« Press Gang » est une série jeunesse, qui fut apparemment diffusée sous le titre de « La Rédac » en France, lancée en janvier 1989, dans les programmes jeunesse de la fin d’après-midi sur la chaîne privée britannique ITV. Pour Steven Moffat, c’est presqu’un acte de candidature pour intégrer l’équipe d’auteurs de sa série culte, « Doctor Who ». Manque de chance, la série sera annulée peu après, et diffusera ses derniers épisodes à la fin de cette même année 1989. Pas si grave, parce que « Press Gang », en raison de sa grande qualité, va intéresser bien au-delà de l’audience qui était censée la regarder, en semaine vers 16h45. Elle va donc installer Steven Moffat, 28 ans à l’époque de la diffusion, comme un talent à suivre.
L’histoire de « Press Gang » n’est pas banale. Tout commence en effet trois ans plus tôt, quand Bill Moffat, le père de Steven, directeur d’une école primaire de Glasgow, accueille dans son établissement le tournage d’un épisode de « Highway ». Il profite de leur présence pour faire lire à la productrice Sandra C. Hastie la présentation qu’il a rédigée d’une série pour le jeune public, titrée « The Norbridge Files ». Hastie aime le projet, elle le fait aussi lire à son partenaire de la société de production Richmond Films and Television. Hastie décide de commander la rédaction du scénario d’un Pilote. Bill Moffat suggère de le confier à son fils, Steven, 25 ans, professeur d’anglais. Dans The Guinness Book of Classic British TV, publié en 1993, Sandra C. Hastie qualifie le résultat de ‘‘meilleur premier scénario qu’elle ait jamais lu’’.
La première saison de « Press Gang », 12 épisode de 25 minutes, est entièrement écrite par Steven Moffat. Ce sera en fait le cas des 43 épisodes des cinq saisons de la série. Bob Spiers, célèbre réalisateur de comédie, met en scène plus de la moitié des épisodes. Même s’il n’est pas le réalisateur des deux premiers épisodes, il est le principal contributeur au style visuel de la série et fut chargé de garder un œil sur le travail des autres réalisateurs.
Luxe rarissime à l’époque, et signe de l’intérêt de la chaîne pour le projet, ITV décide de renoncer à faire tourner la série dans ses studios de Nottingham, et alloue au producteur un budget de 2 millions de Livres pour tourner la série en décors naturels, et sur pellicule 16mm plutôt qu’en vidéo. Ces coûts supplémentaires ont d’ailleurs failli conduire à l’arrêt de la série après sa deuxième saison.
« Press Gang » suit le travail d’une rédaction de journaliste-lycéens. Le postulat de la série est l’arrivée dans la ville fictive de Norbridge d’un journaliste renommé, Matt Kerr, qui vient diriger le journal local, la Norbridge Gazette. Kerr décide de lancer une déclinaison hebdomadaire par et pour les jeunes, la Junior Gazette. En sont chargés, avant et après les cours, un groupe d’élèves issu du Lycée de la ville. Il leur donne des moyens, mais leur laisse une totale liberté éditoriale.
Le groupe est composé pour moitié de bons élèves impliqués, qui s’investissent fortement dans le projet à l’image du personnage principal, la rédactrice en chef Lynda Day (incarnée par Julia Sawalha, connue ici pour son rôle dans « Absolutely Fabulous »). Lynda est le type de personnage qui serait absolument insupportable si elle n’était pas écrite par un excellent scénariste — heureusement, donc, que Steven Moffat signe tous les épisodes — : control freak assez autoritaire, un peu Miss je-sais-tout, hyperactive et moulin à parole, rien que ça. Une de ses professeur lui lâche d’ailleurs dans le troisième épisode qu’il aimerait bien qu’elle soit dotée d’un bouton off.
L’autre moitié de l’équipe de la Junior Gazette se compose plutôt d’élèves difficiles que leur Principal a obligé à participer — davantage pour en être débarrassé quelques heures par jour que dans l’espoir d’un quelconque enrichissement personnel. C’est le cas du premier rôle masculin, un américain dont la famille s’est établie en Grande-Bretagne, Spike Thompson (incarné par Dexter Fletcher).
