LE QUINZO — 3.10 : Elle est belle, mon hirondelle !
Toutes les deux semaines, ou presque, l’humeur de la rédac’ du Village.
Par Sullivan Le Postec & Dominique Montay • 8 février 2012
Le Quinzo, saison 3, épisode 10. Le Quinzo, saison 3, épisode 10. Après les spéciales Prix du Village — qui ont couronné « The Shadow Line » comme meilleure série, vous l’avez vue au moins ? — c’est le retour sur Quinzo en 2012. Et ça parle d’hirondelle et de Jeux Olympiques. Sans être hors-sujet, vous allez voir.

Certes, vu la date de publication de ce Quinzo — qui est une contraction de quinzomadaire, un mot qui techniquement n’existe pas mais que les magazines télés bimestriels ont popularisé — il vaudrait mieux rebaptiser directement cette rubrique l’Irrégulo. Mais on fait ce qu’on peut, hein.

Une hirondelle, pas le printemps

Par Sullivan Le Postec.

Entre nous, une certaine sidération s’est emparée de moi depuis deux semaines. Il aura donc suffi d’une poignée de bonnes audiences — celles des « Hommes de l’Ombre », du téléfilm « Passage du désir » avec Muriel Robin, ou de la bonne tenue de « Une Famille Formidable » le lundi soir sur TF1 — pour que monte une clameur générale soulagée ‘‘Ça y est ! La fiction française est sauvée.’’

Ben désolé, mais non.

Entendons-nous bien. Je me félicite de ces bonnes audiences, des signes encourageants. Enfin je me félicite de certaines d’entre elles, parce que la « Famille Formidable », faut pas déconner quand même.
J’ai, comme tout le monde, pris du plaisir devant, dans les années 90. Cependant, sans même parler du fait que la série joue à saute-requin depuis des années (ah le crash sur l’île déserte !), les épisodes 2012 produisent une impression déstabilisante : on saupoudre les scénarios de référence à ‘‘la crise’’ histoire de faire genre on colle à l’actu, mais en vérité tout indique que personne dans l’équipe n’a remarqué que la société française avait connu « quelques » évolutions depuis le milieu des années 90. Le succès prolongé de la série, loin après sa date de péremption, n’est pas vraiment une bonne nouvelle : plutôt un symptôme de l’extrême difficulté des chaînes françaises à lancer de nouvelles marques de fiction.

Reste quelques vraies bonnes audiences, sur France Télévisions en particulier. C’est très bien. Mais dans un marché « normal », « Les Hommes de l’Ombre » devrait finir premier des audiences, pas deuxième. Et puis l’échec de « Rani », le bide injuste de « Nouvelle Blanche Neige » c’était il n’y a pas deux mois.
Alors aussi encourageants et bons pour le moral de tous que soient ces succès, ça fait un peu court pour s’enthousiasmer sur les 5% de français en plus qui déclarent suivre ‘‘deux ou trois’’ (une misère) fictions françaises sur une année, portant péniblement ce total à 36% en 2012 (ce serait quoi le chiffre en Grande-Bretagne ? 90% ?). Quand à oser, comme le Président du CNC Eric Garandeau, un ‘‘la crise de la fiction française est sans doute davantage derrière nous que devant nous’’, ça relève tout simplement de la méthode Coué.

Ces réactions sont pires qu’absurdes : elles sont contre-productives. Si certains interprètent ces bons résultats d’audience, encore timides et peu nombreux, comme le signe qu’on peut souffler, et arrêter de se remettre en question, et cesser de travailler très, très dur pour améliorer nos séries, alors on va dans le mur, et on y va vite.

Pour dire les choses un peu plus directement : la capacité de déni du petit monde de la fiction française ne cesse de m’étonner.
Je n’ai pas oublié la période 1995-2005, ces années où ce qui allait arriver était parfaitement prévisible, mais où la plupart se sont drapés dans le constat que les « Navarro », « Julie Lescaut » ou « Cordier » tutoyaient encore suffisamment souvent les 50% de part de marché pour affirmer que les français adoraient leur fiction et qu’il n’y avait aucun problème. En 2005 – 2006, France Télévisions a déjà rencontré de gros succès. Mais « David Nolande » n’a jamais eu de saison 2 malgré les 6,1 millions de téléspectateurs et 24,7% de pdm réunis en moyenne par la première saison. « Clara Sheller » n’est revenue que plus de trois ans après sa première saison, avec une distribution intégralement renouvelée du fait de la tragi-comédie survenue en coulisses. Puis a été finalement annulée, la direction de France Télévisions de 2008 ayant été carrément défrisée d’avoir vu un bout de fesse dans une scène d’amour entre deux garçons. En France, l’ORTF, c’était encore en 2008.
A l’époque, beaucoup de gens de moins de 35 ans ont vu une série française pour la première fois depuis des années avec « David Nolande » et « Clara Sheller ». Ces gens, France Télévisions les a abandonnés en rase campagne et ils s’en sont souvenus. Cela a coûté cher à la série française en général, et à celle de France Télévisions en particulier.

