Entre 1996 et 2004, pas de docteur à la télévision. Le film Brittanico-américain avait enterré une série pourtant vieille d’un demi-siècle et à la popularité, même si elle était en forte baisse, restait impressionnante.
Pendant cette période, en 1999, le Comic Relief, émission annuelle d’appel aux dons propose à Sue Vertue, productrice, de se lancer dans une fiction parodiant le Docteur. Le réalisateur John Henderson raconte : « Quand Sue s’est lancée sur le projet, ce qu’on a appris, c’est que son mari, scénariste, était complètement obsédé par le docteur. Inévitablement, il s’est retrouvé aux commandes du scénario ». Et ce scénariste, vous avez deviné de qui il s’agit... Non ? Il faut que vous veniez plus souvent sur le village… Évidemment, c’est Steven Moffat.
Un épisode spécial de 26 minutes est tourné, avec dans le rôle du docteur le comique Rowan Atkinson, connu mondialement pour avoir incarné « Mr. Bean ». Dans le rôle de la compagne (et là pour le coup, le terme français est approprié, vu qu’ils forment un couple et s’apprêtent à se marier) Julia Salwalha, que la France connaît pour avoir interprété la fille adolescente d’« Absolutely Fabulous ». Enfin, dans le costume du Maître, un grand du cinéma, Jonathan Pryce (« Brazil », pour ne citer que celui-là).
Hilarante pour les connaisseur du docteur pré-revival, elle est partiellement hermétique pour les autres. Pour l’apprécier, il ne faut pas jouer au jeu des comparaisons avec la version de Russell T Davies. Avant 2004, « Doctor Who » était une série sans moyen (voir la critique de Sullivan sur ce site de « The Caves of Androzani ») et qui était au tout début tournée en direct. Le docteur qui est parodié dans « Doctor Who and The Curse of the Fatal Death », c’est celui qui courait à travers des couloirs de 2km qui étaient en fait un couloir de 10m filmé sous 15 angles différents, c’est celui qui montrait des maquettes pas du tout réalistes pour montrer des plans d’ensemble de planètes, celui où, dans une tradition du grand méchant séculaire, ce dernier va dévoiler son plan dans les grandes lignes avant de laisser le héros accroché au dessus du vide, celui où on le Tardis est une grande pièce blanche avec une console au centre et trois chaises de cuisines… Du kitch en force, assez assumé, même si servi par des auteurs extrêmement talentueux. On est loin de la version de 2004, de ses effets numériques, de sa photo travaillée… il reste toujours les bestioles en caoutchouc, mais bon.
Donc est-ce que c’est drôle ? Oui, quand même. Déjà parce que Steven Moffat est plus talentueux que la moyenne, et que sa parodie n’est pas juste un copié collé. Certains de ses gags fonctionnent sans avoir besoin d’avoir grandit devant un poste de télévision en Grande-Bretagne.
Résumons l’histoire : alors que le Maître s’apprête à tendre un piège au Docteur (mais en ne faisant pas attention qu’il est en train de monologuer son plan alors que ses micros sont ouverts), ce dernier lui propose de venir le rejoindre sur une autre, pour lui faire une annonce : le Docteur prend sa retraite et va se marier. Mais le Maître n’est pas d’accord et veut le tuer.
Le premier gag à faire vraiment mouche, c’est cet échange ridicule entre le Docteur et le Maître. Le Docteur vient d’arriver sur la planète, et le Maître lui annonce qu’il est venu quelques années avant pour préparer un piège. Le Docteur s’en sort, et lui dit qu’il est venu un peu avant pour se préparer une porte de sortie. Puis le Maître surenchérit en piégeant le docteur, étant venu plusieurs années avant encore pour soudoyer l’architecte de la pièce. Et le Docteur de s’en sortir, étant venu plus tôt pour le soudoyer un peu plus… et ainsi de suite pendant 4 bonnes minutes. Le comique de répétition est d’ailleurs le dénominateur de la quasi-totalité des gags. Pris à son propre piège, le Maître se retrouve éjecté dans les égouts, d’où il met 312 ans à en sortir (puis de reprendre son Tardis pour revenir dans l’époque du Docteur…). Puis il retombe « 624 ans à sortir des égouts…. » et revient plus vieux. Puis il retombe encore « 936 ans à sortir des égouts… » et revient en déambulateur. Il finit pas s’allier avec l’ennemi juré du docteur, les Daleks (dans le costume de l’un d’entre eux se tient d’ailleurs Steven Moffat, ce qui lui fera dire après y avoir souffert « pas étonnant qu’ils veulent détruire l’univers ! » ). Les Daleks ont amélioré et rajeuni le Maître, mais en l’affublant de deux bosses de Daleks (les demi spheres qui apparaîssent sur toute leur caracasse) au niveau de la potrine. « You have breasts now (The Doctor) – No, it’s Dalek bumps (The Master) ».
A chaque explication du docteur à sa compagne, lorsque cette dernière lui demande pourquoi ou comment, il répond invariablement « I’ll explain later ». Tentant de les sortir d’un mauvais pas, le Docteur meurt et se régénère… en Richard E. Grant… remeurt… puis revient en Jim Broadbent… puis en Hugh Grant… puis en femme ! Joanna Lumley « The Avengers », « Absolutely Fabulous » qui vaut deux gags assez savoureux. Le premier lorsqu’elle prend dans ses mains un tournevis sonique qui vibre en s’extasiant « Look, it’s got three settings ! », pour enfin le gag ultime, montrant le Docteur et le Maître, qu’elle trouve soudainement très attirant, partir bras dessus, bras dessous. Un final qui fait d’ailleurs penser au formidable film de Philippe de Broca « Le Magnifique », où Jean-Paul Belmondo jouait un Ian Fleming français s’imaginant interprêter son James Bond et qui, décidé à mettre fin à son héros, lui écrivait un final qui le voyait, soudainement efféminé, quitter la bimbo de l’histoire pour partir avec le grand méchant. Influence consciente, inconsciente, pas du tout… on ne sait pas vraiment.
Jonathan Pryce est formidable et donne une leçon de rythme comique et de charisme. Même dans le documentaire de tournage, il reste dans le rôle du Maître, expliquant que le rire qu’il lance à tout rompre « Mwuahaha » n’est pas tant un rire qu’un cri de guerre. Il explique aussi que jouer dans ce sketche pourrait être le grand moment de sa carrière… ou le dernier. Et l’entendre, après un monlogue de Julia Salwalha qui se termine par « Who are we going to call, now ? » dire « My agent, cause you cut my line » est absolument hilarant.
« Doctor Who and The Curse of the Fatal Death » est une parodie consciente des limites de la version pré-2004 de la série, mais extrêmement respectueuse. Une parodie qui, ça ne fait aucun doute déjà à l’époque, est l’œuvre d’un amoureux inconditionnel du docteur.
« Doctor Who »
« The Curse of the Fatal Death »
PBS - 1999
Scénario : Steven Moffat. Réalisation : John Henderson.
Avec : Rowan Atkinson, Richard E. Grant, Jim Broadbent, Hugh Grant, Joanna Lumley (Le Docteur), Julia Salwalha (Emma), Jonathan Pryce (The Master)
Dernière mise à jour
le 9 janvier 2010 à 00h23