LE QUINZO — 3.12 : Où l’on souhaite un joyeux anniversaire. Ou pas.
Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village.
Par Sullivan Le Postec & Dominique Montay & Nicolas Robert • 6 mars 2012
Le Quinzo, saison 3, épisode 12. Dominique et Sullivan "célèbrent" les 25 ans de M6. Enfin, à leur façon. Quant à Nicolas, il nous fait découvrir la websérie "Post Coïtum".

Nicolas au Village !

Par Dominique Montay.

Ce 26 février, Nicolas de Tavernost a été interviewé par le magazine très sérieux Les Echos. Dans cette interview, le plus sérieusement du monde, alors qu’on le brocarde allégrement depuis des mois dans ces pages, il a fait un appel du pied au Village pour en devenir un rédacteur.

Nous devons nous affranchir davantage des séries américaines. Aujourd’hui, leur poids baisse partout en Europe, sauf en France”. Hein ? Franchement ? Qui l’a dit cette phrase ? Je vous donne trois choix : Sullivan Le Postec (Le Village), Nicolas de Tavernost (M6), ou Kim-Jong Il (Dictateur mort) ? Raté ! (Si vous avez répondu Kim-Jong Il, vous avez un sérieux problème).
C’est Nicolas de Tavernost lui-même qui reprend à son compte un argument du Village soulignant le manque de puissance de notre fiction locale.

Nous devons nous affranchir des séries américaines”, c’est le titre de l’article. Autant dire qu’à la vu de ces mots, adjoints au patronyme du fossoyeur de la fiction française, mon ulcère est revenu. Et puis j’ai lu l’interview en entier, un retour sur 25 ans d’existence du groupe M6 à l’image de son PDG, axée sur les chiffres et les contre-vérités. Du style : “Toutes ces nouvelles technologies - écrans plats, la haute définition, les tablettes, les mobiles - multiplient les occasions de regarder la télé, dont le temps de consommation n’a jamais été aussi élevé, y compris chez les jeunes”. Bizarre, vu qu’autour de moi, je n’ai jamais vu autant de "jeunes" qui se sont détournés de la télévision jusqu’à ne plus en posséder. "Jeunes" qui n’utilisent pas leurs tablettes pour regarder M6. On a pas les même sources, tant mieux pour lui.

Ou bien l’impayable “On nous a dit : la télévision va être segmentée. C’est faux : au contraire, elle va profiter de son statut d’espace collectif. A l’avenir, ce sont les chaînes thématiques qui vont souffrir plutôt que les généralistes”. Pourquoi ? Exception culturelle française ? Alors que la tendance globale est d’aller vers la spécialisation pour mieux toucher des cibles précises, en France nous allons faire le contraire ? Ok, pas de souci, bonne chance avec ça.

Et enfin, “Quand une coproduction française est tournée en anglais, elle ne peut compter que pour 10 % de nos obligations, or c’est la condition pour l’exporter...”. A la limite, sur le concept, je suis d’accord. Il n’y aurait rien de choquant à tourner nos fictions en anglais. Le protectionnisme autour de la langue ne m’a personnellement jamais convaincu. Après, si l’exemple qui le fait réagir est « Le Transporteur », on est loin des 10% de fabrication française là-dedans.

Après, je suis allé un peu loin. Nicolas de Tavernost ne veut bien évidemment pas rejoindre le Village et il ne partage certainement pas notre point de vue. Après tout, quand on flingue « Les Bleus » (5 épisodes par soirées) et, c’est plus étonnant encore « Kaamelott » (3 épisodes de la saison 6 en 52’ le samedi soir), on ne peut pas adhérer à la philosophie du Village.

Par contre, Nicolas de Tavernost est en train de se rendre compte de quelque chose. C’est que les américains ne pensent qu’à l’argent. Donc si la France est le seul pays qui vit sous le respirateur artificiel de leur fiction, rien ne les empêche de surgonfler leurs tarifs. Et ça, le patron d’M6 ne s’en relèvera pas. Après soyez sûr que s’il peut, à la place de sa 3e soirée « NCIS » de la semaine, nous coller une de ses "Real-Tv documentaires" pour nous apprendre à mieux vivre en voisinage, ou mieux ranger notre chambre, il ne s’en privera pas.

Pour ce qui est d’une fiction française de qualité, par contre, on repassera. Il n’a pas changé, en fait, le monsieur. Et c’est comme ça qu’on... c’est comme ça qu’on... l’aime ?

"Post Coïtum", web animal pas triste

Par Nicolas Robert.

Dans le paysage narratif français, coincées entre les shortcoms (au hasard, "Bref") et les fictions longues mais plus vraiment drôles (au hasard, "Une famille formidable"), on a parfois tendance à les oublier. Pourtant, les web fictions françaises méritent souvent qu’on s’y arrête.

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Post Coïtum

A l’image des séries d’animation dont vous parlait Dominique dans l’épisode précédent du Quinzo, elles témoignent parfois d’un réel savoir-faire, et souvent d’un vrai goût pour les histoires comme on aimerait plus souvent en voir. Comme c’est le cas avec "Post Coïtum".

Créée par Guillaume Cremonese et Damien Gault avec Laëtitia Kugler en 2011, cette anthologie d’épisodes de quatre minutes explore les instants qui suivent l’orgasme. Chaque épisode s’articule autour du moment où les mots laissent place aux sensations, pour le meilleur, le pire et souvent pour le rire.

