CA TOURNE ! On danse à Pigalle, l’après-midi
Sur le plateau de « Pigalle, la nuit » l’enthousiasme de ceux qui fabriquaient la série a été particulièrement communicatif.
Par Sullivan Le Postec • 10 novembre 2009
En juin dernier, Le Village visitait le tournage de « Pigalle, la nuit » qui touchait alors à sa fin. L’occasion de rencontrer ses concepteurs et de prendre le pouls de la série.

Bobino, passé entre les mains (de maître) des décorateurs de « Pigalle, la nuit », est devenu un club du célèbre quartier de Paris. Hervé Hadmar tourne des scènes mêlant spectacle sur scène et danse de la foule dans la salle du Paradise, le club fictif qui vient marcher sur les plates-bandes du Folies Pigalle. Et moi, j’ai bien du mal à me sentir à ma place. Pourtant, j’ai plus tendance à être over-dressed que l’inverse. Mais là, nous sommes un jour de juin très chaud et j’ai cédé pour une fois à l’appel du bon sens. Dommage pour moi. Je vais passer l’après-midi en short au milieu des 450 figurants habillés fashion-classe, comme l’est la clientèle, plus huppée qu’à l’habitude du quartier – on va le comprendre, c’est bien ce qui pose problème – qu’attire le Paradise. Le journalisme, cela expose à du ridicule inattendu.

Cette journée est très inhabituelle dans ce tournage. Depuis cinq mois, en effet, Hervé Hadmar a filmé dans les rues de Pigalle, en décors réels, au milieu de vrais gens ignorants de ce qui se passait autour d’eux — les deux caméras se trouvant à bonne distance et les micros-cravates des comédiens étant dissimulés dans leurs vêtements. Ce quartier mythique et surtout chargé d’une réelle mythologie, a été saisi sur le vif. Le tournage, dans ces conditions, est à la fois perturbé et nourrit par l’inattendu. Les bagarres de gueules saoules la nuit, les comédiennes abordées en pleine scène par un passant qui les trouve mignonnes... tout cela a rythmé les 14 semaines de tournage passées dans ce « décors » réel. Une politique d’immersion totale rarement conduite à cette échelle. Quitte, d’ailleurs, à devancer le législateur qui réfléchit a l’heure de l’assouplissement des règles qui assimilent à de la publicité clandestine l’apparition d’une enseigne commerciale réelle à l’image...

Immersion

L’un des premiers personnages à avoir trouvé son acteur est Nadir, en la personne de Simon Abkarian. C’est sa première série. Nadir est le patron du Folies et du Sexodrome, deux établissements phare du Pigalle iconique. Il voit d’un mauvais œil la concurrence du Paradise qui menace de transformer le quartier. Nadir, comme la plupart des personnages de la série, aime profondément Pigalle. Ou en tout cas son Pigalle. Lui craint la boboïsation du quartier comme d’autres, avant, ont craint sa sexualisation. C’est le cas d’Alice dont l’interprête, Catherine Mouchet, nous raconte qu’elle est la représentante d’un autre Pigalle qui, aussi, lui tient à cœur. Ceux qui font leur vie ici ne le font pas par hasard. Ils ont Pigalle en eux.
Face à Abkarian, il fallait trouver un acteur d’envergure. Ce fut Jalil Lespert, qui n’a aussi que peu tourné pour la télévision jusqu’ici. Il a été attiré par le caractère physique de son personnage, ce Thomas, trader français exilé à la City de Londres, à la recherche de sa sœur, et qui ouvre au téléspectateur les portes de Pigalle — c’est le seul à rencontrer tous les autres personnages de la série. Sur le papier, Thomas lui plaisait beaucoup et le défi de l’approfondir sur 8 heures, cinq mois de tournage, dans le cadre d’une production aux ambitions élevées l’a réellement séduit. « Pigalle, la nuit » n’est pas une série à formule : s’il y a une saison 2, Thomas n’y repartira pas à la recherche de sa sœur. Mais en juin, malgré la fatigue accumulée depuis février, Jalil Lespert nous dit que la perspective d’apparaître dans la seconde saison et de découvrir ce que l’avenir pourrait réserver à Thomas l’intéresse.
Pour Jalil Lespert, les conditions du tournage, ce flirt avec le réel alors que les gens autour des acteurs réagissent en ignorant que les situations sont jouées, a finalement facilité la recherche de la vérité au cœur du métier d’acteur. Elle oblige aussi à une exigence particulière, puisqu’il est difficile de reprendre dix fois une scène, sous peine de créer des attroupements.

