1.06 : Un Cadeau de la Vie • CLARA SHELLER
Cadeau empoisonné
Par Sullivan Le Postec • 1er juin 2005
France 2 - Scarlett Production
Première diffusion : Mai 2005
Scénario : Nicolas Mercier
Réalisation : Renaud Bertrand

« Être malheureux à cause de quelqu’un, c’est pas grave tu sais. Ce qui est grave, c’est d’être malheureux à cause de personne. Et à cause de rien. »

Cette critique fut initialement écrite pour le mini-site aujourd’hui fermé "La Ligue des Téléspectateurs Extraordinaire". Elle a été revue pour cette republication sur Le Village.

Ouvrir les yeux, un matin, et se réveiller entre les deux hommes de sa vie. Se dire que le bonheur, finalement, c’est facile. Voir Antoine arriver. Et repartir, écœuré. Réaliser que l’amour et les sentiments, à un moment ou un autre, ça devient toujours compliqué.
Quand vient son tour de se réveiller, Gilles quitte les lieux précipitamment. Il doit aller chercher quelqu’un à l’aéroport. Et JP a aussi tôt fait de s’enfuir chez sa mère... Laissée seule, Clara se rend elle aussi dans sa famille et découvre qu’Antoine a parlé à son frère de sa découverte du matin. ‘‘C’est pas à moi que tu dois des explications,’’ dit celui-ci à sa sœur.
Pour Antoine, la rupture est consommée. ‘‘Comme un con, j’ai cru que ça pourrait marcher entre nous deux ! Que j’aurais pu te suivre dans tes délires,’’ constate-t-il.
En rentrant à l’appart’, Clara frappe à la porte de Gilles, comme JP peu de temps avant elle. Une jeune femme lui ouvre, elle est toute surprise qu’on passe ainsi constamment se dire bonjour entre voisins dans cet immeuble. ‘‘Ben oui, on est comme ça ici, on passe se faire des coucous tout le temps,’’ répond Clara, un peu sèche.
Ne pas penser à Gilles. Ne pas penser à Gilles. Ne pas... Du coup, Clara décide de retourner travailler, quand bien même il lui reste dans les deux semaines de vacances. Bertrand est un peu surpris, ‘‘dans la réalité de la vie professionnelle, il y a très peu de gens qui viennent au boulot juste pour s’occuper,’’ dit-il à Clara avant de finalement la laisser faire.

La tension générale est palpable et dans ces moments là, ces petites choses insupportables que vous laissez d’habitude passer en silence par politesse, comme un Conseil de Syndic, vous mettent facilement hors de vous. JP profite donc du conseil de voisinnage pour passer ses nerfs sur la petite mémé-voisine.

Clara retrouve Gilles. Il lui explique que son invitée actuelle est une amie, juste une amie. Ils s’embrassent... Et ils décident de garder leur nouvelle relation secrète. Clara a la sensation d’enfin partager son temps avec le Prince Charmant. Celui en qui elle n’osait presque plus croire. Tout à coup, ‘‘la bête se transforme en homme. Le plus Humain, le plus vulnérable qu’on ait jamais vu.’’
Mais il n’est pas si facile de poursuivre une relation à l’insu de JP. Clara demande à Gilles de résoudre leur relation pour qu’il puisse ne se douter de rien. Gilles, lui, informe Clara qu’il doit partir travailler au Japon pendant plusieurs mois. Et lui propose de venir avec lui.

Mais le secret, difficile de le garder quand on habite l’étage d’en dessous. JP découvre la vérité à propos de Clara et JP. Et Clara lui révèle qu’elle envisage de partir avec lui. ‘‘Qu’est-ce que tu crois ? Que je peux être heureux pour toi de toutes ces choses que je n’aurais jamais ?’’ interroge JP, blessé.

Finalement, coincée entre Gilles et JP, Clara décidera de rester, laissant Gilles partir seul au Japon. Et tout le monde est malheureux. Sauf peut-être Jeanne et David, qui décident de mettre leur problèmes derrière eux et de se marier.
JP rencontre quelqu’un dans un bar. Un banlieusard d’une quarantaine d’année. Plutôt en-dessous des standards habituels de JP. Mais il passe la nuit avec lui. Au petit matin, il est réveillé par la fille de son hôte, Marie-Luce. ‘‘T’es pas obligé de me dire que tu va me téléphoner. Mais bon, ça me ferait plaisir quand même.’’
JP reçoit un e-mail de Gilles. Quand il se décide à l’ouvrir, il découvre une simple phrase. ‘‘J’espère que tu me pardonneras d’avoir voulu vous séparer’’.

L’anniversaire de Clara est arrivé. JP lui fait un cadeau très spécial : une clé de l’appartement du dessous. Gilles y attend Clara... A l’étage, JP continue de danser, et on ne sait pas très bien s’il est heureux ou désespéré. Sûrement un peu des deux.

Pour Clara, le moment des balades en péniche au soleil couchant et des spaghettis fumantes après l’amour est enfin arrivé...