La rencontre en Lynda et Spike génère immédiatement des étincelles, et leur relation nourrit les intrigues de la série pendant toute sa durée. Elle est l’occasion de joutes verbales permanentes qui démontrent que le talent incroyable de Steven Moffat pour les dialogues était inné. La plupart des épisodes des deux premières saisons ont d’ailleurs pour bande-son du générique de fin un dernier dialogue en ping-pong en voix-off, prolongeant une scène de l’épisode.
Press Gang » se confrontait de manière directe à des sujets difficiles ou polémiques, et le faisait avec un très grand réalisme émotionnel. Les critiques britanniques de l’époque la comparaient pour ces raisons à la Quality TV du début de la décennie aux États-Unis, notamment « Lou Grant » et « Hill Street Blues ».
Les deux premiers épisodes, « Page One » et « Photo Finish » (réalisés par Colin Nutley qui, insatisfait du montage, a demandé que son nom soit retiré du générique) se concentrent presqu’exclusivement sur les deux personnages principaux, laissant les secondaires très en arrière-plan. Nous découvrons la Junior Gazette alors que la parution du premier numéro approche à grand pas, avec l’arrivée de Spike, contraint et forcé d’intégrer la rédaction. Son attention première est de ne rien faire du tout, mais il en est bien vite détourné. Que ne ferait-on pas pour les yeux d’une jolie rédactrice en chef ? Contre toute attente, c’est lui amène à Lynda l’article de Une à fort impact qui manquait au premier numéro : la fermeture prochaine d’un club local qui serait remplacé par un Supermarché.
Malheureusement, il s’avère dans le second épisode que l’information est fausse. Il n’est pas question que le club ferme. La Junior Gazette est en danger de mort après son premier numéro. Cependant, Spike poursuit l’enquête et la Gazette parvient à démontrer que la rumeur cachait des activités illégales dans le club.
Passé le générique, très marqué années 80 — sans pitié, Steven Moffat n’hésite pas, pour sa part, à dire que même à l’époque, ce générique était ringard — et le look très vintage des personnages [1], la modernité de la série frappe. Intrigues rythmées, acteurs crédibles, dialogues ciselés, humour toujours présent... Facile de comprendre comment la série a facilement pu attirer au-delà du public d’écoliers initialement ciblés.
« One Easy Lesson » (1x03) est centré sur les difficultés se Sarah, une des rédactrices de la Gazette, quand son cousin devient enseignant au Lycée : il n’arrive pas à contrôler ses classes et devient le souffre-douleur des élèves. Sa tentative de l’aider via la Gazette ne va faire qu’empirer les choses. L’intrigue est très classique et son dénouement attendu, ce qui fait de cet épisode l’un des plus faibles de la saison, mais il bénéficie toutefois de la prestation touchante de Adrian Edmondson dans le rôle du professeur, et de deux sous-intrigues très drôles.
Dans « Deadline » (1x04), tout le groupe de personnages principaux est mis en avant lorsqu’il faut écrire tout le prochain numéro en une seule soirée pour qu’il puisse être imprimé avant le déclenchement d’une grève. Pour son cinquième épisode « A Night In », « Press Gang » propose un bottle episode, entièrement tourné dans le décor de la rédaction, qui lui permet d’économiser le budget. Lynda impose à Spike, Kenny, Colin et Tiddler de travailler un samedi soir. La tension avec Spike, qui n’a vraiment pas envie d’être là, est d’autant plus élevée que Lynda vient d’être quittée par son petit-ami. Les personnages, et la relation entre Lynda et Spike, se développe...
« Interface » (1x06) voit la rédaction gagner un ordinateur doté d’un modem. Via celui-ci, Lynda reçoit des articles excellents, mais anonymes ; elle mène l’enquête pour tenter de remonter à la source. Et va découvrir une vérité très touchante.
Les britanniques se rappellent aussi de « Press Gang » pour ses épisodes abordant avec justesse des sujets difficiles. Le premier exemple en est le double-épisode « How To Make A Killing ». Le 15 de chaque mois, une jeune fille dessine à la craie la silhouette d’un corps au pied d’un immeuble d’habitation. Deux ans plus tôt, un garçon est mort à cet endroit, l’enquête a conclu à un accident. Kenny enquête pour comprendre, mais s’attache très vite à la jeune fille, Jenny. La découverte de la vérité va mener au plus gros sujet jamais soulevé par la rédaction, et à une édition spéciale de la Junior Gazette sur un fléau qui a provoqué la mort de plusieurs adolescents.
