Il n’y a pas si longtemps, il aurait fallu des mois ou des années pour qu’arrive en France l’écho de la suédoise « Äkta Människor ». A l’heure d’Internet, à peine trois épisodes de la première saison (qui en compte dix) ont été diffusés sur SVT1 en Suède, avant que le buzz n’atteigne le web francophone. Faire parler d’elle très vite, c’est visiblement une caractéristique de « Äkta Människor » : avant même la programmation de son premier épisode, le groupe Shine en avait acquis les droits de distribution, et celui de production d’un remake en anglais, via sa filiale Kudos (productrice de « Spooks / MI-5 », « Life on Mars », « The Hour »).
Depuis déjà plusieurs années le monde a pris l’habitude de bénéficier de la présence de Hubots — contraction de Humain et Robot — des machines humanoïdes programmées pour effectuer diverses tâches : du robot ménager familial à l’ouvrier, en passant par les services sexuels. Depuis les premiers modèles, basiques tant dans leur apparence que dans leurs fonctionnalités, la technologie n’a cessé de progresser. Les programmes ultra-perfectionnés des robots leur permettent désormais d’apprendre, voire d’approcher de véritables émotions.
L’importance grandissante des Hubots est diversement appréciée dans la société suédoise qui est le cadre de la série. Tandis que certains ont pris le parti de les traiter comme de véritables Humains, d’autres au contraire les rejettent totalement et veulent les éliminer.
A l’heure où certains sont encore persuadés que la science-fiction n’appartiendrait pas à la culture européenne, malgré l’évidence — il est particulièrement intéressant de voir comme la qualité, tant critique que commerciale, des séries britanniques a explosé après qu’elle soit mise à produire de nouveau de la SF et du fantastique après une longue période de jachère de quinze ans — « Äkta Människor » prouve brillamment que tout est possible, à condition de le faire avec intelligence.
En effet, son postulat de SF, « Äkta Människor » l’ancre avec force dans les contradictions et les points de tension de la société suédoise contemporaine, qui rejoignent d’ailleurs ceux de bon nombre de pays d’Europe de l’Ouest.
Parfois dépeints comme des sortes de sociétés parfaites, les pays nordiques ont leurs démons, que les romans noirs ont abondamment exploités ces dernières années. La question de la mondialisation et du multiculturalisme, notamment, provoque des tensions et l’émergence de mouvements politiques d’extrême droite, sans parler de radicaux aussi extrêmes que celui à l’origine de la tuerie d’Oslo.
Ce sont tous ces thèmes, ainsi que d’autres plus généraux sur les formes modernes de quasi-esclavagisme et la sexualisation de la société, que « Äkta Människor » met en avant, avec pas mal d’intelligence et de subtilité. Le scénario s’appuie sur un récit choral, éclaté entre un assez grand nombre de personnages, que différents fils relient entre eux. C’est bien une société que le scénariste Lars Lundström veut décrire, pas seulement une poignée d’individus.
La tâche est difficile. Force est de reconnaître, sur la base des trois premiers épisodes, qu’il s’en acquitte fort bien.
La série s’ouvre avec un groupe de robots renégats qui a décidé de revendiquer indépendance et liberté — il est illégal pour un Hubot de ne pas avoir de propriétaire. Le groupe est mené par deux leaders, Leo et Niska, qui ne s’entendent pas sur les méthodes. La seconde est bien plus radicale que le premier : elle pense que les Humains ne leur donneront jamais la liberté, qu’il faudra l’arracher par la force en les soumettant.
Leo, un modèle étrange au passé mystérieux, est amoureux d’un autre Hubot, Mimi. Mais celle-ci est enlevée par des Humains qui trafiquent des robots, les reprogrammant pour pouvoir les revendre. Leo quitte le groupe pour partir à sa recherche, laissant les rebelles entre les mains de Niska. Il ignore qu’elle a tué, lançant la police dans une traque du groupe rebelle...
Lennart est un homme âgé qui possède un vieux Hubot comme auxiliaire de vie. Mais celui-ci, Odi, dysfonctionne de plus en plus. Sa fille, l’avocate Inger, demande à son mari Hans de lui acheter un modèle neuf. Le vendeur le convainc de prendre un modèle très perfectionné, et très cher, en lui offrant un modèle gratuit plus basique de Hubot ménager, même si Inger n’avait jusqu’ici jamais accepté d’avoir un Hubot chez elle. Mais Inger et Hans ignorent que leur Hubot de seconde main, Anita, est en fait Mimi, le modèle volé et reprogrammé.
De son côté, le grand-père Lennart ne se fait pas du tout à son nouveau Hubot bien trop dirigiste, et réactive en secret son ancien modèle défectueux...
Roger, qui habite en face d’Inger et Hans, est l’un des derniers ouvriers de son usine. Presque tous les employés y ont été remplacés par des Hubots, à qui il voue une haine viscérale — qui se renforce encore quand sa femme décide de le quitter pour s’installer avec Rick, leur Hubot.
Roger se rapproche d’un groupe qui partage ses idées anti-Hubots, nommé Äkta Människor : Humains Véritables...
La série est donc touffue, et tend même à rajouter des pistes et des personnages au fil de ses épisodes. Elle est certainement exigeante envers ses téléspectateurs, vu sa manière de s’éclater dès le Pilote en différentes intrigues relativement peu reliées entre elles. L’ensemble reste pourtant fluide et compréhensible, et prend son sens au fur et à mesure des épisodes quand on prend la mesure de la réelle maîtrise de la série, et de sa volonté d’ausculter son sujet sous tous les angles.
Avec une réussite indéniable, « Äkta Människor » alterne le politique et l’intime, l’empathie et la transgression, le mystère et l’émotion. Elle ne nous rapproche de ses personnages que pour mieux poser des questions difficiles, voire perturbantes. Elle présente un vaste éventail de caractères et d’attitudes envers les Hubots, et impose assez peu de jugement moral sur ce qu’elle montre, laissant la plupart du temps le spectateur répondre à ses propres questions.
La mise en image de la série est élégante et ne trahit que très rarement son budget très limité (entre 600 et 700 000 € par épisode d’après Spin-off). Malgré quelques excès – le coté propret de la banlieue résidentielle chic, vraiment appuyé notamment via l’image surexposée, ainsi que l’Univers pastel des Hubots, à la fois peu vraisemblable et assez cheap — les différents univers représentés dans la série sont crédibles. La narration ne progresse qu’à un rythme assez posé, pour mieux prendre le temps de donner de l’épaisseur à des personnages qui bénéficient d’une interprétation dont le niveau général est de très bonne qualité.
« Äkta Människor » est donc une excellente surprise qui confirme la nouvelle vitalité des pays d’Europe du Nord en matière de séries. Arte, dans le prolongement de sa politique de mise en avant des meilleures séries européennes, devrait la proposer sur son antenne en 2013.
Notre entretien avec le créateur et scénariste de « Äkta Människor » :
LARS LUNDSTRÖM — ‘‘Tous les pays d’Europe de l’ouest sont concernés par les mêmes problématiques’’
« Äkta Människor »
Une production Matador Film pour SVT1.
2012 – 10x60’
Écrit par Lars Lundström.
Réalisé par Harald Hamrell (épisodes 1-6, 9 et 10) et Levan Akin (épisodes 7 et 8).
Avec : Andreas Wilson, Eva Röse, Leif Andrée, Lisette Pagler, Johan Paulsen, Pia Halvorsen...
Dernière mise à jour
le 1er août 2012 à 16h03