pour la pop-culture, son sens, sa définition, et ses limites, qui transparaît dans la plupart des épisodes, souvent avec un désarmant sens du comique.
L’une des séquences les plus drôle de la saison voit d’ailleurs, dans « The end of the world » (1x02), la ’’dernière humaine’’ amener aux invités une antiquité : un énorme juke-box. ’’D’après les archives,’’ explique Cassandra, ’’ceci était appelé un iPod’’. Lequel se met immédiatement à brailler « Tainted Love », avant de célébrer la destruction de la Terre par ’’un ballet classique’’ — « Toxic » de Britney Spears !
Le plus intéressant, bien sûr, est que la blague en dit beaucoup sur la manière dont Davies pense que la culture survit au temps, et la place qu’il pense que la pop-culture prendra dans celle-ci - c’est à dire la même que la ’’bonne’’ culture, vraisemblablement dans un foutoir intégral qui sera loin de préserver la qualité en premier lieu.
Dans le même registre, la première partie du double-épisode qui conclut la saison se voit séparée entre trois émissions de télé-réalité du futur, dont les héros de la série sont les participants involontaires.
Au rayon des réclamations de fans grincheux, on notera une fixette débordante de mauvaise foi sur le format de la série. En effet, dans toutes les versions précédentes, chaque histoire était composée de 4 épisodes de 25 minutes. Dès lors, on reprochera systématiquement aux histoires sur un épisode de 45 minutes d’avoir un rythme précipité... Et puis, il y a le reproche d’un ancrage terrien, certes manifeste, de la série. Il y a en effet très peu d’épisodes qui ne se passent pas sur Terre ou à son immédiate proximité, l’époque étant la variation la plus constante.
Mais cela n’est pas le plus grave des ’’outrages’’ commis par la nouvelle série, pour le plus grand bonheur des moins grincheux. Non, il y a aussi... le sexe !
Russell T. Davies, gay assumé, a connu son big break avec « Queer as Folk », série sexuée s’il en est. Et il est difficile de déranger plus facilement les geek extrêmistes, sous-sous-groupe appartenant classiquement à tout fandom de série de SF, qu’en y mettant en scène une sexualité libérée dont la présence soit constante, même si elle se limite essentiellement aux mots et aux allusions à double-sens qui passeront loin, très loin, au-dessus de la tête des enfants (’’dinner and bondage ? Works for me !’’).
Réflexion authentique lue sur un site de fans : “l’apport constant de la sexualité est l’une des décisions les plus immature de cette nouvelle série. Et puis franchement, tout le monde s’en fiche : où sont les monstres ?”
Cette présence constante de la sexualité passe notamment par la relation entre le Docteur et Rose, dont à peu près tout le monde (parents, petit-ami, policiers, compagnons temporaires...) croit qu’ils sont en couple - à commencer par Jackie Tyler, la mère de Rose. Qui, au passage, s’inquiète quand même un peu de la différence d’âge. A chaque fois, le Docteur et/ou Rose s’en défendent avec une vigueur qui se teinte, au fil du temps, d’une certaine lassitude. Il faut dire que leur comportement l’un vis à vis de l’autre appelle cette impression : l’apparition d’un troisième au milieu du duo provoque systématiquement diverses réactions d’irritation et de jalousie de celui du même sexe. La jalousie semblant être une caractéristique de Rose puisqu’elle tape aussi une crise à Mickey quand il a l’audace d’en fréquenter une autre alors qu’elle l’a quand même laissé tomber comme une très vieille chaussette un an et demi de sa vie plus tôt, acte qu’elle a constamment répété depuis.
