Critique des meilleures nouvelles séries télé (et des autres)
Regarde critique sur les séries TV actuelles

Rhoda - Bilan de la première saison de la série dérivée du Mary Tyler Moore Show

Bilan de la Saison 1: The Feyrtys Show

Par Jéjé, le 2 septembre 2013
Par Jéjé
Publié le
2 septembre 2013
Saison 1
Episode 25
Facebook Twitter
Annonçons la couleur d’entrée de jeu. La première saison de Rhoda est un coup de maître [1]. Hilarante, équilibrée, féministe, elle déjoue tous les écueils des spin-offs et parvient en quelques épisodes à se forger une identité propre tout en restant, sur la longueur, un prolongement naturel de la série originale.

Bien souvent dans les sitcoms, les spin-offs se construisent autour de personnages secondaires populaires dont la drôlerie repose sur seulement quelques traits bien spécifiques de leur caractère. Les scénaristes doivent alors, pour les transformer en personnages principaux, étendre leur personnalité autant que leur environnement social. Il n’est pas alors inhabituel d’avoir l’impression de les découvrir vraiment pour la première fois dans la nouvelle série ou bien parfois d’être face des personnages complètement différents de ce qu’ils étaient dans leur première incarnation.

Ce n’est pas le cas de Rhoda Morgenstern que l’on retrouve exactement telle qu’on l’avait laissée après quatre années d’existence et d’évolution dans le Mary Tyler Moore Show [2].
En trois saisons [3] l’amie complexée et sarcastique de Mary Richards s’est transformée : elle a mis de côté ses insécurités physiques et est devenue une femme active relativement épanouie. Sa façon de gérer son célibat constitue peut-être la différence majeure entre les deux femmes : Mary se sent complète sans partenaire tandis que Rhoda attend toujours de rencontrer l’homme de sa vie.

Les créateurs et scénaristes (David Davis & Lorenzo Music) semblent être dès le départ convaincu d’avoir un personnage principal consistant et n’éprouvent pas le besoin de marquer une coupure nette avec le Mary Tyler Moore Show.
La première scène de la série semble même lancer un épisode de la série originale (les deux amies se disent au revoir à l’aéroport, Rhoda partant seulement à New-York pour passer quelques jours de vacances).
Comme Rhoda existe déjà fermement par elle-même, ils n’ont pas besoin de l’installer immédiatement dans une nouvelle configuration et de l’entourer tout de suite d’une galerie figée de personnages secondaires. Ils vont prendre leur temps (environ la première moitié de la saison) pour la faire rejoindre le concept identitaire de leur série, à savoir la comédie de couple.
Ils auraient très bien pu la faire épouser un homme avant la fin de ce premier épisode, on a vu des artifices plus gros pour établir les principes de base dans de nombreux pilotes. Mais ils ont l’intelligence de ne pas trop hâter les choses [4]. Pendant la première moitié de la saison, on assiste à la naissance de sa relation avec Joe Gerard (le futur mari), son installation à New-York (sa recherche d’emploi, d’appartement…), son mariage, leur installation commune, le développement de sa relation avec sa soeur…

Cette période feuilletonnante de la série me semble une clé dans le succès de cette saison.

Elle réussit à rendre crédible l’installation de Rhoda à New-York et à justifier son abandon de Minneapolis, là où pourtant elle était parvenu à dépasser ses démons.
La série continue de mettre en scène sa grande relation des dernières années : son amitié avec Mary, alors que dans le même temps, en face, le Mary Tyler Moore Show, lui, ignore purement et simplement le sujet pour Mary pendant le premier tiers de sa saison 5. Par de simples petits détails, certes (quelques appels téléphoniques à Mary (1.02 - You Can Go Home Again - 1.06 - Pop Goes The Question) ou bien la lecture de lettres (1.02 - You Can Go Home Again - 1.20 - Everything I Have Is Yours, Almost), mais qui montrent aux spectateurs que cette amitié se poursuit à distance et entre les deux séries.

Cette période nous permet aussi de nous habituer à une utilisation inhabituelle des seconds rôles. En effet, dans Rhoda, il n’y a pas, outre Valerie Harper (et dans une certaines mesure Julie Kavner et David Groh) pas de distribution principale régulière. Les seconds rôles sont récurrents et n’apparaissent dans un épisode que quand l’histoire l’exige.

Enfin elle prend le temps de développer la relation entre Rhoda et Brenda, sa soeur cadette. Ce duo, miroir inversé de sa relation avec Mary (ici, c’est Rhoda qui a le rôle de mentor et de soutien pour sa soeur), va avoir, à l’écran, une importance aussi grande que celui avec Joe, le (futur) mari.

