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Deadwood - Le retour du monologue de la fellation

Full Faith and Credit: I wish once I could...care for those little ones.

Par Feyrtys, le 9 juillet 2006
Publié le
9 juillet 2006
Saison 3
Episode 4
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Un épisode somptueux, probablement un des meilleurs depuis le début de la série. De nombreuses scènes d’anthologie, dont une rencontre au sommet entre Cy Tolliver, George Hearst et Al Swearengen. La série est à son meilleur niveau lorsqu’elle passe avec brio de la comédie au drame le plus sombre.

Ce n’est pas qu’il se passe des choses importantes dans cet épisode. Il n’y a pas d’événements extraordinaires, pas de meurtres inattendus, pas de complots, c’est une journée presque paisible dans le camp. Pourtant, c’est un épisode qui vous laisse pantois, impatient de voir la suite, et qui vous trotte dans la tête longtemps après l’avoir vu. D’ailleurs, le revoir vous parait absolument nécessaire. C’est la magie de ce show, rendre une ville et ses personnages tellement profonds, tellement attachants, tellement haïssables aussi, que vous entrez dans ce monde sans vouloir en sortir.

Il se passe en revanche beaucoup de "petites" choses dans cet épisode. Ca commence par le Doc, que l’on voit assez peu depuis ce début de saison mais qui apparaît de plus en plus mal en point. La tuberculose, probablement... Je ne sais pas quelles sont les intentions des scénaristes, mais s’ils tuent le Doc Cochran, le camp de Deadwood se retrouvera sans le seul humaniste qui était assez fou pour rester soigner ses habitants.

Ensuite, le retour du « Nigger General » et du Hostetler (maréchal ferrant) est annoncé par télégramme à Jane, la seule avec qui le General ait pu se lier pendant son court séjour à Deadwood. Les deux hommes ramènent avec eux le cheval qui a causé la mort du jeune William, le fils de Seth et de Martha. Ils l’avaient promis, et malgré le danger d’être menacé de pendaison par un raciste qui perd la tête comme Steve le poivrot, ils reviennent avec le cheval.
S’en suit un mélange de scène dures et drôles. Dures, parce que Steve le poivrot est un homme bête et méchant, qui n’hésite pas à réclamer la pendaison du Hostetler et qui montre, dans une scène particulièrement réussie, toute l’irrationalité de sa haine. Si le Hostetler apparaît calme et pacifique depuis le début du conflit, il ne peut toutefois s’empêcher de laisser des insultes s’échapper. Seth est présent pour éviter les deux hommes de s’entretuer.

La suite est beaucoup plus drôle, grâce à Bullock et à son absence de diplomatie. Le bon Seth tente de trouver un arrangement pour satisfaire à la fois le Hostetler et son pire ennemi. En effet, non seulement Seth ne tient pas le maréchal ferrant responsable de l’accident, mais il tient à ce que celui-ci récupère son écurie. C’est Steve le poivrot qui a pris le relais pendant son absence, et il semble bien avoir fait son travail. Steven refuse néanmoins de travailler pour le Hostetler... Mais les deux arrivent à un accord : Steve peut acheter l’écurie pour un prix juste, et Seth se charge de lui fournir un prêt à la banque (toute neuve !). Le shérif est cependant loin d’avoir réglé le problème. En effet, aucun des deux n’est prêt à signer la vente en premier, de peur d’être floué par l’autre. Seth fait donc de savoureux aller-retour entre Steve et le Hostetler (curieusement, ils partagent le même nom de famille), au bord de la crise de la nerf. Et Bullock au bord de la crise de nerf, c’est drôle.