Cerise sur ce gâteau, l’introduction dans le neuvième épisode du Capitaine Jack Harkness, voyageur du temps en freelance, à la recherche d’argent facile, qui peut regarder avec la même délectation le fessier d’une fille ou d’un garçon et qui ne se gênera pas pour draguer l’un ou l’autre dans la minute qui suit. Voire les deux en même temps. Un personnage délicieux incarné à merveille par John Barrowman, à mille lieux de la version de lui-même ’’tellement terne qu’il en est presque invisible’’ vue il y a quelques années dans le soap US raté « Central Park West ». Comme quoi, s’il n’est pas sûr que le bon rôle fasse le bon acteur, il est bien certain que le mauvais plombe n’importe qui.
Le premier fait d’arme de Jack est de sauver Rose d’une mort certaine au milieu des bombardements de Londres par les Allemands pendant la Seconde Guerre Mondiale. Le second de monnayer sa connaissance de l’emplacement du Vaisseau-ambulance extraterrestre crashé au milieu de Londres, et qui est à l’origine d’une contamination d’un genre très particulier : ses nano-robots tentent de ’’réparer’’ tous les humains dans lesquels ils peuvent se frayer en chemin, en se basant sur le premier qu’ils aient rencontré. C’est à dire un petit garçon tué par le crash dont ils reproduisent donc les fatales blessures, faisant de chacun une sorte de zombie qui se demande qui est sa maman, puisqu’un secret de famille a tenté de cacher au garçon que sa mère était en fait celle qui se fait passer officiellement pour sa soeur.
Ce double-épisode, « The empty child » et « Doctor dances » est un véritable festin visuel et installe à merveille une ambiance réellement chargée d’angoisse, ce que la série ne fait pas si souvent.
Sur le point de sa mise en images, la qualité globale de la série est assez bonne, loin du kitsch intégral passé. Cela dit, elle n’est pas avare non plus en effets ratés, aussi bien physiques que numériques, mais ceux-ci, à l’instar finalement des images informatiques de « Babylon 5 », finissent par faire partie intégrante de son univers visuel. Cela dit, sur un certain nombre d’épisodes, il y a une très large marge de progression dans la réalisation ou les décors, même si on a l’impression que les choses s’améliorent constamment au fil des épisodes. C’est notamment régulièrement le cas du montage - plusieurs épisodes de la saison contiennent des faux raccords de débutant assez incongrus.
« Boom Town » (1x11) est un ’’petit’’ épisode qui fonctionne parfaitement. De passage à Cardiff, pour y recharger le TARDIS en utilisant le rayonnement énergétique dégagé par la brèche spatio-temporelle refermée qui se trouve sous la ville, le Docteur, Rose, Jack et Mickey, venu apporter son passeport à Rose, retrouvent une vieille connaissance en la personne de la seule survivante des Slitheen des épisodes 4 et 5.
Devenue Maire de Cardiff, elle s’apprêtait à construire une centrale nucléaire sur la faille, dont l’explosion certaine allait dégager l’énergie lui permettant de quitter la Terre, en l’absence de Vaisseau Spatial. Nos personnages l’arrêtent et le Docteur décide d’utiliser le TARDIS pour la ramener sur sa planète-mère. Mais elle leur révèle alors qu’elle y a été condamnée à mort, et joue un numéro sur le registre ’’vous êtes les bourreaux qui me conduisez à l’échafaud’’.
Sa dernière volonté est un dîner en tête à tête avec le Docteur pendant lequel tous les moyens seront bons pour tenter de s’échapper.
Ce segment introduit aussi le final de la saison en cela que les personnages expriment pour la première fois de l’étonnement face au fait que l’expression ’’Bad wolf’’ (grand méchant loup) semble les suivre partout à travers l’espace et le temps (on l’a vue ou entendue dans presque tous les épisodes), et que l’on y découvre que le TARDIS a une âme aux pouvoirs étonnants si l’on vient à la regarder de trop près.
