ÇA TOURNE ! — Hard, saison 2
’’Ah, on la retrouve bien, la pauvre fille !’’
Par Sullivan Le Postec • 15 mai 2010
« Hard » a fait impression lors de la diffusion de sa première saison en 2008 sur Canal+. Elle y a gagné le droit à une vraie saison 2 de 12 épisodes. Le Village a passé une journée sur le tournage l’année dernière.

Pour la Nouvelle Trilogie, c’est un peu une consécration. Chaque année, Gilles Galud et Bruno Gaccio, respectivement le producteur au sein de la Parisienne d’Images et le responsable de l’unité dédiée, “La Fabrique”, chez Canal+, lancent des ballons d’essais. Trois pilotes, sous la forme de trois épisodes de 26 minutes. Avec « Hard », et pour la première fois, cette expérience connaît une suite, une seconde saison de 12 épisodes, à nouveau orchestrée par Cathy Verney qui réalise et signe les scénarios, assistée pour cette partie de Stéphane Foenkinos, Odile d’Oultremont et Cécile Berger.

Dès l’origine, « Hard » a été un cas à part. Contrairement à toutes les séries de la Nouvelle Trilogie, sa première saison ne comportait pas trois épisodes, mais six. Preuve que Galud et Gaccio avaient bien senti qu’ils tenaient quelque chose. Preuve, aussi, de leur adaptabilité : la décision de tourner six épisodes au lieu de trois a été prise à peine quelques semaines avant le début du tournage, alors qu’un minutage avait révélé que ce qui avait été écrit dépassait largement la longueur prévue. Plutôt que de couper dans du bon matériel, ils ont préféré retourner la table et doubler le nombre d’épisodes.
C’est que la série était maligne. Au départ, il y a un concept à la « Weeds » – une mère de famille bien sous tout rapport découvre à la mort de son mari que la boite qu’il dirigeait et qui assurait des revenus confortables au foyer n’était pas une entreprise familiale traditionnelle, mais Soph’X, une société de production de contenus pornographiques ; si elle veut garder un toit au dessus de sa tête et de celle de ses enfants, elle va devoir en reprendre les rênes. Ce concept, « Hard » l’exploite pleinement, sans se défausser, et en tire toute la drôlerie. Mais la série allait très vite beaucoup plus loin, et se servait de l’univers du porno pour développer un propos passionnant sur le sexe, l’amour, les fantasmes féminins avoués ou non, et la manière dont la normativité de notre société constitue un étouffoir permanent qui castre nos désirs et nos plaisirs. Au-delà de son coté découvreur de talents, qu’elle assure très bien, la Nouvelle Trilogie a aussi un certain devoir d’impertinence dans ses choix de sujets. Et la télé française a finalement produit peu de choses aussi subversives que « Hard ».

Cathy [Verney], elle nous a vraiment bluffé par sa direction d’acteur, et sa capacité à créer un casting homogène et à faire jouer tout le monde dans le même registre, en vrai chef d’orchestre”, racontent Gilles Galud et Bruno Gaccio quand on leur demande pourquoi ils ont choisi à l’époque de faire ce projet. “Hard étant la série qui était la plus simple d’accès et qui a été la plus populaire, on a très rapidement voulu faire une suite,” prolonge Gaccio. “Et on s’est rendu compte que c’est vachement long de faire une suite parce qu’une saison 2, ça doit forcément être meilleur. Or on se butte à la fin de l’effet de surprise”.

Remplir un blanc

Les studios de Soph’X ont déménagé depuis la première saison. La société a investi des locaux plus grand, qu’elle a aménagé en de multiples petits boxes thématisés : maison de campagne rustique, cuisine, toilettes cosmiques, garage, avion, grange de western... Il y en a pour tous les fantasmes. Sophie déambule entre ces différents décors, où se tournent en direct autant de scènes diffusées sur internet. Elle propose des collations sophistiquées aux hardeurs en plein labeur. Grand moment prolongé de solitude. “Ah, on la retrouve bien, la pauvre fille !” s’exclame Natacha Lindinger après une prise. L’actrice est visiblement heureuse de retrouver son personnage.
Sur le tournage, Gilles Galud est attentif et impliqué. Son œil repère deux secondes un peu vides pendant un mouvement de caméra, il suggère d’y placer deux figurantes pour animer le plan. Le cadre de la Nouvelle Trilogie, qui fait chaque année tourner leur premier projet à des auteurs n’ayant jamais signé de fiction, impose de leur offrir une équipe hyper-pro, dans laquelle leur talent va pouvoir, du moins tout le monde l’espère, pleinement se révéler et éclore.