Aujourd’hui, nous sommes dans un environnement contrôlé, rempli de figurants qui réagissent selon les instructions qu’on leur donne. En l’occurrence, même s’il est 14 heures et qu’un soleil éclatant – et chaud, donc – brille dehors, à eux de donner à voir à l’objectif un groupe de gens venus faire la fête dans un cadre spectaculaire et sexy, au cœur de la nuit. Ce n’est pas forcément facile de recréer ce type de dynamique juste après le déjeuner.
Le challenge est différent de celui qui a longtemps rythmé le tournage de la série, mais il n’est pas forcément moins lourd pour le réalisateur. Avec la figuration et la technique, c’est près de 500 personnes qu’Hervé Hadmar doit coordonner...

Prémisses

Now What ?”. Il y a deux ans, c’est ce que se sont demandés, en substance, Hadmar et Herpoux après « Les Oubliées » succès critique et réel buzz dans le monde de la fiction télé française, quand bien même France 3 la sacrifia à l’antenne par une programmation défiant toute logique. En tout état de cause, à ce moment, il y a pas mal de monde qui avait envie de faire travailler pour leur chaîne ou leur société de production ce duo qui s’était fait un nom en une série de six épisodes.
Rapidement, une idée née dans l’esprit d’Hervé Hadmar s’impose. C’est encore peu de chose : Pigalle, un quartier et sa mythologie, qu’explore un frère qui y recherche sa sœur. Christine de Bourbon Busset , productrice à Lincoln TV (société récente dont « Pigalle, la nuit » est la première série) se montre réceptive. Le projet est pitché à Canal+ qui marque également un intérêt de principe. Ce point de départ est chargé d’une promesse qui répond à la ligne éditoriale de la chaîne : inventer des séries qui procèdent d’une culture française, à l’opposé d’une stratégie, incarnée par TF1, qui vise à retranscrire telle quelle la culture télévisuelle américaine à la télévision française.
La méthode de développement que vont suivre les deux co-scénaristes est particulièrement intéressante. Pendant quatre mois, ils s’immergent dans le quartier en prenant pour base un appartement loué pour eux. Une véritable découverte et un processus implacable pour éliminer les clichés. Prenant le pouls de Pigalle, chaque coin de rue peut receler l’inspiration qui fera naître un personnage, une situation, un bout de cet univers. L’objectif, c’est que le quartier lui-même prenne sa vie propre et soit, au terme des huit épisodes de la première saison, devenu un personnage à part entière. Si bien qu’on peut imaginer d’autres saisons s’y dérouler, avec d’autres histoires, où des personnages secondaires pourraient se retrouver au premier plan, et vice versa...

Véra Peltekian, qui a suivi la série pour Canal+, explique que le souci de la chaîne, en accompagnant ce développement, a justement été de s’assurer que « Pigalle, la nuit » devienne au final une vraie série – par opposition à des projets précédents de la chaîne, tels que « Scalp » ou « La Commune », trop bouclés, où il n’a pas été possible de rebondir sur une seconde saison, les univers ayant été clos par la première. La réussite de la transformation de Pigalle en personnage était à ce niveau essentiel pour la réussite du projet. Canal a aussi porté une attention très particulière au tout premier épisode, poussant à de nombreuses réécritures qui ont permis à chaque fois d’affiner le résultat. Hadmar et Herpoux expliquent par ailleurs que la manière dont ils savent que la série sera diffusée sur Canal+ est intégrée à leur processus. Ainsi, puisque les épisodes sont diffusés deux par deux, ils veillent à donner plus de puissance aux cliffhangers des épisodes pairs – à l’exception du premier épisode qui se doit de jouer aussi le rôle de Pilote, et donc de se conclure sur une note haute qui pousse à voir la suite.

