LARS LUNDSTRÖM — ‘‘Tous les pays d’Europe de l’ouest sont concernés par les mêmes problématiques’’
Entretien avec le créateur et scénariste de « Äkta Människor » / « Real Humans », diffusée la saison prochaine sur Arte.
Par Sullivan Le Postec • 1er août 2012
La science-fiction à la télévision Suédoise, c’est aussi inhabituel qu’en France. Cela n’a pas empêché « Äkta Människor » de remporter un succès international. Rencontre avec son créateur et scénariste.

La série de science-fiction Suédoise « Äkta Människor » — rebaptisée « Real Humans » à l’international — faisait partie du programme des Rencontres de Série Series, début juillet à Fontainebleau. Après vous avoir parlé des premiers épisodes de cette série étonnante et très réussie en mars dernier, nous avons pu rencontrer son créateur et évoquer avec lui le paysage audiovisuel suédois et la manière dont il ambitionnait d’écrire sur un démon qui remonte à travers toute l’Europe Occidentale...

Le Village : Pourriez-vous nous décrire un peu le paysage audiovisuel Suédois ? Quels genres de séries sont produites ?

Lars Lundström : Comme vous le savez, la Suède est un petit pays comparé à la France ou à la Grande-Bretagne. Nous avons environ 9 millions d’habitants. Il n’y a pas tellement de chaînes qui commandent de la fiction. Il y a le groupe public SVT : SVT1 est la première chaîne de Suède et celle qui investit le plus dans la fiction. Ensuite il y a la première chaîne privée TV4 (groupe TV4), ainsi que deux autres chaînes commerciales qui ont leurs propres productions : Kanal 5 (groupe ProSieben) et TV3 (groupe Modern Times). En plus de ça, il y a plusieurs autres chaînes de niche qui diffusent principalement des programmes importés, principalement des États-Unis, mais aussi un peu de France.
Donc, le groupe public SVT est vraiment le premier diffuseur de fiction originale suédoise, ils commandent des fictions policières, un peu de comédie mais pas énormément, et ils font des séries longues de 10 épisodes et des mini-séries dramatiques. TV4 fait de la fiction policière et un peu de comédie.

Donc le fait que « Äkta Människor » soit une série de science-fiction est quelque chose de très inhabituel ? Il n’y a jamais eu de tradition du genre comme en Grande-Bretagne par exemple ?

Oh oui ! C’est très inhabituel en Scandinavie, comme dans la plupart de l’Europe de produire des séries de science-fiction. Ce genre est vraiment associé aux Etats-Unis, aussi parce qu’on a tendance à penser qu’il requiert des budgets énormes. Mais en fait on peut s’en sortir si on est ingénieux, et je crois qu’on l’a pas mal fait. Jusqu’ici, la majorité de la fiction Suédoise était vraiment nos séries noires et policières, dans la plupart des cas adaptées de romans. Certaines sont populaires en Allemagne, et il y a eu des co-productions entre la Suède et l’Allemagne pour en produire et cela a participé au fort développement du genre. Mais je crois que le marché de la série noire scandinave est un peu saturé en ce moment. J’espère qu’on inspirera d’autres à investir le genre, à s’éloigner un peu des univers policiers et des dramas réalistes pour aller vers des choses un peu plus high concept.

Ça a donc été un peu une bataille d’imposer cette idée ?

Oui, c’est vrai. Mais un des Conseillers de programmes de la télévision suédoise était très enthousiaste vis-à-vis de ce projet. Pour lui, convaincre ses patrons, et trouver des partenaires pour le financement n’a pas été facile. Alors on a décidé de produire un Pilote de huit minutes, juste pour montrer que c’était possible, qu’on pouvait le faire et pour que les gens comprennent ce à quoi cela allait ressembler.

Je suppose que ce n’est pas très commun de produire ce genre de Pilote ?

En effet, c’est inhabituel. Mais je pense que d’autres devraient le faire plus souvent. En revanche, c’est certain qu’il faut que ce soit réellement financé : pour fonctionner, ça ne peut pas être cheap, il faut que le visuel soit conforme à la série à venir.

D’autant plus pour de la science-fiction, où il faut convaincre qu’on va pouvoir s’identifier à cet Univers...

Exactement. L’objectif était vraiment de convaincre les gens de l’existence de ce monde, à la fois que nous étions capable de le produire, et que le téléspectateur serait en mesure d’y croire.

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Vous avez expliqué que « True Blood » avait joué un rôle dans la naissance de votre série ?

Oui, quand j’ai vu « True Blood », ça m’a ouvert une porte quant à la manière dont on pouvait imposer un monde particulier, comment cela pouvait être fait. Il n’y a pas besoin d’expliquer, d’infliger énormément d’exposition ennuyeuse. L’univers s’impose de lui-même, ce sont les histoires qu’on raconte qui vont accrocher le spectateur. La comparaison avec « True Blood » ne va pas plus loin que cela, mais cela a été important pour que j’entrevoie comment j’allais concrètement écrire cette idée que j’avais en tête sur des robots.

La manière dont la série est écrite est assez exigeante : il y a plusieurs groupes de personnages dont on suit les histoires en parallèle. Bien sûr tout cela est interconnecté, mais au moins dans les premiers épisodes, cela demande un certain engagement de la part du public. C’est une manière d’écriture commune en Suède ?

