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Cagney & Lacey - Bilan des téléfilms-réunion de la série Cagney & Lacey

Bilan des Téléfilms-Réunion: Stronger Than Yesterday

Par Jéjé, le 28 mars 2018
Par Jéjé
Publié le
28 mars 2018
Saison 8
Episode 4
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À la rentrée prochaine, un remake de Cagney & Lacey fera peut-être partie de la grille de rentrée de CBS. Utiliser la notoriété du titre d’une ancienne série pour monter un projet (remake ou revival) semble rassurer les diffuseurs sur sa capacité à exister dans l’océan actuel de la « peak-tv ». Il est probable que c’est le même raisonnement qui a poussé les networks, et particulièrement CBS, dans les années 90 à développer pour ses soirées consacrées aux téléfilms des projets baptisés « réunion » basés sur d’anciennes séries. Dallas, The Rockford Files, Super Jaimie, The Waltons, Green Acres (et même Mary Richards et Rhoda Morgenstern [1]) sont revenues d’entre les morts dans un format de 90 minutes avec (une partie de) leurs interprètes d’origine.

C’est ainsi que 8 ans après la diffusion de leur très décevant series finale (qui n’avait pas été écrit comme tel), Cagney & Lacey ont fait en 1994 leur retour sur CBS pour 4 téléfilms.

Le premier, sobrement intitulé The Return, a comme tâche principale de relancer la franchise dont l’essoufflement avait abouti à l’annulation de la série initiale. La nostalgie qui a eu le temps de s’installer et qui fait qu’avec le temps on ne garde en souvenirs que les meilleurs éléments va ramener aisément le public devant ce premier opus. Mais le plus compliqué est de parvenir à créer l’envie d’y revenir de façon régulière et de ne se pas se limiter à offrir un moment de fan service, savoureux sur le moment mais sans véritables enjeux.
De ce point de vue, The Return, écrit par Terry Louise Fisher et Steve Brown, scénaristes emblématiques des premières saisons, se révèle une grande réussite.
L’utilisation de la nostalgie et du temps qui a passé peut être considéré comme un modèle d’exécution. Le téléfilm commence par la fête du départ en retraite de Samuels qu’organise Cagney chez elle et à laquelle se rend une Lacey, une peu anxieuse de ses retrouvailles avec son ancienne partenaire qu’elle a perdu de vue au cours des dernières années.

En réunissant tout le monde d’un seul coup d’entrée de jeu et en mentionnant les nouvelles positions professionnelles de chacun, cette situation permet d’apprécier à leur juste valeur les apparitions des anciens personnages secondaires de la série car on comprend qu’ils ne vont pas être appelés à jouer un grand rôle dans la nouvelle formule de Cagney & Lacey. L’éventualité de leur participation ponctuelle à un épisode particulier ne constituera donc pas l’attractivité majeure de la suite. Ce retour dit d’emblée ne pas vouloir capitaliser longtemps sur la nostalgie et suggère que la suite va bien se fixer sur l’essentiel, à savoir l’exploration de la relation à venir entre les deux personnages principaux principaux.

On accueille ainsi avec d’autant plus de plaisir la participation de Carl Lumbly (qui avait quitté la série en début de saison 7) pour un rôle majeur de cette première histoire et presque avec confiance le riche et influent mari de Cagney.

« Presque », parce que cette modification du statut marital du personnage semble contrevenir à l’équilibre de la formule fondé sur trois oppositions fondamentales du duo : célibataire / femme mariée, riche / classe moyenne, républicaine / démocrate [2].
Associée aux faits que Lacey a démissionné des forces de police et que Cagney est désormais enquêtrice pour le bureau du DA, elle permet d’expliquer que les deux femmes se sont progressivement éloignées et sous-entend aux spectatrices et spectateurs qu’elles et ils n’ont rien manqué d’intéressant pendant toutes ces années sans la série.
On nous met presque au défi de suivre comment le téléfilm va s’y prendre pour ré-créer le duo dans ces circonstances particulières.
Une crise cardiaque de Harvey et une demie heure plus tard, on les retrouve dans une voiture, en route pour aller interroger toutes les deux un témoin dans l’affaire que mène Cagney. Les conversations reprennent les thèmes habituels (sexisme de l’institution policière, difficultés financières…) tandis que viennent se rajouter celui de l’âge qui avance et de la ménopause.
L’intrigue policière ne se révèle pas des plus passionnantes, une banale histoire de vol d’armes avec la complicité d’un policier, mais le plus important est atteint : l’esprit originel de la série est retrouvé dans une configuration qui regarde vers l’avenir et qui n’empêche pas le retour de motifs familiers (discussion dans les toilettes des femmes dans ce téléfilm, réconciliation de Mary Beth avec Harvey sur le toit de leur immeuble dans le deuxième…).