Grand huit

Pour Hervé Hadmar, « Pigalle, la nuit » recèle un paradoxe : il voit la série comme à la fois plus ’’barrée’’ et plus grand-public que « Les Oubliées ». ’’A la Foire du Trône, « Les Oubliées » c’était le train fantôme, « Pigalle », c’est le grand huit’’ explique-t-il. Comme la montagne russe alterne montée, descente, contemplation du paysage et looping, « Pigalle, la nuit » veut transporter son téléspectateur d’une émotion forte à une autre. Parce qu’elle est chorale, là où Gamblin/Janvier errant en lui-même à la limite de la folie portait seul « Les Oubliées », « Pigalle, la nuit » est plus dynamique et laisse plus de place à l’humour. Elle porte en elle, aussi, la promesse de la sensualité que tout un chacun rattache à Pigalle. Mais la série renouera également avec l’onirisme que Hadmar et Herpoux ont introduit dans « Les Oubliées ». Cet onirisme se fonde sur la dualité de Pigalle, à la fois quartier et mythe – et plus précisément sur le sentiment des auteurs que ’’le mythe Pigalle est ce qui permet de survivre à la réalité’’.
C’est en cela que « Pigalle, la nuit » n’entend pas présenter un univers noir et glauque. La conséquence de l’immersion qui a donné à voir à Hervé Hadmar et Marc Herpoux l’amour qui imprègne aussi le quartier. La volonté des auteurs, surtout, de montrer avant tout l’humanité de Pigalle.

Comme à leur habitude, le duo a amené très tôt un univers graphique à la série. En sachant ne pas avoir peur d’assumer les évidences : à Pigalle, il y a de la nudité et des néons. Il faut savoir en tirer partie. ’’Le néon, dans une série qui s’appelle « Pigalle », ce n’est pas un cliché, c’est un code,’’ explique Hervé Hadmar. Il participe de l’identité visuelle de la série, coloré et particulièrement fait de couleurs chaudes. Christine de Bourbon Busset nous explique par ailleurs qu’un des éléments qui lui a permis de saisir l’univers de la série est le générique proposé très tôt par Hervé Hadmar. Une incarnation visuelle et symbolique de la manière dont Pigalle s’imprime chez ceux qui y vivent.
Si on retrouvera un peu de caméra à l’épaule, comme dans « Les Oubliées », une place beaucoup plus grande a été faite à l’usage de la steadycam. L’image plus posée est aussi en cohérence avec le ton de la série, et notamment de l’incorporation de beaucoup plus d’humour.

Le procédé d’immersion au tournage, les partis-pris de réalisation, la volonté de faire reposer les développement de l’histoire sur un univers culturel cohérent (la France n’est pas fondée sur le mythe de la Conquête de l’Ouest, et c’est notamment un élément clef dans la manière dont se résolvent les conflits) sont au service d’une volonté, à savoir que le téléspectateur y croie. Cela pour mieux le plonger dans une histoire qui peut prendre des détours particulièrement inattendus et inhabituels. Ainsi, quand un personnage se remémore son passé à Pigalle, c’est un univers quasi-fantastique, ou l’imagination se mêle et se confond avec la crue réalité, qui est convoqué.
Être hyper-réaliste pour mieux déconnecter totalement le spectateur de la réalité. Si le travail d’Hervé Hadmar et Marc Herpoux a une signature, c’est peut-être celle-là.

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Reportage par Dominique Montay et Sullivan Le Postec.
Hervé Hadmar, Marc Herpoux et Christine de Bourbon Busset ont répondu aux questions de Dominique pour la caméra du Village. C’est à voir ici.

Post Scriptum

« Pigalle, la nuit » arrive dès le lundi 23 novembre sur Canal+.
Merci à Hervé Hadmar, Marc Herpoux, Jalil Lespert, Catherine Mouchet, Christine de Bourbon Busset, et Véra Peltekian pour leur disponibilité alors qu’ils faisaient Pigalle...

http://pigalle.canalplus.fr/, le site officiel de "Pigalle, la nuit"