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The Leftovers - Quelques très mauvaises raisons de ne pas vouloir une saison 3

The Leftovers (Saison 2) : Ô Miracle

Par Ju, le 8 décembre 2015
Par Ju
Publié le
8 décembre 2015
Saison 2
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Le moins que l’on puisse dire, c’est que j’éprouve des sentiments contradictoires faces aux œuvres de Damon Lindelof. D’un côté, je ne peux qu’admirer le type talentueux qui nous a offert Lost. De l’autre, il m’est difficile de ne pas maudire le couillon qui nous a fait subir Lost.

L’histoire a montré que Damon Lindelof est un scénariste complètement inégal, capable du pire comme du meilleur, parfois d’une semaine sur l’autre.

Le monsieur nous a pondu le script (atroce) de Prometheus et le script (parfait) de The Constant. Il est à la fois responsable de « We have to go back ! » et du Tatouage Magique du Docteur Ducon. Il peut être parfaitement hautain dans une interview et absolument passionnant deux questions plus loin. Son travail n’a aucun sens, il est complètement incohérent, je crois que je l’aime beaucoup.

Mais s’il fallait encore ajouter une pierre à la théorie « Damon Lindelof a un jumeau maléfique qui tente secrètement de détruire sa carrière », on peut désormais ajouter une nouvelle contradiction à son CV : Lindelof a écrit la saison 1 de The Leftovers, et la saison 2 de The Leftovers.

Car la première image qui me vient, quand je pense à la saison 1 de The Leftovers, c’est celle Kevin Garvey, chef de police frustré, qui recherche la biscotte qui a mystérieusement disparu dans son grille-pain. C’est une scène qui se veut tragique. C’est un événement anodin qui tend à montrer que ce pauvre Kevin, chef de police en colère, n’a vraiment aucun recours face à l’absurdité totale de la vie. La vie qui, encore une fois, s’est jouée de lui en lui volant sa biscotte.
Cette scène, qui se déroule dans le deuxième épisode de la série, est prétentieuse, faussement profonde, et inextricablement liée à ma façon d’aborder The Leftovers. C’est l’équivalent complet de la photo ridicule que j’ai choisie pour illustrer cette critique.

Je peux déclarer sans trop me exagérer avoir détesté la première saison de The Leftovers. Et si j’ai commencé à regarder la deuxième, c’est uniquement parce qu’un changement de cap avait été annoncé. Une nouvelle localisation pour la série, un renouvellement partiel de la distribution. Lindelof était toujours là, certes, mais HBO nous promettait un vrai renouveau.
Le fait est que, dix semaines plus tard, je ne comprends pas très bien ce qui s’est passé ou comment on en est arrivé là. Tout ce que je sais c’est que la saison 2 de The Leftovers était ce qu’on pouvait voir de mieux dans cette rentrée série.

Et ça n’a aucun sens.

Ce qui n’a aucun sens, c’est que je suis sûr que la première image qui me viendra quand je penserai à la saison 2 de la série à l’avenir, ça sera celle de Nora au téléphone. Car Nora, vous voyez, n’avait déjà pas passé une très bonne journée quand on lui a appris, en plus, d’une voix calme et posée, que les dernières théories scientifiques tendraient à prouver qu’elle serait responsable de la disparition de toute sa famille.
Ce qui fait de cet instant un moment mémorable est que dans cette scène, on est complètement dans la tête de Nora Durst. Le personnage est tellement bien écrit et interprété qu’on sait immédiatement ce qu’elle ressent, à savoir un mélange de culpabilité et de peur, la peur de devoir quitter sa nouvelle famille recomposée sous peine de les faire disparaitre à nouveau. C’est une scène qui marque, une scène qui touche profondément, une scène où la tension, palpable, est complètement désamorcée dix secondes plus tard quand la voix, calme et posée, continue d’expliquer à la pauvre Nora que le vrai coupable est sans doute le Démon Azrael.

