On vous a déjà un peu parlé de « The Writer’s Tale » en septembre dernier, lorsque, quelques jours avant sa sortie, The Times publiait en deux parties plusieurs pages de bonnes feuilles. Il est maintenant possible d’y revenir plus en détail, puisqu’on l’a lu.
Lorsque le livre arrive entre vos mains, sa première caractéristique marquante est... son poids. 500 pages, certes abondamment illustrées, mais aussi écrites sur deux colonnes en caractères de petite taille. On va y passer un moment, se dit-on. Sauf que non. J’ai englouti les 500 et quelques pages en à peine plus de quarante-huit heures. Alors certes, « Doctor Who » est l’une des rares séries actuelles a faire vibrer la corde du fan en moi. Mais avant tout, ce livre est une plongée comme on en voit rarement dans le processus de création.
Le pitch du bouquin est simple. Benjamin Cook est un – jeune – journaliste qui travaille notamment pour Radio Times et Doctor Who Magazine. Il suit la série de très prêt, semble passer la moitié de son temps sur le plateau de tournage, c’est un journaliste embedded, comme on dit de nos jours, à bord de « Doctor Who ». Il a les inconvénients de la situation celui de porter une forme de discours officiel, un peu complaisant, peu critique. Mais sa position a aussi un avantage, la proximité, et la possibilité de tisser une véritable relation de confiance avec l’équipe. Dont ce livre tire avantage. Un dimanche de février 2007, Benjamin Cook envoie un mail à Russel T Davies, le showrunner de « Doctor Who », titré ‘‘An idea’’. Au départ pour un article, Cook propose à Davies de plonger dans le processus de création d’un épisode de A à Z. Il propose au scénariste un échange d’e-mails tout au long du processus, depuis l’idée initiale jusqu’à sa réalisation, pour répondre avec précision à la question de comment on écrit un épisode de « Doctor Who ». L’échange de messages va durer un an, et couvrir toute la quatrième saison de la série. Une saison passionnante : la dernière véritable saison supervisée par Davies, celle pendant laquelle seront annoncés non seulement son prochain départ, mais aussi celui du Docteur en titre, David Tennant.
Le livre se compose donc de ce dialogue permanent entre les deux. ‘‘Invisible Ben’’ comme il se surnomme lui-même, relançant à l’occasion Davies sur des questions de techniques d’écriture, sur la nature du processus d’invention. On découvre ainsi que Davies aussi trouve cela insupportable quand, à la télé, les gens raccrochent au téléphone sans dire au revoir !
Davies envoie également à Cook, au jour le jour et au fur et à mesure qu’il les écrit, les scénarios des épisodes qu’il écrit lui-même : pas moins de sept durant la période d’un an que recouvre le livre. Sans compter les scénarios qu’il ré-écrit. Et pendant ce temps, Davies garde aussi un œil sur « Torchwood » et « The Sarah-Jane Adventures », même s’il renoncera au dernier moment à écrire le premier épisode de la saison 2 de « Torchwood », ne signant finalement que la séquence pré-générique.
Quand cet échange commence, en février 2007 donc, le tournage de la saison 3 est sur le point de se terminer. Les auteurs ont quelques mois de répit avant que ne commence celui de la saison 4, en juillet, qui débutera par l’épisode spécial de Noël avant d’enchaîner sur les treize épisodes réguliers. Le travail sur la saison 4 est déjà lancé. Il existe déjà un ‘‘season 4 breakdown’’, une liste des épisodes de la saison 4 avec un résumé de quelques lignes. Des scénaristes indépendants travaillent sur leur épisode depuis déjà des mois. En effet, il n’y a pas d’atelier de scénaristes sur « Doctor Who » : il y a un scénariste / showrunner / chef d’orchestre qui distribue les épisodes à des scénaristes travaillant à leur épisode chacun de leur coté, le plus souvent à partir d’idées qu’il a proposées. A lui d’assurer la cohérence de la saison et le développement de son arc par trois moyens : en distillant les informations, en réécrivant les scénarios des scénaristes indépendants, et en se changeant lui-même des épisodes où l’arc joue un grand rôle.
A cinq mois du début du tournage, personne ne sait encore qui sera le second personnage principal de la saison. Martha part en effet à l’issue de la saison 3, conclusion apportée à l’amour à sens unique qu’elle a voué au Docteur. Il faut donc un nouveau compagnon. Davies n’écrit rien sur ses propres épisodes avant le scénario lui-même – pas de séquencier, ni même de synopsis. Les idées naissent et mûrissent dans son esprit. Parmi ces idées, Penny Carter, personnage potentiel de compagne pour la saison 4. L’équipe a même une actrice en tête. Ce n’est que courant mars que le retour de Catherine Tate/Donna apparaît, presque par hasard, comme une possibilité. Il est signé à la fin du mois.
Le planning semble fou, ce n’est rien à coté de ce que donnera ensuite à voir le livre, à plusieurs reprises.
