1.01 : A la Recherche du Prince Charmant • CLARA SHELLER
A la recherche de la fiction française charmante
Par Sullivan Le Postec • 18 mai 2005
France 2 - Scarlett Production
Première diffusion : Mai 2005
Scénario : Nicolas Mercier
Réalisation : Renaud Bertrand

Le Messie de la fiction française serait arrivé. C’est une fille, assez chiante, complètement égocentrique, vaguement gourde et incapable de régler ses problèmes de cœur. Ah oui, le Messie, de nos jours, c’est plus ce que c’était !

Cette critique fut initialement écrite pour le mini-site aujourd’hui fermé "La Ligue des Téléspectateurs Extraordinaire". Elle a été revue pour cette republication sur Le Village.

Aujourd’hui, Clara a décidé que c’était le printemps. Elle retourne donc l’appartement qu’elle partage avec son colocataire JP à la recherche de ses merveilleuses petites sandales. JP est en retard. Clara aussi, d’ailleurs, puisqu’ils travaillent dans le même journal. Mais Clara est rédactrice de la nouvelle rubrique star de l’hebdo, JP est comptable, ça fait une différence, on suppose. JP met néanmoins la main sur les sandales et le duo se met en chemin ensemble. Oups, il pleut des cordes. Clara savait bien qu’elle aurait du regarder par la fenêtre en se levant...
Arrivés au journal, Clara et JP ont tôt fait de remarquer le beau cul du nouveau photographe qui va travailler pour le magazine. Si Clara s’apprête à passer à l’attaque, JP, lui, va surtout rester dans son coin : personne ne sait qu’il est homo. En fait, tout le monde le pense en couple avec Clara...
Bertrand, le patron du journal, demande à JP de prendre sous son aile son fils Hervé qui va faire un stage. Celui-ci ambitionne de devenir DJ quand Bertrand ambitionne surtout de le ramener aux réalités de la vie. Et il n’a rien trouvé de mieux que JP pour ça. Alors qu’il imagine la corvée de se trimballer le fiston boutonneux qui figure en photo sur le bureau du patron, JP rencontre Hervé par hasard. Quelques années de plus que sur la photo de papa, plus un bouton, et même carrément sexy. Hervé aime Madonna, la techno, écoute radio FG, est piercé et pratique à fond la cool attitude façon cliché télé. Alors, pédé ou pas pédé ? Mais à quoi bon ? Même s’il l’était... Comment sortir du placard ?

Bien loin de ces questions existentielles, Clara découvre dépitée que le photographe semble ne même pas la remarquer... sauf pour la vanner ! Après quelques péripéties, il prend toutefois son numéro de téléphone et lui promet de la rappeler pour aller boire un verre ce soir là. Mais JP avait prévu d’emmener Clara à dîner chez ses parents. Elle se montre du coup vachement réticente à y aller, et suggère à JP qu’il serait peut-être temps de penser à faire son coming-out. ‘‘Mélange pas mon coming-out et tes histoires de cul’’, lui répond JP.
Ils se mettent d’accord pour aller au dîner, et s’éclipser dès que Clara aura eu des nouvelles de son photographe. Ils laissent donc la mère de JP en plan au moment du dessert, persuadée qu’elle l’a raté.
‘‘T’as une mère dépressive, toi ? La mienne se suicide pour une crème ratée, t’imagines si je lui dis que je suis pédé ?’’, en profite pour insister JP.
Après sa soirée avec le photographe, Clara le raccompagne. Il est beau, drôle, spirituel, charmant, fait bien la conversation. ‘‘Si on pouvait être sûre et certaine qu’il ne fait pas ça pour vous sauter. Mais bon, l’avantage c’est que quand on en a autant envie que lui, la question devient nettement moins gênante’’. Sauf qu’après un chaste baiser, le nouvel homme idéal de Clara... lui dit bonsoir et rentre !
L’ambiguïté nourrissant l’ambiguïté, la relation de JP avec Hervé se fait de plus en plus...heu, ambiguë. Alors qu’il l’a à nouveau emmené dans une boite gay, JP lui fait finalement son coming-out : ‘‘je suis homo moi aussi’’. C’est à cet instant et nul autre que surgit la très sexy et très féminine copine d’Hervé...
Clara est chez sa meilleure amie, Jeanne, casée avec David avec qui elle essaie de concevoir un bébé. Clara ne comprend pas l’attitude du photographe, et après ‘quelques’ verres, décide de se rendre chez lui. Elle le fait de ce pas, le tirant du lit à quatre heures du matin. Et quand il lui dit qu’il faudrait peut-être remettre la discussion qu’envisage Clara et aller se coucher, celle-ci le prend pour une invitation et se met aussitôt dans son lit. Mais le photographe se contente d’appeler un taxi.