A la fin de la première saison de « Hard », Sophie décidait finalement de tourner le dos aux convenances et d’assumer aimer Roy Lapoutre, ex-hardeur – il venait de renoncer à sa profession pour elle. Mais décider qu’on va assumer et assumer vraiment ce n’est pas la même chose. “Sophie finalement, est la même,” explique Natacha Lindinger, “puisqu’on revient neuf mois avant la dernière scène de la saison 1. Elle est toujours à digérer difficilement, un peu fragilisée par un sexe en gros plan. Elle fait avec maintenant, ça ne l’a fait plus vomir. Cependant, comme elle le dit à sa belle-mère, si elle doit nourrir ses enfants, elle n’est pas non plus obligée d’y prendre goût. Elle en est là. Aujourd’hui, on tournait une séquence de l’épisode 1, mais ensuite elle va continuer d’évoluer, beaucoup par combativité : elle se bat pour vendre, elle se bat pour que ses enfants aillent mieux, elle se bat pour accepter son amour pour Roy, pour accepter de dire cet amour. Mais à chaque fois, elle encontre de gros obstacles”.
On s’est beaucoup interrogé quant au moment de la narration où on allait reprendre la saison 2,” explique Gilles Galud au sujet de ce retour en arrière. “On s’est aperçu que le raccourci était trop fort et qu’on avait envie de raconter cette progression entre le moment où elle s’avouait cette attirance et le moment où elle allait l’aimer.” La phrase qui terminait la première saison, quand Spohie recommandait Roy à une cliente de Soph’x, « C’est le meilleur, c’est mon mari », “intervient au sixième ou au septième épisode de la saison 2,” révèle Gaccio. “Avant de prolonger, on va raconter la longue impossibilité de leur amour”.

Roy Lapoutre, ou plutôt Jean-Marc au civil, est lui aussi engagé sur la voie du changement. Il a renoncé à sa carrière de hardeur et entreprend de devenir un acteur traditionnel. Ce qui imposera bientôt à François Vincentelli de jouer des scènes difficiles d’acteur pas très bon lors de castings : “je n’ai pas envie de tomber dans la caricature du mauvais,” prévient-il. “Je vais essayer d’être sincèrement mauvais. Comme Cathy est une excellente directrice d’acteur, on va essayer de trouver le juste équilibre”.
Finalement, Roy va décrocher le rôle de Christian dans une version de « Cyrano de Bergerac » mise en scène par Guillaume Gallienne. Au départ, le scénario prévoyait le retour de Denis Podalydès, qui jouait son propre rôle dans un épisode drôlissime de la première saison. “C’est mon plus beau souvenir de tournage, cette journée avec Denis,” raconte François Vincentelli. “J’ai jamais autant ris de ma vie. Enfin, intérieurement, parce qu’il ne fallait pas !” Podalydès, partant sur le principe, n’a pas réussi à trouver une date dans son agenda qui corresponde à un tournage qui a lui-même du se plier à pas mal d’impératifs.

La surprise

Une très heureuse nouvelle est en effet venue bouleverser la production de cette deuxième saison : Natacha Lindinger attend son premier enfant. Une découverte survenue peu après la fin du tournage de la série de France 3, « 1788 1/2 ». L’actrice a alors enfin compris pourquoi les corsets lui étaient devenus si pénibles, et que ses vomissements n’avaient rien à voir avec l’épidémie de gastro dont avait souffert le tournage. “Quand j’ai découvert que j’étais enceinte, j’ai pensé que je n’allais pas pouvoir faire la série. Mais Cathy Verney, Gilles Galud et Bruno Gaccio m’ont tout de suite dit qu’il n’était pas question de le faire avec une autre comédienne, et qu’on allait le faire bien”. Pour Cathy Verney, “Hard, c’est Natacha. Et il n’était pas question non plus de tout reporter : on était déjà en pleine préparation”.
Du coup, le tournage de 12 épisodes a été divisé en deux blocs : les six premiers sont tournés depuis le 26 avril et jusqu’au 10 juin. Les épisodes 7 à 12 seront tournés à partir de septembre, après l’accouchement de Natacha Lindinger [1]. Ironiquement, il faut donc aujourd’hui cacher son ventre qui s’arrondit par des gilets, des sacs à main et des plans serrés, alors que Sophie sera enceinte dans les derniers épisodes de la saison qui seront tournés après son accouchement.