Il permet à la série reprendre l’exploration des questions féminines que le Mary Tyler Moore Show a laissé de côté depuis la saison 4 et poursuivre celles relatives aux vies de célibataires par l’intermédiaire de Brenda, tout en élargissant son champ d’investigation à la vie de couple. Malgré l’importance que revêt pour elle le fait d’être mariée, Rhoda n’en abandonne pas pour autant ses aspirations de femme émancipée.

Encore plus que dans le Mary Tyler Moore Show, le féminisme dans Rhoda passe par l’expression d’une sexualité féminine affirmée et épanouissante, loin de tout devoir conjugal purement reproductif. (Rhoda bénéficie bien évidemment d’une liberté d’expression plus grande puisqu’elle arrive après les expériences innovantes du Mary Tyler Moore et des series de Norman Lear). La série impressionne par la quantité d’allusions sexuelles que recèlent ses dialogues. Souvent très drôles, elles dépassent le simple niveau du bon mot amusant et un brin provoquant. Leur multiplicité associée à certaines situations inédites (comme le fait que Rhoda et Joe sont clairement entièrement nus sous les draps de leur lit dans la première scène de 1.10 - The Honeymoon) affirme en prime time que la sexualité est une composante majeure et évidente des relations amoureuses. Il n’est pas anodin que les deux tiers des épisodes aient été écrits par des femmes.

Toutes ces réussites ne seraient que des remarques purement théoriques si la série n’était pas hilarante.
Les répliques et les situations sont servies par un trio d’actrices impressionnant : Valerie Harper est vraiment exceptionnelle et d’un timing comique aussi précis que Nancy Walker, vétérante de Broadway, dont le personnage de mère juive étouffante, déjà rencontré dans le Mary Tyler Moore Show, donne des accents alenniens surprenants à certains épisodes.
Julie Kavner, la première révélation de la série, s’en sort presqu’aussi bien avec son personnage de Brenda, moins bien écrit et moins cohérent que Rhoda et Ida (qui hérite de fat-jokes pas forcément très subtiles) et qui, avec une actrice un peu plus faible, serait vite devenue pathétique.

L’autre révélation est Lorenzo Music, co-créateur de la série, qui prête sa voix à Carlton le doorman alcoolique de l’immeuble de Rhoda et Brenda, et dont le timbre de voix très particulier en fait l’un des personnages invisibles de série les plus drôles jamais entendus.

(David Groh (Joe) n’a clairement pas le même talent comique que les autres, mais s’en sort honorablement dans le rôle du « straight-man ».)

Et cerise sur le gâteau, la série parvient à faire de l’épisode du mariage (1.08/1.09 - Rhoda’s Wedding), l’épisode spécial par excellence (il fut l’objet d’une promotion sans précédent par CBS à l’époque de sa diffusion et le plus gros succès d’audience des années 1970 avec plus de 50 millions de spectateurs) un des épisodes les plus satisfaisants à la fois de Rhoda et du Mary Tyler Moore Show (on y retrouve toute sa distribution, excepté, coup de génie des scénaristes, Ted Baxter !).
Il faut dire que Phyllis y vole la vedette à presque tout le monde, même si chaque personnage a droit à son moment de comédie ou d’émotion au cours de ses 50 minutes (c’est évidemment un épisode double).
Tendre sans être sirupeux, il parvient à célébrer avec drôlerie à la fois le couple et l’émancipation féminine.

Quand Rhoda avance seule dans l’allée (en fait le couloir d’un immeuble) avant de rejoindre l’assistance et de se marier, elle n’est pas une jeune fille qui est donnée par son père à un autre homme, elle est une femme indépendante qui réalise l’un de ses objectifs. C’est sûrement l’un des moments les pus émouvants de l’aventure Mary Tyler Moore (et l’un des mes préférés, pour sûr)

Une femme, un couple, une soeur, des parents, un doorman... Ecrits par beaucoup de femmes... Et quelques hommes

Comme j’ai adoré la quasi totalité des épisodes de la saison, dont la majeure partie a en plus été écrite par des femmes, je ne vois pas l’intérêt d’en faire une sélection.
Voici donc la liste des vingt-cinq épisodes agrémentés de quelques commentaires de ma part.

NB : Visionner la première saison de Rhoda n’est pas des plus simples et s’est parfois révélée un brin frustrante.
En effet, l’édition DVD comprend des épisodes d’une durée inférieures aux 26 minutes de leur première diffusion sur CBS.
J’ai donc fait la connaissance des épisodes "remontés" pour les diffusions de séries anciennes sur les chaînes du câble des années plus tard. Les scènes ne sont pas, comme pour les montages de diffusion en avion, supprimés pour des raisons de contenus mais pour réduire la durée des épisodes aux 22 minutes des sitcoms des années 1990. C’est assez gênant quand on sait qu’une phrase de dialogue peut changer le contexte de toute une scène…
Le pilote de Rhoda n’a ainsi plus jamais été diffusé aux USA avec sa première scène, soit les aux-revoirs entre Mary et Rhoda (heureusement en ligne sur Youtube). Bizarremment, quatre épisodes édités dans la version DVD sont visibles sur Hulu en version longue, mais il en reste huit disponibles seulement en version raccourcie.
Dans mes références aux épisodes, la mention *EDITED* après le titre indiquera que je n’ai vu que la version raccourcie.