Rentrés à l’appart’, Clara et JP sont aussi déprimés l’un que l’autre. En manque d’affection et de réconfort. Ils se caressent, s’embrassent, et font l’amour...

Quand elle est arrivée chez JP après une rupture qui l’avait mise dans un état désastreux, JP l’a prise sous son aile, lui a trouvé ce boulot de journaliste, a toujours su être là pour la réconforter. Mais Clara réalise avec Jeanne qu’elle à peu à peu fait de son meilleur ami homo son homme idéal, et qu’il y a plus sain comme relation...
Alors que JP était au départ censé le prendre sous son aile, c’est en fait Hervé qui aide JP à se sentir mieux dans sa peau et à évoluer un peu dans un milieu gay où il se sent trop mal à l’aise.

De son coté, Clara reçoit des excuses de son photographe trop déphasé pour envisager une nouvelle relation. Elle pose un baiser sur sa joue et s’éloigne. En rentrant chez elle, elle se prend les pieds dans le matériel du tout nouveau voisin du dessous, qui refait son appart’ avant d’emménager. Il s’appelle Gilles. Elle s’appelle Clara. Clara Sheller...


Critiquer « Clara Sheller » pour un amateur de fictions anglo-saxonnes n’est pas chose aisée. Dans notre vision de la série, nous sommes en effet plongés dans une constante dichotomie de contextes : « Clara Sheller » vs les séries françaises / « Clara Sheller » vs les séries anglo-saxonnes. Le problème vient du fait que si la série surnage très, très largement au milieu des premières, apportant un ton frais et nouveau, elle fait pâle figure à coté des autres, principalement en raison de failles scénaristiques - le propos de la série a souvent plus d’ambition que de fond.
Reste, donc, à s’accorder sur nos attentes et à savoir si l’on a compris que l’on peut difficilement attendre d’une fiction française balbutiante qu’elle révolutionne son média à l’échelle internationale. Mais que celle-ci doit dans un premier temps passer par une phase de formation - tant de ses auteurs que du public, d’ailleurs - qui se matérialise sous la forme de divertissements plaisants.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si quelques jours après « Clara Sheller » arrivait sur l’antenne de France 2 la très louée mini-série « Nom de code : DP » : celle-ci fait suite à presque 10 ans de « PJ » et autres fictions policières honnêtes mais pas bouleversantes, « Clara » défriche un terrain vierge.
La nationalité de « Clara Sheller »a un autre avantage. Jusqu’ici, pour voir une bonne histoire bien écrite de la vie de tous les jours d’un groupe de personnages, il fallait se contenter de séries US et de leurs personnages bigots, qui se ‘‘huggent’’, disent ‘‘Oh, my God !’’ toutes les deux phrases, etc. Si « Clara Sheller » est un peu moins bien écrite que ses modèles, elle bénéficie de l’identification - ou au moins une certaine compréhension, les persos de la série n’étant clairement pas écris pour qu’on s’identifie à eux au sens d’adhérer entièrement à leur comportement - plus automatique permise par la proximité comportementale et contextuelle des personnages avec leur premier public.

De toute évidence, une série de type soap, sans véritable concept fort (une nana et son meilleur ami homo dans un appart’, c’est à la fois bateau et riche de possibilités à exploiter) repose d’abord et avant tout sur ses personnages. Là encore, pour ce qui concerne cette série en particulier, on pourra choisir de voir le verre à moitié vide ou à moitié plein.
Par chance, Clara elle-même est le meilleur personnage de la série. Attachante et insupportable, intelligente et gourde, trop spontanée et pourtant trop cérébrale, le portrait de ses contradictions est brossé avec pertinence et réalisme. Il est nettement appréciable qu’on ait eu la volonté de mettre au centre d’une série un personnage aussi bourré de défauts francs, qui se démarque du coup nettement des héros citoyens “plus lisse, t’es invisible” qui pullulent par chez nous. Mélanie Doutey est assez formidable dans ce rôle casse-gueule, et au final le personnage atteint parfaitement son objectif. C’est à dire qu’on a envie de suivre ses aventures mais aussi de lui administrer quelques gifles à l’occasion.
Quoiqu’un peu moins caractérisé, le personnage de JP fonctionne lui aussi assez bien. Plus ancré dans le pathos, mais pas forcément moins égocentrique, il semble ne vouloir affronter tous ses problèmes qu’à reculons, et pourtant s’étonne de ne pas avancer. Diefenthal livre une prestation honnête.
Surtout, ces deux personnalités fonctionnent bien ensemble, sur un mode de relation auquel on arrive à croire, même si quelques libertés nécessaires sont prises avec le réalisme pour renforcer le caractère de JP, afin qu’il ne subisse pas trop Clara.
L’homo qui couche ou presque-couche avec sa fille à pédé attitrée, c’est le plus gros cliché du monde - c’est bien simple on y a eu droit dans chaque téléfilm Français sur le sujet : « Juste une Question d’Amour », « A Cause d’un garçon », « Un Amour à Taire ». Mais c’était là l’une des fois où le passage a été le mieux traité et le moins énervant. La séquence est aussi rachetée à mes yeux par le fait qu’elle, au moins, va servir à quelque chose dans l’histoire...
Pour le reste des personnages... c’est la que l’on voit poindre le problème. Une bonne demi-douzaine d’autres personnages gravitent autour du duo, qui ne sont guère plus que de vagues caricatures sur pattes. On aimerait pouvoir croire en un développement ultérieur, mais sur six épisodes... En l’état, ils ne fonctionnent que si les acteurs arrivent à tirer leur épingle du jeu. Ainsi Hélène Vincent transcende la figure de la mère dépressive par une composition savoureuse, Valérie Donzelli et Bruno Salomone contribuent à l’invisibilité de leurs deux personnages et, entre les deux, le personnage d’Hervé cliché pas très fin de métrosexuel “djeunz attitude” est sauvé in extremis par un interprète qui semble inexplicablement y croire, même quand il doit s’enthousiasmer pour un pur mix de soupe en boite...

