Parce que je dois confesser que mon cerveau a tendance à s’engourdir et que je me retrouve à accepter sans sourciller ou nier certaines formes plus ou moins déguisées de sexisme.
Alors merci Feyrtys pour ces piqûres de rappel régulières qui m’ont permis d’ouvrir les yeux récemment sur deux trois choses dans l’univers des séries télés.
1. La Demoiselle en Détresse de The Following
La série sur la secte des serial killers de la FOX a bien des défauts : une complaisance crasse dans l’utilisation des images violentes, des facilités scénaristiques trop paresseuses pour ne pas être gênantes (pendant toute sa détention, le pire des serial killer du moment avait droit à un nombre illimité de visites sans qu’aucun renseignement ne soit pris sur ses invités, tout personnage secondaire un peu gentil se révèle être un serial killer à la solde du grand méchant...), l’utilisation de flash-backs comme unique moyen de donner un peu d’épaisseur aux enquêteurs...
Mais avant que Feyrtys ne poste un lien vers une vidéo (édifiante) de Anita Sarkeesian sur l’utilisation du cliché de la "Demoiseille en Détresse" dans le monde des jeux vidéos, j’étais passé complètement à côté de l’irritante nature du destin réservé au personnage de Nathalie Zea, le troisième rôle de la série.
En un mot, pour ceux qui auraient eu la bonne idée de ne pas la suivre, The Following conte un jeu macabre de chat et de souris entre Joe Caroll, un serial killer qui s’est échappé de la prison où il était enfermé à l’aide de complices qu’il mène comme le leader d’une secte et Ryan Harding, l’enquêteur qui l’avait arrêté une dizaine d’années auparavant.
Entre ces deux hommes se trouve Claire Matthews (Nathalie Zea), l’ancienne femme de Joe Caroll devenue la maîtresse de Ryan Harding au moment où les activités criminelles de son mari ont été découvertes.
Dans le premier épisode, le FBI investit le domicile de Claire et l’y consigne pour sa protection.
A peine Caroll retrouvé et reincarcéré, son enfant, le fils de serial killer, est enlevé.
Elle reste ainsi prisonnière dans sa propre maison et passe son temps à attendre des nouvelles de Harding.
Dans le deuxième épisode, elle est attaquée par l’un des sbires de Caroll , sauvé par son ancien amant.
Dans le cinquième épisode, elle échappe à la surveillance du FBI pour plonger à pieds joints dans le plus évident des pièges tendu par un nouveau complice de Caroll, avant d’être sauvée (une fois de plus) par le FBI.
Elle est assignée à résidence depuis.
Ainsi, depuis le début de la série, le personnage féminin central se retrouve dans la double situation de danger permanent et d’isolement spatial, situation sur laquelle elle n’a aucun contrôle, pas plus que des moyens d’agir, son seul salut se trouvant dans les mains du héros viril pour se conformer à la définition la plus stricte que donne Anita Sarkeesian de la "Demoiselle en Détresse".
Fragile et inapte, elle est cependant l’objet du désir des deux antagonistes masculins.
Plus que dans son physique, sa réelle valeur pour les deux hommes réside dans le fait de constituer le trophée qui sera refusé au perdant de leur affrontement, exactement comme l’est Princess Peach l’est dans le duel entre Mario et Bowser.
Cet exemple, tellement grossier, de la "femme-fragile-trophée" est devenu, j’ai l’impression, assez rare mais il a été remplacé par une version plus politiquement correct, ce que TV Tropes appelle la "Faux Action Girl", vue récemment dans Banshee.
2. La Faux Action Girl de Banshee

Voici Anastasia.
Elle sait se battre à mains nues, escalader des façades d’immeubles, faire des dérapages contrôlés à 200 km/h sur l’autoroute, démonter à l’insu de son agresseur le chargeur de son arme…
Ce qui fait d’elle au premier abord l’archétype de l’héroïne moderne qui refuse s’associer féminité et fragilité physique, et qui lui permet d’exister au même plan que les hommes dans une série qui a aligné en dix épisodes les bastons les plus sanglantes et les fusillades les plus longues depuis Strike Back.