Décomplexée sans faire dans l’exhibition gratuite, bien écrite et avec une distribution bien dirigée, "Post Coïtum" a les “qualités et défauts” des anthologies : chaque épisode relance la dynamique et on peut être plus emballé par certains épisodes que par d’autres (personnellement, j’ai préféré "La première fois" et "Prière de se taire" qui étaient vraiment bons). Mais à chaque fois, on retrouve la même ambition : celle de raconter des histoires, d’explorer de multiples variations autour d’un même thème, l’intimité et la façon dont on la partage.

Mine de rien, je trouve ça rassurant.

Pour en savoir et en voir plus, il suffit de vous rendre sur le site consacré à "Post Coïtum". Six épisodes sont déjà en ligne et d’autres sont déjà en préparation.

Anniversaire : le faux succès de M6

Par Sullivan Le Postec

M6 fête ses 25 ans ce mois-ci, ce qui lui vaut pas mal de papiers célébrant son succès. Celui-ci, cependant est en trompe l’œil. La chaîne est un succès économique au sens où elle dégage du profit, pour la bonne et simple raison qu’elle a toujours été gérée avec cet objectif : dépenser le moins possible pour gagner le plus possible. Mais qu’en est-il du reste ?

Avec 10,8 % d’audience en 2011, M6 est certes devenue la troisième chaîne française. Elle le doit moins à de véritables performances qu’à l’effondrement de France 3, chaîne en perdition du Service Public, tout juste maintenue à flot par « Plus belle la vie ».
Il existe un élément de comparaison simple. M6 est née quasiment en même temps que le quatrième Network, la Fox, aux États-Unis. Elle y a d’ailleurs puisé plusieurs de ses programmes phares au fil de ces 25 ans : « Mariés deux enfants » : la part de provocation du petit nouveau qui cherche à se faire remarquer ; « The X-Files » et « Ally McBeal » : l’entrée dans le mainstream ; puis « American Idol/Nouvelle Star ». Mais l’écart entre M6 et la Fox n’a cessé de se creuser : dès la saison 2004-2005, Fox a réussi à devenir la chaîne américaine la plus regardée sur la cible des 18-49 ans, et « American Idol » a passé près d’une décennie à être le programme le plus regardé de la télévision américaine.

Ces paliers, M6 ne les a jamais franchis. Arriver première des audiences est encore pour elle un événement exceptionnel. Aucun de ses programmes ne se classe dans les 100 meilleures audiences de 2011. Pour reprendre une formule que j’ai déjà utilisée, M6 c’est ‘‘la petit chaîne qui montait, jusqu’à ce qu’elle se rende compte que 11% de part de marché lui permettait de gagner beaucoup d’argent sans avoir à se fatiguer, ni prendre aucun risque’’.

En témoigne le peu de choses que M6 laissera à l’histoire de la télévision française. Le duo « Capital » / « Zone Interdite » (encore faut-il oublier que cette dernière a viré depuis longtemps en un « Droit de Savoir » soft pour le prime-time), d’une part : des magazines d’information bien exposés qui ont permis à la chaîne d’acquérir un petit peu de crédibilité. « Loft Story » d’autre part, qui a lancé la télé-réalité en France. Deux innovations, deux paris risqués en 25 ans — et encore, on parle de programmes de flux au coût limité, le risque fut relatif. C’est évidemment bien peu, et cela explique les résultats finalement très modestes de la chaîne.

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Police District

On pourrait bien rajouter un troisième pari. Le problème, c’est que M6 elle-même l’a oublié, et qu’elle l’a abandonné au bord de la route. Je pense à « Police District », la série d’Hugues Pagan portée par Olivier Marchal dans le rôle principal, qui a servi de matrice à la série Canal+. Un peu de persévérance, et le développement d’autres séries dans cet univers pour construire une offre intelligible et cohérente (ce que Canal a très bien su faire) auraient sans doute permis à M6 de s’emparer du succès qui est celui des Créations Originales de Canal+. Mais c’était difficile, cela coutait un peu d’argent. Alors Nicolas de Tavernost a renoncé, et choisi plutôt d’endosser son rôle préféré du geignard en quémandant à Canal le droit de rediffuser ses séries — ce que Canal lui refuse légitimement : tout le monde n’est pas aussi bête que France Télévisions, capable de laisser filer les droits de « Un Gars, Une Fille ».
L’histoire s’est répétée, autant pour « Les Bleus » que pour « Kamelott », deux succès que la chaîne n’a absolument jamais compris, ce qui l’a empêché de les soutenir. Une série que les dirigeants de M6 arrivent à appréhender, c’est « Scènes de Ménage » qui réussit à être à la fois un décalque de « Un Gars, Une Fille » plus de dix ans plus tard, et le remake d’une série espagnole qu’on aura préalablement vidé de toute dramaturgie pour ne garder que le gag. C’est dire à quel point on plafonne au niveau zéro de la création, à M6 !

Il y a quinze ans, M6 fêtait ses dix ans avec trois épisodes inédits de « X-Files », programmés en avance de six mois par rapport à leur diffusion normale en septembre. C’était avant Internet, avant le téléchargement. Aujourd’hui, M6 serait bien en peine de faire passer des épisodes de séries américaines, même inédits, comme un événement digne d’un anniversaire. Nicolas de Tavernost semble aujourd’hui prendre conscience qu’il a besoin de séries françaises fortes. Il a dix ans de retard, et trop d’opportunités gâchées derrière lui pour être crédible, ou avoir la moindre chance de réussir...