Le double-épisode final de la saison commence d’une manière des plus inattendue puisque le Docteur s’y retrouve téléporté au milieu de la énième saison de « Big Brother » (adapté ici sous le nom de « Loft Story »). De son coté, Rose se réveille sur le plateau du « Maillon Faible » présenté par un Anne-Droïd (Anne Robinson étant la Laurence Boccolini originale), tandis que Jack est l’objet de tous les soins d’une émission de relooking. Tout cela serait peut-être amusant si, au fil des saisons des émissions, les enjeux n’avaient pas été extrêmement gonflés : c’est maintenant gagner ou mourir. Quand à Jack, après deux-trois changements de tenue, les droïdes relookeurs se proposent vite de passer à la chirurgie lourde, comme lui greffer les jambes sur d’autres parties du corps.
Quand le Docteur s’échappe de l’oeil des caméra, il découvre que nous sommes dans une séquelle de « The long game » (1x07), puisqu’il est à nouveau à bord de Satellite 5. Exactement 100 ans plus tard, la station spatiale a été rebaptisée The Game Station, gérée par la Bad Wolf Corporation, et émet maintenant des dizaines de jeux du même acabit. En d’autres termes, le contrôle du peuple par l’information déformée a été remplacé par le contrôle du peuple par le ’’divertissement’’.
Et le Docteur de découvrir qu’il est à l’origine de tout cela et de la planète Terre dévastée que les baies laissent désormais voir : tout à commencé 100 ans plus tôt quand toutes les chaînes d’informations ont arrêté d’émettre du jour au lendemain.
Rejoint par Jack qui a aussi pu s’échapper de son jeu sans dommage, protégé par l’humaine-ordinateur qui gère la station spatiale et empêche le déclenchement des processus de sécurité, confirmant que tout ceci ne se déroule pas par hasard, le Docteur doit maintenant s’assurer qu’ils parviennent à retrouver Rose avant qu’elle ne soit désignée Maillon Faible et désintégrée. Ce à quoi il échoue. Rose disparaît sous ses yeux.
Tandis qu’il se confirme que des forces extraterrestres qui connaissent et craignent le Docteur ont contrôlé l’Humanité depuis des centaines d’années, passant de l’info au divertissement, Jack retrouve le TARDIS qui lui apprend que les rayons désintégrateurs n’en sont pas vraiment. En réalité, ils téléportent les victimes ailleurs. De fait, Rose se réveille sur le sol d’un Vaisseau, entourée de Daleks. Un Vaisseau au milieu de centaines d’autres. Les Daleks ont survécu... C’est d’ailleurs là le seul des cliffhangers réussi de la saison, parce que le seul à ne pas être résolu en - littéralement - 20 secondes par une solution miracle toute droit sortie d’un chapeau de magicien (quoique, le champ de force méga-protecteur...).
« The parting of the ways » (1x13) amène donc à une confrontation d’ampleur entre les Daleks et le Docteur. Le Docteur vient sauver Rose, et rencontre l’Empereur des Daleks (devenu ’’Dieu’’ auto-proclamé, au passage) qui lui révèle que son Vaisseau a survécu à la Guerre du Temps, endommagé mais pas détruit. Depuis, en secret, ils se sont lentement régénérés, en utilisant des corps humains pour fabriquer de nouveaux Daleks. Rose leur fait remarquer que les Daleks sont désormais à moitié humains, mais une telle affirmation est ’’blasphème’’.
Ce que vous appelez le blasphème, c’est souvent ce qui vous trouble secrètement, pour que vous ne vouliez surtout plus entendre. Les nouveaux Daleks détestent leur origine et leur propre existence, et le Docteur sait que cela ne les rend que plus dangereux. Le TARDIS rejoint Satellite 5 où s’amorce un combat désespéré contre la flotte Dalek. Tellement désespéré que la seule chance de détruire les envahisseurs est un rayon, qu’il semble presque impossible de construire dans les temps, et qui détruira tous les êtres vivants à sa portée, ce qui inclus tous les êtres humains sur la Terre, autour de laquelle orbite la station. Tellement désespérée que le Docteur décide de renvoyer Rose à son époque à bord du TARDIS, contre sa volonté.
