Petit retour en arrière. Automne 2009, la série « Braquo » vient de finir son run, avec des audiences record pour la chaîne. Dans la foulée, et précédée de retour presses qui vont de très bons à élogieux, la série « Pigalle, la nuit » débarque. Les audiences sont excellentes, dans la lignée de la série d’Olivier Marchal. Pour tout le monde à l’époque, la série ne peut que connaître une saison 2. La chaîne, elle-même, avoue avoir donné le feu vert pour le développement d’une suite.
C’est ce sur quoi le duo se lance, dans la foulée, en parallèle de « Signatures ». Une première idée d’arche narrative leur vient en tête, autour d’Emma. Mais “quand on leur présente cette idée, ils refusent. Le côté mystique de ce qu’on a écrit ne leur convient pas. Ce qui les intéressait, c’était les guerres de territoire,” nous explique le scénariste Marc Herpoux.
“Après ce premier refus, on s’est demandé si ça valait le coup de tout remettre en question et de partir sur une autre piste,” raconte le scénariste et réalisateur Hervé Hadmar, “si on avait vraiment envie. Et puis l’idée a fait son chemin, et on s’est dit, que finalement, ça pourrait être intéressant de mixer leur volonté avec notre univers. On a pondu quelque chose de plus thriller, très efficace, dont on était très contents. Plus efficace que la saison 1”.
Cette nouvelle piste narrative, pourtant faite pour convenir aux décideurs de la chaîne, ne leur conviendra pas.
“Arrêter la série, c’est leur choix, et ils en ont le droit,” admet Hadmar. “Mais ce que je leur reproche, c’est la manière. Au bout d’un an et demi de développement, entendre dire « On ne sent pas de nécessité impérieuse de faire une saison 2, et ce qu’on lit nous prouve qu’on a fait le tour de cette histoire », c’est incroyable.”
Marc Herpoux est désabusé face aux méthodes de la chaîne : “Canal+ ne respecte pas ses auteurs, la preuve : il n’existe plus aucune série d’auteur sur la chaîne. Dans les autres pays européens, le scénariste doit fournir deux épisodes en continuité dialoguée pour savoir s’il doit continuer ou pas. Au final, on leur a écrit 4 épisodes en continuité dialoguée, 2 en traitement, et les deux derniers en synopsis !”
“Il y a peut-être chez eux, de façon inconsciente, l’impression qu’ils sont au-dessus des auteurs” confie Hervé Hadmar. Un sentiment partagé par son partenaire : “Canal, c’est tout sauf HBO ! Ils ont un regard marchand. Ils sont convaincus d’être les auteurs de la série”.
Au final, en vouloir au seul Canal serait peut-être réducteur. Si le ressentiment direct est évidemment de mise, il faut penser aux raisons de cette situation. Pour Marc Herpoux, la politique de la chaîne cryptée est avant tout le fruit d’un système : “Les chaînes ont trop de poids, sur la culture télévisuelle comme cinématographique. Quatre ou cinq grands groupes décident de tout pour toutes les prods. Les producteurs, les auteurs, les réalisateurs, doivent sortir de leur attitude corporatiste pour s’unir et ré-équilibrer le rapport de force. Il faut faire front !”. Hadmar en convient : “ils sont dans une position où ils peuvent mettre la pression”.
Herpoux ajoute : “il y a un problème d’éthique de conviction chez les diffuseurs. Et le problème, c’est qu’il se transmet au producteur… puis à l’auteur… Fidélité (les producteurs de la série), pour nous, a été remarquable. Ils nous ont soutenus, ils ont perdu de l’argent dans l’histoire…”
Mais si Canal, parmi tous les diffuseurs, s’avère ne pas être la solution à la crise de la fiction, préférant au contraire l’alimenter et jouer de ses failles, qu’avons-nous à espérer ? “On n’a pas été embêtés sur « Signatures »,” raconte Marc Herpoux. “France 2 et France 3 laissent plus les auteurs libres que Canal. Nous avons refait des versions, mais pas à leur demande. Canal en était à retoucher certains dialogues… le souci avec France Télévisions, il vient de l’instabilité des équipes, qui les plonge dans une peur malsaine. Mais ça n’a rien à voir avec la pression artistique de Canal+. Il faut suivre la ligne. Aujourd’hui, il existe les « séries Canal » comme il existait à l’époque les « séries TF1 », c’est tout dire. Et encore, sur TF1, une fois qu’on a admis dans quelle optique il faut écrire pour eux, ils sont moins interventionnistes que Canal !”
La nouvelle est, à l’échelle de la fiction française, lamentable. Quand on leur demande ce qu’il est possible de faire maintenant, Marc agite le rapport Chevalier “un magnifique outil qui démontre pourquoi la fiction est en crise et ce qu’il faut appliquer pour y arriver”.
Et pour le duo, qu’attendre d’eux après une telle désillusion ? “Je devais travailler sur un projet en fin d’année, et du coup je vais anticiper,” explique Hervé Hadmar… “Retravailler pour Canal, il ne faut jamais dire jamais… j’ai beau penser qu’ils ont fait une erreur, je continue à avoir de l’estime pour les gens qui travaillent là-bas…”
Surprise, étonnement, incrédulité… beaucoup d’adjectifs viennent en tête après une annonce pareille. Évidemment, il faut relativiser, mais à l’échelle de la fiction française, cette décision fait l’effet d’une petite bombe, venant faire voler en éclat les espoirs placés dans la politique fiction de la seule chaîne qui était désireuse de changer les choses, tout en ayant les moyens de les changer.
Ce qu’il faut garder en tête est d’une simplicité désarmante : une chaîne française vient d’annuler une série de qualité, avec une bonne audience...
Dernière mise à jour
le 14 juillet 2011 à 15h45