Pour une fois, Timothy Olyphant a la possibilité de changer un tantinet de registre et il s’en sort très bien, notamment dans la scène avec Charlie Utter, et son fameux « Is that your Goddamn idea of quick, Charlie ? ».
Timothy Olyphant n’a pas le rôle le plus évident de la série, car on a beau dire, il est souvent plus facile de donner vie à un personnage complexe comme Al, ou à un fou comme E.B., que de jouer un homme psychorigide comme Bullock, car l’éventail de jeux possibles est plus grand. Timothy Olyphant joue à la perfection l’homme raide, de corps comme d’esprit, même si on peut confondre sa raideur avec une absence de jeu. Je suis convaincue de son talent d’acteur, et je crois qu’il a prouvé dans cet épisode.

C’est Sol qui vient à l’aide de son vieil ami, le voyant sur le point d’exploser à l’idée de devoir continuer les négociations entre deux têtes de mûles comme Steve et le Hostetler. Ca faisait longtemps que Sol n’avait pas été le contrepoids raisonnable de son ami et partenaire. C’est agréable de le revoir dans ce rôle. Il trouve donc une solution et la fin du calvaire de Bullock : réunir les deux signataires dans un endroit neutre le lendemain matin et les faire signer en même temps.

Pendant que Seth se crée des migraines à vouloir jouer à Kofi Annan, Alma ouvre la première banque de Deadwood, avec Sol et une magnifique Trixie au comptoir, chargée d’accueillir les clients. Une place de rêve pour l’ancienne prostituée. Ca donne des moments à mourir de rire :

Depositor : I put you on notice. Want my money, it better be fucking available, day or fucking night.
Trixie : Mayn’t I draw you a map then in case it’s night you want it, to lead you to where I live so you can wake me ?
Depositor : Now fuck you then. I ain’t depositing.
Trixie : Oh no ? Oh, say it ain’t fuckin’ so, you stupid fucking asshole !

Sacrée Trixie. On ne pouvait rêver meilleur boulot pour elle. J’ai hâte de la voir envoyer balader les clients râleurs, les clients qui parlent trop, et les clients qui lui parleraient mal parce qu’elle a été une prostituée au Gem Saloon avant ça.

Ellsworth obtient sa palme du plus parfait mari de la terre ! Il prend la défense d’Alma devant un client suspicieux, et avec quelle classe !! Alma semble enfin changer de regard sur son mari, et l’admiration prend la place de la simple reconnaissance qui l’habitait jusque là. Ellsworth est vraiment un type bien, il mérite que les sentiments d’Alma changent à son égard. Mais pour cela, il faudrait peut-être déjà que Mme Ellsworth se débarrasse une fois pour toute de ses addictions... En effet, nous apprenons dans cet épisode qu’Alma a replongé dans le laudanum. C’est subtil, c’est inattendu (j’étais persuadée qu’elle était clean), et c’est bien amené. Pas de grand secret qu’on garde pour le dévoiler de manière dramatique à un moment opportun, pas de gros indices bien lourds pour mener le spectateur en bateau, simplement un signe de la main de la part de Leon, accro et distributeur reconnu, à la fenêtre de sa maison, et Alma qui sort « prendre l’air »...

Pendant ce temps, Jack Langrishe propose à Joanie de racheter « Chez Ami » pour y ouvrir un théâtre. L’emplacement est idéal : sur la voie principale, près du Gem Saloon, de l’hôtel et du Bella Union. Dans un premier temps, prise au dépourvu, Joanie répond à Langrishe d’aller de se faire voir. Puis après avoir pris conseil auprès de Cy (sans résultat) et auprès de Charlie Utter (aaaaah, Charlie et Joanie...), Joanie se décide à laisser Jack lui acheter son ancien bordel et en échange, lui demande de faire construire une école pour les enfants. Langrishe accepte. C’est une opportunité pour Joanie de repartir de zéro, ce qui lui fait peur et la soulage en même temps. Elle ne sait pas encore ce qu’elle va faire, mais elle confie à Jane qu’elle sera la bienvenue où qu’elle aille. L’amitié entre ces deux femmes, si différentes, est très touchante et très crédible.