Je crois que cette façon d’écrire est assez courante en Grande-Bretagne. C’est une dramaturgie adaptée aux séries dramatiques, de suivre ainsi des destinées parallèles. C’est presqu’un genre en soit. Parfois, cela peut aussi en demander trop au public. Parfois on s’en sort. Sur cette échelle, je ne sais pas trop où nous nous situons avec « Äkta Människor » ! J’en tendance à penser que parfois nous avons été un petit peu trop loin. Je ne suis pas sûr, c’est vraiment difficile pour moi d’en juger. Je n’écris pas toujours de cette façon. Mais pour cette série, je voulais montrer comment toute une société est affectée par les robots, alors j’avais besoin d’avoir différentes sortes de personnages dans différentes couches de la société.

La Suède n’est pas très connue en France. Quand on en parle, on en a souvent une image très positive, le cliché d’une société idéale, humaine et solidaire. Mais la fiction qui ressort de ce pays, les séries noires bien sûr, mais aussi « Äkta Människor » qui, à son cœur, est assez sombre, en donnent une image complètement opposée...

En fait, je n’avais pas de choses particulières à dire à propos de la société Suédoise, mais plutôt à propos de la société occidentale en général. Bien sûr, comme je suis Suédois, que j’ai grandi en Suède, cela influe sur mon écriture et les histoires que je raconte. Les choses qui sont mises en avant en Suède transparaissent dans « Äkta Människor » il me semble.
Je crois cependant que la France, la Suède, tous les pays d’Europe de l’ouest, sont concernés par les mêmes problématiques, même s’il peut y avoir certaines particularités. La question de la gestion des flux migratoires venus d’Afrique, d’Asie, et même d’Europe de l’est est vraiment cruciale dans tous nos pays. Dans les moments de tension ou de crise, comme celui que nous vivons en ce moment, ces sujets redeviennent proéminents — et c’est assez effrayant. La manière dont Roger traite les Hubots est proche de celle dont certains traitent les immigrés, très différemment de ce qu’ils appellent ‘‘les leurs’’. Ils n’ont pas les mêmes droits, ils sont traités comme s’ils étaient moins qu’Humains. Il y a là un parallèle fort.

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La série est devenue un vrai phénomène. Elle a généré beaucoup de presse en Suède, a été vite connue à travers l’Europe, les droits de remake ont été vendus...

C’est agréable, bien sûr ! Quand on fait quelque chose on espère qu’il sera vu par le plus grand monde. Ce n’est pas seulement pour mon égo : tellement de personnes ont travaillé sur cette production. Il y a eu tellement d’efforts qui y ont été mis. Je crois qu’on a fait du bon travail, je suis heureux qu’on puisse le montrer, que ce travail voyage.

Vous vous y attendiez ?

Même s’il a été difficile de convaincre de faire la série, nous avons réalisé dès ce moment-là que la série était facile à définir, qu’on pouvait facilement communiquer ce qu’elle était. Je travaille dans ce business depuis suffisamment longtemps pour savoir la valeur de cela. Quand on a un pitch qui est difficile à communiquer, quelque chose qu’on voit à l’intérieur de soit en ayant du mal à mettre des mots dessus même si on est persuadé que ce sera bien, c’est toujours difficile. Ces projets-là n’aboutissent presque jamais. Si vous avez une histoire qui se communique très facilement, pas dans le sens où les gens la comprennent simplement, mais dans celui où les gens en saisissent immédiatement sa qualité, les possibilités qu’elle offre... C’était le cas de « Äkta Människor » et je pense que c’est la clef de son succès international.

J’ai trouvé que la promotion de la série avait été excellente, notamment cette vidéo virale de publicité pour les Hubots. Vous avez été impliqué dans cette démarche ?

Un petit peu. Il y a une personne en particulier qui a été chargé de réaliser ces publicités, et qui les a vraiment très bien exécutés. La plus grosse part du crédit lui revient. Quand on l’a vu, on a constaté que c’était très bien et qu’on pouvait s’en servir !

Quel est le processus de développement des scripts à la télévision Suédoise ? Est-ce qu’ils vous commandent des synopsis, des séquenciers, ou bien est-ce qu’il est possible de passer du pitch au scénario, comme en Grande-Bretagne.

En général, au début, ils vous commandent un synopsis des arches de la saison, plus un scénario d’épisode, ou parfois de deux épisodes, et c’est sur cela que se base la décision de commander la production d’une saison ou pas. Cela peut arriver qu’ils demandent des traitements plus développés ou des séquenciers, cela dépend de leur degré de confiance

La deuxième saison a été commandée ou pas ?

Oui, enfin plus ou moins. Il y a encore certaines discussions à avoir, et des contrats à signer. Mais c’est en très bonne voie. SVT a relancé la production, ils veulent cette deuxième saison, les finances sont bouclées, donc les choses avancent bien. On planifie le début du tournage pour janvier prochain, la saison devrait arriver à l’antenne en octobre 2013. J’ai écrit la première saison moi-même, sur cette prochaine saison je travaille avec un coscénariste. Je crois que nous avons six scripts sur les dix de la saison.

Vous avez toujours su ce que vous vouliez raconter dans cette deuxième saison ?

Non, ce n’est pas le cas. Ça a été un gros travail de définir les arches de cette deuxième saison. Le résultat me semble fun et malin, je crois que ce sera meilleur que la première saison. J’espère !

Propos recueillis le 6 juillet 2012 dans le cadre de Série Series.

Post Scriptum

Merci à Série Series et à Blue Helium.
Crédit de la photo de Lars Lundström : Olivier Vigerie – Série Series.

« Äkta Människor » / « Real Humans » sera diffusée sur Arte au cours de la saison 2012-2013.

Dernière mise à jour
le 1er août 2012 à 11h38