Cette organisation particulière “a des incidences budgétaires évidentes,” admet Gilles Galud, “on doit réserver les comédiens deux fois. On perd toutes les économies d’échelle”. Sans compter qu’en France, assurer une actrice enceinte est particulièrement compliqué, ce qui les empêche le plus souvent de travailler tout le temps de leur grossesse (et donc, forcément, de prétendre à une indemnité au moment du congé maternité...). “C’est un cadeau d’être une comédienne enceinte sur une série que j’ai adoré faire, avec une réalisatrice que j’aime beaucoup, et qui est une maman et d’être entourée de partenaires qui me font mourir de rire tous les jours,” confie Natacha.

Un cadre très particulier

Le milieu dans lequel se passe la série n’est évidemment pas sans conséquences pour les acteurs. Les locaux de Soph’X sont remplis de figurants très actifs qui sont autant de vrais hardeurs et hardeuses. Ceux de la première saison ont rempilé, très contents de le faire. “Ils savent que c’est bon esprit, que je ne vais pas les filmer gratuitement ou me moquer d’eux,” explique la réalisatrice.
Comme lors du tournage de la saison 1, le premier jour on arrive persuadé qu’on va être super cool par rapport à ça, décontracté,” admet Natacha Lindinger. “Et on se fait avoir. Un truc de môme : on rougit un peu, on ne sait pas si on est gêné ou curieux. Mais au bout d’une journée où on voit que ces gens sont très à l’aise avec leur corps, n’ont pas de problème et vont à la machine à café le matin à coté de vous, à poil, il y a un moment où on se détend carrément et...
— Et on se fout à poil !
” interrompt Vincentelli. Maintenant, à la machine à café, on est toujours à poil !

Les autres acteurs confirment être passé par ce moment initial de gêne, qui amène sa part de régression infantile. Jusqu’au moment où ils en sont venus à se détendre vraiment, et à apprendre à découvrir les vraies personnes qui se « cachent » derrière les hardeurs.
Mais l’équipe pointe aussi que le sujet de « Hard » n’est clairement pas les aspects un peu glauques du monde du porno. “On a décidé de prendre le coté joyeux du porno chez l’adulte responsable,” explique Vincentelli. Charlie Dupont, qui interprète un autre des hardeurs de Soph’X, Corado, renchérit : “c’est le grand art de Cathy que d’en faire quelque chose qui ne devienne pas ni gras, ni vulgaire. Chaque seconde ça menace de devenir graveleux, mais ça ne l’est jamais : ça reste une comédie romantique située dans cet univers là,” le tout traité par Cathy Verney avec un vrai sens de l’absurde, disséminé dans les séquences.
Pour Charlie Dupont, le décalage apporté par la scénariste-réalisatrice vient aussi de la caractérisation des personnages, qui ne s’inscrit pas dans les attentes et les clichés associés aux acteurs porno. “Corado est quelqu’un d’excessivement gentil, ce n’est pas la première chose qui vient à l’esprit pour un hardeur. Il est aussi très croyant et réac’, et va monter au créneau quand les acquis sociaux des salariés de Soph’X seront menacés”. De la même manière, Sophie, la bourgeoise du XVIe, explore ses fantasmes, devient très libérée sexuellement dans ses rapports avec Roy, et adepte des 5 à 7 sans préliminaires. “Sauf que mon personnage a envie de romantisme et d’embrasser pendant des heures,” raconte Vincentelli qui conclut : “je suis hyper Roy-mantique !” (devant ce jeu de mot, Natacha Lindinger nous fait savoir qu’elle est “atterrée, mais avec beaucoup d’affection”).

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Hard, saison 2
La scénariste - réalisatrice Cathy Verney dirige une scène où les hardeurs de Soph’X - dont Corado (Charlie Dupont) avec le bandeau - réalisent le fantasme militaire de Mme Martel...