Mais ce qui rend « How To Make A Killing » mémorable, ce n’est pas forcément son sujet grave, c’est peut-être davantage le fait que Steven Moffat ne modifie pas pour autant le ton de la série. De manière très réaliste, les personnages ne s’arrêtent pas de vivre ou ne changent pas de personnalité sous prétexte qu’ils sont dans un épisode-au-sujet-sérieux : Colin a une intrigue comique, Lynda et Spike continuent leurs joutes verbales — notamment ce mémorable :
Lynda : ‘‘Spike, do you know what will happen if you keep cracking jokes ? / Spike, est-ce que tu sais ce qui va arriver si tu continues à balancer des vannes ?’’
Spike : ‘‘What ? / Quoi ?’’
Lynda : ‘‘You’ll say something funny. / Tu vas en sortir une drôle.’’
Le message, évidemment, passe d’autant mieux que l’ensemble n’a pas l’air d’un épisode-à-message — à part pour une réplique finale un peu appuyée qui explique le titre.
Dans « Both Sides Of The Paper » (1x09), la date des examens approche, et le Principal incite fortement pour que les élèves mettent de côté la Junior Gazette. Mais il n’est pas sûr que le journal puisse être relancé si quatre numéros, et leurs recettes publicitaires, devaient être supprimés. « Money, Love and Birdseed » (1x10) voit Sarah et Billy enquêter lorsqu’un élève est accusé, à tort clame-t-il, d’avoir volé de l’argent pendant un cours de Judo. Pendant ce temps, la rédaction est envahie de pigeon et Tiddler tente de jouer les entremetteuses.
« Monday – Tuesday » (1x11) alterne entre une journée et la précédente, alors que Lynda tente de comprendre les raisons de l’événement tragique survenu le lundi soir — le suicide d’un élève. La culpabilité que ressent Lynda la décide à démissionner de sa position de rédactrice en chef de la Junior Gazette, ce qui nous conduit à l’épisode final de cette première saison, « Shouldn’t I Be Taller ? », dans lequel la rédac’ tente de faire face à son absence. Spike est le plus insistant à tenter de faire revenir Lynda, tandis que Colin ne perd pas une minute pour se proposer au poste de rédacteur en chef. Ce final met en avant la relation entre Lynda et Spike, qui s’est développée au fil des épisodes pour créer un couple extrêmement attachant que le téléspectateur a très envie de voir se former — mais ce sera pour plus tard.
Quand on la considère comme la première œuvre télévisuelle d’un scénariste n’ayant pas encore trente ans, « Press Gang » laisse très facilement entrevoir ce que Steven Moffat allait devenir : l’un des plus importants scénaristes contemporain. Il impose des personnages bien caractérisés et humains, des histoires dont la tonalité émotionnelle est très juste, alternant avec subtilité et pertinence légèreté et gravité. Plus que tout, il démontre déjà son sens incroyable du dialogue et son humour.
Steven Moffat le scénariste s’est affiné et raffiné au fil des vingt dernières années. Mais, très clairement, le talent était présent à la base, et en très grande quantité.
« Press Gang »
Saison 1 – 12x25’ – 1989
Une production Richmond Films & Television Production en association avec Central Independent Television pour ITV.
Créé par Steven Moffat sur une idée originale de Bill Moffat. Ecrit par Steven Moffat.
Réalisé par Bob Spiers (6 épisodes), Lorne Magory (4 épisodes) et Colin Nutley (2 épisodes, non crédité).
Produit par Sandra C. Hastie.
Avec : Julia Sawalha (Lynda Day), Dexter Fletcher (James ‘Spike’ Thomson), Lee Ross (Kenny Philips), Kelda Holmes (Sarah Jackson), Paul Reynolds (Colin Mathews), Mmoloki Chystie (Frazer ‘Frazz’ Davis), Lucy Benjamin (Julie Craig), Charlie Creed-Miles (Danny McColl), Joanna Dukes (Toni ‘Tiddler’ Tildesley).
Dernière mise à jour
le 4 juin 2012 à 09h16
[1] à quel moment exactement les Lycéens se sont-ils mis à d’habillés comme des employés d’un magazine de mode ?