C’est là qu’elle comprend que Bad Wolf n’était pas une menace, mais un message. Un lien du présent vers le futur. La preuve qu’elle peut agir. Elle décide alors d’entrer en communication avec l’âme du TARDIS, et s’emploie pour cela à l’ouvrir avec l’aide de Mickey. Elle y parvient finalement grâce à l’aide de sa mère, convaincue de la puissance de l’expérience spatio-temporelle de Rose quand elle lui révèle qu’elle a rencontré son père et que c’est dans ses bras à elle qu’il est mort.
Rose regarde l’âme du TARDIS, et l’âme du TARDIS regarde en elle. Lui conférant des capacités exceptionnelles. Time !Rose retourne alors à bord de Satellite 5, armée du pouvoir de séparer les atomes, de contrôler la vie et la mort.
Time !Rose, c’est le grand méchant loup. Elle a dispersé ces mots dans le temps et l’espace pour se guider elle-même jusqu’ici. Elle détruit tous les Daleks et ramène à la vie quelques morts au combat, dont Captain Jack. Mais le pouvoir est sur le point de la consumer. Dans un baiser orgasmique qui conclut une saison de tension sexuelle de la plus curieuse façon qui soit, le Docteur absorbe le pouvoir et le renvoie au TARDIS. Rose s’évanouit et ils quittent les lieux, abandonnant Jack puisque le Docteur ignore qu’il a ’’survécu’’. A bord, tandis que Rose se réveille sans souvenir des actions de Time !Rose, le Docteur réalise que le pouvoir qu’il a absorbé va le détruire. Il entame une régénération. Et, bientôt, le Docteur prend les traits de David Tennant...
Une conclusion parfaite à une saison bien plus construite et maîtrisée qu’on ne l’aurait initialement pensé. Car le « Doctor Who » de Russel T. Davies a un sens, en plus du style et du ton...
En France, « Doctor Who » est programmée sur France 4, avec des diffusions en VO, seconde saison en cours. La première saison passée ici en revue est d’ores et déjà disponible en DVD.
En Angleterre, le spécial de Noël 2006 vient d’être diffusé, prélude à la saison 3 diffusée à partir de mars. La saison 4 n’est pas encore officiellement annoncée mais ne fait guère de doutes. Le succès de la série a déjà donné lieu à deux séries dérivées.
Dernière mise à jour
le 29 juin 2009 à 02h03
[1] CREDITS :
Production et diffusion : BBC (Royaume-Uni)
Producteur exécutif et direction d’écriture : Russell T. Davies
Avec : Christopher Eccleston (le Docteur), Billie Piper (Rose)
Scénarios :
Russell T Davies (épisodes 1 « Rose », 2 « The end of the world », 4 « Aliens of London [1/2], 5 « World War Three [2/2], 7 « The long game », 11 « Boom Town », 12 « Bad wolf [1/2] », 13 « The parting of the ways [2/2] ») ;
Mark Gratiss (épisode 3 « The unquiet dead ») ;
Robert Shearman (épisode 6 « Dalek ») ;
Paul Cornell (épisode 8 « Father’s Day ») ;
Steven Moffat (épisode 9 « The empty child [1/2] », 10 « The Doctor dances [2/2] »).
Réalisation :
Keith Boak (épisodes 1 « Rose », 4 « Aliens of London [1/2], 5 « World War Three [2/2], ) ;
Euros Lyn (épisodes 2 « The end of the world », 3 « The unquiet dead) ;
Joe Ahearne (épisode 6 « Dalek », 8 « Father’s Day » ; 11 « Boom Town » ; 12 « Bad Wolf [1/2] », 13 « The parting of the ways [2/2] ») ;
Brian Grant (épisode 7 « The Long game ») ;
James Hawes (épisode 9 « The empty child [1/2] », 10 « The Doctor dances [2/2] »).