Les nouvelles arrivantes à Deadwood ne sont pas en reste : Rita Sue de Carnivàle (ici Claudia), pour on ne sait quelle raison obscure, fait du charme à Stapleton, le personnage le plus gluant de Deadwood après E.B., et passe un moment privé dans sa chambre d’hôtel, moment qu’elle n’a pas l’air de vouloir revivre de si tôt. Mais alors pourquoi ? Est-ce pour rendre jaloux Langrishe ? Ou bien les deux ont des affaires plus secrètes à mener à Deadwood et Stapleton était une bonne cible pour des informations ?
L’autre actrice, dont j’ignore le nom, échange quelques mots avec E.B. (on la plaint) et apparaît comme une femme cultivée et délicate. Langrishe, lui, est un vrai gentleman avec Joanie, ce qui est un bon point pour lui. Il va donc s’installer à Deadwood et construire à la place de « Chez Ami » un théâtre. Où va-t-il mettre la scène, c’est la question que je me suis posée en même temps que Joanie et Jane !

Et le meilleur de l’épisode revient à Al Swearengen, qui non seulement nous offre deux Monologues de la Fellation d’anthologie, mais en plus, nous dévoile un peu plus de sa personnalité et de ses intentions envers Hearst.

Al nous a déjà ouvert plusieurs Monologues de la Fellation. Al adore dire ses pensées à voie haute alors qu’une prostituée est à genoux devant lui. Il mélange toujours le grandiloquent et le sentimental avec brio dans ces moments là, tout en gardant sa seule auditrice muette, ce qui me fait appeler ces moments là des monologues. Donc, Al aime ses monologues, mais dans cet épisode, quelque chose le travaille, et ce n’est pas la technique de Dolly. Elle a beau y mettre du sien, ses efforts ne sont pas récompensés et Al est persuadé qu’elle a changé quelque chose dans sa manière de faire. En réalité, comme Al le laisse deviner dans ses monologues, il a été marqué plus qu’il ne souhaiterait par son entrevue violente avec Hearst un peu plus tôt, dans laquelle il a perdu un doigt. Al est intimidé, il a peur de Hearst alors qu’il n’est plus habitué à avoir peur de qui que ce soit.... La réussite de cette évolution scénaristique tient au fait qu’Al n’apparaît pas plus affaibli à nos yeux. Il a un moment de doute, mais il ne perd en rien ce charisme qui fait de lui un personnage si fascinant. Ian Mc Shane réussit le tour de force de montrer son personnage affaibli, pas sûr de lui, et même impuissant (!) sans pour autant le faire tomber du piédestal sur lequel il se trouve depuis le début de la série. Impressionnant.

Al Swearengen n’a peut-être pas envie d’une petite gâterie, mais il a envie de reprendre la main et de ne pas laisser Hearst dans l’impression qu’il contrôle Deadwood.

Hearst invite Cy et Al à le rejoindre dans sa chambre d’hôtel, qu’il a laissé dans un état pitoyable, murs démolis, comme pour montrer à quel point il tient à Deadwood et à ses habitations. Al y va à reculons et la réunion est mémorable. Hearst repose son dos contre une planche adossée au mur, Cy est assis au milieu et Al reste près de la porte, ne posant jamais de regard sur Hearst et à peine sur Tolliver.

Hearst : I am given pause by the quality of...certain of the likely victors. But I have come to believe as well that my temperament ill suits me for environments such as this one must become. And other opportunities presenting themselves elsewhere, I may best serve my own interests here by standing at some remove.
Al : Are you leaving ? Can you say it straight out before I have a fucking birthday ?
Hearst : I will be coming and going, is that straight out enough ?
Al : What’s the task you’d give us ? And what’s our fuckin’ piece for doing ‘em ?
Cy : Al.
Al : Shut up.
Hearst : To not let become over-onerous my interests encounter with the camp’s retrogressive elements.
Al : Meaning what, you phony bastard ? Who do we kill ? What’s our pay ?
Cy : It ain’t fair to make it that simple, Al.
Al : Fuck you. He took the pick to me simple enough.
Hearst : We will get to numbers quickly once we’ve agreed in principle.
Al : Numbers are the only principle I believe in, and naming what the numbers buy. When you and him come to ‘em, tell fucking Adams and he’ll bring you my reply later. Him and me, we’ve had our last word.