C’est une scène extrêmement drôle en plein milieu d’un épisode pesant. Et, pour moi, c’est ça la saison 2 de The Leftovers. C’est une saison de télévision où la plupart du temps, je n’avais pas la moindre idée de où la scène suivante allait bien pouvoir m’amener.

Cette imprévisibilité commence dès le premier épisode de la saison, rempli de personnages qu’on n’a jamais vus dans un lieu qu’on ne connait pas où se déroulent tout un tas d’événements qu’on ne comprend pas : un oiseau sort d’une boite, une mariée arrose son jardin, des filles courent nues dans les bois. Et c’est juste quand on commence à prendre nos marques avec l’arrivée des Garvey-Durst, que le rebondissement final arrive, sorti de nulle part.

Et ça continue, comme ça, avec des épisodes dont on ne comprend jamais le point de vue immédiatement, et encore moins le but, mais dont on ressort systématiquement avec l’impression d’avoir vu une histoire cohérente à l’écriture particulièrement soignée.

La plupart du temps, il est impossible de savoir où on va. C’est peut-être ce qui fait de l’épisode 5, centré sur Matt, celui que j’ai trouvé le plus faible de la saison. Il était moins imprévisible, car on avait eu le droit plus ou moins à la même chose un an plus tard. Même sans savoir exactement où on allait en venir (ce qui était difficile étant donné la force des dernières images), la façon dont l’épisode évoluait était évidente : quand Matt est à terre, la Vie continue systématiquement de lui cracher dessus. C’était un poil répétitif, un poil facile, et vraiment le seul faux pas dans cette saison. (Si on peut vraiment parler de faux pas quand on assiste à un prégénérique aussi puissant, où la frustration du personnage devient de plus en plus apparente à mesure qu’il répète systématiquement les mêmes gestes, jour après jour, pour faire réagir sa femme.)

Le reste de la saison était parfaitement imprévisible. On pouvait y voir Nora au téléphone dans une scène tragi-comique et conclure le même épisode sur son tête à tête, féroce, avec Erika Murphy. L’épisode suivant pouvait s’attarder sur Kevin et son fantôme, avant d’enchainer sur une histoire d’espionnage portenawak dans un hôtel puis sur un final qui, entre deux séquences tendues à souhait et pendant dix bonnes minutes, se transforme en épisode musical sans prévenir. (Liv Tyler aurait pu nous chanter Dream On plutôt que l’hymne de Jarden, mais ne boudons pas notre plaisir.)

C’est peut-être paradoxal mais, pour moi, le caractère imprévisible de cette deuxième saison était le signe le plus évident de la confiance totale de Lindelof dans l’histoire qu’il voulait raconter. Personnellement, j’aurais déjà été ravi de voir Laurie écraser des Guilty Remnants avec sa voiture, disparaitre pendant des semaines, puis réapparaitre sans crier gare pour de fantastiques scènes de thérapie avec son ex-mari. Ravi de pouvoir chanter le formidable nouveau générique un instant puis, quelques minutes plus tard, pouvoir me marrer devant une scène où le Mr. X de X-Files tient une discussion secrète dans un parking souterrain avec ce pauvre Kevin.
Que tout se soit recoupé de façon intelligente à la fin de cette saison complètement dingue, c’est presque du bonus. Et c’est parce que je ne suis pas sûr que l’expérience puisse être reproduite de façon aussi efficace, et compte tenu de l’œuvre de Lindelof, que je ne suis vraiment pas sûr de vouloir une saison 3.

La saison 2 de The Leftovers était provoquante, elle parlait de religion et de croyance avec éloquence, elle n’oubliait pas d’être drôle, de nous faire ressentir des choses, elle était foutrement jolie, ses très bons acteurs y étaient fabuleux, ses moins bons acteurs y étaient bien cachés… Et, non, je n’arrive toujours pas à croire que je viens d’écrire tout ça à propos de la série qui, il y a un an, nous parlait sérieusement de la mystérieuse disparition d’une biscotte.

Ju