REPORTERS - Stop ou encore ?
Ou pourquoi Canal+ serait bien inspirée de renouveler la série...
Par Sullivan Le Postec • 1er juillet 2009
Point de vue. La diffusion de la saison 2 de « Reporters » vient de s’achever. Canal+ s’interroge quant aux suites à lui donner. On veut bien aider...

Pour tout vous dire, on aimerait bien que « faire plaisir aux gens du Village » soit une raison suffisante pour que Canal+ décide de renouveler « Reporters » pour une troisième saison. Comme on est suffisamment réalistes pour savoir que notre équipe pléthorique de deux rédacteurs et leur quatre lecteurs [1] ne sont pas suffisants, on a décidé de réfléchir à quelques autres raisons.

La diffusion de la deuxième saison vient de s’achever, Canal+ réfléchit donc à l’opportunité de donner une suite à la série. Avec une donnée exposée par Fabrice de la Patellière à TéléObs : ‘‘les audiences sont un peu décevantes’’. Il n’y a pas assez d’abonnés qui ont regardé la série, notamment dans sa première diffusion le lundi soir. La saison 2 a, en outre, perdu du public en route.

Préserver des laboratoires

Ce simple constat, les audiences sont en dessous des attentes, pourrait clore le débat. Sauf qu’il nous semble que les choses ne sont évidemment pas si simples. L’histoire de la télé est pleine d’excellentes séries qui ne cartonnent pas forcément en terme d’audience, et que pourtant leurs diffuseurs ont laissé continuer.
« The Wire » est une série dont on entend souvent parler ces temps-ci par les gens qui font de la fiction. Il faut rappeler que si elle s’était basée uniquement sur le critère audience, HBO aurait annulé cette série très tôt. Elle était en effet suivie par beaucoup moins de téléspectateurs que les autres séries de la chaîne.
A l’heure actuelle, tandis que les séries de Networks (par opposition à celles du câble) américains sont un paysage quasi-sinistré, l’une des rares grandes séries actuellement en cours de diffusion sur l’un d’eux, en l’occurrence « Friday Night Lights » sur NBC, ne doit en rien son renouvellement récent pour deux saisons à son audience, minuscule.

Ces renouvellements seraient-ils des lubies de dirigeants de chaîne fans d’une de leur production et prêt à dépenser des millions pour se faire plaisir à eux seuls ? Bien évidemment, ce n’est pas le cas. Il y a des raisons bien plus rationnelles qui viennent justifier ces décisions.

En premier lieu il y a, bien sûr, la bonne image rejaillissant sur le diffuseur de productions de qualité.
Mais, plus profondément, ces séries sont aussi des laboratoires. La série fondatrice de la fiction télé américaine moderne, « Hill Street Blues » a survécu des années en étant tenue à bout de bras par la critique et une direction de chaîne pour le coup visionnaire. Ce n’est qu’ensuite, après plusieurs saisons, qu’elle a finalement ‘‘rencontré son public’’, qui avait finit par accepter les héros multiples et les arches feuilletonnantes. Sans cela, la série policière américaine en serait peut-être encore à « Kojak ». C’est d’ailleurs exactement ce qui est arrivé à TF1 ! Satisfaite d’avoir, à la fin des années 80, trouvé une formule de série qui cartonnait, elle s’y est enfermée, produisant à la chaîne du policier héros citoyen en 90’. Pourquoi maintenir en parallèle d’autres productions, d’autres formats qui marchaient moins ? L’effondrement de la fiction de la chaîne ces dernières années donne la réponse : parce que c’est là qu’elle aurait puisé de quoi se renouveler.

Il y a donc de vraies raisons industrielles pouvant conduire à soutenir des fictions plus ‘‘de niche’’, exigeantes, demandant un certain investissement car non-basées sur des formats et des codes archi-identifiés par le public comme la fiction policière ou de mafieux.

Une réception en partie brouillée

A ces premiers arguments, on nous répondra peut-être que « Reporters » n’a jamais reçu un accueil dithyrambique.

D’abord, disons qu’elle est fortement soutenue par quelques-uns dont Le Village ou Spin-off, par exemple. Soit deux sites derrière lesquels se ‘‘cachent’’ des amateurs pointus de fiction US, et que des productions comme « Engrenages » ou « Mafiosa » laissent beaucoup plus tièdes. Je souligne car je ne pense pas que cela soit un hasard. « Reporters » a transformé une partie de son public en ‘‘fans’’, ce qui ne nous semble pas être le cas des deux premières.