— 1.01 - Joe (David Davis & Lorenzo Music)
Rhoda, en vacances chez sa soeur à New York, rencontre un homme divorcé.

Joli rappel de qui est Rhoda et de sa modernité.
Une réplique parmi tant d’autres.

— Joe : Why aren’t you in Minneapolis ? I said goodbye to you last night.
— Rhoda : Boy, did you ever.

—  1.02 - You Can Go Home Again (Pat Nardo et Gloria Banta)
Rhoda a du mal à trouver un appartement.

Un épisode hilarant saturé d’allusions sexuelles. Et dont les plus drôles reviennent à Ida, la mère de Rhoda.

— Ida : You can even entertain in your room.
— Ida : If you happened to get up early on a saturday morning and our door is closed, don’t come in.
— Ida : At your age, if you don’t have understand that a man won’t buy a cow if he has the milk for free.

— 1.03 - I’ll be loving you, sometimes (Norman Barasch and Carroll Moore) *EDITED*
Joe s’interroge sur le futur de sa relation avec Rhoda et lui propose de rencontrer d’autres personnes.  

Premier épisode de la saison sans Ida, qui reste sympathique.
Rhoda — "Please, we’re talking about sex, not love."
Brenda — "Please, I don’t want to hear they’re not the same thing"

— 1.04 - Parent’s Day (Charlotte Brown)
Joe rencontre les parents de Rhoda.

Très drôle, avec quelques références à la religion des Morgenstern.
On découvre que les canapés recouverts de plastique... Et qu’ainsi Fran Drescher n’est qu’une sale copieuse.

— 1.05 - The Lady in Red (Gail Parent)
Rhoda cherche du travail.

Un épisode qui repose entièrement sur les épaules de Valérie Harper, sensationnelle, faut-il le mentionner.

— 1.06 - Pop Goes The Question (Norman Barasch and Carroll Moore) *EDITED*
Rhoda et Joe décident de se marier.

Formidable épisode qui voit Rhoda réaliser qu’elle n’est pas aussi libre d’esprit qu’elle le pensait.

— Rhoda : I want to be (...) married. What a depressing thing to find out about yourself. This is so conventionnal. (…) I thought I was so hype, so beyond that, with it, so 1970.

On en a vu beaucoup dans le Mary Tyler Moore Show, mais le mot est prononcé enfin pour la première fois.

— Vic Rhodes : We’re not talking about a one-night-stand, we’re in town till thursday !

— 1.07 - The Shower (Gail Parent)
Rhoda retrouve ses camarades de lycée à l’occasion de son enterrement de vie de jeune fille.

Un joli épisode sur les angoisses adolescentes et le temps qui passe.

— 1.08 - Rhoda’s Wedding (James L. Brooks & Allan Burns & David Davis &Lorenzo Music &Norman Barasch & Carroll Moore & David Lloyd)
Tout est dans le titre.

L’épisode spécial parfait !
Il faut noter que Rhoda et Joe couchent ensemble la veille de leur mariage et qu’ils sèchent une partie du dîner du soir pour ça.
La rencontre entre Georgette et Ida est magnifique.

— Rhoda : I can tell it (the book) is old, they only listed one erogen zone.
— Brenda : And it’s not even a good one.

— 1.10 - The Honeymoon (Pat Nardo et Gloria Banta)
Les parents de Rhoda offrent à leur fille et leur gendre un voyage de noce inoubliable.

Très drôle.

— 1.11 - 9.E Is Available (Charlotte Brown) *EDITED*
Rhoda cherche un nouvel appartement.

Sympathique, avec cependant un peu trop de blagues sur la nourriture.

— 1.12 - I’m A Little Late (Norman Barasch and Carroll Moore)
Rhoda a du retard.

Premier retour d’un personnage périphérique, la copine enceinte présente dans l’épisode de la shower party. Rhoda va construire de cette façon un environnement social très large.

— 1.13 - Anything Wrong (Coleman Mitchell & Geoffrey Neigher)
Joe n’ose pas avoir une discussion avec Rhoda sur un problème du quotidien de peur de provoquer une dispute.

Toujours très drôle et très touchant.
On nous confirme que Joe et Rhoda ont une vie sexuelle intense.

— 1.14 - S’Wonderful (Marylin Miller)
Rhoda pense que Brenda sort avec un homme marié sans le savoir et se comprte alors... Comme sa mère.

