DARK SEASON
Les débuts, en forme de déclaration d’amour à « Doctor Who », de Russell T Davies
Par Sullivan Le Postec • 18 juin 2012
Comme Steven Moffat, Russell T Davies a débuté sa carrière avec une série jeunesse. « Dark Season » est une lettre d’amour à « Doctor Who »... et marque aussi le début de la carrière d’actrice de Kate Winslet, dans un des trois rôles principaux.

Quand un mystérieux donateur visiblement un peu trop fan de David Bowie offre à tous les élèves d’une école un ordinateur, cela cache forcément quelque chose. Marcie (Victoria Lambert) collégienne fan de théories du complot qui voit un mystère quand elle trouve un pot de yaourt sur un trottoir — ‘‘mais qui mange des yaourts dans la rue ? Vous avez déjà vu quelqu’un manger un yaourt dans la rue ?’’ — et ses deux amis âgés de deux ans de plus qu’elle, Tom (Ben Chandler) et Reet (Kate Winslet) enquêtent.

En 1991, Russell T Davies travaille à BBC Manchester. A 28 ans, il produit des émissions de flux, notamment « Why Don’t You », émission destinée aux enfants et ados, qui leur proposait... de faire autre chose que de regarder la télé ! Son slogan-signature, clamé dans chaque générique était ‘‘Why don’t you... just switch off your television set and go out and do something less boring instead ?’’ Malgré l’évident paradoxe, l’émission a duré de 1973 à 1995.
L’émission a toujours été présentée par des ados. Au début des années 90, c’est un trio qui est en charge. En tant que producteur, Russell T Davies écrit les textes de leurs plateaux de lancement. Il les caractérise, dérive petit à petit vers la fiction. Certains responsables de la BBC l’accusent d’échouer à remplir la mission de l’émission, qui est de donner trucs, astuces et idées d’activité aux enfants. Mais, dans les faits, l’audience passe du simple au double. Davies décide de pousser l’expérience jusqu’au bout.

En 1990, il écrit en spec le premier épisode d’une série de fiction jeunesse mettant le trio en scène, qu’il titre « The Adventuresome Three ». Grâce au système de mail interne de la BBC, il envoie son script directement à la Directrice des programmes jeunesse de BBC, Anna Home. Celle-ci commande l’écriture d’un deuxième épisode, en demandant toutefois de créer de nouveaux personnages qui ne soient pas le trio de « Why Don’t You ». Lors que la sitcom jeunesse « Maid Marian and Her Merry Men » est mise en pause pour un an, une case et un budget se libère. Anna Home commande une saison complète de six épisodes, tournée à l’été 1991, et diffusée en fin d’année, en novembre et décembre.

JPEG - 43.9 ko
Reet et Tom
Des presque-compagnons

Même si Russell T Davies assure que le parallélisme n’est pas conscient, Marcie est un mini-Docteur, très portée sur le verbiage, l’observation des mystères et les théories de la conspiration. Ses deux amis, Tom, son skate toujours à la main, et Reet, assurent une fonction proche de celle des compagnons.
Même le générique rappelle furieusement la célèbre série que Russell T Davies allait ramener à la vie quinze ans plus tard.

« Dark Season » n’a pas bénéficié des mêmes conditions de tournage que le « Press Gang » de Steven Moffat, tourné sur pellicule et qui a surtout vieilli pour le look des personnages et l’évolution des standards esthétiques. « Dark Season » a été tournée en vidéo, avec des caméras souvent très proches des visages des acteurs. La mise en scène, d’une manière générale, est encore plus camp que le script de Russell T Davies, ce qui n’est pas peu dire : caméra de travers, plongées et contre-plongées dramatiques, couleurs flashy sur les héros, tandis que tous les autres élèves sont vêtus de joggings pastels. La direction artistique, dans sa tentative de créer des images qui marquent les enfants, est vraiment outrancière et ratée. Tout cela s’additionne à l’écran et ancre résolument la fiction dans ce qui parait être la préhistoire de la télévision.
Sans doute tout cela était-il moins flagrant à l’époque, et il faut reconnaitre que la manière dont la série refuse de se prendre au sérieux est assez plaisante. Elle peine cependant à imposer de véritables personnages. La deuxième intrigue (qui évoque un peu le christmas spécial de « Doctor Who » « The Next Doctor ») est cependant bien plus réussie que la première : plus riche tant en rebondissements qu’en moments de personnages.

Sur le plan de l’écriture, la structure apporte la principale surprise : le troisième épisode semble clore totalement l’intrigue, mettant fin à la trame des ordinateurs maléfiques et semblant faire disparaître le maléfique M. Eldritch. Le quatrième épisode introduit, dans ce qui semble être une autre intrigue, une nouvelle méchante, Miss Pendragon (décrite par Russell T Davies comme une diabolique lesbienne Nazi, même si elle est trop occupée à essayer de détruire le monde pour avoir le temps de faire quoi que ce soit de véritablement lesbien, en dehors du fait qu’elle est constamment accompagnée d’une walkyrie teutonne). Mais le dénouement révèle que Miss Pendragon travaillait pour Eldritch et poursuivait ses plans.
Les responsables de la BBC ont été un peu surpris de cette structure : Russell T Davies ne les avait pas prévenus auparavant, ‘‘au cas où ils m’auraient dit de ne pas le faire !’’

JPEG - 38 ko
Le diabolique M. Eldritch

« Dark Season » ne manque pas de points communs avec « The Sarah-Jane Adventures », la série jeunesse dérivée de « Doctor Who » qui dura cinq saisons. Elle raconte le même type d’histoires. D’ailleurs, l’une des intrigues que prévoyait Davies pour une saison 2 qui ne s’est jamais faite a été recyclée en un épisode de la première saison de « Sarah Jane Adventures », « Warriors of Kudlak » ; l’autre est devenue la deuxième série de Davies, « Century Falls ». Les différences liées à l’époque — les histoires sont réduites de trois fois à seulement deux fois 30mn, ce qui autorise un meilleur rythme, et le style visuel de la série est nettement plus cohérent — lui permettent toutefois d’être bien plus efficace.

« Dark Season » montre un niveau de maîtrise certain pour un premier scénario. Hommage évident aux fictions pleine d’entrain mais fauchées que Russell T Davies avait lui-même adoré pendant son enfance — « Doctor Who » en premier lieu — elle ne prend sans doute pas assez de distance avec cette télévision un peu dépassée — l’annulation de « Who » deux ans plus tôt en témoigne. C’est en 1999, via « Queer as Folk », que Russell T Davies allait se permettre de secouer le paysage audiovisuel britannique, mettant sa carrière sur orbite du même coup.


Profil : RUSSELL T DAVIES — Bâtisseur de pop-culture

Post Scriptum

« Dark Season »
6x25’ – 1991 – BBC
Ecrit par Russell T Davies ; réalisé par Colin Cant
Avec : Victoria Lambert, Ben Chandler, Kate Winslet, Brigit Forsyth, Grant Parsons et Jacqueline Pearce.

Dernière mise à jour
le 18 juin 2012 à 02h07