Ensuite, il faut rappeler la rareté de son sujet. « Reporters » parle des journalistes et ceux qui, dans les médias, doivent la critiquer sont donc très directement confrontés à eux-mêmes. « The Wire », encore elle, a traité du même thème dans sa cinquième saison. Comme par hasard celle qui a reçu l’accueil critique le plus frais. On se souvient des débats interminables entre médecins quand « Urgences » est arrivée. Il faut une qualité de recul rare pour apprécier une fiction qui parle de sa profession ou d’un univers dont on est très proche.

Une série singulière

Je ne m’étendrais pas, ayant eu l’occasion de développer cet argument dans un précédent article. La manière dont « Reporters » commente l’actualité de son pays avec beaucoup d’acuité, remis en lumière avec l’affaire Karachi, est tout à la fois rare et précieuse. La fiction est un langage indispensable parce qu’elle permet de dire des choses qui, autrement, restent cachées. C’est là la place fondamentale qu’elle doit avoir dans le débat public et dans la société. Il nous semble que c’est une ambition revendiquée de la ligne éditoriale de la fiction de Canal+. « Reporters » est, de très loin, la plus grande réussite en ce domaine en France. Et pas seulement à la télé.

Construire des fins

Chacun sait qu’HBO, après avoir régnée sans partage sur le câble américain, a connu un gros passage à vide après l’arrêt de « Six Feet Under », des « Sopranos » et de « Sex & the City ». Il leur a été très difficile d’installer de nouvelles séries. Plusieurs facteurs ont joué, mais il nous semble que l’un d’eux est « Carnivale » et, dans une moindre mesure, « Deadwood ».
Avant cette série, HBO incarnait pleinement son slogan : ‘‘it’s not TV, it’s HBO / c’est pas de la télé, c’est HBO’’. Elle avait bâti une relation forte avec ses téléspectateurs, dans laquelle une certaine confiance jouait un rôle. Comme on le sait, le paysage audiovisuel américain est très concurrentiel, et les séries annulées abruptement sont légion. HBO avait pu imposer l’idée qu’elle récompensait l’engagement de ces téléspectateurs. Mais, en annulant « Carnivale » après sa deuxième saison et « Deadwood » après sa troisième, sans que ni l’une ni l’autre n’ait pu prévoir de fin (des téléfilms de conclusion pour « Deadwood », un temps annoncés, n’ont finalement jamais vu le jour) ont amené les téléspectateurs à la conclusion qu’HBO, c’était aussi de la télé.

« Reporters » a construit, parrallèlement à ses arches de saisons, des enjeux de long terme. Il n’est pas illogique de s’attendre, en tant que téléspectateurs, à être récompensé de leur dénouement. Canal+ a détourné « Reporters » de sa course une première fois, les enjeux fortement posés à la fin de la première saison ayant été cachés sous un tapis lors de la deuxième saison [2]. La série s’en est plutôt bien sortie, mais il est tout de même certain que cela ne l’a pas aidée. Stratégiquement, cela a aussi représenté de déshabiller Jacques pour habiller Paul, alors même que Paul n’est qu’un embryon dont on ignorait si la grossesse sera un jour menée à terme (force est de constater que, deux ans plus tard, il n’est toujours pas là).
La relation entre les journalistes et le pouvoir, centre de gravité de « Reporters », est incarnée dans le destin politique d’un homme, le Premier Ministre Jacques Barlier. Un destin dont les journalistes que nous suivons sont tantôt les alliés objectifs, tantôt les ennemis. Cet axe majeur, ainsi que la ligne individuelle de chaque personnage, restent à résoudre.

En tant que téléspectateurs de la série, c’est un peu ce que nous aurions envie de dire à ceux, la chaîne, les producteurs et les créatifs, que nous remercions pour nous avoir déjà fait profiter de 18 épisodes de haute volée : une vraie belle fin en forme de feu d’artifice, cela aurait de la gueule, non ?

Chiches ?

Dernière mise à jour
le 1er juillet 2009 à 17h05

Notes

[1Oui, je plaisante. Enfin à propos des lecteurs, hein. Parce que pour ce qui est des rédacteurs, malheureusement...

[2Les premiers projets plaçaient la saison 2 pendant la campagne Présidentielle annoncée à la fin de la première. Canal+ développant une autre série politique située dans les coulisses d’une campagne électorale présidentielle, elle a préféré ré-orienter « Reporters »