Davies écrit la première ligne de ce qui sera le premier épisode de la saison 4 le 31 aout (le tournage n’a pas lieu dans l’ordre final de diffusion). Le scénario est terminé la nuit avant le Tone Meeting du 6 septembre (lecture du scénario avec les comédiens principaux et les membres clefs de l’équipe, pour prendre le pouls du script) qui marque le début de la pré-production officielle de cet épisode, tourné avant le début octobre !
Un délai aussi serré, c’est aussi la marque d’une grande confiance de la chaîne, et d’une capacité de sa part à laisser beaucoup de pouvoir aux créatifs. Quelle chaîne française serait capable de ça ?
Cette course contre la montre permanente provoque des moments de doute, voire de désespoir. La particularité de ce livre, c’est que ces moments sont bien présents, et de manière parfois crue. Les mails écrits par Davies à 5 heures du matin, après une nuit à galérer sur un scénario, alors qu’il trouve tout nul et qu’il déteste ce qu’il fait, ils sont dans le bouquin aussi. Steven Moffat a dit en lisant le manuscrit que si un aspirant scénariste avait encore envie d’écrire après avoir lu ça, alors il le deviendrait probablement vraiment...
Lorsque l’on apprécie beaucoup « Doctor Who », « The Writers’s Tale » vaut aussi pour la plongée dans les coulisses de la série. Ainsi, le plan de la saison 5 mois avant le tournage comporte deux épisodes qui n’existent finalement pas. « The Fires of Pompeii » a, dans la saison produite, remplacé un épisode dont une première version de scénario existe, situé au Museum d’Histoire Naturelle de Londres pendant la Seconde Guerre Mondiale. Et l’épisode « Midnight » n’existe pas encore, à la place une histoire de maison hantée filmée façon télé-réalité. En réalité, « Midnight », mon épisode préféré de « Doctor Who », est un épisode totalement improvisé, conçu et écrit en un temps record !
Plus généralement, l’une des surprises est de constater à quel point la série est en fait improvisée. Beaucoup moins de choses sont réellement prévues que ce que j’avais imaginé, alors même que la série impressionne chaque année par la cohérence thématique de ses saisons. J’étais persuadé, par exemple, que l’insistance en début de saison sur la manière dont Donna restait dans les mémoires de gens qu’elle avait aidé, notamment dans « The Fires of Pompeii » et « Planet of the Ood », était une préparation consciente au destin qui l’attendait en fin de saison. Il n’en est rien, celui-ci a en fait été imaginé très tardivement. La preuve que, même sans tout prévoir à l’avance et se fermer les possibilités de développement organique, on peut retomber sur ses pattes et “toutélier” de manière élégante et respectueuse de son public. De quoi donner honte aux scénaristes de « Battlestar Galactica » et les éloigner à jamais d’un clavier d’ordinateur (si seulement...).
On mesure aussi le poids des contraintes du budget sur une série telle que celle-ci, en assistant aux nuits de réécritures consacrées à traquer les plans avec effets dans les scénarios pour couper tous ceux qui ne sont pas indispensables. Sur les gros épisodes, comme les spéciaux de Noël ou les fin de saison, c’est une tâche importante et qui mène à de nombreux sacrifices.
On réalise aussi à quel point Davies ne perd jamais son public de vue, en gardant par exemple constamment à l’esprit la nécessité de concevoir des éléments qui accrocheront le public plus jeune de « Doctor Who ». L’équipe actuelle de la série l’a découverte pendant son enfance. On sent leur désir profond de parler aux enfants d’aujourd’hui comme la série leur parlait à eux.
Russel Davies a aussi parfaitement conscience du phénomène qu’est devenue la série (pendant l’écriture de ce livre, l’épisode « Voyage of the Damned » est regardé par 13 millions d’anglais) et est déterminé à l’entretenir. La préservation de ce ‘‘capital’’ par une gestion rigoureuse et raisonnée, par une communication très réfléchie et très méticuleusement réalisée, est une préoccupation quasi-quotidienne.
Et puis, bien sûr, ce dialogue permanent entre Russel T Davies et Benjamin Cook, en forçant souvent Davies a réfléchir à des choix qu’il aurait autrement fait en une seconde sans jamais y revenir, a en définitive des conséquences sur la série elle-même. A la conclusion du livre, ‘‘invisible Ben’’ provoque ainsi le changement de la toute dernière image de la saison 4. Et avec lui c’est tout le processus de création d’une série qui est passé de l’invisible au visible.
Bref, si vous êtes fan de la série (et lisez l’anglais...) « The Writer’s Tale » est une lecture indispensable. Et même si vous n’êtes pas fan, si vous vous intéressez à l’écriture, il est une lecture passionnante aussi.
Le site officiel de « The Writer’s Tale » est accessible ici et propose 6 scénarios complets à télécharger en pdf, à comparer avec les pages de premiers jets présents dans le livre.
Prochaine lecture d’été : « La Saison 2009 ». D’ici là, bonnes vacances et bonjour chez vous.
Dernière mise à jour
le 3 août 2009 à 04h11