Hearst est-il tellement sûr de lui qu’il propose à Al d’être son exécutant pendant son absence ? Croit-il sérieusement qu’il tient le patron du Gem Saloon dans sa main ? Il n’a pas été difficile de faire de Cy son chien, mais Al, c’est une autre histoire. Peut-être ne lui fait-il pas entièrement confiance, mais préfère-t-il le garder le plus près de lui possible.

La tactique d’Al consiste à faire semblant de travailler pour les intérêts de Hearst, mais tout en restant inaccessible directement. Il donne le nom de Silas comme de son représentant privilégié, car Silas est le seul de ses sbires à être susceptible de changer de camp pour de l’argent. Dan Dority est bien trop loyal et tout le monde le sait... I’m in waters I don’t know, nor soundings I can take. To bring me the knowledge I need, my second needs to seem capable of disloyalty.
Cependant, en mettant en place ce plan, Al blesse Dan. Et oui, Dority a un cœur et des sentiments, et voir Silas se faire choisir à sa place, ça lui fait mal. La drôlerie de la situation est à son comble quand Dan se confie à Al.

Dan : You know you hurt my feelings.
Al : Dan.
Dan : That’s the long and short of it, Al. You fucking pick Adams to represent you, you hurt my fucking feelings and that is the fucking matter’s end.
Al : Would you go against me ?
Dan : That is not what we’re talking about. You know I’d never break loyalty. That don’t mean my feelings can’t get hurt.
Al : Fucking point is you’d never go against me. Tolliver knows. I need someone he don’t know that about.
Dan : I don’t think Silas would go agin you neither. You and him haven’t been through, me and him haven’t been through what me and you’ve been through. Hmm. Not by a long shot. So more than an opinion ain’t possible. Still, I’d be fucking surprised if either of us was mistaken.

Dan a un rôle à sa hauteur dans cet épisode. Non seulement il insulte Hearst en début d’épisode, mais en plus, il menace Captain Turner, le chien de guerre personnel de ce cher George. Dan is the best, my friends. Dan is the best. Et cette scène lui donne encore plus de profondeur.

Et enfin, dans un dernier Monologue de la Fellation, Al se confie à Dolly (ou bien à lui-même ?) et lui explique pourquoi la mésaventure chez Hearst lui a fait tant de mal. C’est parce que la dernière fois qu’il a été maintenu par quelqu’un de plus fort que lui, c’était l’homme à qui sa mère l’avait vendu sur un bâteau de Nouvelle-Orléans. Et alors que sa mère hurlait sur le quai qu’elle avait changé d’avis et qu’elle voulait récupérer son fils, l’homme continuait de le maintenir, lui derrière Al, le laissant complètement impuissant... La confession est extrêmement émouvante. Même si, au premier visionnage, on peut avoir du mal à comprendre de quoi Al parle exactement, l’émotion dégagée par l’acteur est phénoménale. On sait qu’il raconte quelque chose de secret, d’enfoui, de difficile. Cette scène vous prend aux tripes et ne vous lâche pas.

Dolly : I don’t like it either.
Al : No, huh ? What ?
Dolly : When they hold you down.
Al : I guess I do that, huh, with your fucking hair ?
Dolly : No.
Al : No ? Well, bless you for a fucking fibber.

Feyrtys
P.S. Un des meilleurs épisodes de la série, tout simplement. Et on remercie encore chaudement le script de chatarama. Sans lui, un certain pourcentage des dialogues de Deadwood resteraient incompris...