Les interdits

Faudrait qu’on arrive à un interdit aux moins de 12 !” avance Gilles Galud à propos de la classification de la saison 2. Mais Bruno Gaccio n’est pas convaincu : “pour parler commercialement, une saison 2 de Hard interdite aux moins de 16 ans permettrait sans doute d’attirer plus les journalistes, de faire plus parler, et j’y pense. Mais je ne sais pas encore si l’histoire le mérite. Est-ce qu’on aura l’impression de rajouter des moments de complaisance pour y arriver, ou bien au contraire est-ce que des moments essentiels à l’histoire, dont on ne voudra pas se priver, nous obligeront à aller vers cette classification ?”. Reste la possibilité, comme en saison 1, de faire les deux.
En effet, il y a deux ans, un premier montage interdit au moins de seize ans a été diffusé dans la case traditionnelle de la Nouvelle Trilogie en seconde partie de soirée. Une rediffusion a eu lieu ensuite en prime-time, expurgée des plans les plus sexuellement explicites pour redescendre à un interdit au moins de douze ans. Cela dit, le CSA a exprimé de grosses réserves vis à vis de cette seconde version. Ce ne sont pas les images qui ont posé problème, mais la « crudité du langage ». C’est à dire : « On fait pipe, levrette, spoon, spoon anale et on fera l’éjac en fin de journée ». Des dialogues qui sont une marque de fabrique de la série, dans lequel le sexe devient un vocabulaire technique débité comme les médecins d’« Urgences » commandent que l’on fasse « NFS, chimie, et gaz du sang » aux patients. “Parler du plaisir, en parler librement, ça c’est archi-tabou,” s’étonne Galud. “On peut montrer des nibards, il n’y a aucun problème. Par contre dire tu as joui et tu vas rejouir... Ça c’est interdit, au CSA ça les rend comme des dingues”.

« Hard », dans son parcours international, est aussi très révélateur des différences culturelles en Europe. Dans les pays latin, comme l’Espagne ou l’Italie, la série n’est passée que sur des chaînes payantes, et est considérée comme vraiment chaude. En revanche, la Suède, la Norvège, ou la Finlande n’ont pas acheté : pour eux, la série est trop soft. Les Allemands aussi trouvaient même la version -16 trop “gentille”, alors ils ont acheté les droits pour un remake complètement réécrit pour le rendre beaucoup plus cru. “La France est coincée entre ces deux cultures, la latine et la Nord-européenne et, indépendamment de la qualité, c’est peut-être pour cela, aussi, qu’on n’exporte pas beaucoup nos fictions,” avance Gilles Galud.

Une série qui s’approfondit

Cathy Verney confirme que cette seconde saison va continuer de creuser la veine thématique ouverte par la première : “j’ai eu envie de m’éloigner du monde du porno en tant que tel, la réalisation de films, etc., qu’on a beaucoup abordé en saison 1. J’avais plus envie de parler du fantasme, un sujet plus original et qui soulève plus de question sur les femmes. Et puis en parallèle, il y a l’aspect comédie romantique de la série. Si la première saison se demandait comment on pouvait tomber amoureuse d’un hardeur, celle ci se demande comment on peut vivre une histoire d’amour avec un hardeur. Maintenant ça y est, ils sont ensemble, mais comment vont-ils construire quelque chose ?” Bruno Gaccio propose la formule synthétique : “on est passé du sexe à la sexualité”.

La série bénéficie d’un peu plus de moyens qu’en première saison, tout en restant dans un budget Nouvelle Trilogie pas comparable avec les fictions premium de Canal+. Là où la première saison avait couté 1,3 millions d’euros pour six épisodes, les douze épisodes de la saison 2 reviennent à 5,3 millions. Mais Gilles Galud met en garde contre les comparaisons trompeuses : les deux budgets n’ont “rien à voir car les comédiens ne coûtent plus du tout le même prix : plus d’un quart du budget de la saison 2 va au casting. On a 40 rôles, 800 figurants sur la saison (notamment en raison de scènes de théâtre qui seront filmées au théâtre Édouard VII), et il y a beaucoup plus de décors”. Du temps de tournage a néanmoins été dégagé : là où Cathy Verney avait du tourner les six épisodes de la première saison en quatre semaines, elle a cette fois-ci six semaines par bloc de six, ce qui fait descendre le rythme journalier de 9 minutes utiles à 5 – c’est déjà beaucoup pour de la comédie.
Le rythme reste intense,” confirme Cathy Verney, “car je tourne des scènes plus compliquées, avec plus de figuration. Le plan de travail est chargé, on a parfois du mal à finir les journées. Et il faut vraiment monter d’un cran en qualité, notamment en terme de réalisation : les acteurs et la caméra bougent beaucoup plus. Avec le chef op’ on a travaillé le découpage, et on joue aussi beaucoup plus sur les amorces et les focales. C’est aussi en lien avec l’histoire : en saison 1, je découvrais le porno avec elle, je devais m’y confronter directement. Là, elle connaît, donc c’est derrière elle qu’il se passe des trucs, en jouant avec la profondeur de champ.

La saison 2 de « Hard » sera à découvrir dès lundi sur Canal+.

Post Scriptum

Photos : Xavier Lahache / Canal+

Dernière mise à jour
le 23 décembre 2011 à 13h25

Notes

[1Finalement, le tournage de seconde partie de la saison a été encore reporté pour laisser Natacha Lindinger récupérer, et a eu lieu en février 2011.