Tiens, puisqu’on parle des scènes de boite, celles-ci sont pitoyablement ratées et illustrent un certain défaut dans la représentation de tout ce qui nécessite un certain niveau de connaissance / familiarité. On sait que les bureaux de production US sont souvent bardés de conseillers et de chargés de recherche mais, quand même, un effort serait parfois le bienvenu, surtout compte-tenu du fait que nos délais sont très largement supérieurs aux leurs.
A cela et quelques autres exceptions prêts, la série bénéficie d’une réalisation soignée et là encore largement plus réussie que la moyenne française. On aurait, cependant, presque envie de le passer sous silence pour protester contre la bêtise crasse de môssieur le réalisateur de « film » (le réalisateur expliquant sur les bonus du coffret DVD que non, non, il n’a pas du tout réalisé une série, mais bien un "long film"). Comme si faire de la série télé, c’était humiliant. Comme si la connerie abyssale de cette sortie n’était pas la pire des humiliations.

En terme d’écriture, le principal problème tient au rythme souvent hachée. L’épisode s’embarrasse un peu trop souvent de séquences inégales qui provoquent l’ennui, et l’ensemble est par trop déstructuré. Les deux principales références de « Clara Sheller » sont « Ally McBeal » et « Sex & the City ». La première avait les procès, l’autre les papiers de son héroïne ; « Clara Sheller » manque d’un tel liant qui fluidifierait la narration et, en les rendant plus identifiables, pourrait permettre d’alléger le traitement des thèmatiques des épisodes.
L’alternative serait une écriture parfaite de bout en bout, à la « Queer as Folk U.K. » (j’ignore si c’est une référence de l’auteur, en tout cas la nature de mini-série bouclée appuie le rapprochement) et force est de reconnaître qu’on y est pas vraiment. Celle-ci est en fait assez paradoxale et très inégale.
Une minute, on a une scène formidable qui se joue avec intelligence des clichés en les rendant signifiants. Exemple : la séquence de la machine à laver. JP a insisté pour que Clara essaye de s’impliquer un peu dans les travaux ménagers à l’appart’. Toute fière, elle lui a annonce qu’elle a fait une machine. Làs ! Une chaussette rouge a coloré en rose tous les sous-vêtements de JP. Clara a interdiction de s’approcher de la machine. De cette manière, en faisant usage d’une situation familière (c’est toujours la bonne face des clichés) on caractérise les deux personnages en retournant sa configuration classique (c’est la fille qui ne sait pas faire une machine), on caractérise le couple (toujours se plaindre, ne surtout jamais rien changer), et on caractérise JP (ses slips en rose pédé, l’horreur ultime !).
La minute d’après le plus vieux cliché du monde pourra vous être asséné lourdement, sans recul, sans rien signifier, sans rien caractériser. Et, une fois sur deux, en plus, sans être drôle (allez, par exemple, les ‘efforts’ de David et Jeanne pour avoir un bébé).

Au final l’appréciation de ce premier épisode de « Clara Sheller » se résume à interroger sa vision du monde : ...bouteille à moitié vide ou à moitié pleine ?

Post Scriptum

Soyons simples et profitons d’un très honnête divertissement, toujours frais, souvent drôle, parfois intelligent. On a vu de très bonnes séries démarrer sur un bien pire premier épisode. L’avantage des autres c’est qu’elles en avaient généralement plus que 6, cela dit... (7/10)