Alors il faut prendre ces bonnes audiences de 2012 pour ce qu’elles sont : certainement pas une occasion de se satisfaire en se reposant sur ses lauriers, mais plutôt un défi qu’il faut impérativement relever. Sans ça, l’hirondelle a toutes les chances de crever de froid sans jamais voir arriver le printemps.

Vingt-Douze ?

Par Dominique Montay.

Les britanniques sont très forts. Ils gagnent l’organisation des JO 2012 et la BBC se dit que, ce qui serait sympa, ça serait de mettre à l’antenne un programme qui montre l’équipe qui s’occupe de l’organisation, et que cette équipe soit composée de bras cassés.

« Twenty-twelve » raconte, en mode mockumentary (faux-documentaire), les aventures de l’équipe chargée d’organiser les J.O. Son chef de la commission d’organisation est un homme coincé dans un mariage en fin de vie, bête politique et d’humeur égale (Hugh Bonneville). Nick Jowett est chargé des contrats (Vincent Franklin). Kay Hope, divorcée, s’occupe de la durabilité (Amelia Bullmore) et Siobhan Sharpe est la directrice de la communication autour de la marque des JO 2012 (Jessica « Spaced » Hynes).

Nous suivons cette équipe : gérer une horloge hideuse censée rythmer les 100 derniers jours avant le début des JO, mais dont personne ne comprend le fonctionnement ; faire visiter le site olympique à une délégation brésilienne et se perdre dans le traffic ; tenter d’améliorer les qualités d’orateur d’un intervenant qui va d’écoles en écoles pour propager l’esprit olympique... Mais ce groupe est incompétent, manque cruellement de bon sens, fait preuve d’un égocentrisme assez remarquable, et souligne de façon constante l’éventuelle nullité de leur apport.

Le crédo, c’est, on est très mauvais, et on en rigole.

La série se balade entre, au niveau du style, « The Office » en beaucoup moins âpre, et « Arrested Development » pour cette voix-off omniprésente source de plaisanteries (David Tennant himself). La série est parfois longue (les situations trainent un peu, et on en vient même à se demander si la série ne serait pas parfaite en shortcom), parfois très drôle (l’épisode 4 est très réussi).

JPEG - 246 ko
Bonneville et Hynes qui encadrent l’artiste
La fameuse horloge qui démarre à la date du début des jeux et termine à la date de 100 jours avant. (Vous n’avez pas compris, eux non plus)

Mais ce qui vient tout de suite en tête, c’est : qu’auraient fait les français s’ils avaient gagné l’organisation des JO ? Oui, d’accord, ils n’auraient pas du tout fait une oeuvre télévisuelle sur ce sujet, ok. Mais faisons comme si, d’accord ? (sinon l’article s’arrête là).

Déjà, on ne serait pas sur un format 26’ (en France, ça n’existe pas). Donc du 52 par deux à 20h30. Pourquoi du 52’ et pas de la shortcom vu que plus tôt, je dis que la série serait peut-être mieux comme ça ? Parce que sur un sujet pareil, pour des raisons culturelles, nous n’aurions pas fait une comédie. Enfin, pas dans le sens anglo-saxon du terme (soit : oeuvre censée faire rire).

On aurait fait du feel-good. L’équipe aurait été un peu marginale, mais bonne dans ce qu’elle fait. Sympathique, souriante, et au final, tout s’arrangerait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Parce que les JO, on les organise super bien. On n’aurait pas Bonneville, Franklin, Bullmore et Hynes, mais Madinier ou Reichmann, Chauvin ou Damidot. En guest, point de Sebastian Coe, mais David Douillet. Et il serait dépeint comme un gros nounours très gentil et patient. Et on aurait une belle leçon de morale à la fin.

Je prend un exemple délibérément exagéré. Peut-être qu’on aurait eu droit à un traitement « Fais pas ci, fais pas ça »-esque. Mais sur un sujet pareil, il y a peu de chance. J’envie les britanniques et leur faculté à rire de tout, et surtout de rire d’eux-mêmes. Jamais chez eux quelqu’un aurait pu se dire "mais en diffusant ça, on ne va pas donner l’impression qu’on arrive pas à gérer les JO dans la réalité ?". En France, j’ai bien peur que si.

D’où ma crainte de voir un feel-good moralisateur et bien pensant.

Maintenant, on s’en fout. On a perdu les JO de toute façon.