Drôle et émouvant, même s’il y a un peu trop de "fat jokes" dans l’épisode.

— 1.15 - Good Bye Charlie (Charlotte Brown)
Rhoda et le meilleur ami de Joe ne s’aiment pas.

Très chouette épisode sur les amis du partenaire et sur l’idée de ce que doit être une épouse.

— 1.16 - Guess What I Got You For The Holiday (Coleman Mitchell & Geoffrey Neigher) *EDITED*
Joe est inquiet pour la survie de son entreprise.

Formidable épisode sur l’impuissance d’un conjoint à aider l’autre quand il se sent triste.
Séquence formidable et émouvante quand Joe écrase une larme en fin d’épisode, que le couple se demande si c’en est vraiment une.

— 1.17 - Whatta Ya Think Is There For (Coleman Mitchell & Geoffrey Neigher) *EDITED*
Rhoda et Joe demandent à Ida et Martin de leur prêter de l’argent.

Un festival Nancy Walker !

— 1.18 - Not Made For Each Other (Charlotte Brown)
Joe et Rhoda jouent les entremetteurs avec leurs amis.

Excellent épisode, très drôle, plein d’allusions sexuelles, avec une scène très drôle de rupture pré-relation entre Myrna et Charlie (deux personnages périphériques de retour).

— 1.19 - Strained Interlude (Coleman Mitchell & Geoffrey Neigher)
Rhoda décide de revoir un ex petit ami.

Séquence hilarante où Rhoda revit ses conversations imaginaires avec son alter ego jaloux de l’ex femme de Joe.

Souci de continuité : Rhoda revoit un certain David Bloom qu’elle aurait fréquenté pendant trois ans et dont elle aurait été amoureuse. Très étrange qu’il ait "existé" sans qu’elle n’en a jamais parlé à Mary. D’autant qu’il y a un épisode du Mary Tyler Moore Show où elle dit qu’elle vient de tomber amoureuse pour la première fois.

— 1.20 - Everything I Have Is Yours, Almost (Michael Leeson) *EDITED*
Rhoda est inquiète de savoir que Joe consulte un psychanalyste.

Avec les discussions sur la psychanalyse, c’est l’épisode le plus Alénien de la saison.
Fin très touchante.

— 1.21 - Chest Pains (Coleman Mitchell & Geoffrey Neigher)
Ida réclame ses filles auprès d’elle en pensant qu’elle a un souci de santé.

Un nouveau Nancy Walker Show.

— Ida : Brenda, all our secrets are about sex.

— 1.22 - Windows By Rhoda (Charlotte Brown) *EDITED*
Rhoda se rend compte qu’elle ne peut travailler efficacement chez elle.

Un formidable épisode sur la notion d’homme de la maison et qui montre que le public de la série a bien conscience des enjeux féministes de Rhoda.

— Building manager : They prefer that the man of the house signs this.
— Le public : ooooooooh !

— 1.23 - A Nice Warm Rut (Marylin Suzanne Miller) *EDITED*
Joe et Rhoda ont une dispute à propos de l’implication trop grande de Rhoda dans la vie de Brenda.

Joli épisode sur les relations entre soeurs et sur l’influence de l’aînée.
Pas l’épisode le plus drôle de la saison, mais vraiment plaisant.

— 1.24 - Ida, The Elf (Charlotte Brown)
Ida complexe de ne pas avoir eu une carrière professionnelle.

Un très bel épisode sur l’image négative que peuvent avoir d’elles-mêmes les femmes au foyer face aux femmes actives et au discours féministe.

— 1.25 - Here Comes Mary ((Coleman Mitchell & Geoffrey Neigher & Charlotte Brown)
Mary fait une visite surprise à Rhoda au moment même où elle s’apprête à partir en week-end avec Joe.

Episode sympathique sur l’importance de la relation amicale avec Mary et sur sa co-existence avec sa relation maritale.
Discussion franche sur le poids qu’a pris Mary (6 kilos).
Très touchant.

Jéjé
P.S. En saison 2, Rhoda devra faire face à la montée du conservatisme, la peur des premières amendes de la FCC et de la création de la “Family Hour". Pas sûr qu’elle résiste…
Notes

[1Excepté pour son générique, assez laid et pas très drôle.

[2Il n’y aura que deux petits minuscules aménagements à la marge concernant sa famille : les scénaristes vont oublier la petite soeur de Rhoda vue dans le 4.03 - Rhoda’s Sister Gets Married et le frère qu’elle avait seulement mentionné une ou deux fois.

[3Il ne s’est pas passé grand chose avec elle au cours de la quatrième, dû à un renforcement des intrigues du Mary Tyler Moore Show autour du lieu de travail de Mary.

[4Même si le président d’ABC de l’époque était très impatient que le mariage arrive et qu’il leur imposât que les voeux soient prononcés pour les sweeps de novembre.