Les deux téléfilms suivants, Together Again et The View Through The Glass Ceiling, confirment cette impression et constituent les deux plus grandes réussites de la tétralogie.
Together Again s’inscrit dans la tradition du commentaire socio-politique sévère de la série et confronte avec dureté l’envers du rêve américain. Cagney et Lacey enquêtent sur la mort d’un sans domicile, un ancien collègue de Harvey, qui terrorisait les locataires d’un immeuble de l’Upper East Side tandis que les finances des Lacey se fragilise dangereusement quand le nouveau poste de Mary-Beth au bureau du DA est menacé de fermeture.
Il met également sur le grill l’institution du mariage et son influence sur les rapports femmes-hommes. Alors même que Cagney est approchée par un groupe de policitien·nes new-yorkais pour devenir la première femme capitaine de la police de New York, son mari obtient un poste dans l’administration du président à Washington, une situation qui conduit les deux femmes à échanger vivement des visions très différentes de la place des femmes dans la société.

Cagney : Do you know what he wants me to do ! He wants me to quit the Force, move to Washington and network. Do you love that ?! Network with the pretty people and lobby for a job in Administration.
Lacey : That doesn’t sound so terrible.
Cagney : I object to these people, Mary Beth ! Besides, Presidents come and go. What kind of security is that for me ?
Lacey : You get marriage, Christine, that’s the security.
Cagney : Well, you tell that to the fifty percent of wives in this country who get fired.

Lacey : Work is great but it doesn’t keep you warm at night. ...Your marriage is the most important thing, don’t let anything come in front of that.
Cagney : Yeah, that’s what they tell us. Ever since I was a little girl. No matter how happy you are, it don’t mean anything if you don’t have a solid marriage. It means nothing !

The View Through The Glass Ceiling, écrit par Michele Gallery (qui signe également le suivant), une ancienne de Lou Grant, creuse cette veine et étudie comment la discrimination positive organisée dans un univers patriarcal qui ne souhaite pas réellement évoluer conduit les femmes à s’opposer les unes aux autres. On y voit Christine, divorcée et toujours sur le rang pour devenir capitaine, saboter les chances d’une autre prétendante, la commissaire de la brigade au sein de laquelle Lacey enquête sous couverture, et utiliser les préjugés homophobes de la société pour y parvenir.
Ce téléfilm offre ainsi l’échange le plus fort entre les deux femmes des quatre opus (au moment où Lacey découvre les agissements de son amie) et rappelle que la télévision américaine n’a pas attendu les Sopranos et son cortège d’anti-héros pour créer des héros et dans ce cas des héroïnes imparfaites.

Lacey : You did it ! You let me think it was Doug Trayne. You shipped me off to Siberia, that was part of it too. You let a whole precinct full of police officers get their reputations torched and you humiliated one of the only handful of women in this City to work up way to Captain !
Cagney : I did not make up her file ! She sleeps with girls, for a private life, it’s a bit humiliating...
Lacey : She’s not ashamed. She’s realistic and you know it.
Cagney : It wasn’t personal. Come on, you’ve known me for so long. Come on ! You know me.
Lacey : I don’t know you.
Cagney : It’s not that you don’t know, it’s what you’ve got to do.

Cagney voit la promotion lui passer sous le nez et découvre que son comité de soutien a fait le choix de soutenir une candidate plus consensuelle, mariée avec des enfants.

True Convictions, le dernier téléfilm, conclut ce bref retour de Cagney & Lacey, dans l’esprit du series finale : il n’a pas du tout été écrit comme une fin. En effet, la production espérait poursuivre ce format pendant plusieurs années, mais l’arrivée de Les Monves à CBS, bien décidé à changer l’image du network et à attirer un public plus jeune, sera fatale à la poursuite du projet. Plus intime que les précédents, il explore les difficultés des parents à vivre avec les erreurs faites par leurs enfants et à les aider à les corriger, il n’est pas complètement convaincant. J’ai été gêné par le fait que la guest star principale de l’épisode, Michael Moriarty, qui joue un père dont la fille est morte d’une overdose, ait déjà incarné l’un des personnages ponctuels les plus marquants de la série (un flic qui avait dénoncé ses collègues corrompus). De plus, à cette histoire est accolée une intrigue judiciaire concernant le rétablissement de la peine de mort à New York (sujet au combien passionnant) dont le traitement anecdotique est très problématique.

Cet opus moins fort que les trois précédents ne peut à lui seul ternir la réussite que constituent ces « réunions » et qui, malgré tout, fonctionnent comme une conclusion satisfaisante et adaptée à une série plusieurs fois revenue des abysses de l’annulation.

Malgré un succès critique et populaire, colossal à l’époque, il n’y eu pas eu d’autres procedurals mettant en scène un duo de femmes policières sur les networks au cours des 30 dernières années.
Pas un [3].
L’idée d’un remake de la série s’avère finalement bien plus original que prévu.

Jéjé
P.S. En attendant, j’ai hâte de me replonger dans Scott & Bailey (dont je n’ai vu que la saison 1), la série anglaise de Sally Wainwright, qui reprend le concept du duo policier féminin mais dans un environnement hiérarchique lui aussi féminin.
Notes

[1J’ai vu les 10 premières minutes du téléfilm de ABC, c’est irregardable. J’ai eu peur qu’en continuant j’allais altérer pour toujours l’image de ces deux personnages.

[2Dans son livre sur la série, Barney Rosensweig indique que Sharon Gleiss détestait profondément cette idée et n’a jamais changé d’avis.

[3En 2010, TNT lance avec succès Rizzoli & Isles, la seule itération du genre à la télévision américaine, dont on peut dire que l’ambition dans la représentation de personnages féminins complexes fut bien moindre.