On pourrait croire que c’est la Sydney Bristow des campagnes.
Malheureusement, malgré ces atouts physiques qui lui permettent d’exploser la tronche des plus violents hommes de main de son gangster de père, elle reste dans le fond la plus simple des demoiselles en détresse.
Le moteur de toutes les intrigues de Banshee réside dans le fait qu’Anastasia est incapable de faire face à la colère de son père sans l’aide de tous les hommes de sa vie.
En effet, la jolie princesse (Anastasia) a beaucoup énervé le méchant souverain (Mister Rabbit) quand elle a été séduite par l’un de ses chevaliers (Hood) et que le couple à décidé de s’enfuir en emportant avec eux le trésor royal (dix millions de dollars en diamants).
S’est alors engagée alors une lutte à mort pour sa possession (encore...) entre les deux hommes.
On voit bien (ne serait-ce qu’avec les noms des personnages) que la série assume une filiation avec les contes pour enfants et qu’elle s’en voudrait une variation contemporaine pour adultes. Mais dans Banshee, une princesse toute moderne qu’elle puisse paraître ne peut toujours pas à être autonome et ne pas être en permanence en position de devoir être secourue.
Dans l’histoire, la fuite des amants n’est que de courte durée et c’est par le sacrifice de l’homme qu’Anastasia échappe à son père et à la police.
Seule (et enceinte), malgré toutes ses ressources individuelles, elle décide de séduire et d’épouser un homme de pouvoir dans une petite ville. Protégée temporairement, elle se retrouve vite prisonnière de son identité cachée et vulnérable à travers ses enfants.
En l’espace de dix épisodes, elle manque de se faire violer, de se faire tuer, sa fille se trouve embringuée dans une histoire de traffic de drogues, se fait prendre en otage, son fils se fait kidnapper. Et qui trouve-t-on, à chaque fois, pour la venger, l’emmener à l’hopital et secourir ses deux enfants au péril de sa vie ? L’homme infaillible, le vrai héros...
Peach, même avec les habits de Lara Croft, reste Peach !
3. Sauver Enlightened ?
HBO l’a annoncé il y a quelques jours, la série de Mike White n’aura pas de troisième saison.
C’est vraiment très dommage : Enlightened est une très belle série construite autour d’un personnage principal féminin aux aspirations inédites. Elle a, en effet, pour ambition de participer à une évolution d’un monde plutôt que de se faire une place en haut de l’échelle de celui qui existe.
On est loin des considérations égocentriques et étriquées qui animent les personnages de Girls, très présente dans les discussions qui ont eu lieu sur son avenir.
Forcément, les deux séries partagent le même format, le même network, ont été diffusées cette saison l’une à la suite de l’autre et ont toutes les deux un public extrêmement réduit. Girls, cependant, fait beaucoup plus parler d’elle dans les médias.
L’idéal aurait été qu’elles soient renouvelées toutes les deux.
Mais puisque la situation a fait qu’une seule n’a survécu cette saison, je suis content que ce soit Girls.
Au jeu des comparaisons, je reconnais qu’Enlightened est plus ambitieuse, plus maîtrisée et plus originale.
Mais c’est un homme qui a en écrit tous les épisodes. Un homme brillant, certes, à la voix unique, mais c’est un homme. Et oui, c’est une perte (momentanée, je l’espère) pour les séries télé américaines contemporaines.
Mais, s’il est important qu’il y ait un maximum de personnages féminins complexes, fascinants et originaux, il est plus important qu’il y ait un maximum de voix féminines qui puissent dire ce qu’elles ont envie de dire.

Et ne serait-ce qu’à cause des réactions débiles provoquées par l’épisode avec Patrick Wilson, il est essentiel que Girls continue.
A mon avis, les commentaires sur l’invraisemblance du désir du personnage de Patrick Wilson pour une femme avec le physique de Hannah ne sont qu’une expression rationnalisante des détracteurs de Lena Dunham qui ne supportent pas que ce soit une jeune femme scénariste, productrice, réalisatrice et actrice de vingt ans, qui ait le contrôle dans cette série et qu’elle fasse ce qu’elle veut.
Mais bon, c’est vraiment dommage pour Enlightened.