« Un cadeau de la vie » est un dernier épisode absolument incompréhensible. Je ne parle pas de son scénario, mais de ses thématiques et de ses messages.
Après cinq épisodes à nous faire fantasmer et rêver éveillé au Prince Charmant, à l’amour parfait, à une nouvelle utopie sentimentale, Nicolas Mercier nous propose soudain un réveil-gueule de bois. Il nous impose de la joie de vivre frelatée, un bonheur sous cellophane qui rend même pas heureux, tout en nous laissant entendre qu’il serait vraiment malvenu de ne pas s’en contenter... Bref, qu’on ne mérite pas mieux !

‘‘C’est quoi la réalité ?’’ demande Clara dans cet épisode. ‘‘C’est les trucs graves qui se passent dans le monde ? Ou alors c’est des trucs super palpitants genre ‘je suis à découvert’ ou ‘ma chaudière est en panne’ ? Ce qu’on ressent, les sentiments, si on est heureux ou malheureux... Ca, ça passe pas au journal télévisé alors il faut surtout pas faire comme si c’était plus important que le reste !’’
La réalité pour Nicolas Mercier, ce serait ça, alors ? L’utopie impossible. La trahison. L’amitié possible seulement au prix de sacrifices énormes (celui du Japon pour Clara, celui de Gilles pour JP). Et l’amour des uns qui fait le malheur des autres.
Soit, à la limite, pourquoi pas. Mais que cette réalité finale plaquée au dernier épisode vienne contre-dire tous les précédents pose un grave problème narratif. Quelle est l’unité de cette série ? Quel est son discours ? Celui des cinq premiers épisode ou celui de sa conclusion ?
Si l’idée était de proposer un cheminement de l’utopie vers la réalité, force est de reconnaitre que c’est un ratage complet. De cheminement, de transition, même de progression, il n’y en a aucun. La réalité est juste un gros cheveux sur la soupe, et le met « Clara Sheller » était loin d’être sufisemment gouteux pour se le permettre.
En outre, il aurait fallut au moins en tirer les conséquences sur l’amitié des deux personnages principaux. On ne croit tout simplement pas qu’elle puisse se remettre des crises traversées dans cet épisode. La série revendiquait sa rupture d’avec la fiction française de papa. Elle nous impose pourtant exactement le même happy-end plaqué et incohérent avec l’histoire racontée. On aura visiblement jugé que la série avait déjà pris sufisemment de risques avec la ménagère. Dommage qu’on ne soit pas rendu compte qu’on courrait le risque de s’aliéner tous les publics au final.
Si l’amitié artificiellement protégée de Clara et JP fait tâche, on aurait en revanche tout donné pour que nous soit évité cette volonté exécrable de pseudo happy-end du pauvre concernant le personnage de JP. Pendant que Clara file le parfait amour avec son Prince Charmant, le bon pédé en voie de s’assumer JP doit en effet faire avec son homme de second choix : un « banlieusard » et un « vieux », qui plus est. Et qu’on ne maccuse pas d’interpréter : ce n’est pas moi qui le présente ainsi : c’est la série, plutôt lourdement qui plus est !
La encore, on est censé être au comble du bonheur pour lui : Nicolas Mercier cherche à nous dire qu’il ne peut rien espérer de mieux. Quel est donc l’objet de cette hallucinante séance de flagellation ?
Fort heureusement, est-on censé se dire, le ‘‘vieux banlieusard’’ est l’heureux homoparent d’une petite Marie-Luce, le désir frustré de paternité de JP est donc comblé. C’est encore artificiel, plaqué, pas traîté, mais on devra se satisfaire de savoir qu’il va pouvoir à loisir jouer au papa et à la maman. Ils pourront vieillir ensemble dans lmeur doux univers normé, sans rien vivre de trop risqué : il n’y aura en effet pas d’amour entre eux...

Un bilan si négatif pour le dernier épisode contribue à altérer grandement le verdict sur la série en elle-même. Plus que jamais, on se demande si on a à faire à des problèmes de conception, ou bien "simplement" à un problème de transcription chaotique des intentions de l’auteur.
Surtout, il faut bien avouer que « Clara Sheller », même s’il est vrai qu’elle ouvre une brèche dans la fiction française, souffre fort du syndrôme "montagne accouchant d’une série". La promotion très intense — nécessaire pour s’assurer que la série marche et qu’elle initie un mouvement — a insisté sur le coté supposément provocateur voire transgressif du programme, ce qui peut laisser dubitatif à la vision du produit fini. A fortiri chez le conaisseur qui ne pourra que constater que les Anglais, par exemple, se vantent bien moins fort de leurs séries pourtant, elles, très, très, très culottées...

Le succès aura poussé France 2 a chercher, dès la fin de la diffusion, à mettre en chantier une suite. Vu la manière dont les choses sont ainsi (très mal !) bouclées, on leur souhaite bon courage. Cela leur apprendra à préférer ce genre de mini-séries fermées à de ‘vraies’ séries !

Post Scriptum

Un dernier épisode exécrable, trahison de tout ce que la série et ses personnages ont porté jusqu’alors. On a le sentiment de voir un gamin malheureux s’auto flageller en réduisant à l’état de miettes son jouet flambant neuf. C’est aussi nul qu’égoïste.